Ses jugements sont tous pratiques : ils sont des actions succédant à des sensations, des actions différentes succédant à des sensations différentes, des actions semblables succédant à des sensations semblables. […] Si, une première fois, le contact d’une flamme, une sensation de brûlure et un mouvement de recul coexistent, le lien actuel des sensations m’est donné de fait avec les sensations mêmes et avec la réaction appétitive, attentive et motrice qui en résulte. […] Nous avons vu que, s’il y a en effet réaction de la conscience sur la sensation, c’est une réaction appétitive, qui suffît à corroborer la liaison déjà réalisée soit entre les sensations mêmes, soit entre telle sensation et telle action. […] Le mot est le substitut de l’image, comme l’image est le substitut de la sensation, comme la sensation est le substitut de l’objet sensible. […] C’est au fond un raisonnement : ma sensation actuelle ressemble à telle sensation passée ; ma sensation passée était accompagnée de telle autre sensation contiguë ; ma sensation présente évoque donc cette autre sensation107. — Nous proposerions une autre comparaison pour rendre plus intelligible ce procédé de raisonnement automatique.
Condillac a confondu, sous le nom de sensation, deux choses en réalité différentes : la sensation proprement dite et l’idéation (faculté d’avoir des idées). […] « L’idée est si peu une sensation affaiblie qu’elle n’est pas une sensation du tout ; elle est totalement différente de la sensation. » Et cela n’est point surprenant : la sensation est le produit d’une partie distincte du système nerveux, le cerveau. […] Par suite la sensation et l’idéation sont aussi indépendantes l’une de l’autre que les organes dont elles sont la fonction ; et quoique l’idéation soit liée organiquement avec la sensation, cependant elle ne l’est pas plus que le mouvement n’est lié avec la sensation. […] La sensation, dit M. […] Nous ne pouvons avoir deux sensations exactement semblables au même instant exactement : la simultanéité des deux sensations empêche de les distinguer.
Les sensations nouvelles ne trouvent plus de série antérieure où elles puissent s’emboîter ; le malade ne peut plus les interpréter, s’en servir ; il ne les reconnaît plus, elles sont pour lui des inconnues. […] Toutes les sensations, ou presque toutes les sensations sont altérées. […] Cette sensation était non seulement visuelle, mais cutanée. […] En effet, les sensations constituantes du moi étaient autres, et par suite les goûts, désirs, facultés, affections morales étaient différents. Ainsi le moi, la personne morale, est un produit dont les sensations sont les premiers facteurs ; et ce produit considéré à différents moments n’est le même et ne s’apparaît comme le même que parce que ses sensations constituantes demeurent toujours les mêmes.
Réveillez-vous, et vous trouverez que la sensation d’effort pour voler ne fait qu’un avec la sensation de pression du bras et du corps contre le lit. […] Ce n’en est pas moins avec de la sensation réelle que nous fabriquons du rêve. […] Les sensations qui nous servent de matière sont vagues et indéterminées. […] Tu choisis parmi tes sensations, puisque tu rejettes de ta conscience mille sensations « subjectives » qui reparaissent aussitôt que tu t’endors. […] Tous voudraient revivre dans la sensation, tous courent à sa poursuite.
On sait que Condillac supposait une statue en qui on introduirait une sensation, et seulement une sensation ; eh bien, dit avec raison M. […] Pierre Janet ne voit d’autre réponse que celle-ci : — C’est une sensation persistante. […] Nous avons donc, en définitive, outre la sensation musculaire du bras tendu, admise par M. […] Nous ne remarquons point les sensations produites par les battements normaux du cœur et par la respiration normale ; mais ces sensations, aujourd’hui affaiblies, n’en existent pas moins dans la conscience générale, confondues avec la masse des autres sensations. […] L’image, l’idée, la sensation du mieux, c’est la réalisation du mieux.
Mais les sensations ont la propriété de durer quelque temps, même quand leur cause extérieure a disparu. […] Lorsque des sensations A, B, C, etc., ont été associées un nombre de fois suffisant, elles se lient aux idées correspondantes a, b, c, etc., de telle façon qu’une sensation A toute seule suscitera b, c, idées du reste de la série. […] Il en distingue deux espèces qu’il appelle automatiques et volontaires ; les premiers dépendent des sensations ; les seconds, des idées. […] Aux vibrations associées correspond la sensation composée. […] Aux vibrationcules motrices, associées entre elles et avec une sensation ou une idée, correspond le mouvement volontaire.
Les individus ne sont pas des séries de sensations détachées, des collections d’étincelles, mais ce sont des développements continus de sensations reliées entre elles. […] Il ne faut pas oublier que la constitution même du cerveau aboutit à une classification automatique des sensations, que Spencer a excellemment décrite. […] Nous ne sentons pas vraiment lorsque toutes les impressions extérieures restent à l’état de dispersion : c’est alors le rêve de la sensation plutôt que la sensation même. […] Comme la vie, la pensée suppose évidemment une certaine union, puisqu’elle est d’abord une harmonie de sensations, puis une harmonie de rapports entre ces sensations, rapports qui eux-mêmes ont toujours un côté sensitif et appétitif. […] Si la vie se sent et jouit de se sentir, elle voudra persister dans cette sensation et dans cette jouissance.
Ribot explique ces cas curieux en disant que le mécanisme de la mémoire « fonctionne à rebours » : on prend l’image vive du souvenir pour la sensation réelle, et la sensation réelle, déjà affaiblie, pour un souvenir. […] — A cette question ultime, Wundt répond : C’est la sensation de mouvement ; cette sensation, en effet, est continue, tandis que toutes les autres, comme celles du goût, de l’odorat, de l’ouïe, de la vue, semblent successives et intermittentes ; c’est donc dans la sensation ininterrompue du mouvement que viennent se fondre nos sensations fugitives ; la conscience fondamentale du mouvement est une synthèse de toutes les sensations, et elle fait le fond de la conscience générale, par conséquent du souvenir et de la reconnaissance. — Le fond, est-ce bien sûr ? […] La sensation de mouvement enveloppe elle-même une conscience d’effort avec une sensation de résistance. […] Se souvenir, c’est avoir senti et pouvoir sentir de nouveau : tout le mécanisme extérieur n’est que le moyen de rendre possibles et la sensation, et la renaissance de la sensation, et la reconnaissance de la sensation. […] Non, car toutes les conditions physiques de la sensation ne nous rendent pas raison de la sensation, par exemple de ce que nous éprouvons en sentant une brûlure, en voyant une couleur, en entendant un son.
Il y a partout, dans les corps organisés, des sensations et appétitions plus ou moins rudimentaires, des éléments d’états de conscience plus ou moins diffus et nébuleux. […] Binet, qu’il y ait une sensation vraiment « inconsciente » ? […] L’excitation imprimée à la main, n’ayant pu se dépenser tout entière sur les centres engourdis du tact, a rejailli sur ceux de la vision et, de sensation tactile indistincte, s’est transformée en sensation visuelle distincte. […] Nous avons, pour ainsi dire, les deux extrémités d’un courant mental ; d’une part, des idées dont le sujet a la conscience claire ; d’autre part, la sensation subconsciente d’une plume provoquant la tendance à écrire ; en même temps que le sujet pense, sa main est invitée par des sensations sourdes à exprimer la pensée. […] A une sensation en succède une autre ; les sensations peuvent provoquer des émotions, des pensées, des volitions, des actions ; c’est le déplacement et la transformation de l’énergie mentale, parallèlement à l’énergie physique.
Si nous imaginons en lui une seule et invariable sensation, il n’y a pas encore conscience. […] Nous pouvons raviver sous forme d’idées des sensations et sentiments depuis longtemps passés. […] Et comme la sensation a son siège dans une position de l’organisme, qui est non pas seulement le cerveau, comme on le dit généralement, mais aussi les nerfs affectés, l’idée ou la sensation idéale doit avoir le même siège. […] Toute la différence entre une sensation idéale et une sensation actuelle, c’est que celle-ci est tout entière à la merci de nos mouvements. […] La constructivité (constructiveness) nous permet, par des associations de sensations, d’imaginer des sensations nouvelles.
Un flux et un faisceau de sensations et d’impulsions3, qui, vus par une autre face, sont aussi un flux et un faisceau de vibrations nerveuses, voilà l’esprit. […] Mais le mouvement, considéré directement en lui-même et non plus indirectement par la perception extérieure, se ramène à une suite continue de sensations infiniment simplifiées et réduites. […] L’un et l’autre sont un courant d’événements homogènes que la conscience appelle des sensations, que les sens appellent des mouvements, et qui, de leur nature, sont toujours en train de périr et de naître. […] Tout ce qui dans l’esprit dépasse « la sensation brute » se ramène à des images, c’est-à-dire à des répétitions spontanées de la sensation. […] Ici même, notre étude des sensations et des images nous a conduits à une hypothèse sur la structure, les connexions et le jeu intime des cellules cérébrales.
Dans la première, des sensations inextensives de la vue se composeront avec des sensations inextensives du toucher et des autres sens pour donner, par leur synthèse, l’idée d’un objet matériel. […] De là on conclut à l’inextension naturelle et nécessaire de toute sensation, l’étendue s’ajoutant à la sensation, et le processus de la perception consistant dans une extériorisation d’états internes. […] Nous saisissons ici, à son origine, l’erreur qui conduit le psychologue à considérer tour à tour la sensation comme inextensive et la perception comme un agrégat de sensations. […] C’est avec ces sensations qu’on va reconstituer la perception visuelle. […] Les sensations dont on parle sont inextensives.
C’est là ce que les psychologues oublient trop souvent quand ils concluent, de ce qu’une sensation remémorée devient plus actuelle quand on s’y appesantit davantage, que le souvenir de la sensation était cette sensation naissante. […] De ce que le souvenir d’une sensation se prolonge en cette sensation même, on ne doit pas davantage conclure que le souvenir ait été une sensation naissante : peut-être en effet ce souvenir joue-t-il précisément, par rapport à la sensation qui va naître, le rôle du magnétiseur qui donne la suggestion. […] Mon présent est donc à la fois sensation et mouvement ; et puisque mon présent forme un tout indivisé, ce mouvement doit tenir à cette sensation, la prolonger en action. […] Lui ayant transporté ainsi l’essentiel de la sensation, et ne voulant pas voir, dans l’idéalité de ce souvenir, quelque chose de distinct, qui tranche sur la sensation même, ils sont obligés, quand ils reviennent à la sensation pure, de lui laisser l’idéalité qu’ils avaient conférée implicitement ainsi à la sensation naissante. Si le passé, en effet, qui par hypothèse n’agit plus, peut subsister à l’état de sensation faible, c’est donc qu’il y a des sensations impuissantes.
Dans la seconde, ce serait une réalité aussi solide que ces sensations mêmes, quoique d’un autre ordre. […] Ainsi, des sensations inextensives resteront ce qu’elles sont, sensations inextensives, si rien ne s’y ajoute. […] Si nous affirmons que c’est toujours la même sensation, c’est que nous songeons, non à la sensation même, mais à sa cause objective, située dans l’espace. […] Cette influence du langage sur la sensation est plus profonde qu’on ne le pense généralement. Non seulement le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation éprouvée.
La difficulté qu’éprouvent la plupart des philosophes contemporains à construire la conscience et la mémoire avec des sensations vient de ce qu’ils supposent ainsi des sensations tout instantanées, se succédant une par une. […] Au moment même où j’ai la sensation A, j’ai l’image-souvenir de la sensation B ; de là la perception d’un rapport de succession. […] En général, je discerne la sensation croissante et la sensation évanouissante, parce que les images des sensations successives, les unes de plus en plus vives, les autres de plus en plus faibles, subsistent dans ma mémoire en formant des séries inverses. […] Une sensation, nous l’avons vu, peut être éprouvée sans représentation du temps. […] L’intuition d’une forme des sensations prétendue pure n’est elle-même qu’une image des sensations à l’état vague et confus.
De ce principe que les choses ne sont qu’en tant que sensations, que rien n’existe si ce n’est des sensations, que la vie est une suite de sensations, de ce principe (évident, quelles que soient les métaphysiques, quelles que soient les théologies qu’on y joigne ou qu’on y insère) toute dialectique doit descendre ; l’homme, étant d’essence sensationnel, vivant de sensations, est nécessairement besogneux de sensations, et, besogneux de sensations, il veut les séries sensationnelles plus intenses ; or, une série sensationnelle sera plus intense si elle est plus homogène, c’est-à-dire si, parmi les sensations qui la composent, les sensations du même ordre logique admettent l’entremêlement d’un moins grand nombre de sensations d’un ordre logique différent. Dans la suite de sensations qu’est la vie, à côté de l’ensemble de sensations hétérogènes qu’est la réalité, — créer des séries sensationnelles plus homogènes, donc plus intenses, c’est le but de l’art. […] quel est, nous demandons-nous, le rapport des sons aux sensations qu’ils engendrent ? […] Prodigieuses sensations, les siennes, à contempler et à vivre le monde haletant après le mieux ! Et comment, artiste, sentait-il ces sensations ?
Et de fait, c’est la sensation transformée de Condillac qui est le fond du livre de Taine. […] En effet, la sensation transformée, c’était tout l’homme dans Condillac, mais dans Taine, l’homme n’est que la possibilité de cette sensation. […] que des possibilités de sensation et d’image. […] — il la fait tinter ; et voilà la sensation. » Ainsi, nous ne sommes en réalité que des possibilités de sonnettes (quelle destinée, ô hommes fiers !) […] Mais, philosophiquement, je n’ai qu’à examiner le principe premier de Taine, qui est la sensation, quoi qu’elle devienne.
Ainsi cette lumière sentie est toute subjective ; elle n’existe que par le sujet sentant, et en lui ; elle est déjà une sensation consciente — et — à quelque degré — une idée. […] — Mais, dira-t-on, la sensation de lumière est au moins un phénomène nerveux, un phénomène cérébral. […] On a bien raison d’assimiler le rapport des vibrations du cerveau à la pensée et celui des vibrations de l’éther à la sensation lumineuse, car c’est une seule et même chose, la sensation étant déjà une pensée. […] Une certaine cause externe, dont la nature échappe à nos sens, produit sur nos organes un certain effet que l’on appelle la sensation de chaleur, et par suite on a donné le nom de chaleur à la cause qui produit cet effet ; mais cette cause est très-différente de la sensation qu’elle produit. Le feu n’a pas chaud, la glace n’a pas froid ; on dit que l’un est chaud et que l’autre est froide, parce qu’ils sont l’un et l’autre cause de ces deux sensations contraires.
Les sensations d’autrui seront pour nous un monde éternellement fermé. […] Supposons qu’une cerise et un coquelicot produisent sur moi la sensation A et sur lui la sensation B et qu’au contraire une feuille produise sur moi la sensation B et sur lui la sensation A. Il est clair que nous n’en saurons jamais rien ; puisque j’appellerai rouge la sensation A et vert la sensation B, tandis que lui appellera la première vert et la seconde rouge. En revanche ce que nous pourrons constater c’est que, pour lui comme pour moi, la cerise et le coquelicot produisent la même sensation, puisqu’il donne le même nom aux sensations qu’il éprouve et que je fais de même. […] Mais il n’en est pas de même des relations entre ces sensations.
De plus, elle entraîne ou tend à provoquer des mouvements analogues à ceux de la sensation. Parfois l’image suit immédiatement la sensation et se produit dans l’organe même du sens. […] Même dans la sensation, une différence d’intensité entraîne toujours avec elle une différence de qualité, à plus forte raison quand on passe de la sensation à l’image. […] Pour avoir la seconde base et l’intérieur de la mémoire, qui en est vraiment l’essentiel, il faut donc ajouter au mouvement : 1° la sensation ou le germe de la sensation ; 2° la réaction appétitive, intellectuelle et motrice qui en est inséparable. […] Les états de conscience primitifs sont donc ou des actes ou des sensations, et les émotions sont des intermédiaires.
L’opposition de ces deux termes, moi et non-moi, sujet et objet, esprit et matière, se réduit à l’opposition de la sensation considérée subjectivement, et de la sensation considérée objectivement. Il y a, d’une part, la série des états de conscience (dont la sensation fait partie) qui est le sujet de la sensation ; et, d’autre part, le groupe de possibilité permanente de sensation, en partie réalisé dans la sensation actuelle, et qui est l’objet de la sensation. […] Dans ce groupe de possibilités permanentes de sensation que nous appelons objet, la possibilité permanente de sensations tactiles et musculaires forme un groupe dans le groupe, une sorte de noyau intérieur, conçu comme plus fondamental que le reste, et dont toutes les autres possibilités de sensation renfermées dans le groupe semblent dépendre. […] Par l’association, nos sensations de toucher sont devenues représentatives des sensations de résistance, avec lesquelles elles coexistent habituellement ; comme les diverses nuances de couleurs et les sensations musculaires, qui accompagnent les divers mouvements de l’œil, deviennent représentatifs des sensations de toucher et de locomotion. […] La sensation de mouvement musculaire, non empêché, constitue notre notion de l’espace vide ; la sensation de mouvement musculaire empêché, notre notion de l’espace plein ou de l’étendue.
