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183. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

A celui qui ajournait la religion, l’auteur de ces lettres avait à faire sentir et à démontrer que la science est sans vie, l’industrie sans réhabilitation, les beaux-arts sans rôle social, si un lien sacré d’amour ne les enserre pour les féconder ; il avait à révéler l’influence puissante, bien qu’incomplète, du dogme chrétien et de la théologie sur la politique d’alors et sur les progrès de la société ; il avait à prouver qu’aujourd’hui que cette théologie est reconnue arriérée, s’abstenir d’y substituer celle qui seule comprend l’humanité, la nature et Dieu ; rejeter ce travail glorieux et saint à un temps plus ou moins éloigné sous prétexte que le siècle n’est pas mûr ; s’obstiner à demeurer philosophe, quand l’ère religieuse est déjà pressentie, se rapetisser orgueilleusement dans le rôle de disciples d’un Socrate nouveau, quand la mission d’apôtres devrait soulever déjà tous nos désirs ; — que faire ainsi, c’était se barrer du premier pas la carrière, se poser une borne au seuil de l’avenir, s’ôter toute vaste chance de progrès et être véritablement impie. […] Tous ces exemples historiques au reste, ces interprétations diverses d’un passé que la doctrine nouvelle embrasse et domine, ne sont, sous la plume du jeune apôtre, que des lumières qui sillonnent pour lui le chemin de la foi, des rayons qui ramènent au foyer dont ils émanent, des excitations fécondes pour passer outre et entraîner ceux que le grand développement providentiel saisit au cœur, et qui, à l’aspect des antiques traditions enfin comprises, se sentent le désir de travailler, pour leur part, à en continuer l’enchaînement éternel.

184. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

On s’étonne de l’inconséquence des scélérats, et c’est précisément ce qui prouve que le crime n’est plus pour eux l’instrument d’un désir, mais une frénésie sans motifs, sans direction fixe, une passion qui se meut sur elle-même. […] La nature morale dans les esprits ardents tend toujours à quelque chose de complet, et l’on veut étonner par le crime, quand il n’y a plus de grandeur possible que dans son excès ; l’agrandissement de soi, ce désir qui, d’une manière quelconque, est toujours le principe de toute action au-dehors, l’agrandissement de soi se retrouve dans l’effroi qu’on fait naître.

185. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

Pour le développement de l’esprit, un enseignement élémentaire suffirait… Quant à la morale   féminine, Jaufre la trouvait résumée dans l’horreur du mensonge, le désir du mariage et le culte du foyer : ce qu’avaient eu sa mère et sa femme. […] Margueritte nous communique son muet attendrissement et glisse en nous le « désir des larmes ».

186. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Car si le fils de Pélée atteint le but de ses désirs, toutefois la conclusion du poème laisse un sentiment profond de tristesse1 : on vient de voir les funérailles de Patrocle, Priam rachetant le corps d’Hector, la douleur d’Hécube et d’Andromaque, et l’on aperçoit dans le lointain la mort d’Achille et la chute de Troie. […] Il regarde le firmament ; par un mouvement de désir, il veut s’élancer vers cette voûte, et il se trouve debout, la tête levée vers le ciel.

187. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Il a fallu greffer sur un désir naturel et direct un désir artificiel et indirect. […] Ils sont rivés à leur idée, prisonniers sans désir d’évasion. […] Les états désignés sous les noms de besoins, appétits, penchants, inclinations, tendances, désirs, sont les résultats directs et immédiats de l’organisation de chaque animal. […] Nous dirons avec Spinoza : « L’appétit est l’essence même de l’homme… Le désir, c’est l’appétit avec conscience de lui-même  Il résulte de tout cela que ce qui fonde l’effort, le vouloir, l’appétit, le désir, ce n’est pas qu’on ait jugé qu’une chose est bonne ; mais, au contraire, on juge qu’une chose est bonne parce qu’on y tend par l’effort, le vouloir, l’appétit, le désir. » A l’origine, le plaisir n’est pas cherché pour lui-même ni la peine évitée pour elle-même, puisqu’il est bien clair qu’on ne peut rechercher ni éviter ce qu’on ne connaît pas. […] Elles rentrent ainsi dans l’ordre des phénomènes moteurs ; en d’autres termes, un besoin, une inclination, un désir impliquent toujours une innervation motrice à un degré quelconque.

188. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Tenu dans la main gauche, le lézard excite les désirs vénériens ; tenu dans la droite, il les réfréné. […] Ce ne fut pas d’abord une notion positive et distincte ; ce ne fut pas une création de l’imagination ou du désir. […] La douleur morale, au contraire, nous absorbe, nous ôte l’espoir et le désir même de l’espoir. […] Le mot n’a pas un sens très précis, car on décrit sous ce nom, aussi bien le désir du connu que le désir de l’inconnu. […] Cela est prouvé par son désir même d’immortalité.

189. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Mais cet état de plus ou moins léger mal de mer psychique n’excite pas en lui les désirs des femmes enceintes et ne s’exprime pas en nouveaux besoins esthétique. […] Le désir de saisir sans lacunes l’ensemble du monde phénoménal est irrésistible, mais la possibilité d’aperceptions personnelles est restreinte même dans le cas le plus favorable. […] Il est également compréhensible, pour citer un autre exemple, que le malheureux torturé par des désirs de suicide ne puisse bannir de son esprit une « fleur de l’âme damnée » aperçue au cours d’une promenade nocturne, et dont la représentation répond à la disposition de son âme. […] » dans le troisième vers, cette fin : « désir du cœur », et après le quatrième vers, ceci : « Oh ! […] A celles-ci s’adresse seulement le cerveau d’enfant dont le désir de savoir ou plutôt la curiosité est pleinement satisfaite par le ton doucement endormant d’un conte de nourrice.

190. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Il attribua de bonne heure à la vérité scientifique une sorte de prééminence qui la mettait fort au-dessus des autres objets où se précipite le désir humain. […] Elle ravive les désirs et les rêves que l’on croyait morts. […] Pensées flottantes, songes sans formes, désirs sans objet et sans limites, voilà le domaine et le sortilège de la musique. […] Les savants ont beau dire, pour nous rassurer, « qu’il n’y a plus de mystère » ; voilà que nous sommes repris par la peur et par le désir de l’invisible et de l’impalpable. […] Ces regrets, ces désirs ne sont point nouveaux.

191. (1813) Réflexions sur le suicide

Nos désirs sont une chose momentanée et souvent funeste même à nous, mais nos facultés sont permanentes et leurs besoins ne cessent jamais : il se peut donc que la conquête du monde fût nécessaire à Alexandre, comme la possession d’une cabane à un berger. […] La vivacité de nos désirs tient aux difficultés qu’ils rencontrent ; l’ébranlement de nos jouissances à la crainte de les perdre ; la vivacité de nos affections aux dangers qui menacent les objets de notre amour. […] On accuse le Sort de malignité, parce qu’il frappe toujours sur la partie la plus sensible de nous-mêmes : ce n’est point à la malignité du Sort qu’il faut s’en prendre, mais à l’impétuosité de nos désirs, qui nous précipite contre les obstacles que nous rencontrons, comme on s’enferre toujours plus avant dans la vivacité du combat. […] On croit s’affranchir du joug des événements humains en se promettant de se tuer, si l’on n’atteint pas le but de ses désirs. […] L’autre force, c’est-à-dire, celle qui renverse les obstacles opposés à nos désirs, a le succès pour récompense aussi bien que pour but, mais il n’est pas plus admirable de faire usage de son esprit pour asservir les autres à ses passions, que d’employer son pied pour marcher ou sa main pour prendre ; et dans l’estimation des qualités morales, c’est le motif des actions qui seul en détermine la valeur.

192. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Il n’est aucune attente qui n’enveloppe désir ou aversion. — On nous objectera l’attente tout intellectuelle, en apparence indifférente. — D’abord, répondrons-nous, c’est là un résultat très ultérieur de l’évolution mentale ; de plus, même à ce haut degré d’évolution qui caractérise l’intelligence contemplative, l’attente indifférente dans la contemplation pure est encore une simple apparence recouvrant un fond de désir. […] Un être vivant ne peut pas ne point distinguer son état d’attente et de tension, qui est au fond un état de besoin et de désir, d’avec l’état d’adaptation actuelle et réciproque entre le sujet et l’objet. […] L’animal qui perd ce qu’il tenait à un sentiment de perle très distinct du sentiment de jouissance, et qui n’est pas non plus le sentiment de désir, orienté vers le futur. […] Le regret même du passé est au fond le désir que le passé redevienne futur. […] Voir la profonde analyse de Guyau, Genèse de l’idée de temps, p. 32 : « Le futur, à l’origine, c’est le devant être, c’est ce que je n’ai pas et ce dont j’ai désir ou besoin, c’est ce que je travaille à posséder ; comme le présent se ramène à l’activité consciente et jouissant de soi, le futur se ramène à l’activité tendant vers autre chose, cherchant ce qui lui manque.

193. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

On conclurait naturellement de ces réflexions que le désir de la réputation, quelque naturel qu’il soit aux hommes, est assez propre à humilier, quand on l’envisage avec des yeux philosophiques. […] Mais les philosophes, ou plutôt ceux qui portent ce nom, trop semblables aux souverains, ne peuvent dissimuler la moindre insulte ; et le désir d’en tirer vengeance leur est souvent beaucoup plus nuisible que l’insulte même. […] Comme leurs désirs sont plus bornés, ils sont un peu plus délicats sur les moyens de les satisfaire, et un peu plus reconnaissants de ce qu’on fait pour eux ; car moins la reconnaissance a de devoirs à remplir, plus elle est scrupuleuse à s’en acquitter. […] Tels sont les réflexions et les vœux d’un écrivain sans manège, sans intrigue, sans appui, et par conséquent sans espérance, mais aussi sans soins et sans désirs. […] « L’accueil favorable, dit-il, que les savants ont déjà fait à ce fruit de mes travaux, m’a inspiré le désir et la confiance de vous l’offrir.

194. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

« Vivre m’est un ennui si lourd et si long que je ne cesse d’en implorer la fin par le désir infini de revoir celle après laquelle rien ne me parut digne d’être jamais vu !  […] Il m’a pris tout à coup un désir d’y aller dont je n’ai pas été le maître. […] « Je suis content, disait Pétrarque ; je ne veux rien, j’ai mis un frein à mes désirs, j’ai tout ce qu’il faut pour vivre. […] Rendez-vous à mes désirs, venez. […] Il s’en éprend, non d’un désir charnel et coupable, mais d’une admiration et d’une adoration qui n’est en lui que l’adoration du beau incréé.

195. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

L’art est une sorte de nirvana anticipé : avec un complet détachement de tout désir comme de tout regret, le poète, qui est aussi un sage, contemple le inonde des lois et des types, enveloppant de leur immutabilité l’agitation des phénomènes, et il goûte par avance le repos du néant divin, qui nous « embaumera d’oubli241 ». […] Quand les trois Nornes, assises sur les racines du frêne Yggrasill, symbole du monde, élèvent leurs voix tour à tour, la première chante le passé, car elle est la vieille Urda, « l’éternel souvenir », la seconde chante le présent solennel, le jour heureux et fécond où le juste est né : Ce fruit sacré, désir des siècles, vient d’éclore. […] Et vous, vers qui montaient mes désirs éperdus, Chères âmes, parlez, je vous ai tant aimées ! […] Auprès de la défense ai-je mis le désir, L’ardent attrait d’un bien impossible à saisir, Et le songe immortel dans le néant de l’heure ? […] A mes désirs de poète J’ai dit d’éternels adieux.

196. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Il fut enseveli, selon ses désirs, dans l’église du couvent de Saint-Marc. […] Il venait d’envoyer son mari à Naples, comme ambassadeur, espérant ainsi éloigner sa surveillance ; Lorenzino, feignant de presser la jeune dame de consentir aux désirs du duc, affecte enfin d’avoir reçu une réponse favorable et de la transmettre au prince. […] Maintenant que nous n’avons plus celui qui fut le premier auteur d’un travail d’érudit, mon ardeur à écrire s’éteint, et je n’ai presque plus ce grand bonheur que me donnait l’étude des anciens ; cependant, si vous avez un si vif désir de connaître mon malheur, et comment s’est montré ce grand homme dans les derniers actes de sa vie, bien que je sois empêché par mes larmes, et que mon esprit recule même devant un souvenir qui doit renouveler ma douleur, je cède cependant à vos si vives et si honnêtes instances ; et je ne veux pas manquer à l’amitié qui nous unit. […] Si je l’ai prolongé, c’est d’abord par le désir de vous être agréable et de vous obéir, à vous si excellent, si savant, si sage, si bien mon ami, dont le zèle pour tout ce qui tient à ce grand homme se serait difficilement contenté, si j’avais été plus court ; enfin, poussé par une certaine douceur amère et, le dirai-je, par une foule de démangeaisons, à faire un retour sur le souvenir de ce grand homme et à m’y complaire.

197. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Dans le cas où mon désir d’assassiner aurait été plus foi t que mon horreur du meurtre. […] Mill distingue, relativement à l’influence des motifs, trois doctrines : deux qu’il repousse et une qu’il accepte : Le fatalisme pur et simple, — le fatalisme asiatique ou celui d’Œdipe, — soutient que nos actions ne dépendent pas de nos désirs. […] Le fatalisme, que l’on peut appeler modifié, soutient que nos actions sont déterminées par notre volonté, notre volonté par nos désirs, et nos désirs par l’influence jointe des motifs qui se présentent à nous et de notre caractère individuel ; mais que ce caractère ayant été fait pour nous et non par nous, nous n’en sommes point responsables ni des actions auxquelles il nous conduit, et que nous tenterions vainement de le modifier.

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