Cette suite de malheurs qui forment sa vie, un père assassiné une mère charmante morte de douleur, une captivité de vingt-cinq ans dans les donjons de l’Angleterre, un double veuvage en neuf ans, par la mort de deux femmes qu’il aimait, tant de sujets de deuil n’ont pu tirer de son âme un couplet touchant. […] Si celle que pleure Charles d’Orléans, Qui estoit son comfort sa vie Son bien, son plaisir, sa richesse, était sa première ou sa seconde femme, j’en trouverais plus touchante cette plainte, d’ailleurs médiocrement poétique, qu’il adresse à la Mort : Puisque tu as pris ma maistresse, Prends-moi aussi son serviteur ; Car j’aime mieux prochainement Mourir que languir en tourment En peine, soussy et douleur. […] Ce qui fait goûter les pensées de Villon, c’est cette gaieté mélancolique, la plus pure source de poésie peut-être, parce qu’elle est la disposition d’esprit la plus naturelle à l’homme, qui n’a été fait ni pour les joies ni pour les douleurs sans mélange. […] Pauvres et riches, sages et fous, nobles et vilains, dames de la cour « Mort saisit tout sans exception » ; Et meure Paris ou Hélène, Quiconques meurt, meurt à douleur.
11 juin Je suis repris de mes douleurs de foie et je crois un moment à une seconde jaunisse8. […] L’expression de ses yeux était comme un grand étonnement… La main devint glacée… C’était fini… J’ai voulu user ma douleur… Je ne suis pas sorti d’ici… Je n’aurais jamais pu y rentrer. » Après un silence : — « Pour cet enfant… c’était une manie, une toquade… J’avais toujours peur… Quand je revenais, en descendant de gondole, mes yeux se portaient aux fenêtres de suite… Je craignais toujours voir un accident, un attroupement, je ne sais quoi… Oh ! […] Puis les fermiers, en chapeaux noirs, venus de loin et tout poussiéreux, et les vieux serviteurs retraités, les domestiques septuagénaires ayant derrière eux leurs fils approchés de la fortune par le commerce et les négoces heureux : — dernière représentation de cette gens, de cette clientèle amie et dévouée qui faisait à la famille le cortège de ses noces, le convoi de ses funérailles, et ne laissait ni la joie ni la douleur isolée et personnelle, comme en notre temps de familles d’une génération. […] * * * — Il n’est pas impossible que, dans une grande douleur, une femme oublie de penser à la façon de sa robe de deuil.
Madame Audin, pour ne pas être obligée d’abandonner la dépouille aimée et respectée qu’elle rapportait à la terre de la patrie, contint l’explosion de sa douleur et voyagea quatorze heures avec son mari expiré… Cette veillée des morts, sans lit et sans suaire, ce fardeau sacré qu’on emporte presque dans ses bras, termina par une scène sublime la vie d’un homme qui ne fit scène d’aucune de ses vertus, et laissa sur le front de sa veuve l’auréole d’une douleur courageuse, noblement seyante au nom qu’elle a l’honneur de porter. […] Si ce fut une douleur pour son âme, elle resta entre lui et Dieu. La plupart des écrivains célèbres de cette époque débordée qui ont l’orgueil de leurs haillons comme Antisthène, et qui les retournent pour les montrer mieux, marchent effrontément à la postérité avec leur cortège de passions, de douleurs et de fautes ; mais les passions et les chagrins d’Audin, — s’il en eut jamais, — furent un secret comme ses vertus et ses combats.
Aussi son amour et sa douleur, dans les élégies qu’il composa d’abord, prennent-ils un caractère de regret, de résignation et de sacrifice auquel nos bons aïeux ne nous ont pas accoutumés, et qui ne sera guère dans l’habitude de Maucroix lui-même. […] Elle fut fiancée au marquis de Lenoncourt, et Maucroix, au même moment où il étouffait secrètement sa douleur, était chargé par l’amant et fiancé, qu’éloignait un devoir militaire, de faire des vers élégiaques destinés à la jeune épouse.
