Mme Émile de Girardin4 I Ce n’est pas la première fois qu’on lit le nom de Mme Émile de Girardin, dans cette histoire critique de la littérature au xixe siècle. […] Dernièrement, parmi les critiques qui ont parlé de ces Lettres parisiennes, remises en lumière aujourd’hui, on a vu un de ces balourds, qui peuvent aussi, sans réussir, signer tant qu’ils voudront leur feuilleton d’un petit nom de femme, reprocher à Mme de Girardin ce qui fait précisément le charme, la personnalité et le sexe, vainqueur de tout, — le sexe de ces délicieuses Lettres. […] Malheureusement elle y rentre parfois, — dans la littérature, — et c’est la seule critique qu’il y ait à faire de ces Lettres parisiennes, dans lesquelles cependant, il faut bien en convenir, elle l’a tant oubliée !
Et la Critique littéraire n’aurait rien à voir à cela. La Critique littéraire a pour fonction de juger les œuvres de l’esprit, combinées pour produire un effet de pathétique et de beauté spéciale. […] Ni la critique, ni le monde qui sait lire ne seront dupés de ces couronnes qui tombent peut-être jusque les yeux de Mme Craven et qui l’empêchent de se voir et de se juger.
Fournier se fût peut-être naturellement élevé de l’érudition à la critique ; il aurait virilement creusé le roc vif de l’histoire, et, s’il n’en eût pas percé les blocs et sondé les assises, il aurait au moins remué et retourné quelques-unes des pierres dont elle est faite, tandis qu’imitateur d’un vieillard dont les grâces séniles sont perdues, devenu sceptique… comme lui, par amour tremblant de la vérité, il ne nous a donné pour tout résultat que le petit regrattage de choses et de mots historiques qu’il appelle l’Esprit de l’histoire… L’Esprit de l’histoire ! […] Voulez-vous vous faire une idée des changements terribles pratiqués sur les mots historiques par ce grand critique désintéressé qui veut chasser l’esprit de l’histoire ? […] la critique ordinaire de Fournier, qui ne change qu’un grain de sable, — un infiniment petit, — une date obscure, — l’obole d’un détail, — dans une vie éclatante ou dans une immense destinée, et qui souffle et halète de ce prodigieux changement introduit par lui dans l’histoire, comme un Hercule éreinté !
I Le plus grand service que la critique historique pût rendre à l’Histoire et, ce qui importe bien davantage, à la moralité contemporaine, serait d’enseigner correctement le Moyen Âge à ceux qui l’ignorent. […] Malgré des travaux qui ont eu pour prétention de nous l’apprendre, malgré l’hypocrisie ou la duperie d’impartialité de la critique de ces derniers temps, le Moyen Âge n’a encore été montré par personne dans l’énergie sublime de son esprit et la grandeur cordiale de ses institutions. […] Assurément tout cela mérite d’être compté et apprécié par le critique, mais ne constitue pas néanmoins au livre d’Ernest Semichon l’immobile place que les livres vrais en histoire prennent de force dans les travaux d’une époque et ne perdent plus.
Triste procédé, qui pourrait dispenser la Critique de s’occuper d’un ouvrage dont le fond est déjà connu, si, d’un autre côté, le nom de l’auteur, le titre du livre, et les quelques points de suture qui tiennent les morceaux dont il est composé rapprochés, ne révélaient pas suffisamment l’éternel dessein de propagande contre lequel on ne saurait mettre trop en garde les esprits faibles sur lesquels Michelet, avec son talent mystico-sensuel, peut beaucoup agir. […] S’il n’y avait de dangereux que les chefs-d’œuvre, la Critique pourrait devenir sans inconvénient une bonne fille et le nouveau livre de Michelet rester bien tranquille dans sa primitive innocence. […] Voilà pourquoi toute critique qui va plus loin que l’œuvre d’art et l’édifice de la composition, ne doit pas laisser circuler, sans avertir et sans y attacher une étiquette, ce sachet de graines vénéneuses, ce haschich préparé pour les têtes ardentes, ce petit poison de Java dans lequel les Tricoteuses des temps futurs peuvent tremper la pointe de leurs aiguilles, et qu’on nous débite, en ce moment, avec des airs vertueux et sensibles dignes de la femme de l’apothicaire de Roméo !
Telle est la question, et ce n’est ni plus ni moins qu’une question de critique et de justice littéraires. […] Philarète Chasles, qui était critique, mais aussi professeur, avait assez d’esprit pourtant pour oser être libre en jugeant Goethe2, mais il n’a exprimé sur lui que l’admiration la plus plate et la plus servile. […] Sainte-Beuve, un des licteurs de Gœthe, voulut faire sentir au critique irrévérent le fil de cette hache qui est Gœthe.
Didot, le dernier conspirateur de cette conspiration à quatre contre le public à qui on tend, sous prétexte historique, cet affreux piège à ennui, dans lequel la Critique ne doit pas souffrir que ceux qui lisent encore se prennent. […] … Parmi toutes les descriptions de ces infiniment petites choses déjà décrites tant de fois, le critique du fin et du subtil, qui voit la veine de l’agrément où elle n’est perceptible pour personne, M. […] Et la Critique littéraire n’a-t-elle pas le droit de s’opposer, du moins, à ce qu’on encombre ainsi l’histoire, de redites usées et inutiles ?
La bonne volonté de la Critique d’étendre son examen aux livres de philosophie pure lui est à peu près inutile. […] Doubler la question n’est pas la résoudre, et la Critique garde le droit de dire au philosophe : « Vous reculez toujours, mais quand sauterez-vous ? […] Taine, c’est le manque absolu de sérieux et le scepticisme de ton qui invalide la critique que l’on fait ; c’est surtout une perversité de doctrines pire que celle des philosophies dont il se moque en les exposant.
