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375. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

L'intérêt particulier, quel qu'il soit, est proscrit par la morale, &, avec lui, non seulement les actions qui ont quelque vice pour principe, mais toutes celles qui n'ont pas la vertu pour objet. […] Ce qui prouve combien cette Foi est supérieure aux idées de l’Homme, c’est le désintéressement qu’elle exige de lui dans toutes ses actions, & la sublimité du but qu’elle lui propose. […] Ce n’est qu’à l’école d’un Dieu qu’un Homme sage peut apprendre l’usage de sa raison ; c’est de Dieu seul qu’il peut recevoir le frein qui doit régler ses pensées & ses actions. […] Mais s’ils avoient appris, & s’ils étoient fermement persuadés qu’ils ont le souverain Juge pour témoin de leurs actions & de leurs pensées les plus secretes, ne doutez pas que la plupart ne fussent retenus, par la crainte des supplices destinés à la méchanceté » *. […] En un mot, elle oblige l'Homme à se regarder comme ennemi de lui-même, au moment qu'il se montre le plus l'ami des autres Hommes, si ses motifs ne sont pas aussi nobles que ses actions.

376. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Ne lui demandez point de jugement approfondi ni de révélations directes sur les hommes et les personnages en scène : il pourra porter quelques-uns de ces jugements sur les personnes tout à la fin et après l’expérience faite ; mais d’abord il ne les juge que d’après l’ensemble de leur rôle et de leur action, et comme on peut le faire au premier rang du parterre. […] Sans entrer dans les secrets de l’action, il la juge sur sa portée visible et sur son développement. ; il l’applaudit, il la gourmande, il essaie de la contenir dans les voies de la morale et de la raison ; il se donne du moins à lui-même et à tous les honnêtes gens la satisfaction d’exprimer tout haut ses sentiments sincères, et, à certains moments plus vifs, il est entraîné, il s’avance et se compromet auprès des principaux personnages, jusqu’à mériter pour un temps prochain leur désignation et leur vengeance. […] … élevez donc la voix, montrez-vous… Ce moment est le seul qui nous reste : c’est le moment précis où nous allons décider de notre avenir… La perte d’un poste est peu de chose, mais l’honneur de la France a été plus compromis par de détestables actions qu’il ne l’avait été depuis des siècles. […] Par un sentiment délicat, il voudrait faire arriver une parole de consolation à son cœur : Puisse-t-il lire avec quelque plaisir, écrit-il, ces expressions d’une respectueuse estime de la part d’un homme sans intérêts comme sans désirs, qui n’a jamais écrit que sous la dictée de sa conscience ; à qui le langage des courtisans sera toujours inconnu ; aussi passionné que personne pour la véritable égalité, mais qui rougirait de lui-même s’il refusait un éclatant hommage à des actions vertueuses par lesquelles un roi s’efforce d’expier les maux que tant d’autres rois ont faits aux hommes ! […] La politique d’André Chénier dans son ensemble se définirait donc pour nous très nettement en ces termes : Ce n’est point une action concertée et suivie, c’est une protestation individuelle, logique de forme, lyrique de source et de jet, la protestation d’un honnête homme qui brave à la fois ceux qu’il réfute, et ne craint pas d’appeler sur lui le glaive.

377. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

C’est un court récit, une vive morale en action, où figurent en général des animaux, des plantes, des êtres plus ou moins voisins de l’homme, et qui représentent ses vices ou ses vertus, ses défauts ou ses qualités. […] Taine examine successivement, dans le grand fabuliste, les caractères, l’action et l’expression. […] On serait animé par une idée bien flatteuse et par un puissant mobile, par la pensée qu’on l’instruit, lui aussi, qu’on lui fait faire un pas de plus dans la connaissance de lui-même et de la place qu’il tient dans la renommée ; on jouirait de sentir qu’on lui développe un côté de sa gloire, qu’on lui lève un voile qui lui en cachait quelque portion, qu’on lui explique mieux qu’il ne le savait son action sur les hommes, en quoi elle a été utile et salutaire, et croissante ; on oserait ajouter en quoi aussi elle a été moins heureuse et parfois funeste. […] Il avait dit ailleurs, en parlant de l’action dans les fables du poète, de cette action qui semble si éparse et qui se rattache toute à une idée, à un but : « Poésie et système sont des mots qui semblent s’exclure, et qui ont le même sens. » — Oui assurément, si l’on entend par système un tout vivant, animé, coloré ; oui, si ce mot de système a le même sens que cosmos et que monde ; mais chez nous (et cela tient peut-être à notre peu de goût pour la chose), le mot de système se prend dans une acception moins entière et moins belle ; il implique la dissection, l’abstraction.

378. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Parmi ces noms fameux, il en est un qui, pour nous Français, l’est moins encore par la grandeur de l’action que par l’à-propos et l’urgence, par l’imprévu de l’événement et les conséquences promptes qui en jaillirent ; c’est Denain, qui fit tourner la chance depuis si longtemps contraire et qui releva l’honneur de notre drapeau tout à la fin de Louis XIV. […] Pour comprendre un tableau et se bien représenter le genre de talent qui l’a conçu et exécuté, on n’est pas un peintre ; pour comprendre l’idée et l’exécution d’une action de guerre, on n’est pas un général : on reste un critique ; l’essentiel est de l’être avec le plus d’ouverture autour de soi et le plus d’étendue qu’on le peut. […] Villars, en se montrant toujours très-jaloux de livrer une bataille rangée, dont il crut même avoir trouvé l’occasion dans les plaines de Lens, n’eut pas ordre de l’engager et n’en fut peut-être pas très-fâché au fond : il prit sa revanche, selon sa coutume, en tentant de petites actions. […] Celui-ci, pressentant sourdement que les Anglais, comme on dit, branlaient au manche, devait désirer une action générale prochaine où il les aurait encore pour alliés et compagnons d’armes. […] Je suis persuadé que les ennemis ne manqueront pas de profiter du temps que vous leur donnez, et la chose demande une détermination plus prompte. » Villars, en effet, d’ordinaire si porté à l’offensive, reculait devant une action générale engagée avec le prince Eugène dans ces conditions-là, c’est-à-dire dans un pays boisé où il aurait affaire à toute l’infanterie ennemie, appuyée à des lignes.

379. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

L’action s’engage avec verve : si la bataille doit faire long feu, les escarmouches étincellent. […] Augier ; à ce compte, le journalisme lui doit encore des actions de grâces. […] Augier ; il a dépensé beaucoup de talent dans sa pièce, et il en a tiré fort peu d’intérêt ; l’action est confuse, les situations s’embrouillent, les scènes traînent en longueur, l’esprit parfois brutal du langage ne recouvre pas l’indécision du plan et la faiblesse de l’intrigue. […] Cependant, l’action s’engage, au milieu de mots mordants, sifflants, acérés. […] Les mots frappent juste, si l’action est fausse : le plan de la bataille est vicieux, mais le tir en est admirable.

380. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Napoléon en est resté au point où le style, la pensée et l’action se confondent. […] Du vivant de Napoléon, l’action couvrait tout ; on ne se doutait pas qu’il y aurait là, plus tard, matière à admirer la parole même. Aujourd’hui que l’action est plus éloignée, et que la parole reste, celle-ci se montre avec ses qualités propres, et en même temps le souvenir de l’action y projette un reflet et comme un rayon. […] La lueur se réfléchissait jusque sur les parois des pyramides. » Mais ce ne sont que des éclairs qui ne ralentissent rien à l’action.

381. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Si cette action est favorable, la valeur est positive ; elle est négative, dans le cas contraire. […] Et si, de toute évidence, on ne peut se passer d’économie, s’il faut amasser pour pouvoir dépenser, c’est pourtant la dépense qui est le but ; et la dépense, c’est l’action. […] Mais tous ces moyens n’ont eux-mêmes qu’une action temporaire. […] Les seconds, au contraire, disent l’aspect nouveau dont elle s’enrichit sous l’action de l’idéal. […] C’est que, non seulement toutes les forces de l’univers viennent aboutir en elle, mais de plus, elles y sont synthétisées de manière à donner naissance à un produit qui dépasse en richesse, en complexité et en puissance d’action tout ce qui a servi à le former.

382. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Elle est l’extrémité d’une action, et les extrémités supposent un commencement où elles manquent. […] Elle est une action isolée, un état partiel du tout continu et persistant qui est l’âme. […] Pour nous qui croyons aux faits et à l’expérience, nous leur répondrons, avec les physiologistes, que la résolution n’a pas sur le muscle la moindre action directe. […] Alors seulement le cerveau agit, la moelle communique l’action, le nerf la transmet, le muscle se contracte, le tendon tire, l’os se déplace, le membre se meut, et la pression des chairs vous donne la sensation commandée. […] L’action de la volonté ne porte point sur le muscle, mais sur le cerveau ; l’objet de la volonté n’est point le mouvement du muscle, mais la sensation musculaire.

383. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

La sensibilité étant agréablement affectée commence par s’épanouir, pour ainsi dire, sous la sensation ; elle se dilate et se met au large, comme pour absorber plus aisément, plus complètement l’action bienfaisante qu’elle éprouve. […] C’est la connaissance qui, appliquée d’abord à la sensation, se porte ensuite vers la pêche, et la connaissance est une action de l’intelligence. […] La tendance excitée par l’idée du plus grand bien l’emporte continuellement sur les autres, et détermine toutes les actions. […] — Cette cause, c’est le moi et ses facultés. « Il y a dans le monde interne, il y a dans l’objet complexe saisi à chaque instant par la conscience, deux éléments distincts : l’un qui est nous, l’autre qui n’est pas nous ; l’élément qui est nous est simple dans chaque moment, identique à lui-même dans tous les moments, tandis que l’élément qui n’est pas nous est multiple dans chaque cas et variable d’un moment à l’autre. » Ce second élément se compose de nos actions et de nos opérations. « Le moi ne se reconnaît pas dans les modifications inétendues et sans forme qu’il éprouve. » — « Le monde interne renferme donc une réalité simple et identique à elle-même, qui est nous, et qui subsiste et persiste par elle-même ; et, de plus, une phénoménalité multiple et changeante, qui dépend de la réalité d’où elle émane et qu’elle modifie77. » — J’entends : vous croyez au bâton d’ambre de M. de Biran78. […] Étant donnés la sympathie, l’égoïsme, la vertu, l’amour, l’ambition, la crainte et toutes les passions, Spinoza les explique non par une liste d’inclinaisons primitives, mais par ce fait que la joie est un accroissement d’action et de perfection.

384. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

L’action de l’espérance embellit tellement tous les caractères, qu’il faut avoir bien de la finesse dans l’esprit, et de la fierté dans le cœur, pour démêler et repousser les sentiments que votre propre pouvoir inspire : si vous voulez donc aimer les hommes, jugez-les pendant qu’ils ont besoin de vous ; mais cette illusion d’un instant est payée de toute la vie. […] Si vous supposez, au contraire, à l’homme ambitieux un génie supérieur, une âme énergique, sa passion lui commande de réussir ; il faut qu’il courbe, qu’il enchaîne tous les sentiments qui lui feraient obstacle ; il n’a pas seulement à craindre la peine des remords qui suivent l’accomplissement des actions qu’on peut se reprocher, mais la contrainte même du moment présent est une véritable douleur. […] les actions sont toujours plus en relief que les commentaires, et ce qu’on a dit sur le théâtre n’est jamais effacé par ce qu’on écrit dans la retraite. […] Pour aimer et posséder la gloire, il faut des qualités tellement éminentes, que si leur plus grande action est au dehors de nous, cependant elles peuvent encore servir d’aliment à la pensée dans le silence de la retraite ; mais la passion de l’ambition, les moyens qu’il faut pour réussir dans ses désirs, sont nuls pour tout autre usage : c’est de l’impulsion plutôt que de la véritable force ; c’est une sorte d’ardeur qui ne peut se nourrir de ses propres ressources ; c’est le sentiment le plus ennemi du passé, de la réflexion, de tout ce qui retombe sur soi-même.

385. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Mais en même temps (pardonnez-moi ces retours et ces retouches) on sent que ce voluptueux serait volontiers un homme d’action et qu’il suffirait (qui sait ?) […] L’action proprement dite, l’action directe sur les hommes, par la parole ou par le gouvernement, il l’aime et il l’a recherchée. […] Grec de la décadence, Florentin d’il y a trois siècles, roué du siècle dernier, Parisien d’aujourd’hui et Français de toujours, homme de plaisir et homme d’action…, voilà bien des affaires !

386. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Quiconque aspirait à une grande action sur le peuple devait imiter Élie, et comme la vie solitaire avait été le trait essentiel de ce prophète, on s’habitua à envisager « l’homme de Dieu » comme un ermite. […] Nul doute qu’il ne fût possédé au plus haut degré de l’espérance messianique, et que son action principale ne fût en ce sens. « Faites pénitence, disait-il, car le royaume de Dieu approche 302. » Il annonçait une « grande colère », c’est-à-dire de terribles catastrophes qui allaient venir 303, et déclarait que la cognée était déjà à la racine de l’arbre, que l’arbre serait bientôt jeté au feu. […] Quoique le centre d’action de Jean fût la Judée, sa renommée pénétra vite en Galilée et arriva jusqu’à Jésus, qui avait déjà formé autour de lui par ses premiers discours un petit cercle d’auditeurs. […] Ce qu’il y a de certain, c’est que la détention se prolongea et que Jean conserva du fond de sa prison une action étendue.

387. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Il avait pour soutenir sa vie nouvelle deux sentiments énergiques et également puissants, le souvenir du passé et le besoin d’action. […] Dans ce domaine, Dieu agit autrement que dans le monde physique ; il agit par une action toute morale, tout individuelle ; voilà l’idée de la Providence chrétienne. Le comment de cette action reste un mystère ; l’action est certaine et répond au besoin de l’âme.

388. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Je sais que ces sortes d’actions sont extraordinaires et doivent le paraître ; mais la nature passionnée a son prix, comme la nature réfléchie ; et les hommes peut-être les plus estimables ne sont pas ceux qui règlent froidement et sensément tous les mouvements de leur âme, qui avant de sentir ont le loisir de regarder autour d’eux, et se souviennent toujours à temps qu’ils ont besoin d’être modestes. […] Enfin, en mourant, il témoigna la plus grande fermeté et le courage tranquille d’un homme qui obéit à la nature, et que ses actions consolent de la brièveté de sa vie56. […] Son extérieur était simple, son caractère ne l’était pas ; ses discours, ses actions avaient de l’appareil et semblaient avertir qu’il était grand ; suivez-le, sa passion pour la gloire perce partout ; il lui faut un théâtre et des battements de mains ; il s’indigne quand on les refuse ; il se venge, il est vrai, plus en homme d’esprit qu’en prince irrité qui commandait à cent mille hommes, mais il se venge ; il court à la renommée, il l’appelle ; il flatte pour être flatté : il veut être tout à la fois Platon, Marc-Aurèle et Alexandre57. […] Si j’avais vécu plus longtemps, j’aurais peut-être fait quelque action indigne de moi.

389. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Homme d’ordre, de probité ferme, de régularité judicieuse et laborieuse, d’amélioration sociale moyennant l’action administrative, il a surtout apprécié l’époque par cet aspect ; lui-même, dans son rang secondaire, il avait mérité l’estime de l’empereur ; son excellent travail de premier commis passait tous les soirs sous cet œil d’aigle. […] En effet, les grands hommes d’action doivent avoir cette puissance de retrancher aux choses qui sont en spectacle devant leurs yeux et de n’en voir que ce qu’il en faut pour se diriger dessus et y enfoncer la pensée comme un coin. […] L’intelligence des grands hommes d’action est subordonnée à leur vouloir : dès qu’il y a urgence sur un point, elle s’y porte et y fond comme l’éclair : elle se garde d’ailleurs de distraire l’énergie par des perspectives de côté, réelles peut-être, mais intempestives.

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