La contraction est le premier mouvement qui suive la sensation pénible. […] Vous considérez attentivement cette sensation délicieuse ; momentanément les autres sensations s’effacent sous sa prépondérance ; vous avez du plaisir à ne considérer qu’elle et à oublier le reste. […] Jouffroy entend cet agrément de la sensation proprement dite et de toutes les idées suggérées par elle. […] Cette joie et cet épanouissement n’étant que la sensation et les idées en tant qu’agréables, il est aussi impossible d’omettre quand on les décrit, la sensation et les idées qu’il est impossible, quand on décrit les mouvements de l’estomac, de faire abstraction de l’estomac. […] Que l’objet excite une sensation dans notre main froissée, et qu’à la suite de la sensation nous concevons et affirmons l’objet.
. — Toute sensation est une sensation de mouvement, et tout sensation de mouvement provoque un mouvement sympathique—. […] Au fond, il n’y a que des sensations de mouvement, et, dans toute sensation de mouvement, on peut voir une imitation plus ou moins élémentaire du mouvement perçu. […] Féré, toute sensation, est suivie d’une augmentation de nos forces nerveuses. […] Une sensation ou un sentiment simple ne saurait guère être esthétique, tandis qu’il est peu de sentiments et de sensations, quelle que soit leur humble origine, qui ne puissent prendre un sens esthétique en se combinant harmonieusement l’un avec l’autre dans la conscience, alors même que chacun pris à part est étranger au domaine de l’art. […] Vous respirez, en marchant, un parfum de réséda, et vous n’éprouvez guère qu’une sensation agréable.
Nous devons ces idées à diverses sensations parmi lesquelles il faut compter avant tout celles dues au toucher et à faction musculaire. La sensation ou les sensations que nous marquons par le mot résistant, semblent être les seules qui soient connotées par le mot étendu. […] Mais chez l’aveugle-né, il n’existe que la sensation des qualités tactiles, c’est-à-dire de la résistance. […] Cette idée nous vient, comme celle d’étendue, des sensations musculaires et tactiles. […] Cette action implique certaines sensations ; je les combine avec l’objet et avec mon doigt, et j’ai ainsi deux idées : objet étendu, doigt mû.
Alors, profitant de ce que la sensation affective n’est que vaguement localisée (à cause de la confusion de l’effort qu’elle enveloppe), on la déclare tout de suite inextensive ; et on fait de ces affections diminuées ou sensations inextensives les matériaux avec lesquels nous construirions des images dans l’espace. […] Notre passé est au contraire ce qui n’agit plus, mais pourrait agir, ce qui agira en s’insérant dans une sensation présente dont il empruntera la vitalité. […] C’est en la subtilisant au contraire, c’est en la faisant tour à tour dissoudre en sensations affectives et évaporer en contrefaçons des idées pures, que nous obtenons ces sensations inextensives avec lesquelles nous cherchons vainement ensuite à reconstituer des images. […] Il érige ainsi, à l’une des extrémités, une étendue indéfiniment divisible, à l’autre des sensations absolument inextensives. […] Il serait cette même sensation diluée, répartie sur un nombre infiniment plus grand de moments, cette même sensation vibrant, comme nous disions, à l’intérieur de sa chrysalide.
Mais, sous un autre rapport, il y a sentiment d’impuissance à réaliser pleinement, par le moyen d’une pure idée, les sensations et émotions de plaisir attachées au jeu. Il ne suffit pas à l’enfant de se représenter la corde et le saut pour actualiser pleinement les sensations que produirait la corde enveloppant le corps de son cercle mouvant, ni l’ivresse attachée à ces sensations. […] En un mot. puissante pour réaliser le mouvement, l’idée est impuissante pour réaliser les sensations ; elle produit donc à la fois : 1° un sentiment vif de puissance pour la réalisation des mouvements, 2° un sentiment vif d’impuissance pour la réalisation des sensations : il en résulte une puissance arrêtée, contrariée, donc effort et peine. […] Au moment où un éclair jaillit de la nue, nous avons beau regarder dans notre conscience, nous n’y trouvons rien qui explique pourquoi nous avons la sensation de lumière soudaine. C’est précisément pour cela que nous objectivons les sensations, que nous prolongeons hors de notre conscience la série qui y fait irruption tout d’un coup.
Quand mes yeux me donnent la sensation d’un mouvement, cette sensation est une réalité, et quelque chose se passe effectivement, soit qu’un objet se déplace à mes yeux, soit que mes yeux se meuvent devant l’objet. […] Comme il ne voit dans les qualités sensibles que des sensations, et dans les sensations elles-mêmes que des états d’âme, il ne trouve rien, dans les qualités diverses, qui puisse fonder le parallélisme de leurs phénomènes : force lui est donc bien d’expliquer ce parallélisme par une habitude, qui fait que les perceptions actuelles de la vue, par exemple, nous suggèrent des sensations possibles du toucher. […] Pour le réalisme vulgaire, c’est dans un espace distinct des sensations que se trouverait le principe de la correspondance des sensations entre elles ; mais cette doctrine recule la difficulté et même l’aggrave, car il faudra qu’elle nous dise comment un système de mouvements homogènes dans l’espace évoque des sensations diverses qui n’ont aucun rapport avec eux. […] Toutes les sensations participent de l’étendue ; toutes poussent dans l’étendue des racines plus ou moins profondes ; et les difficultés du réalisme vulgaire viennent de ce que, la parenté des sensations entre elles ayant été extraite et posée à part sous forme d’espace indéfini et vide, nous ne voyons plus ni comment ces sensations participent de l’étendue ni comment elles se correspondent entre elles. […] De là l’hypothèse d’une conscience avec des sensations inextensives, placée en face d’une multiplicité étendue.
Toutes nos sensations sont agréables, désagréables ou indifférentes. […] La médecine amère que j’avale est la cause immédiate ou prochaine de ma sensation de dégoût. […] Nous avons vu que toutes les sensations peuvent être conservées et reproduites par l’esprit et que ces reproductions mentales des sensations s’appellent idées. […] Les sensations agréables ou désagréables et les idées de ces sensations ne sont pas seulement actuelles. […] Une sensation agréable ou l’idée de cette sensation, jointe à l’idée de la cause qui la produit, engendre pour cette cause de l’affection ou amour.
De plus, ajouterons-nous, le groupe général et en même temps fortement centralisé dans lequel vient finalement se classer toute sensation, c’est le moi. […] Wundt lui-même nous paraît opposer à l’excès l’aperception libre et les lois mécaniques qui associent nécessairement les sensations entre elles. […] Au reste, nous avons l’habitude de grouper toujours nos sensations, parce que c’est pour nous une économie de force et d’attention. […] Nous ne savons pas même sur lequel de nos yeux tombe une image, jusqu’à ce que nous ayons appris à discerner la sensation locale propre à chaque œil ; aussi peut-on, depuis des années, être aveugle d’un œil et ne pas le savoir. […] Nullement ; dans le chaos des sensations, notre appétit réagit nécessairement à l’égard de celles qui ont pour nous de l’agrément ou de l’utilité, ou qui sont en elles-mêmes plus intenses et distinctes.
. — L’art ne recherche pas seulement la sensation. — Il cherche l’expression de la vie […] Si l’art était ramené à ce seul but, produire des sensations agréables, son domaine serait relativement limité et ses lois beaucoup plus fixes. En effet, le caractère agréable ou désagréable des sensations est réglé par des lois ne serait scientifiques qu’il pas impossible de déterminer un jour. […] Ni dans l’art ni dans la vie réelle la beauté n’est une pure question de sensation et de forme. […] La masse des sensations humaines et des sentiments simples est sensiblement la même à travers la durée et l’espace.
D’ordinaire, les philosophes lui donnent la place principale et une place tout à fait distincte. « J’éprouve des sensations, disent-ils, j’ai des souvenirs, j’assemble des images et des idées, je perçois et conçois des objets extérieurs. Ce je ou moi, unique, persistant, toujours le même, est autre chose que mes sensations, souvenirs, images, idées, perceptions, conceptions, qui sont diverses et passagères. […] Il ne reste de nous que nos événements, sensations, images, souvenirs, idées, résolutions : ce sont eux qui constituent notre être ; et l’analyse de nos jugements les plus élémentaires montre, en effet, que notre moi n’a pas d’autres éléments. Soit une sensation de saveur, puis une douleur dans la jambe, puis le souvenir d’un concert. […] Donc le verbe énonce ici que la sensation de saveur, la souffrance, le souvenir du concert sont des éléments, des fragments, des extraits du moi.
S’il met en scène des personnages que leur manque de culture rend incapables d’observations minutieuses, dont les yeux rudimentaires ne savent point voir ; il intervient, décrit en personne, sensation par sensation, les tableaux que ces obtus spectateurs contemplent, et marque ensuite en réaliste exact le peu d’intérêt qu’éveille chez eux ce spectacle inaperçu. […] Dans l’effort pour rendre toutes les sensations dont les choses affectent ses appareils sensoriels et cérébraux, M. […] Il a d’admirables trouvailles de mots ; par l’appariement des paroles, il sait rendre la nature du choc nerveux brusque ou lent, dont l’affectent ses sensations. […] Elle est le produit dernier et la preuve de cette faculté réceptive que nous avons constatée ; elle est la sensation même absorbée, élaborée dans l’intelligence, et projetée au dehors telle quelle. […] A d’imparfaites sensations naturelles sont subtitués d’indirects et subtils artifices.
Elle consiste en un courant continu de sensations, idées, volitions, sentiments, etc. […] Le seul fait psychologique, primitif et irréductible, est la sensation. Nos diverses sensations peuvent se classer en sept groupes principaux : 1° sensations musculaires ; elles nous informent de la nature et du degré d’effort de nos muscles. Ces sensations, d’un caractère très général et les premières dans l’ordre chronologique, forment comme un genre à part ; 2° sensations organiques qui nous révèlent le bon ou le mauvais état de nos organes internes ; 3° goût ; 4° odorat ; 5° toucher ; 6° ouïe ; 7° vue. Les sensations de ce dernier groupe sont les plus élevées et les plus importantes ; seules avec les sensations de l’ouïe, elles ont un caractère esthétique.
Des sensations de douleur et de plaisir affectant le moi, transformées par le moi en perceptions, situées par le moi dans l’espace et dans le temps, voici toute la substance de l’univers. […] Le monde objectif tout entier sort ainsi du fait confus de la sensation, enfanté par ce labeur d’artiste et de poète qui transforme en couleurs, en sons, en odeurs, en résistances et en contacts ce phénomène indistinct et solitaire. […] La raison d’être de l’activité du moi s’exprimerait en une formule de pur intellectualisme : transmuer la sensation en perception, transformer en spectacles des émotions. […] Sous ces deux aspects, un même but est envisagé : il s’agit de réaliser un état de contentement, avec la sensation comme moyen et comme matière première. Sous le premier aspect, ce contentement est recherché dans un assouvissement immédiat de la sensation.
Il ne faut pas confondre le réflexe psychique, qui suppose une sensation et émotion plus ou moins conscientes, avec les réflexes purement mécaniques, où il n’y a plus aucune sensation appréciable. […] À l’origine, la perception remplaçant la sensation provoquait le même appétit déterminé que la sensation même, en vertu de cette loi que le souvenir est une sensation renaissante inséparable d’impulsions renaissantes. […] Cette proposition signifie : j’ai la représentation d’une multiplicité indéfinie d’épines et la représentation de leur similitude, grâce à la similitude des sensations qu’elles causent ; en même temps j’esquisse, en pensée et en parole, le mouvement de réaction à l’opposé de l’objet, sous le souvenir de la sensation pénible associée à l’image de l’épine. Ce jugement en apparence tout contemplatif est donc encore le résidu et le début interne des mouvements de réaction causés primitivement par la sensation même de la piqûre. […] En réalité, c’est toujours un ensemble de phénomènes mécaniques auxquels répondent en nous des sensations différentes.
Tous trois sont en réalité formés d’un élément simple et commun : la Sensation. […] Les sensations deviennent alors des Notions : l’âme pense, après avoir senti. […] La sensation est le mode initial : les premiers arts eurent donc pour objet la sensation. […] Les premiers artistes n’ont donc pas eu besoin de recréer, au moyen d’artifices spéciaux, les diverses sensations ; assez leur a été, pour cette fin, de faire naître les sensations visuelles. L’art des sensations a, dès le début, été l’art plastique de la Vue.
Nous estimons que ce serait en étendre le sens d’une façon abusive que de l’appliquer à tous les échos de la sensation, même aux plus éloignés et aux plus affaiblis. […] Les psychologues n’ont pu s’entendre jusqu’à présent pour désigner par une locution simple et désormais consacrée la reproduction, avec ou sans changement, des diverses sensations ou des groupes qu’elles forment naturellement. […] Classification des images ; caractères distinctifs de la parole intérieure Le genre des images ou des pseudo-sensations peut être divisé de plusieurs manières : A. — Selon la nature des sensations reproduites, il comprend : 1° Les images proprement dites, ou images visuelles ; 2°Les sons intérieurs, qui se divisent en : paroles intérieures, autres sons ; 3° On peut réunir dans une même subdivision les images des autres sensations, sensations de l’odorat, du goût, du toucher, du sens musculaire, du sens vital, qui sont toujours plus ou moins mêlées les unes aux autres. […] C. — Tantôt les images coexistent avec les sensations : appelées par celles-ci, elles servent à les interpréter ; — tantôt elles sont indépendantes des sensations ; elles peuvent même attirer à elles toute l’attention et annihiler la sensation [ch. […] II, p. 299 et suiv. : « Les sensations de l’ouïe n’indiquent ni un objet ni un lieu spécial.
Après ce sentiment malheureux et sublime qui fait dépendre d’un seul objet le destin de notre vie, je vais parler d’une sorte de passions qui soumettent l’homme au joug des sensations égoïstes. […] Il est, et je tâcherai de le prouver dans la troisième partie de cet ouvrage, il est des distractions utiles et constantes pour l’homme qui sait se dominer ; mais la foule des êtres passionnés, qui veulent échapper à leur ennemi commun, la sensation douloureuse de la vie, se précipitent dans une ivresse qui, confondant les objets, fait disparaître la réalité de tout. […] Dans le tumulte et la succession rapide des sensations qui s’emparent d’une âme violemment émue, le danger, même sans but, est un plaisir pendant la durée de l’action. […] La plupart des hommes cherchent donc à trouver le bonheur dans l’émotion, c’est-à-dire, dans une sensation rapide, qui gâte un long avenir : d’autres se livrent par calcul, et surtout par caractère à la personnalité ; mécontents de leurs relations avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes, et ils ne savent pas que ce n’est pas seulement de la nature du joug, mais de la dépendance en elle-même que naît le malheur de l’homme. […] Il y a tant d’incertitude dans ce qu’on désire, de dégoût dans ce qu’on éprouve, qu’on ne peut concevoir comment on aurait le courage d’agir, si ses actions retournant à ses sensations, et ses sensations à ses actions, on savait si positivement le prix de ce qu’on fait, la récompense de ses efforts.
La parole intérieure est une image simple, une image purement sonore ; de même, la parole extérieure d’autrui entendue par nous est une sensation simple, purement sonore ; mais il en est autrement de notre propre parole perçue par notre oreille en même temps qu’elle est produite par nos organes vocaux ; celle-ci est une sensation double, à la fois sonore et tactile, ou, pour mieux dire, un couple de sensations. […] Nous ne retrouvons pas dans la parole intérieur l’image de cette dernière sensation ; quand nous ne parlons que des lèvres [ch. […] Beaucoup plus fragile est l’image de cette sensation. […] Nous arrivons maintenant à un dernier caractère, tout différent des précédents, à une association d’idées tout autre que l’association d’une sensation à une autre sensation ou d’une image à une autre image. […] La localisation de la pensée dans la tête ne peut s’expliquer que par l’association de la pensée avec une sensation localisée, ou périodique ou constante ; reste à déterminer quelle est cette sensation.