Qu’elles appartinssent donc à lui ou à d’autres, les opinions qui donnent la vie à son Étude sur Pascal, et qui n’ont été jusqu’ici dépassées par aucune vue nouvelle, méritaient l’attention d’une Critique, qui a bien le droit de se demander si ce sont là les derniers mots qu’on puisse dire sur Pascal, et s’il y aura même jamais un dernier mot à dire sur cet homme qui fait l’effet d’un infini, à lui seul ! […] Les critiques à classification et à catégories, les nomenclateurs qui croient aux familles d’esprits, ont été complètement déroutés par ce grand Singulier, sceptique et dévot, géomètre et poëte, l’ordre et le désordre, qui se bat contre sa tête avec son cœur. […] D’ailleurs, quand on regarde à la lettre même de ses œuvres, Pascal n’est pas si grand qu’on l’a cru pour une Critique qui n’est pas gâtée par cette admiration traditionnelle que lui, le plus fier de tous les génies, méprisait.
Ainsi, impuissance, infécondité, voilà, pour une critique qui dédaigne les apparences et les mots d’ordre, ce qui frappe d’abord dans Cousin, le chef d’école et le philosophe, et ce qui sape, du premier coup, la prétention la plus étalée et la plus fastueuse de sa vie ! […] l’incroyable aveu de son ancien maître, à la page 75 de ses amusants et terribles Philosophes salariés, comme s’il avait voulu nous donner, à nous autres critiques, une juste idée de l’homme qui, à quatorze ans de distance, caractérise de cette gaillarde manière le livre qu’il réimprime avec un si grand sérieux aujourd’hui. Pour ma part de critique, je remercie Ferrari de son agréable document ; mais je ne crois pas que j’eusse été pris à cette blague de Cousin publiée présentement sous ce titre, un peu vague et majestueux, d’Introduction à la Philosophie de l’histoire.
I Ce livre ne nous a pas été envoyé, — mais la Critique ne ressemble pas à cet heureux plongé dans le sommeil au seuil duquel s’assied la Fortune dans la Fable. La Critique n’attend pas si nonchalamment les livres qui, pour elle, sont une vraie fortune, quand un peu de talent les distingue, et elle court au-devant pour leur faire accueil. […] … Toutes questions auxquelles la Critique a charge de répondre et auxquelles elle va répondre avec simplicité.
I Il est des noms qui obligent la Critique. Alors même qu’elle ne penserait pas que la poésie est la plus belle et la plus difficile des choses littéraires, alors qu’elle partagerait pour ce langage des dieux, méprisé des goujats, l’indifférence dédaigneuse des fortes têtes de son siècle, la Critique ne peut pas plus laisser inaperçu un livre de vers signé Auguste Barbier, qu’un poème de Lamartine et des recueils de poésies de Victor Hugo et d’Alfred de Musset. […] Or, la question d’une telle anomalie mérite d’être posée par la Critique ; car c’est presque là une question de pathologie littéraire.
C’est dire à la Critique, qui est quelquefois un serpent : « Mords, si tu veux ; entame, si tu peux ; je ne bougerai plus ! […] Il contient des poésies publiées il y a un certain nombre d’années, mais on y trouve, à une date plus récente, d’autres poésies sur lesquelles la Critique, accoutumée à l’inspiration de M. de Banville, n’avait pas le droit de compter. […] III Je viens, en effet, de les retrouver ici même, ces gambades, appelées un jour : Odes funambulesques ; je viens de les retrouver dans cette édition définitive, et malgré la préface très spirituelle dans laquelle l’auteur traduit à sa manière et à son profit les critiques qu’on en a faites autrefois, j’en pense, pour ma part, identiquement ce que j’en pensais à, l’époque où Malassis, séduit — comme dit M. de Banville — par le paroxisme de la chose, les publia dans une édition bigarrée comme la jaquette d’un saltimbanque et digne de ces arabesques de Rythme et de Rime d’un lyrisme si enivré qu’il en semblait fou6.
Était-il déjà académicien quand il a publié cette Maison de Penarvan qui lui a valu, il y a quelques jours, de la part de la Critique, un premier discours de réception ? […] Il est le Pantin de son propre récit, et ce sont les faits qui le mènent, à tel point que la Critique, qui sait observer et conclure, se demande si les faits du roman sont des inventions sorties de sa tête ou qu’on y a fait entrer en les lui racontant. […] … On le voit, par cette analyse très-rapide, cette chaîne d’événements est presque vulgaire, et l’on peut dire que tout en est arrangé comme au théâtre, dans l’intérêt du dénoûment ; mais voici ce que la critique, pour être juste, est tenue d’ajouter : Tout cela n’est point taillé en grande et vraie nature, en plein drap de nature humaine.
En un seul mot, c’est toute la critique de ce livre très-ardent, très-mugissant, très-terrible, mais aussi très-animal. […] Bataille, un instant combattu chez son docteur Quérard, un brave homme auquel il essaie de nous intéresser, et qui fait des choses que la Critique va vous raconter, mais en prenant ses précautions ; l’amour, chez tous les personnages de ce livre sanguin et matériel, ou plutôt la notion même de l’amour, dans la tête de M. […] Je n’ai pas d’autre conseil à donner aujourd’hui à ce fougueux jeune homme, à cet apoplectique de santé, de matérialité, de passion impure et brutale, et qui, pour le quart d’heure, semble bien moins relever de la plume de la Critique que de la lancette du médecin !