On avait pour moi de l’affection et des bontés touchantes ; ma douleur intéressa, et je réussis à ramener le calme. » Aussi, lorsque le lundi 25 mai, après un mois de séance et de secrétariat à l’Archevêché, Bailly se rendit dans la salle des États généraux à Versailles avec les autres députés de Paris, il sentit qu’il changeait de milieu et comme de climat : J’entrai dans cette salle avec un sentiment de respect et de vénération pour cette nation que je voyais réunie et assemblée pour la première fois ; j’éprouvai peut-être un sentiment de peine de m’y sentir étranger et inconnu. […] Je ne dis rien de trop en assurant que ce choix honorable me causa une profonde douleur.
En se séparant d’eux pour longtemps, en se disant qu’il rompait avec les habitudes domestiques régulières, qu’il avait reprises depuis son retour, il éprouvait une de ces douleurs tendres et pénétrantes que savent tous ceux qui ont vécu intimement de la vie de famille ; douleur recouverte, que la plupart dissipent bientôt et évaporent, mais que, lui, il couva toujours et concentra, au point de la sentir plutôt augmenter avec les années.
Rohan le sentit, et cette mort lui arracha un cri de douleur dont il a consigné l’expression dans le premier de ses discours politiques. […] pour nous, et cependant qui peut être estimée pour son regard, et selon le monde, heureuse. » Et il explique en quoi et en quel sens (un peu païen et antique) cette mort fatale est heureuse pour le héros, une mort sans appréhension, sans douleur, commune à plusieurs grands personnages du passé, et qui laisse l’imagination rêver un avenir de gloire plus grand encore que ce qu’il avait obtenu.
Je ne puis en dire davantage ; la douleur me suffoque… (15 octobre 1757.) […] Il demande, il commande au poète un cri retentissant de douleur, un hommage public, durable, éclatant.
Ce grand voyageur intellectuel (comme lui-même il s’appelait), qu’une douleur de cœur, la perte d’une jeune fille qu’il aimait d’un amour paternel, venait de frapper sensiblement, était alors sous l’influence mystique, sous la magie des écrits du théosophe Saint-Martin, tandis que Mme de Staël se sentait plutôt attirée vers Fénelon. […] Mais, pour être juste envers lui et envers Coppet, ajoutons bien vite que c’est le même homme qui, lorsqu’en juillet 1817 on rapportait les dépouilles de celle qui avait tout animé dans cette noble demeure, et qui, selon le mot de Byron, « l’avait rendue aussi agréable que lieu sur terre puisse le devenir par la société et par le talent », c’est le même Sismondi qui s’écriait dans sa douleur : « C’en est donc fait de ce séjour où j’ai tant vécu, où je me croyais si bien chez moi !
Les douleurs et paralysies alcooliques apparaissent. « Tout d’un coup, des douleurs aiguës le prenaient dans les bras et dans les jambes ; il pâlissait, il était obligé de s’asseoir, et restait sur une chaise hébété pendant des heures entières ; même, après une de ses crises, il avait gardé son bras paralysé tout un jour » (p. 500).
On y est engourdi par la béatitude de vivre, et l’abondance et la continuité des sensations agréables vous y berce dans un rêve sans fin… Mais en même temps le vieux monde fait des apparitions brusques et bizarres dans cette île enfantine où ses navires s’arrêtent en passant : et le vieux monde, c’est sans doute le péché, mais c’est l’effort ; c’est la douleur morale, mais c’est la dignité ; c’est le labeur, mais c’est l’intelligence. […] Il reste déconcerté par cette disparition subite de la douleur dans un îlot perdu, à trois mille lieues de Paris et de Londres.
— En disant ainssi, ou par adventure en sillence ou en soub-gémissements, en soupirs et en plainctes langoureuses, pour ce que la douleur empeschoit de parler, vous, mère piteuse, comme je puis religieusement pencer, embrassiez vostre filz, le plus bel de tous aultres. […] Soit faict tout à vostre ordonnance et plaisir. » Gerson a raison d’ajouter « Dévoies gens, s’il y a icy cueurs piteulx, et qui seust oncques que c’est d’aymer, par especial de mere un filz, pan ce à ceste douleur de la doulce mere de Jésus30 !
La douleur de mon voisin est toujours, peut-être imperceptiblement, ma douleur, et son bien est mon bien.