Du fond incohérent et discordant des sensations et sentiments individuels, l’art dégage un ensemble de sensations et de sentiments qui peuvent retentir chez tous à la fois ou chez un grand nombre, qui peuvent ainsi donner lieu à une association de jouissances. […] Comme la métaphysique, comme la morale, l’art enlève donc l’individu à sa vie propre pour le faire vivre de la vie universelle, non plus seulement par la communion des idées et croyances, ou par la communion des volontés et actions, mais par la communion même des sensations et sentiments. […] En premier lieu, il faut que les sensations et sentiments dont l’art produit l’identité dans tout un groupe d’individus soient eux-mêmes de la nature la plus élevée ; en d’autres termes, il faut produire la sympathie des sensations et sentiments supérieurs. […] Selon Guyau, le moyen de renouveler et de rajeunir l’art, c’est d’introduire sous les sentiments mêmes les idées, car l’idée est nécessaire à l’émotion et à la sensation pour les empêcher d’être banales et usées. « L’émotion est toujours neuve, prétend V. […] Selon lui, le réalisme bien entendu ne cherche pas à agir sur nous par une « sensation directe », mais par l’éveil de « sentiments sympathiques ».
Ainsi s’est produite à la longue l’antithèse souvent remarquée de la sensation et de la perception. […] « Un coup violent au pied détermine d’abord une sensation de contact et, quelques dixièmes de seconde après, la douleur. » Ainsi la douleur, dit M. Richet, est en retard sur la sensation simple. […] Il n’en résulte pas qu’à l’origine le plaisir et la douleur n’aient pas été antérieurs à tout le système télégraphique, fort compliqué, qui produit aujourd’hui ces sensations rapides ; le caractère affectif de ces sensations ne se révèle qu’ensuite, par leur retentissement général et leurs conséquences finales. […] Chez les animaux les plus primitifs, rien n’indique qu’il y eût des organes de sensation fonctionnant ainsi en avance sur le plaisir et la douleur.
Le premier aspect de ta vie est la Sensation : la première forme de l’Art fut la forme plastique, recréant les sensations. […] Les ressemblances des sensations décroissent ; les différences sont mieux perçues, à mesure que les sensations se répètent. […] Ces premiers romantiques, éblouis par les sensations neuves, n’avaient guère pu encore se faire un sens du réel : toutes les sensations leur paraissaient possibles : ils ne craignirent pas une vie artistique faite d’aventures. […] Il vit l’univers comme un ensemble de sensations : mais il reconnut impossible une recréation artistique de sensations non ordinairement perçues dans la vie réelle. […] Et nul littérateur n’a eu, autant que celui-ci, l’algue et précise notion des sensations diverses.
Transporté jusqu’à l’extase par l’harmonieuse beauté de la sensation, il rêve de la garder, pour cela s’efforce de la noter. […] Ainsi considérée comme la transfiguration complète de la sensation, l’idée est bien l’œuvre d’art, parce qu’elle est sa cause finale. […] À chaque ordre de sensations esthétiques répondit un art résonateur. Par là encore, le milieu, qui déjà fournit la sensation, commande indirectement l’instrument qui seul la peut rendre, l’art qui lui est adéquat. […] La vie en société est le seul domaine où l’artiste puisse trouver des sensations dont l’expression naturelle soit l’œuvre d’art dramatique.
Transporté jusqu’à l’extase par l’harmonieuse beauté de la sensation, il rêve de la garder, pour cela s’efforce de la noter. […] Ainsi considérée comme la transfiguration complète de la sensation, l’idée est bien l’œuvre d’art, parce qu’elle est sa cause finale. […] À chaque ordre de sensations esthétiques répondit un art résonnateur. Par là encore, le milieu, qui déjà fournit la sensation, commande indirectement l’instrument qui seul la peut rendre, l’art qui lui est adéquat. […] La vie en société est le seul domaine où l’artiste puisse trouver des sensations dont l’expression naturelle soit l’œuvre d’art dramatique.
Prenez une sensation intense et faites-la décroître progressivement jusqu’à zéro. S’il n’y a entre le souvenir de la sensation et la sensation elle-même qu’une différence de degré, la sensation deviendra souvenir avant de s’éteindre. […] Le souvenir d’une sensation est chose capable de suggérer cette sensation, je veux dire de la faire renaître, faible d’abord, plus forte ensuite, de plus en plus forte à mesure que l’attention se fixe davantage sur elle. […] Mais la suggestion n’est à aucun degré ce qu’elle suggère, le souvenir pur d’une sensation ou d’une perception n’est à aucun degré la sensation ou la perception mêmes. […] GRASSET, La sensation du « déjà vu », Journal de Psychologie, janvier 1904, pp. 17-27.
À s’aimer, en s’aimant la Matière devient : qui intégrale et possessoirement ne s’aimera, que si, des phénomènes d’attraction, elle tend à prendre sensation d’elle-même, et, en se sentant, se pense, et, en se pensant, intégrale se sait. […] Il nous paraîtrait oiseux d’insister sur l’origine émotive du son-articulé, et encore de le montrer appliqué primitivement à exprimer les sensations perçues et les phénomènes extérieurs, ainsi qu’en les décrivant. De même qu’entre le geste muet et l’émotion l’analogie se dénonce, de même les sensations de douleur, de plaisir, de stupeur, de quiétude, se traduiront en la sorte de geste sonore qu’est, en première parole, le son guttural. […] La sensation de glissement gît en le son de « l », qui, uni au son « gh » (sensation de heurt et d’arrêt) exprime une idée de visqueux. […] L’exception imprudemment dite, un temps, pathologique, de percevoir en même temps que de son une sensation de couleur, — peut-être vient-elle à se généraliser et à l’état normal des individus.
Notre idée d’un corps ne comprend pas autre chose : nous ne connaissons de lui que les sensations qu’il excite en nous ; nous le déterminons par l’espèce, le nombre et l’ordre de ces sensations ; nous ne savons rien de sa nature intime, ou s’il en a une, nous affirmons simplement qu’il est la cause inconnue de ces sensations. Quand nous disons qu’en l’absence de nos sensations il a duré, nous voulons dire simplement que si, pendant ce temps-là, nous nous étions trouvés à sa portée, nous aurions eu les sensations que nous n’avons pas eues. […] Nous pouvons bien réduire un mouvement à un autre mouvement, mais non la sensation de chaleur à la sensation d’odeur, ou de couleur, ou de son, ni l’une ou l’autre à un mouvement. […] My conception of the table at which I am writing is compounded of its visible form and size, which are complex sensations of sight ; its tangible form and size, which are complex sensations of our organs of touch and of our muscles ; its weight, which is also a sensation of touch and of the muscles ; its colour, which is a sensation of sight ; its hardness, which is a sensation of the muscles ; its composition, which is another word for all the varieties of sensation which we receive under various circumstances from the wood of which it is made ; and so forth. […] A mind does not, indeed, like a body, excite sensations, but it may excite thoughts or emotions.
Notre idée d’un corps ne comprend pas autre chose : nous ne connaissons de lui que les sensations qu’il excite en nous ; nous le déterminons par l’espèce, le nombre et l’ordre de ces sensations ; nous ne savons rien de sa nature intime, ou s’il en a une ; nous affirmons simplement qu’il est la cause inconnue de ces sensations. Quand nous disons qu’en l’absence de nos sensations il a duré, nous voulons dire simplement que si, pendant ce temps-là, nous nous étions trouvés à sa portée, nous aurions eu les sensations que nous n’avons pas eues. […] Nous pouvons bien admettre qu’il y a en nous une âme, un moi, un sujet ou « récipient » des sensations et de nos autres façons d’être, distinct de ces sensations et de nos autres façons d’être ; mais nous n’en connaissons rien. […] Nous pouvons bien réduire un mouvement à un autre mouvement, mais non la sensation de chaleur à la sensation d’odeur, ou de couleur, ou de son, ni l’une ou l’autre à un mouvement. […] My conception of the table at which I am writing is compounded of its visible form and size, which are complex sensations of sight ; its tangible form and size, which are complex sensations of our organs of touch and of our muscles ; its weight, which is also a sensation of touch and of the muscles ; its colour, which is a sensation of sight ; its hardness, which is a sensation of the muscles ; its composition, which is another word for all the varieties of sensation which we receive under various circumstances from the wood of which it is made ; and so forth.
En poésie, les rimes sont comme les deux pôles d’une sensation ; il s’agit d’enfermer entre deux rimes une sensation : trouver le mot musical qui l’évoque, et le motif qui le prolonge sur le clavier de nos nerfs. Nous restituer la sensation même, la vibration nerveuse, c’est ce que doit faire la poésie. […] Mais Marie Dauguet est trop païenne pour se tromper et transporter ses sensations dans un infini invérifiable. […] Pour que nos sensations odorales puissent s’ordonner, se classer, il faudrait qu’elles s’intellectualisassent, se fissent en nous « désintéressées » comme nos sensations auditives, que l’art a faites musicales. […] Elle trouve une sensualité intellectuelle dans cet aristocratisme de la sensation et du sentiment.
Personne une, individuelle et libre, je ne suis pour moi-même ni un pur abstrait, ni un assemblage de sensations, quand j’aperçois et juge la sensation, quand je fais sa part et la mienne propre19. » Et cent autres phrases pareilles. […] M. de Biran l’a été jusqu’à soutenir qu’il aperçoit la force, exactement comme on aperçoit le plaisir ou toute autre sensation. […] Son objet n’est point la contraction du muscle, mais la sensation musculaire. […] Il faut aussi que par des comparaisons nombreuses vous ayez distingué cette sensation de tous les autres, et que vous en considériez l’idée précise. Il faut enfin que vous vouliez éprouver cette sensation ; ce n’est point le mouvement qui est l’objet propre de votre volonté, c’est elle.
Le vers est pour lui une forme d’art, ayant sa beauté propre, et traduisant d’une certaine façon en sensations de l’oreille le caractère de l’idée. […] On a tort de croire que l’imagination ait manqué à Boileau ; il a du moins celle-là, qui n’est que souvenir et rappel des sensations anciennes. […] Ce n’est pas procédé de littérateur rompu au métier d’écrivain : c’est vraiment vision, sensation présente ou ravivée. […] Représentez-vous sa vie, et vous concevrez de quelles sensations premières était faite l’étoffe où il taillait ses ouvrages. […] Il était né pour faire des vers sonores et colorés, notations d’images et de sensations physiques.
Supposez qu’un art fût assez puissant pour éveiller des sensations olfactives : il serait contraint à en éveiller d’exclusivement agréables ; ainsi en est-il, à un moindre degré, pour les arts qui provoquent des sensations visuelles intenses ; ils peuvent même réveiller par association une foule de sensations olfactives, tactiles, etc. ; aussi ces arts sont-ils forcés d’être beaucoup plus réservés dans leurs représentations. […] De même que le souvenir est un prolongement de la sensation, l’imagination en est un commencement, une ébauche. […] c’est le souvenir, — c’est-à-dire tout simplement la persistance d’une même sensation ou d’un même sentiment sous les autres. […] Ils obtiennent la réalité de la perception par la force de la sensation. […] Décrire, c’est faire revivre pour chacun de nous quelque chose de sa vie, non pas lui apporter des sensations entièrement nouvelles et étrangères.
Le schème imaginatif, composé de quelques sensations musculaires naissantes, n’était qu’une esquisse. Les sensations musculaires réellement et complètement éprouvées lui donnent la couleur et la vie. […] Impuissant, il emprunte sa vie et sa force à la sensation présente où il se matérialise. […] Nous n’avons toujours là que des sensations élémentaires. […] En d’autres termes, l’image virtuelle évolue vers la sensation virtuelle, et la sensation virtuelle vers le mouvement réel : ce mouvement, en se réalisant, réalise à la fois la sensation dont il serait le prolongement naturel et l’image qui a voulu faire corps avec la sensation.
Elle revient, en effet, à dire que notre structure mentale a son origine uniquement dans des sensations associées, qui ont constitué l’expérience ancestrale. […] D’abord, elle tient compte seulement de la sensation, non des autres fonctions mentales, — émotion et volition, — avec la réaction qu’elles entraînent. […] Sensation et réaction motrice, c’est-à-dire volonté, voilà le fond de la vie. […] Si je vois une flamme semblable à la première, le fait même que j’éprouve une sensation similaire implique logiquement une similarité dans les causes. […] Ce qui nous est permis, c’est de transporter dans la nature, par une hypothèse a posteriori, quelque chose d’analogue à nos sensations et appétitions, et de supposer que tout phénomène a ainsi, outre une face extérieure par laquelle il est mouvement, un fond intérieur par lequel il est sensation et appétition.
Dans la sensation particulière que le morceau me donne, j’isolerai pourtant de quoi former l’idée générale du désert (assez vide, assez désolé, etc. ; soleil, étendue, solitude). […] Enfin dans les deux descriptions j’apercevrai, non pas deux procédés seulement, ni deux arts, mais deux siècles et deux hommes : d’un côté, l’esprit lettré, l’orateur, qui raisonne sa sensation et ne conçoit rien que de triste hors des conditions du monde civilisé et de la vie de société ; de l’autre, le critique, l’artiste, capable de prendre tour à tour l’âme de tous les peuples, acceptant la sensation étrange et même illogique, habile à saisir la beauté dans les moins riants aspects de la nature, dans l’égalité monotone de la lumière. […] L’œil de l’artiste exercé peut seul s’offrir à l’impression directe de la nature, sans que la préoccupation du travail à faire altère en lui la sincérité de la sensation. […] Mais où la vraie difficulté commence, c’est pour décrire une sensation, une passion, un état d’âme que l’on n’a point ressenti soi-même. […] Tout cela veut dire : Levine était joyeux ; mais, à cette sèche indication, l’écrivain substitue une riche analyse, qui montre la révolution produite par la joie dans tout le domaine de l’intelligence et de la sensation.
Pour le savoir, analysons plus intimement la nature de la sensation. […] Considérons d’abord les sensations de chaud et de froid, qui semblent si étrangères à la beauté. […] C’est un accord, une harmonie entre les sensations, les pensées et les sentiments. […] On ajoute, il est vrai, que cette sensation doit être originale : une sensation originale en présence des choses, tel est, dit lui-même M. […] V. plus loin notre analyse des sensations du tact, du goût, etc.
Dans ces exemples, l’interprétation des sensations se fait tout de suite par des mouvements. […] Il ne peut le faire qu’en évoquant une à une les représentations de ces sensations ou, pour parler comme Bastian, les « images kinesthésiques » des mouvements partiels, élémentaires, composant le mouvement total : ces souvenirs de sensations motrices, à mesure qu’ils se revivifient, se convertissent en sensations motrices réelles et par conséquent en mouvements exécutés. […] La psychologie contemporaine incline à résoudre en sensations périphériques tout ce qu’il y a d’affectif dans l’affection. […] Il suffirait d’admettre que le jeu de sensations répond au jeu de représentations et lui fait écho, pour ainsi dire, dans un autre ton. […] Les sensations caractéristiques de l’effort intellectuel exprimeraient cette suspension et cette inquiétude mêmes.
Pour les sensations visuelles on aura par exemple une sensation rouge et une autre bleue. […] Cette connaissance est la sensation. […] La sensation, de sa nature est subjective. […] Ainsi Stuart Mill appelle ces sensations sensations possibles. […] J’entre et j’ai la sensation D.
Ce n’est pas parce que la sensation du tonnerre suit dans le temps la sensation d’éclair qu’elle la suit dans la conscience, mais parce que le centre cérébral où se produit une vibration due à l’éclair est en communication, dans l’espace, avec le conduit auditif où le tonnerre produit une vibration. […] Les deux cortèges de contiguïtés différentes, les unes constituant des sensations actuelles, les autres des images de sensations passées, se superposent imparfaitement et donnent l’impression finale de dissemblance dans la ressemblance. […] De là cette loi : Les sensations actuelles sont d’autant moins exclusives des idées ou souvenirs, comme aussi des autres sensations, qu’elles sont plus riches en relations : ainsi les sensations visuelles, les plus riches de toutes, les plus complexes et les plus intellectuelles, sont aussi celles qui excluent le moins les autres représentations simultanées, parce que leur complexité même leur permet de rester en relation avec d’autres représentations produites par d’autres régions cérébrales. […] Cette conscience suppose une réaction de la volonté et de l’intelligence par rapport aux sensations qui nous arrivent, et cette réaction, sur laquelle nous devons maintenant insister, est un facteur important de la synthèse mentale. […] Ce lien est psychologique et physiologique tout ensemble, car la réaction intellectuelle est en même temps une réaction cérébrale, une répétition systématisée des sensations par les cellules grises de l’écorce.
