La formidable année 1757 commence ; c’est celle qui fut la plus fertile en péripéties de toutes sortes, et où Frédéric parut épuiser toutes les chances contradictoires de la fortune : il n’en eut plus dans les années suivantes que des répétitions encore bien rudes, mais affaiblies. […] Toute cette fin d’année (1757), elle ne cesse, même après la nouvelle et tout à fait glorieuse victoire de Lissa ou Leuthen, de suivre la négociation entamée : elle ne respire que la paix. […] Elle mourut le 14 octobre de cette année (1758), à l’âge de quarante-neuf ans, le jour même où son frère était battu à Hochkirch par les Autrichiens.
Deleyre y demeura des années, attaché par la nécessité, par ses devoirs envers sa jeune famille, et il y subit de bien douloureuses contraintes. […] Il s’écriait d’un accent déchirant : « Si je pouvais trouver à vivre loin d’une Cour, dans un pays de liberté, je m’y traînerais à quatre pattes, mes enfants sur le dos. » A d’autres jours, à des moments moins irrités et moins amers, mais non moins tristes, il disait en paroles d’un découragement profond : « Combien je donnerais des années qui me sont encore destinées pour en passer une ou deux avec vous, au moins à portée de vous voir quelquefois ! […] Deleyre, qui resta encore quelques années à Parme, y vécut, à sa manière, dans le supplice de Rousseau ; il l’imitait, sans y songer, par un secret accord douloureux, jusque dans cette variété d’une même mélancolie. […] Tel était au vrai, dans son for intérieur, l’homme de bien, de sensibilité et de tourment que Ducis, à quelques années de là, retrouva en France avec sa famille, toujours inquiet et toujours alarmé, la même âme en peine, et qu’il entreprit de guérir et de consoler.
Si l’on se transporte en idée à un autre siècle de distance, à l’année 1963, quel sera, quel pourra être en pareille matière le nouveau progrès conquis et gagné ? […] Depuis quelques années cependant, le petit nombre d’esprits qui, chez nous, sont attentifs à ces questions, pouvaient profiter, sans trop de peine, des écrits français de MM. […] Ce n’était pas à dire, malgré tout, que l’état des esprits, même dans ce qu’on peut appeler la masse ou la majorité, ne fût devenu bien différent de ce qu’il était au XVIIIe siècle et pendant les premières années de la Restauration. […] Renan qui, depuis des années, avait formé le dessein de donner une histoire critique des origines et des progrès du christianisme pendant les trois premiers siècles, crut devoir modifier un peu son plan de campagne : il pensa qu’il serait bon et opportun de détacher le premier volume et de le donner hardiment sous forme de récit, presque de cinquième Évangile ; il publia la Vie de Jésus, qui vient de mettre le feu aux poudres et de passionner le public.
Corneille a été, dans ces dernières années, et il est plus que jamais, en ce moment, l’objet d’une quantité de travaux qui convergent et qui fixeront définitivement la critique et les jugements qu’elle doit porter sur ce père de notre théâtre. […] Le prix fut décerné l’année suivante, en premier lieu au travail considérable de M. […] En remontant à quelques années en arrière, je rencontre sur Corneille quelques ouvrages littéraires qu’il n’est que juste de rappeler quand on parle de lui : Et d’abord le Corneille et son temps de M. […] Quant à Corneille, il n’y a qu’une manière de le bien apprécier, c’est de le voir à son moment, à son début, dans tout ce qu’il a fait éclater, aux yeux de notre nation, de soudain et d’imprévu, dans tout ce qu’il a su enfermer en peu d’années de charmant, de grandiose et de sublime.
Le propre de cette faculté, d’ordinaire, en ceux qui la possèdent à quelque degré, est de ne pas se limiter, comme la faculté lyrique, aux années de la jeunesse, et de récidiver bien avant, moyennant les acquisitions variées de l’expérience. […] Les vexations croissantes, tous les genres de griefs sourdement accumulés, les tâtonnements législatifs impuissants, et les tentatives tribunitiennes coupées de tragique, remplissent quarante années préliminaires, durant lesquelles les guerres contre les Cimbres viennent jeter une puissante diversion, mais aussi de nouveaux ferments pour l’avenir. […] Rome recule aux années de son berceau où l’ennemi n’était jamais qu’à quelques journées, et où la fumée des camps montait aux collines de l’horizon. […] Électre, sous le vestibule du palais de Micènes, erre depuis des années, criant et hurlant sa douleur ; c’est un voceratrice sublime d’attente et d’attitude.