Et Retté, romantique malgré lui jusqu’à la moelle des os, s’élève contre cette prétention d’un langage spécial, convaincu qu’il est que le rôle du poète consiste à dépeindre, au moyen d’images frappantes, ses joies et ses douleurs personnelles, de telle sorte qu’elles offrent à tous une interprétation fidèle des joies et des douleurs communes.
Bain, sont tantôt physiques, comme le froid, le chatouillement, certaines douleurs aiguës, l’hystérie ; tantôt mentales, comme la gaieté : le rire des dieux dans Homère est l’exubérance de leur joie céleste, après leur banquet quotidien. […] Les grandes douleurs sont silencieuses.
Droz plonger le regard au sein de cette nature si mélangée de Mirabeau, et en sortit chaque fois avec une admiration troublée de douleur et de regret. […] Il s’éteignit un jour sans douleur dans les bras des siens, et sembla justifier en tout cette belle pensée de Marc Aurèle : « Il faut passer cet instant de vie conformément à notre nature, et nous soumettre à notre dissolution avec douceur, comme une olive mûre qui, en tombant, semble bénir la terre qui l’a portée, et rendre grâces au bois qui l’a produite. » En ces temps de mélange et de turbulence, cette vie et cette nature de M.
Exprimant la douleur de l’Académie, qui, au moment où il lui est donné de contempler cette divine princesse, sent qu’elle va perdre, et peut-être pour jamais, son adorable présence : « Cependant, madame, ajoute en finissant l’orateur, votre tableau nous consolera si rien nous peut consoler dans notre infortune. […] M. de La Chambre lit un chapitre de son Traité de la douleur ; l’abbé Cotin débite deux morceaux en vers, traduits de Lucrèce ; l’abbé Tallemant, deux sonnets ; Boisrobert, des madrigaux.
Il possédait une extraordinaire faculté de vive observation et un don prodigieux de compatir à toutes les douleurs quotidiennes. Douleurs du corps et douleurs de l’âme, les unes et les autres liées par le mystère de l’esprit. […] Et puis, comment n’être pas sensible à l’immense douleur d’une femme qui doit soudain choisir entre son amour de maîtresse et son amour de mère ? […] Et la chanson de ton âme est un alliage harmonieux de ta pire douleur et de ta meilleure allégresse. […] … Et puis on a bien vu que non ; il le vit lui-même, et peut-être avec douleur.
Les membres se dispersèrent avec douleur ; beaucoup d’esprits furent découragés, beaucoup de projets demeurèrent imparfaits ; seul peut-être, le bon abbé de Saint-Pierre s’obstina à espérer toujours et à se faire persécuter encore.
Telle petite cabotine est arrivée du premier coup à reproduire sans douleur ces trémoussements redoutables et se taille ainsi de jolis succès après souper, entre intimes.
Délivrer la femme, avec son consentement et par des moyens qui, dans ce premier moment, ne présentent aucun danger pour elle, c’est supprimer un je ne sais quoi de pas encore vivant ou qui, dans l’échelle de la vie, occupe le plus bas degré, est tout proche de la vie purement végétative ; et c’est, d’autre part, conjurer une terrifiante possibilité d’angoisse et de souffrance, épargner à la mère et au père putatif de ce je ne sais quoi des années de géhenne, et de ces douleurs sans recours, qui rendent injuste et méchant.
Il a eu toute raison de s’ennuyer à la Révolte et il a dormi dans les règles aux Deux Douleurs.
Le roi savait la douleur profonde que madame de Maintenon ressentait de la perte de cet ami : il fait placer le portrait du maréchal d’Albret dans la galerie de Maintenon.
Il se peut faire qu’une femme soit surprise par les douleurs de l’enfantement en pleine campagne, il se peut faire qu’elle y trouve une crèche, il est possible que cette crèche soit appuyée contre les ruines d’un ancien monument ; mais la rencontre possible de cet ancien monument est à sa rencontre réelle comme l’espace entier où il peut y avoir des crèches est à la partie de cet espace qui est occupée par d’anciens monuments.