À son avis, la connaissance du monde extérieur se fait ainsi : quand nos nerfs sont ébranlés par un contact extérieur quelconque, nous éprouvons des sensations. Si c’est une sensation du toucher, nous concevons hors de nous la substance solide et étendue, et nous affirmons qu’elle existe, qu’elle existait avant notre sensation, qu’elle continuera d’exister après notre sensation, qu’elle est la cause de notre sensation. […] vous prouvez que la destruction des hémisphères cérébraux détruit la mémoire, les instincts, le raisonnement, sans abolir la vie ni les sensations brutes ! […] L’analyse, le raisonnement, l’expérience, là-dessus tout est d’accord : qu’on me pardonne d’indiquer et d’effleurer ce qu’il faudrait démontrer et établir : — La perception extérieure est précédée d’une sensation ; mais toute sensation, maladive ou saine, spontanée ou forcée, née au dedans ou causée par le dehors11, suscite le simulacre d’un objet extérieur qui paraît réel. […] Quelle force les forme, les accommode à la nature des objets extérieurs, les enchaîne entre eux, les attache à la sensation ?
Les états de conscience venant de la périphérie peuvent eux-mêmes être distingués en deux groupes : les sensations périphériques causées par des actions externes ; les sensations périphériques causées par des actions internes. Bref, nous arrivons à cette classification fondée sur la structure : émotions, sensations externes, sensations internes ; ou, comme s’exprime l’auteur, états de conscience centraux, épipériphériques, entopériphériques. […] Et de même qu’une sensation est une série intégrée de chocs nerveux ; de même l’idée est une série intégrée de sensations semblables. […] Il consiste à ressentir, à un faible degré, un mouvement, une sensation, une impression. […] Mais cette classification implique quelque chose de plus que la sensation actuelle, à savoir des attributs tangibles, une odeur, un goût, une structure intérieure qui, à la suite de la sensation visuelle, ne sont qu’inférés.
Dès lors, il ne peut y avoir irritation d’une partie sans que cette irritation se propage par contagion à toutes les autres : c’est le germe de la sensation diffuse, répandue dans le corps entier. […] Ainsi s’explique, selon nous, l’association des sensations semblables entre elles et celles des sensations avec les sentiments semblables. […] En vertu de la première loi, les sensations analogues s’associent : les sons graves ont une parenté avec les couleurs sombres ; les sons élevés avec les couleurs claires et avec le blanc. […] La même unité foncière explique, selon nous, l’autre grande loi psychologique d’association, qui lie les sensations aux sentiments analogues. […] C’est pour cela aussi que le cerveau sympathise avec les organes, qu’il change en tristesse leur douleur, en sentiment leur sensation ; il leur renvoie sa peine et la reçoit multipliée : une idée triste a bientôt pour cortège des myriades de sensations pénibles, depuis les mouvements du cœur ou de la poitrine jusqu’aux parties les plus superficielles de l’organisme.
Je suis plein du ressouvenir délicieux et triste d’une prodigieuse quantité de sensations très profondes, et j’ai le cœur gros d’un attendrissement universel et vague. […] Et bien a pris à Pierre Loti de passer par la désespérance et la négation absolues ; car, à partir de ce moment, il parcourt le monde sans autre souci que d’y recueillir les sensations les plus fortes ou les plus délicates. […] Tout simplement (il faut toujours y revenir) parce qu’il sent plus profondément que nous et parce que personne ne rend avec plus de sincérité ni plus directement ses sensations, ni ne les arrange moins. […] Et je n’ai pas besoin de dire que ses descriptions ne sont jamais purement extérieures, qu’il note habituellement du même coup la sensation et le sentiment qu’elle suscite en lui, et que ce sentiment est toujours très fort et très triste. […] Le drame, c’est le plus uni et le plus douloureux de tous : le drame unique, éternel, de la séparation des êtres qui s’aiment… Ainsi l’exotisme explique également, dans les romans de Pierre Loti, la nouveauté et l’intensité des sensations, et le caractère universel et largement humain des sentiments.
Nous sommes exposés à une pluralité de sensations ; quand elles s’accordent il y a plaisir ; quand elles se contrarient il y a peine. […] Une grande faiblesse nerveuse prédispose aux sensations par sympathie et aux faits bizarres qui se produisent dans le sommeil magnétique. […] L’étude des sensations auditives, fondée sur l’acoustique comme celle des sensations visuelles sur l’optique, amène à découvrir dans l’un et l’autre cas des harmonies. […] Les émotions et les sensations tendent donc à produire des mouvements corporels, en proportion de leur intensité. […] Les sensations excitent des idées et des émotions ; celles-ci, à leur tour, éveillent d’autres idées et émotions et ainsi de suite ; c’est-à-dire que la tension qui existe dans certains nerfs ou groupes de nerfs, quand ils nous procurent des sensations, idées ou émotions, engendre une tension équivalente dans quelques autres nerfs ou groupes de nerfs avec lesquels ils sont liés.
Le phénomène extérieur et objectif qui constitue le son n’est donc pas identique au phénomène intérieur et subjectif qui constitue la sensation de son. […] Une simple traduction des sensations de son en sensations de la vue ou du toucher : nous nous figurons voir ou sentir un mouvement de va et vient, comme l’onde visible de la mer ou la pulsation tangible du diapason. […] À chaque sensation, ne l’oublions pas, répond une réaction appétitive et motrice, chaque sensation étant le signe et le début d’une action et d’un mouvement. […] Nous ne distinguons la veille du rêve que par l’ordre de causalité régulière établi entre les sensations dans la veille. […] Or, il est clair que le mouvement et la matière, objets particuliers d’expérience, en un mot de sensation et de représentation, ont en eux-mêmes quelque chose d’emprunté à notre sensation et à notre représentation.
Cette recherche de la sensation rare est, si l’on veut bien y prendre garde, une preuve que l’on n’a pas de belles sensations ordinaires ou même que l’on ne sent rien du tout. […] Nous avons observé que Taine n’avait point de sensations ; que M. de Goncourt, lui, n’a que des « sensations rares » et n’arrive pas à les dominer ; les grands hommes de la littérature font penser à un état-major d’invalides. […] Il notait ses états d’âme, et comme le chasseur à la passée il guettait la sensation rare. […] Avec des bribes de causeries, des jugements tronqués, ses essais de sensations et de pensées, il composa neuf volumes. […] De même qu’il y a lieu de reprocher à Taine son manque de sensation, à Goncourt sa recherche de sensation, il faut reprocher aussi à Flaubert son absence d’imagination.
Taine liait tous les faits psychologiques à des faits physiologiques : toutes nos idées et sensations sont conditionnées par des mouvements moléculaires des centres nerveux. Il ramenait l’idée à l’image et l’image à la sensation. Ces fines observations, ces exactes analyses se traduisent grossièrement en littérature par cette notion : il n’y a dans l’homme que des sensations et des instincts : tout le reste est mensonge, sottise, spiritualisme, indigne de l’attention d’un savant. […] Il ne voit que ce qu’il veut voir ; s’il va en Angleterre, ses impressions seront celles que comportent ses idées : Michelet est bien autrement capable d’être assailli par des sensations étrangères ou hostiles à son système intellectuel. […] Qu’on y réfléchisse un peu, et l’on verra que son procédé d’expression est essentiellement symbolique, lorsqu’il adapte si artistement à ses concepts un vêtement de sensations choisies.
Épuiser la coupe des sensations ! […] Qu’on n’aille pas les chercher dans ses romans, où l’obligation de créer des personnages crée la nécessité correspondante d’ordonner des séries de sensations en leur imprimant l’unité — non point dans ses romans, mais dans ses poèmes, et parmi ceux-ci, dans ceux qui sont le plus proches de la sensation initiale. […] Quelles réactions détermine la sensation initiale ? […] Chez Mme Lucie Delarue-Mardrus l’artifice apparaît chaque fois qu’elle échappe à la sensation directe et à sa notation réaliste. […] Qu’elle chante son Carpe diem en le modernisant, tous les poètes l’ont fait qui s’absorbèrent dans la sensation.
Non seulement nous distinguons sans peine la sensation présente du souvenir des sensations passées ou de la prévision des sensations futures ; mais nous savons parfaitement ce que nous voulons dire quand nous affirmons que, de deux phénomènes conscients dont nous avons conservé le souvenir, l’un a été antérieur à l’autre ; ou bien que, de deux phénomènes conscients prévus, l’un sera antérieur à l’autre. […] Pour qu’un ensemble de sensations soit devenu un souvenir susceptible d’être classé dans le temps, il faut qu’il ait cessé d’être actuel, que nous ayons perdu le sens de son infinie complexité, sans quoi il serait resté actuel. […] J’exécute un acte volontaire A et je subis ensuite une sensation D, que je regarde comme une conséquence de l’acte A ; d’autre part, pour une raison quelconque, j’infère que cette conséquence n’est pas immédiate ; mais qu’il s’est accompli en dehors de ma conscience deux faits B et C dont je n’ai pas été témoin et de telle façon que B soit l’effet de A, que C soit celui de B, et D celui de C. […] Je vois bien que dans l’acte A j’ai le sentiment d’avoir été actif, tandis qu’en subissant la sensation D, j’ai celui d’avoir été passif. […] Sans doute, mais qu’on y prenne garde ; nous ne connaissons jamais directement les phénomènes physiques B et C ; ce que nous connaissons, ce sont des sensations B′ et C′ produites respectivement par B et par C.
Alors, s’il vient à être subitement soustrait à la cause excitante, il tend à regagner son état normal par une marche analogue à celle d’un ressort qui, écarté de sa l’orme d’équilibre, revient à cette forme par des oscillations décroissantes, en vertu desquelles il la dépasse alternativement en deux sens opposés… De là des phases dont les unes sont de la même nature que la sensation primitive et peuvent être appelées les phases positives, tandis que les unes sont de nature contraire et peuvent être appelées négatives. » Or, suivant M. […] Supposons cette cellule modifiée par une première sensation ; lorsqu’elle reviendra à l’état de repos, elle ne sera pas absolument dans le même état qu’elle était primitivement ; il restera quelque chose de l’impression première et une tendance à la reproduire de nouveau. […] Étant donnée une série d’états ou de modifications, chacune contenant quelque chose de la précédente, et la dernière les renfermant toutes, vient une nouvelle sensation. […] Cette sensation cesse ; sa cellule revient au repos et à l’équilibre ; mais comment y revient-elle ? […] La liaison logique des idées est tout autre chose que la connexion constante des sensations ; autrement la science se confondrait avec la routine.
En revanche, il a une puissance illimitée de sensation, une acuité rare des sens, et particulièrement du sens de la vue. […] Je ne sens pas qu’il soit uni par une sympathie morale à cette nature extérieure dont il reçoit si fortement toutes les valeurs : nul autre lien entre elle et lui que la sensation physique. […] Hugo ne définit pas, ne démontre pas, mais qui sont comme des noyaux autour desquels s’agrègent toutes ses sensations. […] Il sent le mot comme son, d’abord ; et de là son goût pour les noms propres, qui, avec un minimum irréductible de sens, font tout leur effet par leurs propriétés sensibles, par la sensation auditive qu’ils procurent. […] La puissance de la sensation est limitée : le sens de la vue est ordinaire.
L’acte d’attention peut-il augmenter l’activité vasculaire des ganglions sensoriels et y faire naître des sensations subjectives ? […] À vrai dire, on peut toujours éprouver une sensation dans le doigt, quand on s’applique attentivement à rechercher cette sensation. […] Peut-être la sensation éprouvée est-elle partiellement subjective ; mais, à notre avis, le doigt sur lequel se fixe la pensée pendant un temps assez long est réellement le siège d’une sensation. […] Son point de départ est périphérique comme pour toute autre sensation. […] Ils avaient la sensation que chaque effort pour fixer leur attention déterminait des douleurs de tète et des vertiges.
D’ailleurs, que l’on considère ceci : les particularités esthétiques d’une œuvre se composent d’un certain nombre d’émotions, d’images verbales, d’images d’objets, de personnes, d’idées, de concepts, de souvenirs, d’habitudes d’esprit, de résidus de sensations. […] Un écrivain qui se décidera d’instinct à user d’un style coloré, c’est-à-dire d’une série de formes verbales tendant à rendre et à suggérer minutieusement l’aspect sensible des choses et des gens, sera un homme qui percevra parfaitement cet aspect à l’aide de sens aiguisés, à l’aide de résidus de sensations extrêmement aptes à revivre, de souvenirs de sensations tout prêts à renaître en images, et doué de plus d’un catalogue bien complet de mots propres à rendre ses perceptions et ses souvenirs ; par contre, l’activité même de ces formes sensuelles de l’intelligence se sera ordinairement développée aux dépens de son idéation, en sorte qu’il possédera des objets une connaissance plutôt individuelle que générique, qu’il aura une aptitude médiocre aux notions et aux sciences abstraites. […] Si la plupart des peintres et des écrivains réalistes ont une mémoire essentiellement visuelle, les dessinateurs japonais et les de Goncourt reproduisent plus particulièrement des sensations de mouvement ; des musiciens descriptifs, tels que Berlioz, sont des auditifs. […] Cet esprit, en tant qu’esprit humain, est constitué par le même mécanisme général de sensations, d’images, d’idées, d’émotions, de volitions, d’impulsions motrices et inhibitrices, que la généralité des entendements humains. […] Il convient d’attendre de la critique scientifique des notions neuves et précises sur l’imagination, l’idéation, l’action réciproque du langage et de la pensée, de l’émotion et de la pensée, des sensations et des idées, sur l’invention, sur les sentiments esthétiques et sur d’autres problèmes de même ordre ou supérieurs.
Au contraire, dans l’émotion réelle, ces images ont toute l’intensité que leur donne la certitude de leur réalité, et, dans le cas d’une participation personnelle, la certitude qu’elles vont passer à l’état de sensation. […] Il élabore des images et des sensations définies qui provoquent des images et des sensations aussi identiques que possible, mais prosaïques en ce qu’elles sont analytiques, c’est-à-dire données plutôt à comprendre et à concevoir qu’à ressentir. […] Sully Prudhomme dans l’Expression : « Toute œuvre d’art a pour but de vous émouvoir au moyen d’un certain composé de sensations. » (NdA) 3. […] A partir de 1897, Henry sera directeur du Laboratoire de physiologie des sensations de l’Ecole Pratique des Hautes Études. […] (NdE)] paraît vouloir démontrer mathématiquement que nos sensations élémentaires, la constitution même de notre gamme, du spectre, notre préférence pour certains termes, dépendent rigoureusement d’un trait fondamental de l’organisation physique des êtres animés.
Cependant si, au lieu de faire abstraction de mes sens extérieurs, pour ne me servir que de mes sens intérieurs ; si, ouvrant les yeux et remuant la main, je me vois et je me touche dans toutes les régions de mon corps, depuis les cheveux de ma tête jusqu’aux ongles de mon pied, je sens très bien alors que partout sous mon doigt qui se promène, le moi s’éveille et répond ; et si je pouvais atteindre au-delà de la surface cutanée aux organes eux-mêmes, le moi s’y ferait également sentir par une sensation distincte, comme il arrive d’ailleurs en mainte circonstance, lorsque la digestion s’exécute péniblement, lorsqu’un calcul se forme dans le rein, lorsqu’un tubercule se développe dans le poumon. Le moi est donc dans tous ces organes ; il s’y révèle par des sensations diverses. […] Jouffroy, le moi n’y est que pour les sensations qu’il éprouve ; la force vitale y est pour les fonctions qu’elle remplit, et dont le moi n’a pas la conscience ni le secret. Sans doute, si vous entendez par moi la force qui pense, qui veut et qui a la conscience nette, lucide et réfléchie de toutes ses sensations, vous arriverez à l’isoler à peu près complètement des autres forces que vous supposez dans les divers organes ; mais encore, comme vous ne pouvez nier que dans l’homme, tel qu’on l’entend communément, corps et âme, il n’y ait une certaine unité, il s’ensuivra qu’en nous le je ne sais quoi nécessaire qui unit le moi tel que vous l’entendez dans un sens restreint, et les autres forces des divers organes, est le moi supérieur, le vrai moi, l’homme réel et vivant : que devient alors votre dualité ? […] Ils lui accordent bien d’entrer en rapport avec le non-moi par la pensée et l’intelligence ; d’en connaître et d’en réfléchir les lois, d’en posséder la science, quoique encore cela soit impossible, sans que l’activité matérielle s’en môle à un certain degré ; mais dès que le moi désire modifier activement, transformer, embellir ce monde extérieur, ils l’arrêtent, ils l’avertissent comme s’ils n’en avaient que fort précairement le droit et le pouvoir ; de même en effet qu’ils nient la continuité entre le moi et la vie dite de nutrition, de même aussi ils nient la continuité essentielle du moi avec la vie dite de relation ; entre la pensée et l’acte, entre la volonté et l’acte, il y a pour eux un abîme, de même qu’il y en avait un entre la sensation et la pensée.