Cette même année, Racine touche 1 500 livres ; juste autant que Quinault et que le médecin Perrault ; Charles Perrault, qui va succéder à Chapelain dans la confiance de Colbert, est à 2 000 livres. […] Même spectacle à l’Académie, si l’on en veut suivre les élections pendant une vingtaine d’années, de 1661 à 1680. […] Quinault et Charles Perrault précèdent Bossuet et Racine, et la même année introduit le savant Huet avec l’ingénieux Benserade. […] Boileau ne sortit pas indemne de toutes ces polémiques : il en garda un fâcheux renom de pédant et de cuistre, qui mit son œuvre en défaveur ; et même aujourd’hui, après tant d’années, quand depuis si longtemps le combat a cessé, et qu’il ne reste plus même que le souvenir des anciens partis, nous ne sommes point encore revenus des préjugés créés contre lui par l’acharnement qu’on mit au temps du romantisme à rendre sa doctrine responsable des misérables productions de l’art pseudo-classique.
Mais plus tard, à Lyon, quand pour vivre il ajoute à ses travaux d’humaniste, à sa médecine, à ses almanachs une bouffonne imitation des vieux romans, il y tire sa principale inspiration des profondeurs de son expérience ; le souvenir de ses plus essentiels instincts comprimés et menacés pendant tant d’années met dans l’œuvre comme deux points lumineux : la lettre de Gargantua à Pantagruel, et l’abbaye de Thélème. […] L’année 1535 est une date décisive. […] Le protestantisme qu’on punit se précise et se détermine : l’année suivante va paraître, l’Institution chrétienne. […] Il publia à Paris en 1533 son Cymbalum mundi, qui faillit faire brûler l’imprimeur Morin ; il le réimprima audacieusement à Lyon à la fin de la même année.
Je suis persuadé que, pour un grand nombre d’entre vous, il est pénible de voir un nouveau-venu entrer en tâtonnant dans une voie où, pendant treize années, M. […] Marc Monnier a signalé — après les avoir résolues — les difficultés d’un enseignement aussi vaste que celui de la littérature comparée : « Mener toutes les littératures de front, a-t-il dit ; montrer à chaque pas l’action des unes sur les autres ; suivre ainsi, non plus seulement en deçà ou au-delà de telle frontière, mais partout à la fois, les mouvements de la pensée et de l’art, cela paraît ambitieux et difficile... » Il a pu ajouter : « On y arrive cependant, à force de vivre dans son sujet qui petit à petit se débrouille, s’allège, s’égaie... » Mais ce qu’il n’a pas dit, ce sont les rares qualités d’esprit qui lui ont permis d’accomplir un tel travail et de le perfectionner d’année en année : une érudition qui s’élargissait sans cesse ; un sens critique habile à choisir entre la masse des documents les plus propres à marquer la physionomie d’un homme ou d’une époque, ou à dégager les caractères essentiels d’une œuvre ; une intelligence si enjouée qu’elle a pu, pour conserver son expression, « égayer » cette grave étude de l’histoire littéraire, si alerte, que d’heureuses échappées dans tous les domaines, elle a su rapporter des œuvres également distinguées. […] On a beaucoup discuté, ces dernières années, si la critique littéraire est un art ou une science.
Jamais, durant sept années de suite qu’il fut à la guerre à côté de lui, Commynes ne le vit une seule fois depuis convenir d’une fatigue, ni témoigner une incertitude. […] Le tableau des dernières années de Louis XI est d’une vérité frappante et inimitable chez Commynes. […] On reconnaît là l’homme qui a couché de longues années, comme chambellan, dans leur chambre, qui a assisté à leurs insomnies et à leurs mauvais songes, et qui, depuis la fleur de leur âge jusqu’à leur mort, n’a pas surpris dans ces destinées si enviées un seul bon jour : Ne lui eût-il pas mieux valu, dit-il de Louis XI, à lui et à tous autres princes, et hommes de moyen état qui ont vécu sous ces grands et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin… : c’est à savoir moins se soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses ; plus craindre à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins par tant de voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes ? […] Au reste, ç’a été un bonheur pour lui et pour nous qu’il ait eu, sur la fin de sa vie, des années de disgrâce : nous y avons gagné un grand historien, et lui un nom immortel.
On sait d’ailleurs très peu de chose sur les premières années de Chaulieu. S’il eût été homme appliqué et d’étude, il était d’âge à percer en plein règne de Louis XIV ; mais, son génie étant tout de hasard et de rencontre, il attendit les dernières années du règne et le commencement du xviiie siècle pour s’épanouir, pour se montrer tout entier lui-même ; on ne se le figure guère se couronnant de fleurs qu’en cheveux blancs, et à l’âge de près de quatre-vingts ans. […] Chaulieu ne quitta presque pas un jour, dans ses dernières années, le prince qu’il appelait son bienfaiteur et son ami, et avec qui il vivait depuis quarante ans dans le sein de la confiance et de l’intimité : « Ces sortes de mariages de bienséance, sans être un sacrement, disait-il, ont la même force que les autres, et se peuvent quasi aussi peu dissoudre. » Dans l’assertion grave de Saint-Simon, il faut faire la part de l’aversion bien connue du noble écrivain pour les gens de peu, redoublée de celle qu’il avait pour les poètes et rimeurs. […] Quand on vient de relire leurs ouvrages et de traverser leur monde, on demeure bien convaincu en un point : c’est que les mœurs de la Régence existaient déjà sous Louis XIV ; elles y étaient depuis longues années à l’état latent.
