Ce livre des Rêveries lui-même fut écrit trop tôt (1732-1733), comme par un auteur amateur, avant son entière maturité et toute son expérience, du temps qu’il passait encore pour mener les troupes françaises à la tartare. […] Ce qui est vrai, c’est que Maurice ne se donnait pas la peine d’avoir de l’esprit dans le sens des courtisans français : il se sentait mal à l’aise, tant qu’il ne fut pas dans les hauts emplois où il pût déployer son génie naturel et oser librement : cela perce dans toute sa correspondance avec son père et avec son frère, avant qu’il se fût donné tout entier à connaître à son pays d’adoption.
Toujours alerte, infatigable, se montrer partout, paraître et disparaître, se diviser, se rejoindre, se multiplier comme par enchantement ; à la tête d’une vaillante élite, simuler le nombre, décupler le chiffre par la qualité et la vélocité ; en couvrant les siens, en les éclairant, tromper l’ennemi, lui donner le change, lui faire craindre un piège, lui faire croire qu’on est appuyé ; dans les retraites profiter des moindres replis, d’un ruisseau, d’un mur, du moindre obstacle, pour le chicaner, pour le retarder, « pour l’obliger à mettre trois ou quatre heures à faire une lieue de chemin » ; victorieux, le soir ou le lendemain des grandes journées, fondre et donner sans répit, à bride abattue, s’imposer à force d’assurance, et avec une poignée de braves ramasser des colonnes entières d’infanterie, les ramener prisonnières ; à chaque instant, à nouveaux frais, sur un échiquier nouveau, proportionner son jeu à l’action voulue, y faire des prodiges de coup d’œil, d’adresse, de tactique non moins que d’élan et d’intrépidité : — si tel est le rôle d’un parfait officier de cavalerie légère, nul n’y surpassa Franceschi. […] Ses derniers moments furent, comme sa vie entière, dignes en tout d’admiration.
Chapelier, qui, à l’exemple de Barnave, ne demandait pas mieux que d’entrer dans cette voie de transaction et qui en avait pris même l’engagement secret à la veille de l’ouverture des débats pour la révision de l’acte constitutionnel, fut le premier à y manquer quand on fut à la tribune ; il y manqua, parce qu’on n’est pas libre de rétrograder quand on marche en colonne, parce que la force des choses en ces moments domine les volontés particulières ; parce qu’il y a courant et torrent irrésistible au dedans des assemblées comme au dehors ; parce que les mêmes hommes ne peuvent pas jouer deux rôles opposés à quelques mois d’intervalle devant les mêmes hommes, devant les mêmes murailles ; parce que l’esprit même y consentant, la langue tourne et s’ refuse ; parce que les murs, à défaut des fronts, ont une pudeur ; parce qu’enfin les uns se lassant, d’autres tout frais et tout ardents succèdent, qui ne permettent pas ces petits compromis particuliers avant le complet déroulement des principes et l’entier épuisement des conséquences. […] Ce n’est pas seulement la faiblesse du roi et son indécision qui Pont perdu, c’est surtout une disposition malheureuse de son caractère qui le portait à une demi-confiance pour tous ceux de ses serviteurs qu’il estimait, mais jamais à une confiance entière pour aucun.
La faveur de Jomini auprès de lui au début, et durant des années, semble avoir été entière. […] La tragédie a beau être bien dessinée à l’avance, il y a des scènes entières de manquées dans le dernier acte.
Le baron de Monnier, attaché au duc de Bassano dans ses divers ministères et son chef de cabinet à la secrétairerie d’État, puis au département des relations extérieures, chargé de l’administration civile de la Lituanie à Wilna en 1812, était bien celui qui avait mérité l’entière confiance du général, et qui lui transmettait des indications si justes sur l’intérieur de l’état-major impérial et sur les dispositions même de l’Empereur à son égard. […] Quant à moi, je vous déclare que je vis tout entier sur le passé ; les souvenirs seuls me retiennent encore au nombre des vivants.
Le génie pittoresque du prosateur a passé tout entier en cette muse : il s’y est éclipsé et s’est détruit lui-même en la nourrissant. […] Après les Cent-Jours, Lamartine ne reprit point de service : une passion partagée, dont il a éternisé le céleste objet sous le nom d’Elvire, semble l’avoir occupé tout entier à cette époque.
Chacun en a sa part, et tous l’ont tout entier ! […] … Je lus en entier ce livre singulier, je le relus encore, et, malgré les négligences, les néologismes, les répétitions et l’obscurité que je pus quelquefois y remarquer, je fus tenté de dire à l’auteur : « Courage, jeune homme !
