On alla y demeurer, et on y resta quatre années. […] L’unité de cette Correspondance, que quelques suppressions eussent mieux fait ressortir, est dans l’amitié de deux jeunes filles, dans cette amitié d’abord passionnée, au moins chez Mlle Phlipon, et qui, partie du couvent avec ses petits orages, ses incidents journaliers, ses hausses et ses baisses, s’en vint, après quelques années, expirer au mariage : et quand je dis expirer, je ne veux parler que de la forme vive et passionnée, car le fond subsista toujours. […] » Cette phase demi-janséniste dura peu ; on suit, dans la Correspondance, le décours de cette dévotion un moment si vive ; en mars 1776, elle fait encore ses stations, mais elle ne peut se résigner aux cinq Pater et aux cinq Ave ; en septembre de la même année, les amies d’Amiens en sont à prier pour sa conversion. […] Ou était en 93 ; bien des années d’absence et les dissentiments politiques avaient relâché, sans les rompre, les liens des anciennes compagnes ; Mme Roland, captive sous les verrous de Sainte-Pélagie, attendait le jugement et l’échafaud. […] Les quatre ou cinq années qui s’écoulent depuis la mort de sa mère jusqu’à son union avec M.
Saint-Évremond, né en 1613, était de trois années plus âgé que Ninon, qui était de 1616 ; il mourut en 1703, à l’âge de plus de quatre-vingt-dix ans, et elle en 1705, au même âge moins quelques mois. […] Ninon avait fait ses preuves en rendant, après des années, à Gourville, cette fameuse cassette que ce dernier avait mise en dépôt chez elle, et dont elle avait refusé communication à plus d’un amant, successeur de Gourville, et qui aurait été assez disposé à être en tout son héritier. […] Votre parole est la convention la plus sûre sur laquelle on puisse se reposer… La correspondance de Ninon avec Saint-Évremond, à travers les événements divers et les guerres, ne fut pas très exacte ni très soutenue, et les quelques lettres qui se sont conservées se rapportent aux dernières années de leur vie. […] Elle plaisante pourtant sur ce qu’il est plus beau et plus méritoire de se souvenir ainsi des absents après tant d’années : « Et c’est peut-être pour embellir mon épitaphe, que cette séparation du corps s’est faite. » Saint-Évremond avait adressé à Ninon un M. […] Peu de gens résistent aux années.
Durant ces cinquante années de travaux, la vie de Buffon est uniforme. Chaque année, il vient passer quelques mois à Paris pour les devoirs et les obligations de sa place, pour les intérêts de l’établissement auquel il préside et dont il accroît chaque jour l’importance. Puis il retourne habiter la plus grande partie de l’année à Montbard pour s’y livrer à l’étude et à la composition. […] Voltaire, on le sait trop, ne vit que de combats et de querelles ; le pauvre Jean-Jacques en meurt durant vingt années, et sa tête s’égare à vouloir répondre aux méchants propos et aux calomnies. […] Buffon, en entrant dans ce vaste sujet, même après dix années d’études, s’y trouvait encore trop peu préparé.
Ses comptes rendus prirent dès lors la plus grande importance : « Pendant trois années, son analyse des débats fut lue dans toute l’Europe comme un modèle de discussion aussi lumineuse qu’impartiale », disait Lally-Tollendal. […] Il mourut d’épuisement à l’œuvre et à la peine, le 10 mai 1800, dans sa cinquante et unième année, pauvre et pur, hautement estimé et considéré de tous ceux qui l’avaient connu. […] Il en garda avec Voltaire mort, qu’il avait connu durant huit années consécutives et dans son intérieur ; il marquait ses erreurs, mais ne confondait pas toutes les opinions et les œuvres de ce brillant génie dans un même anathème. […] L’analyse des travaux de Mallet du Pan au Mercure serait celle des trois premières années de la Révolution. […] Je n’ai fait qu’effleurer cette publication des Mémoires de Mallet du Pan, dans laquelle se dessine de plus en plus durant les sept années suivantes cet énergique écrivain, champion dévoué à la cause de la société et de la civilisation européenne avec un fonds d’amour de la liberté.
