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621. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Boeck l’a essayé de nos jours ; mais aussi, on doit l’avouer, ils ne les entendaient pas avec la même sagacité, la même précision de sens hellénistique ; ils savaient le grec plus bonnement, plus naïvement : leur science n’avait pas autant pénétré dans la société grecque et n’en connaissait pas aussi bien tous les usages et toutes les formés ; et, d’autre part, leur goût s’alarmait de ces formes étrangères. […] Par-là, et non pas seulement par de belles formes d’imagination, le poëte de Dircé s’élève ; il est lui-même un prêtre et, selon toute apparence, le prêtre du culte plus épuré que, sous la forme mythologique, la raison commençait à démêler, à travers les traditions confuses et les nombreux symboles du polythéisme. […] C’est déjà la pleine lumière de ce bel âge de la Grèce qui commence à Eschyle et que couronne Platon, âge où le sublime, soit de la passion, soit même de la réflexion, a toujours la forme et l’accent de la poésie. […] Il n’a pas seulement, comme le dit Horace, chanté les dieux et les rois issus des dieux : il a aimé cette forme de puissance ; il l’a louée, en la voulant soumise aux lois. […] Ce ne sont pas, en effet, seulement quelques formes d’imagination, quelques beautés de style, qui se rencontrent dans ce parallèle.

622. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delarue-Mardrus, Lucie (1874-1945) »

Les poèmes en sont simples, d’une pensée douce et un peu grave, d’une forme et d’un rythme sûrs… Mme Lucie Mardrus peut être rangée au nombre des meilleurs poètes. […] Épictète, et elle ne s’est pas enfermée en une doctrine immuable, mais au cours des saisons et des heures — les saisons et les heures de toute une jeunesse — elle a chanté son émotion immédiate, tout en demeurant maîtresse absolue de sa volonté en présence du monde ; elle sait qu’une âme humaine, dans la fiction qu’elle se crée des êtres et des formes, est la principale collaboratrice, et que le véritable mystère est en elle, non dans les choses… Si elle se laisse attrister par les présages de mort épars dans les bois et dans le ciel d’automne, c’est qu’elle y aura consenti, et elle ne sera point l’esclave même du Beau, ayant écrit ce vers doré : Tâche d’aimer le Beau sans être son amant.

623. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Nolhac, Pierre de (1859-1936) »

Dans ce recueil, comme en quelques pièces qu’il a données à différentes revues, on trouve une connaissance délicate de la langue, une belle ampleur de rythme, et, sous une forme artistique et sévère, un sentiment philosophique et religieux de la destinée. […] Frédéric Plessis, n’en cultivait pas moins la poésie sous une forme historique et savante.

624. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

C’est hier que j’ai eu ce spectacle, et aujourd’hui, à mesure que j’écris, je le revois faiblement, mais je le revois ; les couleurs, les formes, les sons qui m’ont frappé se renouvellent pour moi ou à peu près. […] Cet effacement est plus ou moins grand pour un même esprit, selon les diverses sortes de sensations, et c’est ce que l’on exprime en disant que tel homme a surtout la mémoire des formes, tel autre celle des couleurs, tel autre celle des sons. — Pour mon compte, par exemple, je n’ai qu’à un degré ordinaire celle des formes, à un degré un peu plus élevé celle des couleurs. […] Je ne puis fixer une forme, mais le développement de nouvelles fleurs continue aussi longtemps que je le désire, sans variation dans la rapidité des changements. […] Des architectures, des paysages, des figures agissantes ; défilent lentement, et parfois persistent, avec une netteté de formes et une plénitude d’être incomparables ; le sommeil est venu, je ne sais plus rien du monde réel où je suis. […] Pareillement, dans une paralysie faciale, le visage déformé par la rétraction des muscles gauches reprend sa forme ordinaire, si l’application de l’électricité rend peu à peu leur force aux muscles droits.

625. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Les propres événements de sa vie lui ont fourni les formes où la doctrine s’est coulée. […] Ainsi tout despotisme, toute tyrannie, toute oppression sont exclues ; aucune forme de gouvernement n’est condamnée, mais seulement des procédés de gouvernement. […] Et dans la forme absolue de son système, ce parti pris est injustifiable. […] Mais cette forme romanesque de son âme, c’est un subjectivisme, effréné, qui le rend incapable de s’asservir à aucune réalité, de la regarder de sang-froid pour la rendre telle quelle. […] Cette forme de vision artistique est étroitement dépendante du sentiment de la nature : car celui qui s’arrête à noter les formes des choses extérieures, les fines impressions qu’elles apportent à l’âme, est un homme en qui la sensation prévaut sur l’intelligence, un homme au moins qui n’estime pas l’activité des sens inférieure en dignité à celle de l’esprit.

626. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Jamais l’homme réfléchi ne se met à combiner arbitrairement des sons pour désigner une idée nouvelle, ni à créer une forme grammaticale pour exprimer un nexe nouveau. […] Les vieux cultes mythologiques, ne se donnant pas pour la forme absolue de religion, mais se posant comme formes locales, n’excluaient par les autres cultes. […] Voilà la pure expression de cette forme religieuse. […] C’est d’ailleurs faire tort aux résultats de la critique que de leur donner cette lourde forme syllogistique où triomphent les esprits médiocres, et que les considérations délicates ne sauraient revêtir. […] Mais cela forme, ce semble, une objection tout à fait sans réponse contre ceux qui s’obligent à trouver dans chacun de ces récits une histoire vraie à la lettre et jusque dans ses moindres détails.

627. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Je ne crois pas que les formes du beau soient épuisées et j’en attends de nouvelles. […] Ils excellent à donner un mouvement sublime à des formes voluptueuses. […] C’est pourquoi il sentait si fortement la caresse des lignes et la divinité des formes. […] Je crois que la critique ou plutôt l’essai littéraire, est une forme exquise de l’histoire. […] Ce qui compte c’est la forme pure, c’est la coupe, le rythme, un certain pli du vers.

628. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rivoire, André (1872-1930) »

Toujours entre lui et les diverses formes de femmes devinées à travers ses poèmes, un être un peu fictif s’interpose et se substitue, plus âpre et plus incertain. […] Ma main, qui tremble encor de t’avoir caressée, Parfois sent vivre en elle un contour frissonnant ; Et dans le grand lit sombre et vide maintenant La forme de tout corps est à peine effacée.

629. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Us disent, non sous une forme abstraite, mais sous une forme individuelle où la réalité palpite, ce que pense l’humanité dans toute l’intimité de sa pensée. […] Mais au seizième siècle, le scepticisme revêt deux formes différentes. […] Il a en aversion la pédanterie, les formes vaines, l’éloquence de mots. […] Je ne crois guère les sentiments moraux susceptibles de varier dans leur forme ; je crois qu’en littérature l’idée, qu’en morale le sentiment, donne la forme, de même qu’un fruit détermine les contours de son enveloppe. […] Je l’estime aussi fort, aussi âpre que jamais ; mais il a su revêtir d’autres formes.

630. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Puis sous l’hétérogénéité montante des émotions, naît une forme plus complexe, l’emploi des accords : quelques sons nouveaux sont créés, par des alliances de notes. […] Enfin la Musique, de même que les autres arts, reçut des formes diverses à mesure que s’accrut le nombre des âmes « différentes ». […] Cependant les Grecs n’étaient guère disposés aux très vives émotions : ils se contentèrent d’une musique purement rythmée : mais ils compliquèrent le rythme par la création des genres et des modes, formes mélodiques multiples, répondant à des formes spéciales de l’émotion. […] L’émotion même de l’écuyer revêt une forme à soi, franche et naïve. […] Il ne cherche pas à retrouver la puissance wagnérienne dans ses textes mais plutôt une musicalité dont il fixe lui-même les formes dans L’art poétique en 1874.

631. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Le contrepoint avait été chez Bach un procédé constant, la forme même de la mélodie : par Beethoven encore fut promu à l’Art le contrepoint, il le destina à traduire les marches simultanées, dans l’âme, d’émotions diverses. Ici encore, suppression, aussitôt, des ornements inutiles ; suppression lente et graduelle des formes convenues 70. […] La différence des deux formes, à dire vrai, était plutôt extérieure : la musique d’opéra, comme la musique instrumentale, demeurait exclusivement des musiques. […] La musique romantique, sous ses formes diverses, a séduit, comme elle le devait, les esprits peu complexes. […] Je voudrais dire encore l’héroïque essai de Wagner à sauver la Musique, et la valeur des formes musicales nouvelles qu’il a indiquées.

632. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 366-368

« Un habile Traducteur, dit-il*, doit être un Protée qui n’ait point de forme immuable, & qui sache prendre toutes les diverses formes des Originaux.

633. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Les Mémoires de Sully existaient, d’un volume considérable, mais d’une lecture lente et pénible : l’abbé de L’Écluse, en 1745, se chargea de les alléger, de les rendre faciles et agréables ; il en dénatura la forme, le langage, et parfois le fond ; il donna à son auteur un certain air plus dégagé, et qui fait contresens. […] Je ne saurais certainement prétendre embrasser l’homme d’État ni l’administrateur des finances dans ce qu’il a de positif et de spécial ; ce sera assez si je parviens à saisir et à faire ressortir la forme générale de l’esprit et du mérite de Sully d’après l’ensemble des faits. […] Évitons cette autre forme de l’erreur et de l’esprit de système qui se déguise sous la prétention à la finesse. […] Mais avant d’user des Mémoires de Sully, il importe de bien établir ce qu’ils sont et de se rendre un compte exact de cette composition d’une forme assez étrange. […] Sully, dans son château, se fait donc raconter et ramentevoir par ses quatre secrétaires les choses qu’il sait mieux qu’eux et qu’il leur a racontées ou laissé lire ; fidèle, même dans la familiarité, à son goût de hauteur et d’appareil, il se fait renvoyer ses souvenirs sous forme cérémonieuse, obséquieuse, et, pour ainsi dire, à quatre encensoirs ; il assiste sous le dais et prête l’oreille avec complaisance à ses propres échos.

634. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Voltaire met sans cesse en opposition ce qui devrait être et ce qui était, la pédanterie des formes et la frivolité des esprits, l’austérité des dogmes religieux et les mœurs faciles de ceux qui les enseignaient, l’ignorance des grands et leur pouvoir. […] Il faut signaler de certaines formes derrière lesquelles tant d’hommes se retirent pour être personnels en paix, ou perfides avec décence. […] Quand les qualités qu’on possède ne suffisent pas pour atteindre à ce but, l’on a recours au vice pour se faire remarquer ; il donne des formes confiantes, une sorte d’assurance et de fermeté, du moins contre le malheur des autres, qui peut faire quelque illusion. […] Ces formes poétiques, empruntées du paganisme, ne sont pour nous que l’imitation de l’imitation ; c’est peindre la nature à travers l’effet qu’elle a produit sur d’autres hommes. […] On vous dit dans ces sortes d’ouvrages, sous la forme de l’invention, ce qu’on ne vous raconterait jamais sous celle de l’histoire.

635. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Comment, avec du griffonnage noir aligné sur du papier d’imprimerie, remplacerez-vous pour lui la vue personnelle des couleurs et des formes, l’interprétation des visages, la divination des sentiments ? […] Les objets ne sont pas taillés ainsi en angles saillants, en formes géométriques. […] La nature a des formes moins rigoureusement savantes, moins uniformément calculées. […] Nulle science n’y atteindrait ; nulle forme préconçue n’y suffirait. […] Non-seulement, par l’analogie des sons, elle rend les idées sensibles ; mais encore, par l’arrangement des sons, elle forme les idées en groupes.

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