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50. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Il est digne d’observation que, dans toutes les langues, la plus grande partie des expressions relatives aux choses inanimées sont tirées par métaphore, du corps humain et de ses parties, ou des sentiments et passions humaines. […] L’expression n’indiquait que l’indigence des langues, et les grammairiens y ont cru voir l’effort de l’art. […] Point de langue vulgaire qui ait autant d’expressions que de choses à exprimer. — Une conséquence nécessaire de tout ceci, c’est que, dans l’origine, la langue héroïque fut extrêmement confuse, cause essentielle de l’obscurité des fables. […] C’était l’expression des émotions les plus vives de la terreur ou de la joie. […] Bernegger a fait de toutes ces expressions un catalogue, enrichi ensuite par Georges Christophe Peischer, dans son Index de græcæ et germanicæ linguæ analogiâ.

51. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

La littérature n’est qu’une des nombreuses expressions de la vie humaine ; expression plus claire que d’autres, plus accessible à un grand nombre, par ses moyens (la parole) et par son but (l’action sur la masse) ; partant du même fonds inconscient, obéissant aux mêmes nécessités, l’expression littéraire tend plus que d’autres à une forme intelligible, à la réflexion, à une prise de conscience. […] Le nombre même des œuvres littéraires nuit ainsi à leur netteté d’expression. […] Cela étant, pourquoi ne pas les chercher, dans leur suite ininterrompue, dans l’expression la plus consciente de l’humanité ? […] La rêverie imprécise se perd dans le néant comme un fleuve dans les sables ; et l’érudition n’est qu’une momie ; tandis que l’expression enfante d’autres expressions, comme l’homme engendre l’homme. […] Il nous suffit de constater qu’ils sont, dans le marbre comme dans le verbe, l’expression la plus brève et la plus haute de l’effort humain.

52. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

Dans toutes les langues, il se trouve plusieurs expressions qui représentent une même idée principale ; mais dont chacune ajoute quelques idées accessoires. […] Il y rapporte aussi avec assez d’exactitude les expressions propres & figurées. […] Il avouoit, par exemple, que l’auteur avoit approuvé plusieurs expressions qui avoient vieilli ; qu’il en avoit condamné d’autres qui s’étoient introduites, & que nos meilleurs écrivains emploient. […] On prodigue les images, & les tours de la poésie, en physique ; on parle d’anatomie en style empoulé ; on se pique d’employer des expressions qui étonnent, parce qu’elles ne conviennent point aux pensées.” […] Lacombe nous a expliqué le langage, nous ont non-seulement fourni de vieux mots & d’expressions énergiques ; nous leur devons encore un grand nombre de proverbes, dont la plûpart renferment un grand sens sous des expressions triviales.

53. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Il réduit la déclamation à l’expression ordinaire. […] Son jeu fut plein d’expression & de vérité. […] C’est sur elle qu’elles règlent leur prononciation, la gradation des accens, l’éloquence des regards, le geste toujours à l’unisson de la pensée, l’expression étonnante des mouvemens. […] Certains vieillards frémissent encore au souvenir de l’expression qu’il mit dans cette apostrophe au dieu des vengeances : Tirez votre glaive ** On a surtout présent Massillon. […] Quant aux célèbres prédicateurs vivans, il doit les étudier, se souvenir que les qualités qu’on estime le plus dans un prédicateur, sont une expression noble & vraie, les traits du visage, une belle prononciation, un débit aisé, naturel, intéressant.

54. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Je saisis également cette occasion pour prier M. le baron d’Eckstein d’agréer l’expression de ma reconnaissance pour la manière dont il veut bien quelquefois entretenir ses lecteurs, de mes divers écrits. […] Je me servirai de ses propres expressions ; seulement je les condenserai un peu, pour qu’elles tiennent moins de place. […] « D’ailleurs, ajoute mon contradicteur, quand on reporte son attention sur les mots et les expressions considérés en eux-mêmes, dans nos langues dérivées, l’on parvient souvent et facilement à en découvrir la nature physique et matérielle. […] Comment se fait-il que cette psychologie soit une des expressions de l’Orient ? […] Le mot quelquefois ne signifie pas la chose, mais la chose oblige le mot à être vrai ; car il est dans sa nature d’être une expression vraie, ou destinée à devenir vraie.

55. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

La littérature est cette expression de l’homme transmise à l’homme par l’écriture. […] La littérature est l’expression mémorable, c’est-à-dire digne de mémoire, de l’esprit humain. VII Vous concevez que depuis le commencement des temps cette littérature ou cette expression mémorable de l’esprit humain a dû se multiplier dans une proportion presque incalculable. […] Ces livres forment avec le temps d’autres dépôts de l’expression humaine, destinés à périr à leur tour. […] En attendant le fruit complet de leurs découvertes, l’inventaire général de la littérature universelle, ou de l’expression mémorable de l’esprit humain par ses œuvres, est contenu dans nos bibliothèques en un petit nombre de chefs-d’œuvre en toute langue qui ne dépassent pas les forces de l’attention.

56. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

Quoique les italiens étudient beaucoup la mesure, il semble néanmoins qu’il ne connoissent pas le rithme, et qu’ils ne sçachent pas s’en servir pour l’expression, ni l’adapter au sujet de l’imitation, aussi bien que nous. […] Notre musique est donc aujourd’hui si chargée de colifichets, qu’à peine y reconnoît-on quelque trace de l’expression naturelle. Ainsi elle n’en est point plus propre à la tragédie, parce qu’elle flate l’oreille, puisque l’imitation et l’expression du langage inarticulé des passions, sont le plus grand mérite de la musique dramatique. […] Ses expressions rendent aux scénes des opera le pathétique que le manque de vrai-semblance devroit leur ôter. […] Ainsi qu’il est plusieurs personnes, qui pour être trop sensibles à la musique, s’en tiennent aux agrémens du chant, comme à la richesse des accords, et qui éxigent d’un compositeur qu’il sacrifie tout à ces beautez, il est aussi des hommes tellement insensibles à la musique, et dont l’oreille, pour me servir de cette expression, est tellement éloignée du coeur, que les chants les plus naturels ne les touchent pas.

57. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

L’expression grecque, dit-elle, signifie l’un et l’autre. […] Qui s’appercevroit alors que ces deux vers sont fort bas pour l’expression, quoiqu’assez beaux pour le sens ? […] Pour le traduire, il faut suivre son ordre, rendre son sens, et trouver, s’il se peut, des expressions équivalentes aux siennes. […] Nous ne manquons ni de termes hazardés, ni d’expressions audacieuses, et il n’y a encore que trop d’écrivains qui le font bien voir. […] Jamais la tyrannie de la rime ne permettra de suivre les tours et les expressions d’un auteur, aussi exactement que la prose le peut faire.

58. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Il arrivait donc pour cela, par exemple, que, dans le verbe, la pensée manquait d’expression, et était obligée de ne s’appuyer que sur elle-même. […] Notre éducation se perfectionnant par l’étude de différentes langues, il en résultait, dans notre intelligence, un travail continuel quoique inaperçu, pour comparer les procédés et les expressions de notre langue maternelle avec les procédés et les expressions des langues acquises par une éducation postérieure. […] Notre esprit se tendait involontairement à considérer la pensée, abstraction faite de l’expression ; et il en venait à s’exercer même sur la langue maternelle comme si c’eût été une langue étrangère, c’est-à-dire qu’il venait à traduire sa pensée au lieu de l’exprimer. […] De même, la pensée ne trouvait que des expressions approximatives dans nos langues modernes. […] En un mot, la pensée, ainsi que le sentiment musical, manquait d’une expression franche, nette, énergique, dont la force fût en elle-même.

59. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Remarquez que le rire est une des expressions les plus fréquentes et les plus nombreuses de la folie. […] Le rire n’est qu’une expression, un symptôme, un diagnostic. […] Le rire est l’expression d’un sentiment double, ou contradictoire ; et c’est pour cela qu’il y a convulsion. […] Je veux dire que dans ce cas-là le rire est l’expression de l’idée de supériorité, non plus de l’homme sur l’homme, mais de l’homme sur la nature. […] Dans la caricature française, dans l’expression plastique du comique, nous retrouverons cet esprit dominant.

60. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Il n’y a que la force de son expression et de sa couleur qui puisse les faire supporter. […] De bonne foi, sont-ce là leur caractère, leur expression ? […] Elle ne manque pas d’expression. […] Son expression est mêlée de douleur et d’indignation. […] L’esclave qui la présente est excellent de dessein et d’expression.

61. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

La justice et l’impartialité nécessaires à l’administration civile, font un devoir d’employer des formes et des expressions qui calment celui qui s’en sert et celui qui les écoute. […] L’expression et le sentiment doivent dériver de la même source. […] Un tour de force assez difficile, qu’on se permettait dans l’ancien régime, c’était l’art d’offenser les mœurs sans blesser le goût, et de jouer avec la morale, en mettant autant de délicatesse dans l’expression que d’indécence dans les principes. […] Mais ce qu’il est impossible de supporter, c’est une éducation grossière que trahit chaque expression, chaque geste, le ton de la voix, l’attitude du corps, tous les signes involontaires des habitudes de la vie. […] Comment l’homme peut-il se faire mieux connaître à l’homme que par cette dignité de manières, cette simplicité d’expressions, qui, transportées sur le théâtre ou racontées dans l’histoire, inspirent presque autant d’enthousiasme que les grandes actions ?

62. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Il ne réduisait point les grands mots métaphysiques aux expressions simples et familières qui les éclaircissent, les rendent palpables et permettent à l’esprit d’en démêler la vérité ou l’erreur, D’ailleurs, par métier peut-être, il y répugnait. […] Cette emphase et ces abstractions l’empêchaient d’atteindre l’expression exacte. […] Qui le découvre à travers ces expressions si générales, tirées péniblement des faits par tant d’intermédiaires ? […] Prises à la lettre, ces expressions sont des monceaux de contradictions et de non-sens. […] Il n’était point de ceux qui marchent droit au but, d’un élan géométrique ou inflexible, pour s’asseoir du premier coup dans la formule unique et dans l’expression définitive.

63. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Je sais bien que toutes ces figures sont sans expression ; je sais bien que la composition entière est froide, blanchâtre, grisâtre et sans couleur. […] Il ne manque pas d’expression. […] Vous n’en trouverez pas sur le pont le prix de la toile ; cela est raide, sans couleur, sans expression, sans esprit ; ni linge, ni étoffe, ni dessin. […] La nourrice cauchoise est plate, sotte, bête, grise, raide, vide d’expression, à mille lieues de Greuze débutant, et à dix mille de Chardin qui travaillait autrefois dans ce genre. […] Il y a de la couleur et de l’expression.

64. (1904) En méthode à l’œuvre

*** Mais (de quelques mots sur l’Expression poétique et les métriques), il est heureux de dire que presque partout une intuition, une spontanéité plus qu’une attention demeurée latente, sut plus ou moins apporter la vraie expression poétique, — don rare, d’ailleurs, qui n’est point l’expression proprement dite ou descriptive, non plus qu’allégorique : mais suggestive, qui doue le réel de prolongement dans le rêve, dans le non-perçu, et, à son degré conscient, rend participante du Tout universel toute partie de l’Œuvre poétique. […] Tant que de même la Poésie, présentement après le savoir du savant, et, en l’expression émotive et dramatique, après la musique, rendue à ses puissances désormais ! […] Assertion à interpréter en disant que le son pris en lui-même serait ainsi qu’une immatérielle transition entre la matière dépourvue du pouvoir de sentir, et l’organisme-vivant arrivé à l’expression émue de son instinct, en une sorte d’amorphe désir et de pré-volonté : par quoi nous passons au Son-articulé. L’expression de la voix humaine se ramène essentiellement à trois éléments : d’émotivité instinctive, d’imitation (phonétique, graphique, colorée) des phénomènes extérieurs, — et de sentiment et de pensée. […] L’émotion a produit l’expression phonétique, et le souvenir l’a gardée et reproduite en la nuançant.

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