On l’a laissé mourir, il y a une douzaine d’années, en mai 1839, sans lui accorder assez d’attention : il avait, deux ans auparavant, en 1837, réglé en quelque sorte ses comptes avec le public en faisant imprimer les lettres et notes adressées par lui, dans le cours de onze années, à Bonaparte premier consul et empereur ; il y a joint une Introduction qui est un des meilleurs et des plus piquants morceaux d’histoire contemporaine. […] Faisant sentir le danger des sociétés libres et des clubs qui, nés en Angleterre et sans inconvénient dans leur pays natal, en ont beaucoup dans le nôtre : L’établissement des clubs en France, dit-il, a précédé la Révolution de quelques années. […] Enfin, au lieu de sa liberté des premières années, l’auteur se classe dans la hiérarchie ; il devient maître des requêtes, préfet. […] Jugeant la noblesse avec indifférence, sans l’envier, sans l’aimer ni la haïr, il se mit à la servir très activement durant ces premières années de la Restauration. […] Fiévée au National sont continuels dans les derniers mois de 1830 et pendant les années 1831-1832.
Pourtant, quoi qu’il fasse, et malgré les transformations ou les échecs que subira sa nature morale première, malgré les démentis et les étonnements qu’elle pourra donner à ceux qui l’auraient jugée plus pacifique et plus pure, c’est sur ces premiers fondements que la force d’âme de Frédéric reposa toujours ; c’est en vertu de l’éducation énergique et de la discipline de ces huit années qu’il demeura constamment l’homme du travail, du devoir et de la patrie. […] La santé de M. de Suhm justifia trop les craintes de son ami : après plus de trois années de séjour en Russie, et au moment où Frédéric devenu roi lui écrivait : « Revenez et soyez à moi », M. de Suhm, épuisé de forces, expirait dans le voyage. […] Mais les autres ne le lui permirent pas de sitôt ; et, après avoir commencé par être un envahisseur, force lui fut de rester pendant des années un infatigable donneur de batailles et de devenir le plus grand capitaine de son époque : mais, l’étoffe de l’esprit et du caractère y étant, on peut dire encore qu’il ne le devint que par la force des choses. […] Le roi vieilli, et lui-même bien près de sa tombe, lui répond par cette lettre qui, dans sa sobriété, devra paraître bonne et digne encore, mais qui éveille une impression de contraste dans l’esprit du lecteur pour qui les quarante-cinq années d’intervalle n’existent pas, et qui les franchit en un coup d’œil d’une page à l’autre : À mon conseiller de guerre et maître des postes de Suhm, à Dessau. […] ne dure qu’un moment : c’est assez, pour honorer une âme, qu’il l’ait une fois embrasée purement dans les années fécondes.
Il continua de correspondre avec cette princesse depuis 1753 jusqu’en 1767, presque jusqu’à l’année où elle mourut. […] je lui ai écrit… À d’autres endroits du volume, et avec d’autres correspondants c’est le Voltaire de la fin, le patriarche de Ferney, qui, toujours mourant, passe et repasse devant nous sur quelques-uns des dadas (très beaux dadas en effet, et le plus souvent très nobles) de ses dernières années. […] J’ai un regret ; c’est que depuis des années (et il y a trente ans que cela devrait être fait) le fonds de papiers et de manuscrits que possède la Bibliothèque de Neuchâtel, joint aux autres fonds particuliers, tels que celui de la famille Moultou qui se produit aujourd’hui, n’ait pas été l’objet d’un dépouillement régulier et méthodique, de manière à fournir une couple de tomes, complément indispensable de toutes les éditions de Jean-Jacques. […] Les revues suisses n’ont cessé depuis des années d’insérer, de temps en temps, des fragments inédits de Rousseau ; cet inédit fuyait, en quelque sorte, de toutes parts et ne se rassemblait pas.
Jules Lefèvre est mort le 13 décembre 1857 : il avait, dans les dernières années, changé son nom en celui de Lefèvre-Deumier ; Mme Deumier, sa tante, l’ayant fait héritier d’une grande fortune, il ajouta ce nom au sien par reconnaissance, ce qui acheva de dérouter la notoriété qui était déjà en retard avec lui. […] Cet excès de timidité, qui avait sa noblesse, avait aussi ses grands inconvénients, et de là en partie le peu de retentissement qu’ont obtenu son nom et ses livres. » A le voir en ces années avec son beau et large front sillonné de pâleur, sa figure fine, sa réserve silencieuse, et un certain air de malheur répandu sur toute sa personne, on eût pu le croire envieux et malade du succès des autres. […] Les années changèrent totalement cette disposition. […] La grande fortune dont il avait joui pendant quelques années, et dont il faisait si bien les honneurs à ses amis dans ses soirées de la place Saint-Georges ou à sa charmante campagne de l’abbaye du Val, près l’Ile-Adam, avait été presque toute engloutie après les événements de Février 1848.