— Mme de Genlis (Mlle Félicité Du Crest de Saint-Aubin), née le 25 janvier 1746, d’une famille noble de Bourgogne, passa ses premières années un peu à Paris, le plus souvent en province. […] Cette enfant, qui a commencé par lire Clélie, et qui s’en souviendra toujours, joue la comédie dès ses premières années, et tout désormais dans son imagination, même l’enseignement, prendra volontiers cette forme de comédie et de théâtre. […] À propos de cette manie encyclopédique qui la posséda de tout temps et qui ne fit que s’accroître avec les années, un de ses spirituels amis disait : « Elle se réserve de refaire l’Encyclopédie dans sa vieillesse. » En attendant, jeune mariée et à peine enceinte, vite elle écrivait un livre intitulé Réflexions d’une mère de vingt ans, quoiqu’elle n’en eut que dix-neuf. […] Après quelques années passées au Palais-Royal, Mme de Genlis, âgée de trente et un ans (1777), fit donc sa retraite avec une sorte d’éclat ; elle quitta solennellement le rouge (ce qui était un grand signe alors), et elle alla habiter au couvent de Bellechasse un petit pavillon qu’elle s’était fait bâtir et où elle s’installa avec ses élèves.
Le second petit écrit, qui fut imprimé l’année suivante (1763), porte directement contre l’Émile de Rousseau : les instincts de celui qui distinguera toujours entre l’usage et l’abus de l’esprit philosophique s’y produisent plus nettement encore. […] En attendant, et durant les vingt-trois années qui s’écoulèrent depuis son entrée au barreau (1765) jusqu’en 1788 à la chute des parlements, il mena la vie d’un avocat occupé et consulté sur toutes les matières importantes. […] Une des causes célèbres qu’il eut à plaider dans les années suivantes fut celle de la comtesse de Mirabeau, demandant la séparation de corps et de biens d’avec Mirabeau, lequel plaidait en personne. […] Dès les premiers jours, la plupart des Conventionnels restés dans les Conseils regardaient ouvertement les nouveaux nommés comme des intrus et des ennemis ; ils semaient autour d’eux les soupçons et les calomnies pour les décréditer du moins, ne pouvant les éliminer : « Ceci débute mal, dit tout haut Portalis présent à ces scènes : si les Jacobins ont le pouvoir de nous chasser d’ici, nous n’y resterons pas longtemps. » Il y resta assez, durant deux années, pour y fonder sa réputation d’orateur social, fidèle à tous les principes de modération et d’humanité.
En un mot, dans cette rude guerre qu’il soutint durant près de six années, les soldats de Carrel sont vigoureux, fermes, adroits, infatigables, ils ne sont pas brillants ; ils n’ont pas de casque au soleil. […] Durant ces années 1831-1832, Carrel s’était fait une belle existence, et la première dans la presse de l’opposition ; il jouissait à cet égard par le talent, par le succès dans l’opinion, par l’ascendant marqué qu’il prenait chaque jour, et par la contradiction même qui allait à sa nature amie de la lutte. […] vous n’êtes pas engagé. » Il dut souffrir beaucoup dans les trois dernières années de sa vie. […] En étudiant la vie de Carrel dans ses dernières années, une réflexion ressort à tout instant : pour un prétendu esclavage qu’on veut éviter, combien l’on s’impose d’autres esclavages !
Voilà la Marguerite des belles années avant les disgrâces et les fuites, avant le château d’Usson, où elle vieillit et s’immobilisa. […] Elle-même nous dit que ce goût de l’étude et de la lecture ne lui vint pour la première fois que dans une première captivité où Henri III la retint quelques mois en 1575, et nous en sommes encore aux années sans nuages. […] Dans ses dernières années, pendant ses dîners et ses soupers, elle avait ordinairement quatre savants hommes près d’elle, auxquels elle proposait, au commencement du repas, quelque thèse plus ou moins sublime ou subtile, et, quand chacun avait parlé pour ou contre et avait épuisé ses raisons, elle intervenait et les remettait aux prises, provoquant et s’attirant à plaisir leur contradiction même. […] Ces dix-huit années de confinement et de solitude lui avaient donné des singularités et même des manies ; elles éclatèrent alors au grand jour.
On avait apparemment oublié les premières années de Claude, et l’on ne se souvenait que des dernières. […] Néron meurt exécré ; quelques années plus tôt, Néron mourait regretté. […] Sénèque, né peu de temps avant la mort d’Auguste, la huitième année de l’ère chrétienne, mourut la huitième année du règne de Néron, vers l’an 61 de J. […] cinq années d’un règne envié par Trajan. […] Ceci se passa l’an 19 de Jésus-Christ, et pendant les années 5 et 6 du règne de Tibère.