Celles qui ont été préparées d’avance, qui se trouvent d’accord avec les instincts d’un peuple, avec les progrès naturels de la civilisation, finissent toujours par s’identifier dans les esprits, par se manifester dans toutes les formes de la société ; cependant celles-là mêmes ne peuvent parvenir à gouverner les hommes qu’après avoir fait éprouver de grandes douleurs.
Rien de plus habile dans ses tours que cette poésie qu’anime une verve de douleur ; rien de plus savant que la forme et la distribution des rimes. […] Le poëte qui déplore la perte de Blacas, porte dans sa douleur bien plus d’amertume ; il la rend outrageuse pour tous les princes de la chrétienté. […] Image fidèle des préjugés et des passions du temps, cri de douleur des vaincus dans cette guerre désastreuse, la poésie des troubadours est un vivant commentaire de ces événements. […] Mais si le digne comte vit encore deux ans, la France ressentira douleurs de tes tromperies. […] Bientôt Joinville apprit avec douleur sa mort.
Tamerlan semble ému un instant par cette grâce et cette douleur : « Quoi ! […] Car, à coup sûr, sa mémoire dramatique pourrait suggérer à sa douleur un autre thème de développement, d’autres cris, une autre attitude. […] Elle a un moment de douleur et d’épouvante vraies aussi, exemptes de toute réminiscence scénique. […] Tes parents t’ont montré cette douleur qui ment ? […] Nous lui avons bénévolement épargné cette douleur, et nous avons bien fait.
A-t-il pu soupçonner qu’en ce séjour de pleurs Rampe un être immortel qu’ont flétri les douleurs ? […] Faut-il offrir toujours, sur la scène épuisée, Des tragiques douleurs la pompe trop usée ? […] La douleur n’exagère point ici l’excès de ses maux ; ils sont attestés par les proclamations de ceux qui nous frappent. […] En 1819, une grande douleur le frappa. […] Si l’amour de la poésie me forçait, malgré moi, de lui sacrifier quelques heures, je ne peignais que mes douleurs ou les tableaux de la campagne que j’avais sous les yeux.
Ton front n’est point cruel, ton œil n’est point perfide ; Au recours des douleurs un Dieu clément te guide. […] Vous savez que nous aimons que la tristesse, que la douleur consacre ici-bas toute chose. […] Et plus tard, quand Victor Hugo aura perdu sa fille, noyée dans cet accident de Villequier, sa douleur paternelle lui arrachera des accents dont l’éloquence vient justement de leur simplicité. […] Un rien les irrite, un souffle les abat ; un sourire qu’ils ont recueilli en passant suffit pour les faire mourir de joie ; un sourire qui a oublié de luire pour eux suffit pour qu’ils s’en aillent mourir de douleur. […] Mais, chez les uns ou chez les autres, ce principe est toujours le même ; ce principe, c’est celui de la poésie personnelle, à savoir que le poète doit se mettre lui-même dans son œuvre et entretenir le public de ses émotions, des événements de sa sensibilité, de ses joies et de ses douleurs.
Les accens de la joie, de l’amour, & de la douleur sont les premiers traits que la Musique s’est proposé de peindre. […] Une bergere absente ou infidele, un vent du midi qui a flétri les fleurs, un loup qui enleve une brebis chérie, sont des objets de tristesse & de douleur pour un berger-Mais dans ses malheurs même on admire la douceur de son état. […] S’il continue de se voir dans la glace, l’attention à bien saisir le caractere de sa douleur, & le desir de le bien rendre, commencent à en affoiblir l’expression dans le modele. […] Il veut revenir à sa premiere idée ; il corrige, il retouche, il recherche dans la glace l’expression de la douleur : mais la glace ne lui rend plus qu’une douleur étudiée, qu’il peint froide comme il la voit. […] Mais, dira-t-on, Properce & Tibulle ont si bien exprimé leur situation présente, même dans la douleur ?
A quel puits de douleur tes yeux puisent-ils l’eau ? […] Ils ont, l’un et l’autre, trop d’esprit, de cet esprit agile, lucide et désabusé que nulle extase n’étourdit, que nulle douleur ne paralyse. […] pourquoi mêles-tu de si mortelles douleurs à toutes les félicités ? […] L’enfant énervé et qui a contracté trop jeune le goût de la douleur ne permet plus à l’historien, si intelligent pourtant, de réagir là contre. […] L’ataxie le clouait sur son fauteuil de douleur.