La sensation physique, seule, demeure intense, esthétique. […] Vous vous adresserez à la sensation directement ; moi je m’y adresse indirectement, mais plus sûrement par l’Idée. Les Idées naissent en nous de la sensation ; or, par l’exposé d’une Idée, j’ai la conviction d’éveiller la sensation correspondante. […] Comme une pierre jetée dans l’eau, elle troublera l’intimé de l’Être, éveillant des cycles de sensations antérieures. » Et Rimbaud, nullement ébranlé, selon moi, de répartir : « Vous énoncerez des idées touchantes, mais force vous sera de faire appel à mes passions, à mes sottises, à mes erreurs d’homme.
Au siècle dernier, l’école de la sensation, qu’elle admette ou non la spiritualité de l’âme, tend, en vertu de son principe, à exagérer l’influence du physique sur le moral. […] Avec notre siècle commence une réaction contre la philosophie de la sensation. […] Peut-on montrer, en pénétrant dans la masse encéphalique, quel est l’organe de l’instinct, l’organe de la sensation proprement dite ? […] Non-seulement il y a lieu de distinguer les organes de la sensation des organes du mouvement ; mais on peut prouver par des expériences répétées que la sensation a ses organes distincts des organes de la perception. […] Voulez-vous voir naître la sensation de l’impression sensitive ?
§ 1. — Comme toutes les impressions qu’un homme peut recevoir du dehors passent nécessairement par ses sens, pi est bon de se demander tout d’abord à quels sens une œuvre parle, quel genre de sensations elle traduit. […] Vous constatez ainsi sans peine que les sensations de la vue prédominent dans son œuvre ; vous pouvez dire que l’écrivain est un visuel. […] Il faut arriver à plus de précision ; il faut classer ces sensations elles-mêmes. […] C’est dans cette catégorie que rentrent les sensations voluptueuses, toutes les variétés de la sensibilité amoureuse, qui est, suivant les gens, fine ou grossière, émoussée ou violente, etc. Je ne puis ni ne veux dire tout ce que peut révéler cette enquête sur les sensations.
Nos yeux lisent, nos oreilles écoutent : nous pensons les formes et les sons des mots ; rien ne va à l’imagination ni au cœur, et rien par conséquent n’en sortira, si nous n’insistons et ne forçons le mot à céder sa place à la sensation même de l’objet, réveillée et rafraîchie. Comme on se contente, à l’ordinaire, de la sensation que donne le mot tout sec et tout nu, et comme tous les mots sont en somme des sensations pareilles de la vue et de l’ouïe, on ne s’aperçoit pas qu’ils forment deux catégories bien distinctes : les uns représentent des objets dont on peut faire l’expérience directe, les autres représentent quelque chose dont l’expérience est impossible.
Sensualiste, mais le plus profond des sensualistes, et enragé de n’être que cela, l’auteur des Fleurs du mal va, dans la sensation, jusqu’à l’extrême limite, jusqu’à cette mystérieuse porte de l’Infini à laquelle il se heurte, mais qu’il ne sait pas ouvrir, et de rage il se replie sur la langue et passe ses fureurs sur elle. […] Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait bien ce qu’il fait, les a rangées. […] C’est l’enfer moderne de la sensation surexcitée et épuisée, du nerf tari dans sa dernière goutte de fluide. […] Toute cette observation minutieuse d’états pathologiques misérables, dans lesquels l’homme a perdu l’équilibre et la possession de soi-même et n’a trouvé jamais que le bonheur sot de la sensation, est revêtu de l’expression qui ferait tout lire et presque tout pardonner. […] Les uns y ont vu une étude très soignée, très épinglée, très atomistique, où rien n’est oublié des sensations et des nuances de sensation par lesquelles on passe dans les états qu’il décrit… et j’aime mieux le croire que d’y aller voir.
Préparation du romantisme dans la littérature : sensation, sentiment ; thèmes tyriques. — 2. […] Les étincelantes conversations qui éblouissent par le dehors ne laissent au fond de l’âme qu’une désespérante sensation de vide et d’inutilité. […] Les règles barrent le passage à la sensation, l’excluent de l’œuvre littéraire. […] Dès qu’on veut l’employer à représenter des sensations, des passions, plutôt que des idées, des impressions plutôt que des déductions, elle sonne faux ; elle se tend, et craque ; elle se boursoufle, et bâille. […] Il a mis toutes ces notions en vers réfléchis, exacts, ingénieux, froids, il a su par ses épithètes et ses périphrases prévenir en nous toute velléité de sensation, et nous retenir aux idées sans jamais atteindre la nature.
Il a des sensations agréables ou pénibles qui éveillent son activité, et avertissent son instinct. La corruption commence le jour où sur la sensation s’applique la réflexion, où la raison se superpose à l’instinct. […] Exerçons l’instinct ; aidons la réflexion à se dégager des sensations ; attendons, sans la prévenir, que la raison apparaisse. […] Rousseau s’assimile tout le monde extérieur, il voit tout selon son humeur du moment, et il ne cherche pas à saisir l’objet à travers sa sensation : il ne peut présenter que cette sensation même. […] C’est qu’elle le satisfaisait pleinement : elle n’avait besoin que d’être, pour lui donner des jouissances : ici, par conséquent, sa sensation coïncidait toujours avec l’objet, et la diversité de ses sensations successives ne faisait l’effet que d’un changement d’éclairage.
Cette poésie de sensation et de hasard a eu sa gloire pleine en ce siècle — et en d’autres âges et d’autres langues elle ne se délivra pas de cette étreinte primitive, si nous mettons à part le poète latin Lucrèce. […] Et cette Poésie demeure, grande, nécessaire, digne à travers tous les temps de l’admiration profonde de tous, car ses poètes firent leur devoir : devoir le seul à des époques de sensation ; de foi et de non-savoir seuls — et ne disaient-ils dès lors en le vers seul logique et, lorsque sa loi sue permet de le délivrer de monotonie, seul magnifique, l’alexandrin. […] Première et rudimentaire transposition dans l’intellect de la sensation et du sentiment antérieurs : transposition très malheureuse d’ailleurs (plus malheureuse peut-être), et toute religieuse encore simplement : mais quant à la forme poétique dont ils usaient, première, sagesse qui amènera la langue trop exultante et non épurée à la stricte richesse et l’impeccable propriété qui deviendra nécessaire. […] Ce fut le temps du vers parfait pour lui-même, sans suite d’idée, mais où par quelques très purs et subtils poètes passe de plus en plus en l’intellect l’immédiate sensation avant eux immédiatement écrite. […] à l’idée, et à la sensation et au sentiment, par l’idée.
Enfin elle est accompagnée d’une sensibilité bornée : les sensations extrêmes sont douloureuses et confuses ; les sensations analogues se mêlent et se brouillent ; les sensations contraires se détruisent ; les sensations simplement différentes s’affaiblissent et vivent aux dépens les unes des autres ; les sensations fortes sont tyranniques et veulent être seules dans l’âme, chassant ou excluant toutes les autres.
L’étonnement, qui est une des grandes jouissances causées par l’art et la littérature, tient à cette variété même des types et des sensations. — Le professeur-juré, espèce de tyran-mandarin, me fait toujours l’effet d’un impie qui se substitue à Dieu. […] On ne peut donc pas trouver mauvais que, pour expliquer la sensation de certains tempéraments artistiques mis en contact avec les œuvres de M. […] C’est une sensation puissante, il est vrai, — pourquoi nier la puissance de M. […] C’est presque une sensation négative, si cela pouvait se dire. […] Sans avoir recours à l’opium, qui n’a connu ces admirables heures, véritables fêtes du cerveau, où les sens plus attentifs perçoivent des sensations plus retentissantes, où le ciel d’un azur plus transparent s’enfonce comme un abîme plus infini, où les sons tintent musicalement, où les couleurs parlent, où les parfums racontent des mondes d’idées ?
Les sensations tactiles ne figurent que comme des sensations ordinairement associées à des sensations optiques, et la sûreté de nos appréciations est au théâtre constamment mise en défaut par la distance. […] Or, au théâtre, le tact ne peut pas s’exercer, et la distance est toujours assez grande pour que les sensations tactiles associées aux sensations optiques soient excessivement faibles, car ce ne sont que des réminiscences. […] Le théâtre nous donne absolument tout ce qu’il nous doit, des sensations optiques exactes ; et comme nous ne pouvons contrôler ces sensations par le toucher, il n’a pas à se préoccuper d’une éventualité qui ne se produira pas. […] Un acte représente une suite de sensations étroitement associées ; si donc, entre deux tableaux appartenant à un même acte, on intercale un entr’acte, on brise un anneau-delà chaîne des sensations, qui doivent se succéder sans interruption pour se fondre dans une sensation générale et totale. […] La musique les soumet à l’empire des sensations.
Nous en prenons un fragment, telle courte portion de durée comprise dans nos sensations successives, telle étroite portion d’espace comprise dans nos sensations simultanées. […] Nous observons alors que cette idée ne ressemble en rien à cette image, sauf par son emploi ; comme l’image, elle rend présente une chose absente, voilà tout ; mais elle n’a pas d’autres propriétés ; elle n’est pas, comme l’image, un écho, l’écho d’un son, d’une odeur, d’une couleur, d’une impression musculaire, bref, la résurrection intérieure d’une sensation quelconque ; elle n’a rien de sensible, et nous ne la définissons qu’en niant d’elle toutes les qualités sensibles ; elle nous semble donc une pure action dénuée de toute qualité, sauf celle de rendre le myriagone présent en nous. […] Telles sont les petites sensations musculaires produites par l’adaptation de l’œil aux différentes distances ; elles sont les signes de ces distances ; c’est par elles que nous imaginons la proximité ou l’éloignement plus ou moins grand des objets. […] Ce que nous avons en nous-mêmes lorsque nous pensons les qualités et caractères généraux des choses, ce sont des signes, et rien que des signes, je veux dire certaines images ou résurrections de sensations visuelles ou acoustiques, tout à fait semblables aux autres images, sauf en ceci qu’elles sont correspondantes aux caractères et qualités générales des choses et qu’elles remplacent la perception absente ou impossible de ces caractères et qualités. — Ainsi lorsque, négligeant les sensations présentes, nous remarquons le peuple intérieur qui roule incessamment en nous, nous n’y trouvons que des images, les unes saillantes et sur lesquelles l’attention s’étale, les autres effacées et en apparence réduites à l’état d’ombres, parce que l’attention s’est détournée d’elles pour s’appliquer à leur emploi.
On a toutefois répondu à cette objection que ces faits sont absolument analogues à ceux qui se produisent dans l’ordre de nos sensations, sans que l’on soit pour cela obligé de conclure à la diversité des sièges organiques. Ainsi tous les nerfs sensitifs de la peau ont assurément les mêmes propriétés47, et cependant un malade peut perdre la sensation de température et conserver la sensation de douleur, de tact et réciproquement. Il en est de même des autres sens, on peut avoir la perception de telle couleur et non de telle autre, ressentir encore le goût du sucre, perdre le goût du sel, etc. ; ces perturbations étranges et isolées nous conduiront-elles à localiser chacune de ces sensations ? […] De plus, il admet dans le cerveau des départements distincts, non pour l’Intelligence, mais pour les sensations, les nerfs olfactifs, gustatifs, optiques aboutissant à des parties différentes du cerveau. […] Claude Bernard confirment ces vues quant aux sens du goût, et la pluralité des sens du toucher n’est plus un doute pour personne. » Ce qui paraît du reste certain, c’est qu’il est impossible d’admettre autant d’espèces de nerfs qu’il y a d’espèces de sensations, car il en faudrait un nombre infini.
je sais ce que vous allez dire ; vous séparez l’attention de la sensation, vous restituez quelque degré d’activité à l’âme. […] Sensation, statue ! Il n’en faut pas davantage à certains esprits pour crier au matérialisme. — La sensation de l’âme est distincte de l’impression de l’organe. — L’âme est une substance immatérielle, inétendue, simple, spirituelle. […] Le point principal est la distinction de la sensation passive et de l’attention active que Condillac réunissait toutes deux sous le nom unique de sensation. […] Outre les sensations qui sont déterminées par les impressions des organes et qu’avait décrites Condillac, il nota les modifications ou sentiments que nous éprouvons à l’occasion de l’action de nos facultés2, à l’occasion de deux idées présentes à la fois et comparables3, à l’occasion d’une action qui nous paraît produite par un agent libre4.
Comme certaines sensations, par exemple celle de la chaleur, peuvent passer d’une manière continue de la forme agréable à la forme pénible, on suppose théoriquement un état intermédiaire d’indifférence. […] Des mouvements passons aux sensations. En général, la sensation, comme telle, cause du plaisir ; nous aimons à sentir pour sentir, comme à voir pour voir ; c’est que toute sensation provoque une réaction à la fois intellectuelle et volontaire ; elle est un accroissement du champ de la conscience et de son intensité, du champ de l’activité volontaire et de son intensité. Les sensations de lumière et de son sont presque toutes agréables jusqu’à un certain point d’intensité, qui est déterminé par la force d’adaptation du système nerveux. […] Au reste, entre les sens supérieurs et les inférieurs il y a une sorte d’intermédiaire, dont la haute importance n’a pas été ici assez remarquée : nous voulons parler des sensations musculaires ou tout au moins des sensations de résistance, que beaucoup de philosophes considèrent comme la base de toutes les autres sensations et qui en sont au moins la condition ou l’accompagnement.
Transformation de la psychologie Condillac Théorie de la sensation et des signes. […] Ce que nous trouvons d’abord en lui, c’est la sensation, de telle ou telle espèce, agréable ou pénible, par suite un besoin, tendance ou désir, par suite enfin, grâce à un mécanisme physiologique, des mouvements volontaires ou involontaires, plus ou moins exactement et plus ou moins vite appropriés et coordonnés. […] Condillac montre en outre que toute perception, souvenir, idée, imagination, jugement, raisonnement, connaissance, a pour éléments actuels des sensations proprement dites ou des sensations renaissantes ; nos plus hautes idées n’ont pas d’autres matériaux ; car elles se réduisent à des signes qui sont eux-mêmes des sensations d’un certain genre. Ainsi les sensations sont la substance de l’intelligence humaine comme de l’intelligence animale ; mais la première dépasse infiniment la seconde, en ceci que, par la création des signes, elle parvient à isoler, extraire et noter des fragments de ses sensations, c’est-à-dire à former, combiner et manier des notions générales Cela posé, nous pouvons vérifier toutes nos idées ; car nous pouvons toutes les refaire, et reconstruire avec réflexion ce que sans réflexion nous avions construit.
Entre la sensation, où est donné le concret, l’individuel, et l’idée, qui exprime le général, il y a une solution de continuité. […] En fait, comme ils ne séparent pas l’idée de la sensation, comme ils ne distinguent pas le sensible de l’intelligible, ils considèrent le monde tout entier comme soumis aux mêmes procédés d’investigation ; les méthodes qui ont réussi dans l’étude du monde matériel sont aussi celles qui doivent être employées à connaître l’esprit, car il n’en existe pas d’autres. Mais ils n’agrandissent ainsi le champ de la connaissance scientifique qu’en la rabaissant au niveau de la sensation ; car la science, telle qu’ils la conçoivent, est aveugle. […] Il lui donne la sensation des ténèbres qui l’entourent, tout en lui reconnaissant le pouvoir d’y répandre peu à peu la clarté.
Puis tout se règle, et la transposition de la langue continue de s’opérer régulièrement, par le moyen surtout des deux tempéraments les plus livrés à la sensation : V. […] Il emplit ses vers de sensations, et ses vers mêmes, colorés et sonores, furent des sensations. […] Incertitude dans l’inspiration, maîtrise de la facture, réelle mais étroite sensibilité, inaptitude et prétention à penser, don des sensations originales et précises, don d’agrandissement fantastique de la sensation réelle, voilà ce que le poète a révélé jusqu’ici. […] Il fait ce qu’il a si bien appelé lui-même des « transpositions d’art » : c’est-à-dire donner par les mots l’exacte et propre sensation qu’un tableau donnerait. […] Voilà par où, toujours en vertu de sa précise sensation de peintre, Gautier a pu faire de la poésie symbolique.
Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est un changement d’état qui, se produisant dans la vapeur, éveille en moi la sensation de froid. […] Il s’est rencontré sur notre chemin des sensations, celles du toucher, de l’odorat et du goût, dans lesquelles nous n’avons pu distinguer les sensations élémentaires, et tout ce que nous a permis l’analogie, c’est de penser qu’il y en avait. […] Une image mentale est une sensation spontanément renaissante. Une sensation est un composé de sensations élémentaires plus petites, celles-ci de même, et ainsi de suite, tant qu’enfin, au terme de l’analyse, on est autorisé à admettre des sensations infinitésimales, toutes semblables, lesquelles, par leurs divers arrangements, produisent les diversités de la sensation totale. — Ceci est le point de vue de la conscience, qui est interne et direct ; il en est un autre, celui des sens, qui est indirect, externe, et d’après lequel les événements précédents consistent en mouvements moléculaires des cellules cérébrales. — Par ces décompositions successives, on arrive aux derniers éléments de la connaissance, et dès lors il est aisé de voir comment ils s’assemblent. Constituées par des groupes de sensations élémentaires, les sensations totales des centres sensitifs se répètent dans les lobes cérébraux par leurs images.
À l’heure où nous sommes, ces critiques, tout de sensation, tiennent le haut du pavé parmi nous. […] Il n’est donc pas étonnant que, dans un pareil état de choses, nous accueillions comme un bonheur et presque comme un événement dans la critique littéraire l’arrivée d’un jeune homme qui, lui, débute par regarder plus haut que la sensation et le fait, et se préoccupe de l’idée générale qu’exprime tout génie spécial et toute œuvre, quoique ce ne soit là cependant que la première marche de la critique dans la sphère de son intellectualité. […] Évidemment, on est sorti de l’air épais et chargé de la sensation et l’on est entré dans l’air plus pur, plus transparent et plus subtil, de l’intelligence. […] Or, sans métaphysique, on manque éternellement du point fixe qu’il faut établir, en esthétique comme en morale, car le beau doit avoir la certitude du devoir, et on retombe aux petites misères de la sensation individuelle qui sont toujours de petites misères, quelle que soit la grandeur de l’homme qui donne sa sensation pour règle et qui la jette dans la balance, comme Brennus son épée, pour l’entraîner du côté de la vérité ! […] Il les a peintes à la renverse… Il les a peintes hardiment, — cruellement pour elles, mais voluptueusement pour lui et pour tous ceux qui lui ressemblent, à ce distingué de sensation qui est aussi à sa manière un patricien.
Ses descriptions ont cette précision serrée des détails qui en révèle l’origine : elles s’appuient sur une sensation première, qui se réveille sans être affaiblie ni déformée. […] Sans y penser il nous achemine vers une révolution du langage : car il lui faut des mots propres, des mots techniques, les seuls équivalents à ses sensations et significatifs de leurs objets601. […] Du sentiment de la nature introduit par Rousseau, il nous fait passer à la sensation de la nature, à la pure sensation sans mélange d’idées ni même de sentiment.
L’acuité du sens critique, le détestable et dissolvant esprit d’analyse l’enveloppent de façon qu’il ne peut plus éprouver ni sensation ni sentiment. […] Il a écrit quelque part : Les anges sont hermaphrodites et stériles. » Aussi, de même qu’il avait appliqué son système des contrastes à aiguiser les sensations artistiques, il l’emploiera comme excitant des sensations amoureuses, et il s’efforcera de joindre aux tableaux du plaisir les tableaux de la douleur, des cruautés, des blessures. […] Quiconque se trouve sous le coup d’une sensation un peu vive, — quelle qu’elle soit, — ne songera guère à aligner des alexandrins ou à polir des périodes en prose. […] Ils se contrarient l’un l’autre de la sorte, n’arrivent dans aucun sens à créer un livre uni, fort et complet, et nous laissent toujours incertains des sensations ou des pensées qu’ils ont cherché à éveiller en nous. […] VI. — Idées et Sensations.
Mais rendez à l’esprit humain le principe des causes, admettez que toute sensation, ainsi que tout phénomène, tout changement, tout événement, a une cause, comme évidemment nous ne sommes pas la cause de certaines sensations, et qu’il faut bien pourtant que ces sensations en aient une, nous sommes conduits naturellement à reconnaître à ces sensations des causes différentes de nous-mêmes, et voilà la première notion du monde extérieur. […] Vous éprouvez une sensation de blancheur. […] Le sentiment qui participe de la sensation et de la pensée et l’apanage de l’humanité. […] Le beau n’est plus l’objet qui nous procure dans le moment présent une sensation agréable mais fugitive, c’est l’objet qui peut nous procurer souvent cette même sensation ou d’autres semblables. […] Les sensations qu’ils donnent ont quelque chose de plus pur, de plus intellectuel.
Le législateur prend les hommes en masse, le moraliste un à un ; le législateur doit s’occuper de la nature des choses, le moraliste de la diversité des sensations ; enfin, le législateur doit toujours examiner les hommes sous le point de vue de leurs relations entre eux, et le moraliste considérant chaque individu comme un ensemble moral tout entier, un composé de plaisirs et de peines, de passions et de raison, voit l’homme sous différentes formes, mais toujours dans son rapport avec lui-même. […] Tel homme est conduit par ses goûts naturels dans le port, où tel autre ne peut être porté que par les flots de la tempête ; et tandis que tout est calculé d’avance dans le monde physique, les sensations de l’âme varient selon la nature de l’objet et de l’organisation morale de celui qui en reçoit l’impression. […] C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens. […] On ne peut gouverner la foule que par des sensations. […] C’est bien là certainement l’une des causes de la pitié ; mais l’inconvénient de cette définition, comme de toutes, est de resserrer la pensée que faisait naître le mot qu’on a défini : il était revêtu des idées accessoires et des impressions particulières à chaque homme qui l’entendait, et vous restreignez sa signification par une analyse toujours incomplète quand un sentiment en est l’objet ; car un sentiment est un composé de sensations et de pensées que vous ne faites jamais comprendre qu’à l’aide de l’émotion et du jugement réunis.
Mais la nature l’a fait curieux, elle lui a donné des yeux aigus, qui ramassent tous les ensembles et tous les détails, une mémoire étonnante pour rappeler les images dans toute la fraîcheur de la sensation première. […] Ce qui est pour l’esprit est souvent faux : mais ce qui est pour la sensation est toujours réel. […] Saint-Simon a égalé sa puissance d’expression à sa puissance de sensation : c’est tout dire. Il écrit d’un style heurté, fougueux, tout plein de contrastes, de disparates, de brusqueries, d’audaces, de négligences. « Je ne suis point un sujet académique, dit-il de lui-même ; je suis toujours emporté par la matière. » C’est en effet sa passion qui se dégage, sa sensation qui se réveille.
En d’autres termes, les lois de l’association des idées jouent le rôle principal dans la production de l’effet poétique, tandis que les lois de la sensation et de la représentation directe prédominent dans la production du beau proprement dit. […] Une sensation peut ne pas être rendue dans ses contours nets, dans ce qu’elle a de déterminé (détermination souvent artificielle, car aucun contour n’est crûment arrêté dans lanature, aucune perception n’est donnée séparément), mais au contraire dans ce qu’elle a de plus diffus et de plus profond. […] Néanmoins, une bonne métaphore se reconnaît d’habitude à ce qu’elle ne transforme pas seulement une sensation en une autre, mais donne à la chose sentie une plus grande apparence de vie et constitue ainsi une sorte de progrès de l’inanimé vers, l’animé. […] Il commence par donner à une émotion très complexe la netteté et la simplicité d’une sensation presque brutale : « La contemplation de cette femme l’énervait comme un parfum trop fort. » C’est net, mais beaucoup trop simpliste et, à cause de cela même, un peu banal. […] De plus, la continuité des rimes riches, en vertu de la loi physiologique et esthétique qui entraîne l’épuisement nerveux par la répétition des sensations, produit bientôt la fatigue et l’ennui.
Il est clair que le sentiment de tendance psychique joint à la sensation de tension physique ne suppose nullement l’ambiguïté réelle et absolue des futurs. […] Et comment soutenir qu’une sensation prolongée soit libre ? […] Si telle sensation prolongée devient insupportable, ce n’est pas simplement parce qu’elle est prolongée dans la durée, mais parce que, les conditions organiques ayant changé et une accumulation d’effets s’étant produite, de nouvelles sensations se produisent aussi et sont déterminées ; le temps n’y est pour rien. Ce n’est point de son passé que la sensation se renforce et se grossit ; elle est renforcée par les conditions présentes du corps et du cerveau. […] Le seul fait de penser d’avance soit à une sensation, soit à une action, prépare à recevoir la sensation et la rend plus intense, prépare à l’action et la rend plus facile.
Ce n’est pas la sensation qu’ils étudient, mais une certaine idée de la sensation. […] Puisque c’est par la sensation que l’extérieur des choses nous est donné, on peut donc dire en résumé : la science, pour être objective, doit partir, non de concepts qui se sont formés sans elle, mais de la sensation. […] Il faut donc qu’elle en crée de nouveaux et, pour cela, qu’écartant les notions communes et les mots qui les expriment, elle revienne à la sensation, matière première et nécessaire de tous les concepts. C’est de la sensation que se dégagent toutes les idées générales, vraies ou fausses, scientifiques ou non. […] 3° Mais la sensation est facilement subjective.
C’est une sensation de crainte sans le moindre mélange de respect, d’adoration pour un être dont ils reconnaîtraient la supériorité de puissance, d’intelligence ou de bonté. […] Toutefois, la sensation nous révèle seulement une simultanéité, une succession, une conjonction entre deux faits ; elle n’atteste pas de connexion nécessaire. […] Est-ce parce qu’il lui fait éprouver telle sensation de plaisir ? […] La sensation s’explique elle-même par une affection innée, par un instinct de nature. Ici, c’est l’amour qui est le principe de tout un ordre de sensations et de sentiments, au lieu d’en être le résultat.
Bocquet, Léon (1876-1954) [Bibliographie] Les Sensations (1897). — Flandre (1901). […] Charles Fuster Il y a, dans ce livre (Les Sensations), une délicieuse pièce sur les Enfants des champs, les beaux petits si frais et si sains.
On pourrait très bien supposer que le poète fruste, salin et amer, découvert aujourd’hui comme une perle dont on ne m’a pas assez montré l’huître, fût, par hasard, quelque lettré moderne qui, blasé des corruptions et des hauts goûts de nos décadences, aurait reculé, par impatience de sensation nouvelle, jusqu’aux formes délaissées de la Bible et d’Homère, et eût fait de l’archaïsme en provençal, avec une habileté plus ou moins scélérate… Seulement, quoiqu’il en pût être, imitateur ou spontané, l’homme quelconque qui a enlevé ces douze chants sur un sujet qui serait vulgaire, si ce n’était pas la rabâcherie immortelle de l’amour, et donné à Daphnis et Chloé des proportions d’Iliade, est en définitive un poète que l’on peut mettre, ici ou là ! […] Cette poésie ne nous donne plus la sensation ordinaire de l’Étrange, mais la sensation extraordinaire du Naturel, tel que les Anciens l’ont conçu et réalisé toujours, et Shakespeare quelquefois après eux. Nous n’oublierons pas de sitôt cette âpre et pure sensation, et nous voudrions la faire partager : mais le talent de M.
La sensation vulgaire éprouvée par le monsieur (ou la dame) qui contemple la « voûte éthérée » est celle de lumière. […] La sensation se transforme en mots-images ; ceux-ci en mots-idées, ceux-ci en mots-sentiments. […] Les sensations étant successives, le langage est successif. […] Albalat n’a démontré que la moindre des images de Chateaubriand est un produit de ses sensations. […] « L’imagination, dit Hobbes, c’est la sensation continuée, mais affaiblie » Elementa Philosophiae.
Une émotion agréable peut naître de sensations relativement isolées ou de mouvements relativement isolés, dont nous n’apercevons ni les relations externes ni les éléments internes. […] Toute sensation agréable, en effet, tout mouvement agréable cause un plaisir esthétique élémentaire lorsqu’il y a ainsi attention adéquate en intensité à l’intensité du plaisir même ou du mouvement ; d’où résulte une harmonie entre la réprésentation ou action et son aperception consciente. […] Au contraire, le seul fait de réfléchir sur une sensation élémentaire contribue à la rendre plus agréable en même temps que consciente de soi ; on commence alors à sentir esthétiquement.
L’alliance des sentiments avec les sensations est déjà un premier pas vers la philosophie. […] Mais le portrait ne peut aller plus loin que la ressemblance, et les sensations sont bornées par les sens. […] Il se répète quelquefois, mais il n’est pas monotone, parce qu’il est sans cesse animé par des sensations nouvelles. […] La réflexion qu’exigent ces idées distrait, à quelques égards, de la sensation causée par la poésie. […] C’est la satiété qui fait recourir à la bizarrerie ; c’est le besoin de variété qui rend souvent l’esprit recherché ; mais les Grecs, au milieu de tant d’images et de sensations vives, s’abandonnaient à peindre celles qui leur causaient le plus de plaisir.
En résumé donc, la spontanéité ou le hasard doit toujours produire d’abord les actions liées à nos sensations et sentiments : l’activité consciente et intelligente les produit ensuite. […] L’unité qu’on s’imagine exister dans le pouvoir volontaire et qui est suggérée par l’apparence qu’elle présente à l’âge mûr, alors que nous semblons capables sur le plus petit souhait de produire un acte, est le résumé et le comble d’un vaste ensemble d’associations de détail, dent l’histoire a été perdue de vue ou oubliée183. » Examinons comment se bâtit pièce à pièce l’édifice de notre volonté, en passant en revue les sensations et sentiments de diverses sortes184. […] C’est par les sensations tactiles qu’on dresse les animaux ; on leur inflige une douleur pour les conduire au but qu’on désire. […] C’est là que tendent les divers motifs qui nous font agir et que l’on peut classer sous les titres suivants : Tous les phénomènes de plaisir et de douleur dérivant du système musculaire, des sensations organiques, des cinq sens proprement dits, des diverses émotions. […] — « Le mot moi ne peut signifier rien de plus que mon existence corporelle, unie à mes sensations, pensées, émotions, volitions, en supposant que leur classification est complète et qu’on en a fait la somme dans le passé, le présent et le futur… Il m’est impossible d’accorder l’existence dans les profondeurs de notre être, d’une impénétrable entité, qui porte le nom distinct de moi, et qui ne consiste pas en quelque fonction ou organe corporel, ou en quelque phénomène mental déterminable. » Quant à l’appel qui a été fait à la conscience, comme témoignant d’une manière indiscutable la liberté de notre volonté, voici ce qu’il faut en penser.
La sensation est le mode initial : les premiers arts eurent pour objet la sensation. […] Sous l’effet d’une lente habitude, nos sensations visuelles sont devenues capables d’évoquer en nous, par leur seule présence, toute la grappe des autres sensations. […] Le premier aspect de la vie est la sensation : la première forme de l’art fut la forme plastique, recréant les sensations. […] Les ressemblances des sensations décroissent ; les différences sont mieux perçues, à mesure que les sensations se répètent. […] L’art plastique recrée les sensations ; l’art littéraire recrée les notions.
Au moyen des sensations colorées, le peintre pourra nous suggérer des sensations de toute autre espèce. […] Toutes ces sensations rentrent dans l’impression que nous recevons de la nature. […] Ce phénomène est manifeste dans la rencontre des sensations colorées avec les sensations de l’odorat. […] D’où vient cette sorte d’équivalence que j’établis entre les deux sensations ? […] Entre les sensations visuelles et les sensations sonores on trouve de remarquables correspondances.
Sa compagnie, sa joie, son amour, c’était sa sœur Lucile, nature exaltée, nerveuse, avec qui il rêva de vies merveilleuses, de courses lointaines, et de sensations toujours renouvelées. […] Dans de rares lectures il ne cherchait pas une provision d’idées, une extension de sa connaissance, un exercice de son jugement, mais une direction de rêverie, des matières de sensations, des modèles d’images. […] Une poignante sensation de vide, un long bâillement, un ennui sans mesure. […] Il avait pris pour fin la sensation, et non faction. […] Mais la sensation s’émousse ; il faut la renouveler sans cesse.
Pour cette pierre, c’est, à toute seconde et pendant toute la durée de son existence, la possibilité de provoquer en nous les mêmes sensations de contact, de résistance, de forme, et de subir les mêmes changements de position ou de structure dans les mêmes circonstances, bref la présence incessamment renouvelée des mêmes caractères sensibles et physiques. […] Mais il y a une différence entre cette représentation et les sensations anciennes dont elle est l’écho actuel. Le simulacre interne, d’après lequel je viens de faire ma description, est vague, et mes sensations passées étaient précises. Car, certainement, chacun des araucarias que j’ai vus a provoqué alors en moi une sensation visuelle distincte ; il n’y a pas deux plantes absolument semblables dans la nature ; j’ai regardé peut-être vingt ou trente araucarias ; sans aucun doute, chacun d’eux différait des autres en grandeur, en grosseur, par les angles plus ou moins ouverts de ses branches, par les saillies plus ou moins fortes de ses écailles, par le ton de son tissu ; partant, mes vingt ou trente sensations visuelles ont été différentes. […] Au fur et à mesure des découvertes, cette idée devient plus abstraite. — D’abord, il n’est pas nécessaire que ces corps donnent à la main qui les soulève la sensation de résistance ; car l’air qui fait monter le mercure du baromètre est pesant.