Cette pesanteur alla se manifestant en lui avec les années, ou plutôt avant les années. […] Victorin Fabre, battu dans le concours de 1812, et perdant la belle génisse, c’est-à-dire le prix de l’Académie, ne fit pas autrement que le vaincu de Virgile, et sortit de l’arène avec la rancune superbe du taureau blessé ; mais il ne revint pas avec la même allure, et à le voir reparaître, quelques années après, tout ralenti et tout empesé, on put lui appliquer ce vers assez imitatif d’un moderne : Taurus abit mœrens e regnis : ecce redit bos. […] Sabbatier prétend expliquer la non-réussite de Victorin Fabre à son retour de 1821, et sous quels traits il nous représente la scène littéraire et politique en ces années de nobles études et de luttes méritoires ?
Cousin dans la carrière de l’enseignement, ne subsistait jusqu’à présent que dans des rédactions d’anciens élèves qu’on avait pris soin de recueillir et de publier, il y a quelques années. […] Il est toujours piquant de revenir après des années sur des œuvres d’esprit, sur des écrits ou des discours qui ont eu un grand éclat et ont exercé une influence décisive. […] Cousin de cette philosophie première, mais on sent qu’elle a des ailes. » Elle en eut en effet dès sa naissance ; dans ce premier Discours d’ouverture du 7 décembre 1815, où Reid très-amplifié apparaît comme un grand régénérateur et comme celui qui est venu mettre fin au règne de Descartes, dans ce Discours où éclatent à tout instant une parole et un souffle plus larges que la méthode même qui y est proclamée, on croit entendre encore les applaudissements qui durent saluer cette péroraison pathétique par laquelle, au lendemain des Cent-Jours et avant l’expiration de cette brûlante année, le métaphysicien ému se laissait aller à adjurer la jeunesse d’alors : « C’est à ceux de vous dont l’âge se rapproche du mien que j’ose m’adresser en ce moment ; à vous qui formerez la génération qui s’avance ; à vous l’unique soutien, la dernière espérance de notre cher et malheureux pays. […] Aussi, malgré les premiers étonnements et les hauts cris que soulève toute idée nouvelle, l’éclectisme, servi par la belle parole et l’infatigable activité de son promoteur, a fait fortune avec les années, et son nom est devenu celui même de l’école philosophique moderne.
La première constitution fédérale, décrétée en 1778 dans la troisième année de l’Indépendance, subsista sans inconvénient tant que dura la guerre ; l’esprit des peuples, excité par le danger et réuni dans un intérêt commun, servait de supplément à l’acte fédéral et les portait spontanément aux efforts les plus énergiques ; mais la guerre une fois terminée et chacun réinstallé dans ses foyers, on accorda moins d’attention aux demandes du Congrès. […] Traitée pendant huit années par ce chef intègre, frugal, économe, la République assainie a passé ensuite aux mains non moins pures des Madison, des Monroë, des Jackson : la seule interruption qu’on puisse signaler dans cette continuité de régime tout démocratique se rapporte à la présidence, d’ailleurs bien modérée, de John Quincy Adams, qu’un revirement fortuit de suffrages porta, en 1824, à la première magistrature. […] Retiré du timon des affaires, à partir de 1808, Jefferson passa dans sa résidence de Monticello les dix-huit années de sa vieillesse qui furent paisibles à l’exception de la dernière, où des banqueroutes désastreuses l’assaillirent. […] Nous reviendrons, au reste, sur cette correspondance des dernières années de Jefferson.
La rencontre de la France et de l’Italie se fit dans les dernières années du xve siècle : il ne s’agit plus de quelques individus qui portent ou rapportent chez nous quelques lueurs de civilisation ultramontaine. […] Cinq ou six fois en une trentaine d’années, le flot de l’invasion française s’étale sur la terre italienne, et se retire sur le sol français : vers 1525, la pénétration de l’esprit, de la civilisation d’Italie dans notre esprit, notre civilisation, est chose faite, et notre race a fécondé tous les germes qu’elle portait en elle159. […] Il fallut une vingtaine d’années et, avec François Ier, l’avènement d’une génération nouvelle, pour que l’universelle transformation apparût. […] Les studieux jeunes gens nés dans les dernières années de Louis XI, que l’éducation scolastique avait laissés inquiets et affamés, lisent avidement, avec un esprit nouveau, avec l’esprit des Pogge, des Valla, des Guarino, les grandes œuvres latines dont le moyen âge n’avait ni pénétré le sens profond ni senti l’admirable forme : ils reçoivent la révélation de ce qu’avaient caché trop longtemps les bibliothèques des couvents.