Ainsi Amour inconstamment me meine ; Et quand je pense avoir plus de douleur, Sans y penser je me trouve hors de peine. […] Mais pourtant ma douleur n’est par là divertie, Car j’emporte de vous cette seule partie, Qui rafraîchit ma perte et l’en fait souvenir. […] Il dit qu’Œdipe prodigue des antithèses au lieu de se livrer à sa douleur, et à l’horreur de son état. Sa douleur, je le veux bien, mais l’horreur de son état ! […] La surveille de ce jour, Bertin éprouva quelques accès de fièvre et une douleur d’estomac, avec un peu de toux : on crut que c’était un rhume.
On y voit avec douleur combien M. de Chateaubriand, malgré son grand nom et ses talents, est dupe des hommes d’esprit et des meneurs de son parti.
Ce qui ne l’empêchait pas d’être d’une incroyable sensibilité aux douleurs de ses amis et aux deuils de son pays.
Anatole France Disons tout de suite qu’elle était douée entre toutes les femmes pour aimer et souffrir, et montrons ses premières douleurs, ses premières blessures, avec respect, comme la source cachée d’où coula un flot abondant et pur de poésie… Faible, elle obsédait les puissants pour leur arracher des grâces.
Sans s’embarrasser d’une barrière inutile, il donna au vers ternaire le droit de cité : Il a vaincu — la Femme belle — au cœur subtil… Néoptolème — âme charmante — et chaste tête… Et sur mon cœur — qu’il pénétrait — plein de pitié… Ces braves gens — que le Journal — rend un peu sots… Quoi que j’en aie — et que je rie — ou que je pleure… Rien de meilleur — à respirer — que votre odeur… Pour supporter — tant de douleur — démesurée… Pour, disais-tu, — les encadrer — bien gentiment… Cette coupe nouvelle de vers, d’où l’on allait tirer des effets si imprévus, offrait toutes les garanties d’une réforme née viable, puisqu’elle était l’épanouissement naturel d’une idée lentement mûrie et qu’elle avait subi le contrôle à la fois du Génie et du Temps.
On comparoit sa muse à une belle femme dans les douleurs de l’enfantement.
Il se plonge, il se noie dans des tristesses incroyables, dans d’inconcevables douleurs.
Maintes matrones vous diront que leurs douleurs dans l’enfantement ont été moins grandes depuis qu’elles ont invoqué la bonne Marie des Bois.
Il ramène chez lui, fou de douleur, ces restes affreux. […] Et je sens que je pourrais aimer tout à fait ce tableau-là, s’il était en mon pouvoir d’oublier le premier tableau et de ne pas crier de douleur en me le rappelant. […] Elle ne s’est pas défendue ; et sa douleur, se sachant impuissante, n’a pas fait assez de bruit. […] Peut-être vont-ils se réconcilier dans leur douleur commune et dans le repentir de leurs péchés. […] Sa douleur a des balbutiements d’un tragique mièvre, à la Maeterlinck.