Lisez à haute voix ces premières pages si fermes, si fortement scandées. « La maison est plantée de travers, sur une butte de sable, etc. » — « Si je me suis volontairement exilé dans cette affreuse solitude, etc. », vous avez la sensation d’une ouverture en musique. […] Un poète de l’ordre spiritualiste et mystique, et qui avait la clef du monde intérieur, s’est plu à dire : « Chez moi, toutes choses plutôt ressenties que senties », donnant à entendre que la sensation ne lui revenait qu’épurée dans le miroir de la réflexion et du souvenir. Ici, au contraire, dans cette école de laquelle M Feydeau relève, dont il est comme un rejeton extrême et puissant, tout est direct, tout est de sensation et d’impression immédiate. […] Mais s’il y a quelque abus d’un côté, de l’autre dans Adolphe il y a aussi trop d’impuissance à peindre, à saisir et à fixer le rapport réel des sensations aux sentiments. […] Ils ajoutent qu’à mesure qu’on avance dans la lecture, sans pouvoir s’en détacher, on subit la sensation d’une sécheresse brûlante, et qu’on garde, en fermant le livre, une impression trop forte, trop fiévreuse, une impression d’écrasement.
La Fontaine ne mêle point de religion, ni de panthéisme, ni même de dynamisme dans son amour de la nature : il jouit des formes qu’elle offre, des sensations qu’elle procure, sans rien chercher au-delà. […] Mais ce fait réveille en lui des sensations lointaines421 : le carrosse de Poitiers gravissant une rude montée dans la vallée de Torfou ; et de ces sensations réveillées va se former le tableau merveilleux, d’une couleur si sobre et si intense, que présente le début de la fable. […] Mais le bonhomme avait son idée : il ne se voyait pas savant, mais poète et artiste, et derrière chaque vérité conçue par son esprit il sentait se lever toutes les émotions de son cœur, toutes les images de ses sensations. […] En son léger et clair langage d’homme du monde, il a laissé couler dans quelques pièces et dans quelques lettres une fine tristesse, sans éclat et sans espoir, dont l’emplissaient la vue de la vanité des choses, le sentiment de l’irrévocable passé, de son être, tout entier ; pour jamais écoulé, et par ces douces sensations même où il aspirait.
Ces phénomènes sont de deux sortes : des sentiments d’amour et d’espérance, de haine et de désespérance, d’enthousiasme et de mélancolie ; ou bien des sensations. Parmi nos sensations, les unes sont représentatives de l’univers, et sont les matériaux avec lesquels nous construisons le monde extérieur dont nous portons en nous l’image ; les autres ne sont pas (directement du moins et facilement) représentatives, comme certaines sensations musculaires, et, pour la plupart des hommes, les sensations d’odorat et de goût : ces dernières, les romantiques en abandonneront l’expression à leurs successeurs, et ils se contenteront des premières. […] Il fallait avoir vécu loin des salons, et n’avoir pas subi le joug du discours latin, pour faire des mots la sincère et simple image de l’émotion ou de la sensation.
Jamais on n’entend le cri involontaire de la sensation vive, la confidence solitaire de l’âme trop pleine370 qui ne parle que pour se décharger et s’épancher. […] Il lui est si bien inné, qu’on le rencontre également dans les deux siècles, chez Descartes, Malebranche379 et les partisans des idées pures, comme chez les partisans de la sensation, du besoin physique, de l’instinct primitif, Condillac, Rousseau, Helvétius, plus tard Condorcet, Volney, Siéyès, Cabanis et Destutt de Tracy. […] Il n’y en a presque aucun dans la Logique et dans le Traité des sensations de Condillac, dans l’Idéologie de Destutt de Tracy, dans les Rapports du physique et du moral de Cabanis380. […] Avec la sensation Condillac anime une statue, puis, par une suite de purs raisonnements, poursuivant tour à tour dans l’odorat, dans le goût, dans l’ouïe, dans la vue, dans le toucher, les effets de la sensation qu’il suppose, il construit de toutes pièces une âme humaine. […] I.) — « Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent de même. » (Descartes, Discours de la méthode, I, 142.) — Au dix-septième siècle, on construit a priori avec des idées, au dix-huitième siècle avec des sensations, mais toujours par le même procédé, qui est celui des mathématiques et qui s’étale tout entier dans l’Éthique de Spinosa.
Un système sensoriel délicat, qui implique la prédominance d’impressions très vives, est cause d’un excès de sensations pénibles, les excitations ressenties comme faibles et agréables par des nerfs obtus, devenant excessives et pénibles en des nerfs hypéresthésiés. […] D’après les théories récentes, celle-ci est considérée comme l’absorption, l’élaboration et la répercussion de la sensation transformée. […] Il semble qu’il y ait proportion directe entre la violence de l’acte et le passage fugace de la sensation, nos plus formidables mouvements d’âme étant les moins réfléchis ; il en est ainsi d’un accès de colère ou d’un élan de courage. […] Demailly de Manette Salomon, cette page éblouissante des Idées et sensations : les funérailles de Watteau, charment pour les mêmes raisons que les fantaisies aériennes des Nuits florentines. […] Daudet creusent davantage le problème, analysent mieux les sensations et les sentiments, reviennent de certaines thèses sentimentales excessives ; ils n’en sont pas moins des passionnés et ce qu’ils proclament dans leurs livres, c’est non la supériorité ou la parfaite pondération intellectuelle, mais la force des passions, ou de leur forme inférieure, des sensations.
Bien plus, à l’origine, ils sont tous vivants, et, pour ainsi dire, chargés de sensations, comme un jeune bourgeon gorgé de sève ; ce n’est qu’au terme de leur croissance, et après de longues transformations, qu’ils se flétrissent, se roidissent et finissent par devenir des morceaux de bois mort. […] De sorte qu’un mot bien choisi fait en nous comme un éveil de sensations ; par lui un point clair se détache, et tout alentour apparaissent et s’enfoncent par échappées les choses environnantes. […] On agrandit les événements par des images violentes ; on dit d’un richard qui s’enrichit, « qu’il pleut dans son escarcelle » ; on dit des pèlerins alléchés par la vue d’une huître « qu’ils l’avalent des yeux. » On insiste, on redouble, on s’acharne ; on ne se contente pas de dire qu’un avare entasse et compte ; on le montre « passant les nuits et les jours à compter, calculer, supputer sans relâche, calculant, supputant, comptant comme à la tâche. » On revient vingt fois sur le même objet, avec vingt expressions différentes ; un seul mot est impuissant à manifester la sensation intérieure ; tout le dictionnaire y passe ; toutes les images grossissantes ou appétissantes défilent coup sur coup pour l’exprimer. […] La vérité pourtant est que les grands poëtes seuls savent mettre d’accord l’expression et l’idée, la sensation et le sentiment. […] Son chant soutenu rassemble les impressions que ses accents imitatifs ont produites, et de toutes les sensations notées une à une elle compose un air. — Les gens d’esprit et savants s’y sont trompés.
Il faut examiner sous des angles divers les divers éléments (sensations, sentiments, idées, etc.) qui constituent chacun de ces ordres. […] On peut noter le nombre et la variété des sensations qu’elle éveille ; on peut en considérer la profondeur, l’intensité ; on peut en évaluer le plus ou moins d’élévation. (Ainsi l’ouïe et la vue, sens intellectuels par excellence, prêtent à des sensations plus relevées, plus nobles que le goût et l’odorat.) […] D’abord une œuvre qui sait puissamment éveiller ou exprimer des sensations par des mots peut valoir beaucoup mieux qu’une œuvre qui exprime ou éveille médiocrement des idées. […] Peut-on concevoir une œuvre littéraire sans un minimum de sensations, de sentiments et d’idées ?
. — Un nom d’individu est une sensation ou image des yeux ou des oreilles, qui évoque en nous un groupe d’images plus ou moins expresses. […] Telle courte et petite sensation entrée par les yeux ou l’oreille a la propriété d’éveiller en nous telle image, ou série d’images, plus ou moins expresse, et la liaison entre le premier et le second terme de ce couple est si précise qu’en cent millions de cas et pour deux millions d’hommes le premier terme amène toujours le second. […] Dans la première, le signe éveillait des simulacres plus ou moins décolorés de la sensation, des résurrections plus ou moins affaiblies de l’expérience ; dans la seconde, le signe ne les éveillait pas.
La désinence ure indique une sensation très nette, brève ; elle diminue en renforçant ; elle circonscrit. Luisure sera un effet de lueur sur la vitre d’un lampadaire, sur la plaque d’un métal poli, sur l’orbe d’un bouton métallique ; elle sera l’éclat brusque du diamant dont une facette concentre subitement les feux du lustre ; la syllabe ure produisant une sensation d’arête vive, le brusque coup d’archet sur les notes aiguës du violon.
« Comme tout phénomène a son sujet d’inhérence, comme nos facultés, nos pensées, nos volitions et nos sensations n’existent que dans un être qui est nous, de même la vérité suppose un être en qui elle réside, et les vérités absolues supposent un être absolu comme elles, où elles ont leur dernier fondement. […] J’aperçois mes sensations par la conscience. J’aperçois par la même conscience un tout continu et persistant, dont ces sensations sont des moments isolés, et que j’appelle moi. En d’autres termes, ces sensations sont des données extraites d’une donnée plus complexe, le moi. […] Soit un corps connu par le toucher ou une sensation étendue observée par la conscience.
Garat, homme de talent, littérateur distingué et disert, mais esprit vague et peu précis, professait la doctrine du jour, celle de Condillac, qui se réduisait à la sensation pour tout principe : il simplifiait l’homme outre mesure, et répandait sur des explications, qui n’en étaient pas, un certain prestige, je ne sais quel luxe académique et oratoire. […] À cette nouvelle séance, il demanda, par une lettre motivée qu’il lut à haute voix, trois nouveaux amendements à la doctrine du professeur : 1º sur le sens moral dont il réclamait la reconnaissance nette et distincte et le rétablissement formel dans une bonne description de la nature humaine ; 2º sur la nécessité d’une première parole accordée ou révélée à l’homme dès la naissance du monde, et sur la vérité de ce mot de Rousseau que la parole a été une condition indispensable pour l’établissement même de la parole ; 3º sur la matière non pensante, et qu’il fallait remettre à sa place bien loin de ce sublime attribut : Je fus mal reçu par l’auditoire, dit-il, qui est dévoué en grande partie à Garat à cause des jolies couleurs de son éloquence et de son système des sensations. […] Il démêle l’espèce de jeu de mots et d’escamotage à l’aide duquel l’école de Condillac se flattait d’expliquer tout l’homme : Vous êtes tellement plein de votre système des sensations, que ce ne sera pas votre faute si tous les mots de nos langues, si tout notre dictionnaire enfin ne se réduit, pas un jour au mot sentir. […] Il se pose nettement au nom des spiritualistes contre les idéologues : « Les spiritualistes, dit-il, sont spécialement et invariablement opposés aux idéologues qui voudraient que nous fissions nos idées avec nos sensations, tandis qu’elles nous sont seulement transmises par nos sensations. » Il attaque l’idée matérialiste qui est le fond de la doctrine adverse, et la force à reculerg. […] Après avoir parlé, puisqu’il le faut, de Condillac, de ce fameux Traité des sensations, de cette statue « où tous nos sens naissent l’un après l’autre, et qui semble être la dérision de la nature, laquelle les produit et les forme tous à la fois », il en vient à la lecture qu’il a faite également de Bacon : Quelle impression différente j’en ai reçue !
Ils ont créé vraiment le style impressionniste : un style très artistique, qui sacrifie la grammaire à l’impression, qui, par la suppression de tous les mots incolores, inexpressifs, que réclamait l’ancienne régularité de la construction grammaticale, par élimination de tout ce qui n’est qu’articulation de la phrase et signe de rapport, ne laisse subsister, juxtaposés dans une sorte de pointillé, que les termes producteurs de sensations. […] L’impersonnalité du savant n’a jamais été son fait : mais il a su objectiver sa sensation, remonter à la cause extérieure de son émotion, et, domptant le frémissement intérieur de son être, que l’on sent toujours et qui prend d’autant plus sur nous, il s’est appliqué à noter exactement l’objet dont le contact l’avait froissé ou caressé. […] Détaché de toute croyance religieuse, il n’essaie pas de colorer en sentiment chrétien son incurable pessimisme de sensuel mélancolique : il sent l’être, en lui, hors de lui, s’écouler incessamment dans les phénomènes, et il poursuit la jouissance passagère de la sensation attachée aux apparences ; mais il savoure, dans le moment même où il jouit, l’amertume de l’inévitable anéantissement de l’apparence hors de lui, de la sensation en lui. […] Edmond (né en 1822), Jules (1830-1870) de Goncourt : Idées et sensations, 1866, in-8 ; la Femme au xviiie siècle, 1862, in-8. […] Autres ouvrages : Essais de psychologie contemporaine, 2 séries, 1883-85 ; Études et portraits, 2 vol., 1888 ; Sensations d’Italie, 1891.
Mais, n’avons-nous pas depuis tantôt vingt ans, un art qui renie systématiquement l’Idéal, qui fait de la description matérielle son but immédiat, remplace l’étude de l’âme par la sensation, se racornit dans le détail et l’anecdote, s’inébrie de platitude et de vulgarité ? […] En aimant, on peut se croire irrémissiblement damné et c’est alors une sensation exquise. […] Mais, autant ils mettent de vanité à rechercher des sensations inédites, autant ils apportent de soins à les exprimer dans des rythmes rares et dans une langue renouvelée. […] Mais Floupette est sûr de faire éprouver à tous les décadents les affreuses sensations que cet adjectif herbageux suggère. […] Des êtres au geste mécanique, aux silhouettes obombrées, s’agitent autour du personnage unique : ce ne lui sont que prétextes à sensations et à conjecture.
Vers le troisième mois, elle commence à tâter avec ses mains, à avancer ses bras ; mais elle ne sait pas encore diriger sa main, elle palpe et remue vaguement ; elle essaye les mouvements des membres antérieurs et les sensations tactiles et musculaires qui en sont l’effet ; rien de plus. […] Un petit chien qui est ici comprend au même degré quand on lui crie le mot sucre ; il arrive du fond du jardin pour en attraper son morceau ; il n’y a là qu’une association pour le chien entre un son et telle sensation de saveur, pour l’enfant entre un son et la forme perçue d’un visage individuel. […] Quant aux mouvements appris, les progrès se sont faits dans l’ordre suivant : 1º Tourner les yeux à volonté dans tel ou tel sens. 2º Les tourner du côté d’où vient la voix (quatre mois). 3º Gouverner les mouvements de son cou et de sa tête, et les tourner l’un et l’autre, en même temps que les yeux, du côté d’où vient la voix (cinquième et sixième mois). 4º Se servir de ses mains, commencer à palper, remarquer des sensations tactiles différentes, notamment la sensation nouvelle d’une des mains promenée par hasard sur l’autre main. […] Il n’est pas douteux pour moi que, grâce à ce travail, les innombrables sensations optiques, acoustiques, musculaires, tactiles, que faisait naître en lui la cuiller, s’agglutinaient et s’organisaient dans sa mémoire en un seul tout. […] Par exemple (neuvième mois), depuis dix ou onze semaines, assis sur son tapis, il voyait à deux pas de lui la grande table à manger ; mais, ne sachant pas encore se traîner, il n’avait pu la toucher, il n’avait d’elle qu’une sensation visuelle, semblable à celle que nous avons de la lune ou des nuages.
Seulement, si un conte répété deux fois est assez ennuyeux pour que Shakespeare en ait fait la comparaison de la vie, nous demandons quelle impression doit causer, à vingt ans de distance, une imitation malheureusement trop réussie puisqu’elle ne nous donne ni une idée ni une sensation de plus que le poète dont elle est l’écho. […] Banville n’a jamais l’idée poétique, le sentiment poétique, la sensation poétique que de son école, — et le compte de cela est bientôt fait ! […] De même, en sensation, ôtez le vestiaire de Don Juan qui traîne partout et les réminiscences de Shakespeare sur lequel nous vivons pour l’instant ; ôtez les Musées et les tableaux décrits, depuis Rubens jusqu’à Watteau, c’est-à-dire la poésie ravalée jusqu’à n’être plus qu’un daguerréotype ; ôtez l’orgie (la moderne et l’antique !) […] Le monde de la sensation est parcouru et le poète n’a rien vu davantage !