Mais, il faut le dire, avec toute l’estime qu’inspirent de semblables travaux, l’entière gloire littéraire d’une nation n’est pas là ; une certaine vie même, libre et hardie, chercha toujours aventure hors de ces enceintes : c’est dans le grand champ du dehors que l’imagination a toutes chances de se déployer. […] Leur brusque retraite a fait lacune, et, par cet entier déplacement de forces, il y a eu, on peut l’affirmer, solution de continuité en littérature plus qu’en politique entre le régime d’après Juillet et le régime d’auparavant.
Ajoutez que, dans des considérations générales prises de si haut, l’auteur est nécessairement forcé de courir, et que c’est là, pour le lecteur, une préparation plutôt pénible aux discussions intéressantes, mais sérieuses, qui vont le réclamer tout entier. […] Lorsque l’empire officiel presque tout entier s’agenouillait devant la Croix, un édit d’Honorius, publié en 3995, proscrivait les libations dans les festins, les torches funèbres, les guirlandes d’Hymen et jusqu’à ces dieux Lares tant chantés par les poëtes et si chers aux descendants des Arcadiens et des Pelages.
On lut avec émotion, on connut pour la première fois dans son entière sincérité cet épisode unique, cette première Vendée restée la plus grande et la seule vraiment naïve ; on salua, on suivit avec enthousiasme et avec larmes ces jeunes et soudaines figures d’une Iliade toute voisine et retrouvée à deux pas dans les buissons et derrière les haies de notre France ; ces défis, ces stratagèmes primitifs, ces victoires antiques par des moyens simples ; puis ces malheurs, ce lamentable passage de la Loire, ce désastre du Mans, cette destruction errante d’une armée et de tout un peuple. […] Au reste, à mesure que M. de Barante avançait dans son histoire et qu’il l’embrassait tout entière, il se trouvait insensiblement poussé à en tirer plus qu’il n’avait prévu d’abord.
Mais aussi il désarçonne parfois cette âme, cet esprit, ce cavalier intraitable, et alors il vit des mois entiers en bête (il nous l’assure), sans penser, couché sur sa litière : « Vous voyez, poursuit-il, que mon existence ne ressemble pas tout à fait à la béatitude et aux ravissements où vous me supposez plongé. […] Notre intelligence est blessée ; il nous pardonnera, si nous lui donnons tout entier ce qui peut nous rester de sain. » Il comprenait la piété, le plus beau et le plus délié de tous les sentiments, comme on a vu qu’il entendait la poésie ; il y voyait des harmonies touchantes avec le dernier âge de la vie : « Il n’y a d’heureux par la vieillesse que le vieux prêtre et ceux qui lui ressemblent. » Il s’élevait et cheminait dans ce bonheur en avançant ; la vieillesse lui apparaissait comme purifiée du corps et voisine des Dieux.
Le quatrième chant tout entier est un appendice dont on ne sent pas d’abord l’utilité : il n’y est pas question de littérature, mais de morale. […] L’invention demeure entière dans de vieux sujets.
Il en est de l’Ode au comte du Luc et de quelques cantates du même auteur comme de ces chants d’un rythme brillant et facile qu’on fredonne involontairement ; notre âme n’y est pas tout entière, mais assez pour qu’elle ne soit pas à autre chose. […] Là encore il est tout entier de sa personne ; mais c’est le plus souvent cette personne par ses beaux côtés, par son bon sens qui est comme le bon sens de la France, par son goût supérieur à son talent, par ce naturel qui nous fait voir le fond de son cœur et nous apprend à lire dans le nôtre.
Il ne faut pas oublier non plus que l’originalité individuelle, si faible et si rare qu’elle soit et même qu’elle devienne de plus en plus par suite de la complication croissante de la technique scientifique et industrielle, il ne faut pas oublier que cette originalité, même supposée infinitésimale, est la seule source du progrès et que le cerveau de l’inventeur est le point de départ d’une initiative que les travailleurs ne font que recueillir, imiter et propager à travers la société entière. […] Il emploie donc dès lors, instinctivement et sans cesse, ce type de la taxation : à propos de tout ; donc aussi à propos des productions des arts et des sciences, des penseurs, des savants, des artistes, des hommes d’État, des peuples, des partis et même d’époques tout entières : il s’informe à propos de tout ce qui se crée, de l’offre et de la demande, afin de fixer, pour lui-même, la valeur d’une chose.
Pour moi, je ne connais qu’un seul résultat à la science, c’est de résoudre l’énigme, c’est de dire définitivement à l’homme le mot des choses, c’est de l’expliquer à lui-même, c’est de lui donner, au nom de la seule autorité légitime qui est la nature humaine tout entière, le symbole que les religions lui donnaient tout fait et qu’il ne peut plus accepter. […] C’est le XVIIIe siècle tout entier ; le contrôle de la nature et de ce qui est établi, l’analyse, la soif de clarté et de raison apparente.