Un tel pseudonyme laisse si bien rayonner la femme, que quand il commença de poindre, il y a quelques années, dans la littérature, on ne dit point « André Léo » ainsi qu’on avait dit, tout d’abord et longtemps, masculinement, et sans se gêner, « George Sand ». […] Les premiers parurent dans les années qui suivirent 1860. […] Dans Mme Sand, il y a du xviiie siècle, même aux dernières années de sa vie quand elle caressait de sa vieille main de douairière, autrefois charmante, les cheveux des jeunes gens, assis au piano, dans son salon de Nohant ! […] Littérairement, et dans l’ordre démocratique, Mme André Léo est à peu près ce qu’est Mme de Ségur dans l’ordre catholique, mais sous une forme romanesque, imitée de Mme Sand, — de la Mme Sand des dernières années, enrhumatismée de philosophie et qui a perdu la petite fleur de bohème adultère, par laquelle elle a réussi.
On se souvient encore et l’on raconte que, dans son zèle pour la christianisation au moins apparente et officielle de l’Université, Cousin avait, il y a quelques années, rédigé, — oui, rédigé de sa propre et belle plume un catéchisme : cet édifiant catéchisme était achevé, imprimé déjà et allait se lancer dans tous les rayons de la sphère universitaire, quand on s’est aperçu tout d’un coup avec effroi qu’on n’y avait oublié que d’y parler d’une chose, d’une seule petite chose assez essentielle chez les catholiques : quoi donc ? […] Sa lettre à Villemain sur la liberté de l’enseignement commence en ces termes : « Vous n’aurez point de vacances cette année, monsieur le ministre, ni votre successeur l’année prochaine, s’il plaît à Dieu, car les catholiques ne veulent plus interrompre la guerre qu’ils livrent à l’enseignement de l’État… » Au nom d’un article de la Charte, au nom des serments d’août 1830, voici en fait ce que les catholiques, par l’organe de Veuillot, réclament : 1° Liberté pour tout citoyen d’ouvrir école ; 2° Liberté pour tout citoyen de fréquenter telle école que bon lui semblera, et d’y envoyer ses enfants ; 3° Formation d’un jury d’examen pour le baccalauréat, réunissant aux garanties nécessaires de science et de sévérité, les garanties non moins indispensables de moralité et d’impartialité, afin que devant ce jury, tout citoyen, sous le seul patronage de sa capacité et de son honneur, puisse demander le diplôme, quelle que soit l’école qu’il ait fréquentée, et quand même il n’en aurait fréquenté aucune.
Sainte-Beuve, insérés dans Le Globe à partir de l’année 1824, nous ne faisons que réaliser un projet exprimé par lui dans la dernière édition des Portraits Contemporains, peu de mois avant sa mort (1869) : « Je me propose pourtant, dit-il, si je vis, de donne dans un volume à part la suite de mes articles au Globe ; on me dit que ce ne serait pas sans intérêt, et je me suis laissé persuadera. » Mais nous ne nous sommes pas borné seulement aux articles du Globe, qui sont le point de départ et comme la préface de cette publication, et nous avons recherché dans d’autres recueils postérieurs tout ce qui, à notre connaissance, était encore épars de l’œuvre du maître. Le National, dès l’année 1832, la Revue des Deux Mondes, le Temps de 1835 et celui de 1839, le Moniteur Universel, la Revue Contemporaine, des ouvrages pour lesquels M. […] Sainte-Beuve y raconte succinctement, mais avec précision, ses relations avec la nouvelle rédaction du Globe, jusqu’au moment où le journal devint saint-simonien « Je ne le quittai point pour cela, dit-il, et j’y mis encore quelques articles. » Mais, à partir de l’année 1831, il est tellement impossible de s’y reconnaître, à cause du manque de signatures, que nous avons cru prudent de nous abstenir tout à fait, à défaut d’indications suffisantes sur les véritables auteurs d’articles qui ne laissaient pas d’être très-tentants sur Mérimée, Balzac, Eugène Sue, Charles Nodier, M.