Aussi un domaine immense de sensations et de sentiments ne ressortit pas au théâtre. […] Une machine mise en mouvement par des sensations, et, ces sensations, il les montre morbides, douloureuses, suprêmement lancinantes et inquiètes. […] La première de ces sensations est la forme. […] Il demandera aux milieux nouveaux, non plus des sensations, mais des idées. […] Telle sensation dont vous souffrez, me dirait-il, est rare, même chez vous.
Pour envisager ce phénomène selon l’esprit de la psychologie, il fallait d’abord distinguer l’image de la sensation sonore, puis apercevoir que les images vocales forment dans la conscience des séries régulières, enfin, — mais ceci n’a été donné qu’à un petit nombre de penseurs, — renoncer à la théorie de la nécessité absolue du langage, ou du moins décrire le fonctionnement parallèle de la parole et de la pensée avant de rien affirmer sur la nature du lien qui les unit. […] Le souvenir de la parole, au contraire, bien que moins vif, moins fort que la sensation elle-même lorsque nous l’entendons, n’est pas moins exact, moins précis, moins rigoureusement déterminé : deux articulations, quelque analogues qu’elles soient, ne se confondent pas plus dans le souvenir que dans la sensation. […] Voici la principale : « La parole intérieure n’est que le souvenir de la sensation que produit la parole extérieure. » Donc les lois du souvenir des sensations devraient être ses lois. Mais les souvenirs de nos autres sensations sont très faibles et très peu distincts, tandis que la parole intérieure est relativement vive et tout aussi distincte qu’une sensation. […] L’habitude de parler intérieurement serait donc une synthèse de deux habitudes, l’habitude de la parole et l’habitude du silence, et celle-ci serait une conquête de la volonté sur la nature, tandis que la première serait un instinct confirmé par la volonté. — Faut-il croire que l’action seule est naturelle à l’homme et qu’il crée son imagination, sa mémoire des sensations ?
C’est une sensation physique transportée dans l’ordre moral, et même cette frénésie se manifeste assez ordinairement par des symptômes extérieurs. […] Si, dans le système du monde, les diverses natures des êtres, des espèces, des choses, des sensations, se tiennent par des intermédiaires, il est certain que la passion du crime est le chaînon entre l’homme et les animaux ; elle est à quelques égards aussi involontaire que leur instinct, mais elle est plus dépravée ; car c’est la nature qui a créé le tigre, et c’est l’homme qui s’est fait criminel : l’animal sanguinaire a sa place marquée dans le monde, et il faut que le criminel le bouleverse, pour y dominer. La trace de raisonnement qu’on peut apercevoir à travers le chaos des sensations d’un homme coupable, c’est la crainte des dangers auxquels ses crimes l’exposent.
II En cet essai, j’ai tenté de prouver combien la rime, — inapte à rendre certaines sensations d’une façon adéquate, nécessite l’emploi de l’assonance finale. […] En effet, je peux répéter exactement — de l’assonance interne — ce que j’ai dit de l’assonance finale, savoir : qu’au moyen des combinaisons d’assonances il n’est pas une sensation, pas un sentiment, pas une idée qu’on ne puisse rendre dans ses nuances les plus délicates. […] Ailleurs elle fut admise en tant qu’harmonie imitative : de cette représentation des sensations physiques à l’élucidation sensorielle de l’idée (telle on comprend aujourd’hui l’allitération) il n’y avait qu’un pas.
Et, dans ce travail qui voulait avant tout faire vivant d’après un ressouvenir encore chaud, dans ce travail jeté à la hâte sur le papier et qui n’a pas été toujours relu — vaillent que vaillent la syntaxe au petit bonheur, et le mot qui n’a pas de passeport — nous avons toujours préféré la phrase et l’expression qui émoussaient et académisaient le moins le vif de nos sensations, la fierté de nos idées. […] Je refonds dans notre Journal le petit volume des Idées et sensations qui en étaient tirées, en les remettant à leur place et à leur date.
Et, dans ce travail qui voulait avant tout faire vivant d’après un ressouvenir encore chaud, dans ce travail jeté à la hâte sur le papier et qui n’a pas été toujours relu — vaillent que vaillent la syntaxe au petit bonheur, et le mot qui n’a pas de passeport — nous avons toujours préféré la phrase et l’expression qui émoussaient et académisaient le moins le vif de nos sensations, la fierté de nos idées. […] Je refonds dans notre Journal le petit volume des Idées et Sensations qui en étaient tirées, en les remettant à leur place et à leur date.
Cette déplorable définition est le résultat le plus naturel de la métaphysique qui attribue à nos sensations l’origine de toutes nos idées. […] De quelle sensation vient-elle ? Toutes les sensations la combattent, et cependant elle triomphe de toutes. […] Suffit-il d’une seule sensation pour réveiller en eux une foule de souvenirs ? […] « Elle était déjà dangereusement malade, dit madame Necker, lorsque le manuscrit venu de Sainte-Hélène causa en France une si vive sensation.
On sait comment Maine de Biran est parti de la philosophie de la sensation pour arriver au spiritualisme le plus décidé, et pour aboutir enfin à un mysticisme qui ne nous a été révélé que par les dernières publications. […] Est-ce d’une simple vérité subjective, comme la sensation, la pensée, la volonté et tout acte de la vie morale ? […] Avoir conscience de ses sensations, de ses pensées, de ses volitions, est-ce simplement savoir qu’on sent, qu’on pense, qu’on veut ? […] Mais, si l’animal ne se distingue pas de sa sensation et ne s’affirme pas comme moi, il est certain que cette distinction et cette affirmation sont le fait propre de la personnalité humaine. […] Dès que cette force subit l’impression de la cause extérieure, elle réagit en vertu de l’énergie qui lui est propre, quelle que soit la violence de l’impression ; par le sentiment de cette réaction, elle se distingue de la sensation et de la cause de la sensation, et s’affirme elle-même.
Idées et sensations : par MM. […] J’ai le plaisir de les connaître particulièrement, et j’ai tant entendu déraisonner sur eux à propos de ce dernier drame spirituel et passionné, vif et hardi, incomplet et brusque, qui méritait la critique et l’attention, — j’ai tant entendu débiter, à ce sujet, de lieux communs et de fadaises (Melpomène, la dignité des genres, la Maison de Molière, etc.), que l’envie me prend d’esquisser le portrait littéraire de ces deux frères unis, ou plutôt de l’extraire du présent volume qu’ils viennent de publier, Idées et Sensations, — un recueil de pensées, de fantaisies et de petits tableaux, qu’ils ont dédié à Gustave Flaubert. […] La partie pittoresque domine chez MM. de Goncourt ; ils ont eu toute raison de mettre le mot Sensations au titre de leur livre : ce sont de vrais tableaux à la plume qu’ils font. […] La fantaisie revient même si souvent dans ce recueil que ce mot (Fantaisies) devrait avoir place dans le titre entre Idées et Sensations. […] Le mot Idées, qui est en tête du recueil, n’est pas ce qui y domine ; il y a moins de pensées et de réflexions proprement dites que de croquis, de coins de tableaux pris sur le fait, de sensations ou de boutades.
« Est-ce curieux, notent les de Goncourt à propos de Belot, est-ce curieux : cet homme qui, dans la souffrance, a des sensations distinguées, assaisonnées de remarques et de réflexions presque littéraires, lorsqu’il écrit est absolument dénué de littérature et ne se doute pas du tout de ce qui fait la beauté d’un livre. »41 Si l’être qui souffre n’est plus un médiocre, le résultat s’élève d’autant. […] Histoire de la maladie : Dans ces conditions, le surmenage par la sensation ne tarde pas à agir en exagérant la tendance morbide. […] Céphalée caractéristique : « … la sensation qu’un étau lui comprimait les tempes ». […] Mais ses sensations n’en furent pas moins véhémentes… Au lieu de se laisser surmener, torturer par ces forces qui l’envahissaient, au lieu de s’y complaire, il les restituait sous forme de travail. » 45.
Et voici, je crois, une question qui se rattache à celle-là et qui, si elle peut être résolue, doit l’être de la même façon : pourquoi, à considérer l’ensemble de notre littérature, les femmes sont-elles restées sensiblement en deçà des hommes dans l’art de colorer le style ou de le ciseler et d’évoquer par des mots des sensations vives et des images précises ? […] Elles jouissent surtout des sentiments dans lesquels se transforment tout de suite leurs sensations et ne goûtent bien que le charme des mots qui traduisent ces sentiments. […] Or, pour arriver à la perfection du style poétique et plastique, il est peut-être nécessaire de n’être point ému en écrivant, de considérer uniquement la valeur musicale et picturale du langage et, en face des objets matériels, de s’arrêter à l’impression qu’on a tout d’abord reçue d’eux, à la sensation première et directe, ou d’y revenir artificiellement afin de n’exprimer qu’elle. Le sentiment moral et la passion pourront avoir leur tour ; mais il faut commencer par « objectiver », comme on dit, la sensation.
La parole contenue dans la première langue a dû être révélée divinement à l’homme le jour où l’âme a pensé, c’est-à-dire le jour où elle a été créée avec la faculté d’avoir des sensations, de produire et de combiner des idées, d’avoir conscience de son existence et des choses existantes en elle et hors d’elle. […] Considérez sa structure, vous reconnaîtrez que chacun de ses organes corporels, autrement dit ses sens, n’a pas d’autre objet que de mettre son intelligence ou son âme en communication avec le monde extérieur qui l’enveloppe, de lui donner une sensation, de produire en lui une idée, de lui faire comparer en lui-même ces sensations et ces idées, et enfin de les exprimer pour lui-même ou pour les autres, ou, ce qui est plus beau, pour Dieu par la parole ; la parole qui dit Je vis, la parole qui dit Je pense, la parole qui dit J’adore, mot sublime et final où se résume toute la création.
Par lui nous voyons les gestes, nous entendons l’accent, nous sentons les mille détails imperceptibles et fuyants que nulle biographie, nulle anatomie, nulle sténographie ne saurait rendre, et nous touchons l’infiniment petit qui est au fond de toute sensation ; mais par lui, en même temps, nous saisissons les caractères, nous concevons les situations, nous devinons les facultés primitives ou maîtresses qui constituent ou transforment les races et les âges, et nous embrassons l’infiniment grand qui enveloppe tout objet. Il est à la fois aux deux extrémités, dans les sensations particulières par lesquelles l’intelligence débute, et dans les idées générales auxquelles l’intelligence aboutit, tellement qu’il en a toute l’étendue et toutes les parties, et qu’il est le plus capable, par l’ampleur et la diversité de ses puissances, de reproduire ce monde en face duquel il est placé.
Au lieu d’écouter le sentiment lui-même ou la sensation elle-même, Freud va les chercher dans leurs effets seulement, dans leurs symptômes. […] Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. […] Tant qu’il n’y réussit pas, la sensation de ses dons lui fait défaut. […] Proust dénonce de l’inconscient derrière toutes sortes de sensations et de sentiments très divers. […] Ce sont des sensations, des impressions, des émotions massées en quantités incalculables sur chaque centimètre carré de la page, qui la produisent.
En même temps que le corps se contracte par les frimas, la pensée se replie aussi sur elle-même ; la sensation du froid porte au repos, et le repos à la réflexion. Dans le midi, on vit au jour le jour ; la présence du soleil, des travaux peu pénible et jamais interrompus, des sensations toujours en éveil, ne permettent pas les longues espérances ni les longues inquiétudes : on y jouit précisément de cette liberté d’esprit si propice à l’essor de l’imagination ; c’est là que devaient et que seulement pouvaient naître ces poètes aimables, qui chantaient les douceurs du rien faire, la jouissance du présent et l’oubli du lendemain.
Il est bien évident que la sensation entrée en nous sans que nous en ayons eu conscience ne peut, à aucun moment, être volontairement évoquée ; mais la sensation consciente peut, au contraire, nous revenir à l’improviste, sans nul concours de la volonté. […] Il y a deux manières de vivre : dans la sensation et dans l’abstraction. […] Car tout se tient et l’aisance intellectuelle est certainement liée à la liberté des sensations. […] Le dernier roman qui a fait sensation à Paris ne tarde pas à faire son apparition à la vitrine de tous les libraires. […] Secondement, cette hypothèse peut être créée a priori : fausses sensations ou hallucinations.
Il dessine et colore avec son pinceau ; il voudrait colorer aussi dans sa prose, mais avec des mots abstraits si l’on peut dire, et en demandant des nuances, quand il le faut, non plus à la sensation seule, mais à la sensibilité elle-même : de l’école directe en cela de Bernardin de Saint-Pierre, de laquelle nous avons vu récemment un autre aimable et heureux exemple dans Maurice de Guérin. […] C’est ainsi encore qu’en plein désert, durant une nuit caniculaire, il dira : « L’heure était si belle, la nuit si tranquille, un si calmant éclat descendait des étoiles, il y avait tant de bien-être à se sentir vivre et penser dans un tel accord de sensations et de rêves, que je ne me rappelle pas avoir été plus satisfait de ma vie… » Un si calmant éclat, voilà encore un effet moral qui devient une nuance pittoresque, et la beauté du son, sa largeur, s’y joint pour compléter l’impression. […] Fromentin lui même, quoiqu’il affirme « qu’avec le burnouss saharien ou le mach’la de Syrie on ne représentera jamais que des Bédouins », et non d’antiques Hébreux, ne peut s’empêcher quand il voit les Arabes sous un beau jour et quelque noble tribu en marche, quelque noble chef donnant audience ou exerçant dignement l’hospitalité, d’être frappé avant toute réflexion et de faire un rapprochement instantané, involontaire, avec cette antique civilisation patriarcale ; sa sensation de peintre vient, bon gré, mal gré, à la traverse de sa doctrine classique par trop respectueuse. […] A cette dernière limite si triste et si indécise, qui représente comme des limbes intermédiaires, aux formes languissantes, il éprouve cependant encore une sensation exquise, d’une nature particulière, et qu’il excelle à exprimer : c’est celle du silence. […] Si je puis comparer les sensations de l’oreille à celles de la vue, le silence répandu sur les grands espaces est plutôt une sorte de transparence aérienne, qui rend les perceptions plus claires, nous ouvre le monde ignoré des infiniment petits bruits, et nous révèle une étendue d’inexprimables jouissances.
Point de mesure possible pour nos sensations, point de science ; ainsi il n’y a point de science des goûts ni des odeurs. […] Les choses que nous appelons égales (lignes, angles, poids, températures, sons, couleurs), sont celles « qui produisent en nous des sensations qu’on ne peut distinguer l’une de l’autre », l’idée d’égalité est tirée par abstraction des objets artificiels. […] De même, quoique l’analyse des actions mentales puisse l’amener fatalement aux sensations comme aux matériaux originels dont est tissée toute pensée, il ne peut aller plus loin, car il ne peut comprendre le moins du monde la sensation, il ne peut même concevoir comment la sensation est possible.
Malgré tout, nous ne haïssons point ces livres qui nous offrent tant de sensations emmagasinées et tant d’humanité toute vive et toute proche de nous. […] Le moderne…, vois-tu, le moderne, il n’y a que cela… Une bonne idée que tu as là… Je me disais ; Coriolis qui a ça, un tempérament, qui est doué, lui qui est quelqu’un, un nerveux, un sensitif…, une machine à sensations, lui qui a des yeux… Comment ! […] Ils ont le détail aussi menu et aussi abondant que Théophile Gautier, mais nullement sa sérénité, et, comme s’ils recevaient des objets une sensation trop forte, ils ont presque toujours, dans l’expression, une fièvre, une inquiétude. […] Ils vont poursuivant le détail de plus en plus, et, tourmentés du désir de donner avec des mots la sensation même des choses, il leur arrive, comme à l’auteur de la Momie, de mêler à la langue littéraire des réminiscences et quelque chose du vocabulaire de l’atelier. […] Les amis de MM. de Goncourt diront : Qu’importe si, en dépit des négligences et des incorrections, peut-être même avec leur aide, ils nous ont donné la sensation qu’ils voulaient ?
Oui, on donne une recette : « Ayez à gogo des sensations subtiles et obscures, mais rendez-les clairement. » Je la connais ! […] D’abord le clichage des sensations est un cas particulier en littérature. […] Pour les sensations même le précepte est vain. […] La sensation du raffiné est étrangère à l’autre ; des mots différents ne l’aideraient en rien.