» Les dédicaces successives des trois volumes, d’abord « A tous ceux qui crèvent d’ennui au collège » ; puis « A tous ceux qui, nourris de grec et de latin, sont morts de faim », et, pour terminer, « A tous ceux qui, victimes de l’injustice sociale, prirent les armes contre ce monde mal fait », jalonnent, comme trois bornes tragiques, le chemin suivi par le fils du paysan, imprudemment éduqué, vers la bande imbécile d’utopistes sanguinaires qu’il appelle magnifiquement « la grande fédération des douleurs ». […] La poignante douleur dont cette page est empreinte atteste que l’incrédule qui écrivit plus tard le fameux essai Comment les dogmes finissent avait, sinon bien connu, du moins profondément senti ce dogme dont il se séparait avec douleur. […] Les pages de l’Enfant, qui commencent : Je suis las des douleurs que j’ai eues, et las aussi de plaisirs qu’on me donne. […] Un fils qui se trouve obligé de se faire le bourreau de son père, puis, sur l’ordre de ce père, le bourreau de tous les siens ; — un autre bourreau, professionnel celui-là, cherchant, après l’exécution de Louis XVI, un prêtre proscrit pour qu’une messe soit dite à l’intention du roi-martyr ; — une mère attendant, sous Robespierre, son fils fugitif, folle d’anxiété parmi les soupçons qu’elle sent dressés autour d’elle de toutes parts, croyant reconnaître son enfant dans un jeune homme dont on lui annonce la venue, et tombant morte de douleur quand elle constate que ce n’est pas lui ; — un mari faisant murer un cabinet de toilette où se cache l’amant de sa femme, et celui-ci se laissant ensevelir vivant, plutôt que de dénoncer par sa présence la faute de sa maîtresse ; — ce sont là des aventures qui ressortissent, semble-t-il, au mélodrame. […] Mme Jaubert nous l’a décrit, dans ses Souvenirs, immobile, les jambes desséchées, les pieds tordus, le corps et la face émaciés, ses paupières retombant inertes sur les globes voilés de ses yeux, et cette misérable chair était sans cesse parcourue, de la nuque aux talons, par le lancinement de ces douleurs auxquelles les médecins ont donné le nom, sinistrement expressif, de « térébrantes ».
Ce n’est pas le pessimisme métaphysique, que nous avons vu Moréas réprouver comme germanique à l’excès, mais une douleur farouche qui provient d’événements particuliers et que le poète généralise, —-ce qui est tout à fait conforme à notre caractère national. […] Et lui, perçoit toute douleur, et non seulement la sienne, mais toute la douleur réelle et toute la douleur possible. […] Un étrange évangile de la Douleur, non pas acceptée mais voulue, recherchée avec frénésie, se pose ainsi. […] Délivré des anciennes hantises, le poète s’écarte de son propre tourment et il se passionne pour l’immense douleur humaine… Les questions sociales l’avaient, dès sa jeunesse, inquiété. […] Mais il se dompte, et le tragique conflit de sa volonté consciente avec sa sensibilité pantelante sanctifie son intime douleur.
Léon Daudet, qui dans ce moment pour combattre les tristesses de sa vie, se plonge plus avant dans le travail, et a écrit toute la journée, nous demande à nous lire, après dîner, un commencement d’article sur la Pitié et la Douleur, qui me fait m’écrier : « C’est curieux, n’est-ce pas, c’est le catholicisme qui a apporté dans le monde la pitié à l’endroit des miséreux et, il a fallu dix-huit siècles, pour que cette pitié eût son développement en littérature, — développement qui commence avec Dickens et continue — « avec vous ! […] Puis dans le moment, lui, l’homme du travail de la matinée, il se lève à onze heures, par suite de douleurs névralgiques, qui se changent, à une heure du matin, en d’affreuses rages de dents. […] À l’église, le pauvre père, dont les arrangements avec Fasquelle, me disait Zola, avaient été faits en vue de la continuation de la dynastie des Charpentier, dans l’affaissement de sa douleur, a l’aspect d’un vieillard. […] Alors ses tortureurs ont la jouissance de l’étonnement de l’homme à son réveil, et son ignorance amusante des horribles douleurs qu’il éprouve. […] À son retour, pris de douleurs cérébrales, il avait la malheureuse idée de s’entourer la tête de linge imbibé d’eau froide, à la suite de quoi il lui venait une névralgie, lui amenant un enflement de la tête, avec des taches de sang à la peau, et des rages de dents et des lancinements des tempes, à se jeter par la fenêtre.
La France, oubliant ses douleurs, Le rebénira, libre et fière. […] Quand d’erreur on nous tira, Ma douleur fut bien amère ! […] L’Assemblée nationale, qui sentait unanimement comme moi l’utilité et l’honneur de ce grand nom d’honnête homme populaire dans son sein, se leva tout entière de douleur et de respect à la lecture de cette démission ; elle la refusa et fit supplier le simple citoyen de ne pas faire une lacune dans la représentation de la France en remettant son mandat au peuple. […] De poète de fête qu’il avait été jadis il s’était fait poète de douleurs, sœur de charité de tout ce qui recourait à lui, soit pour une misère de corps, soit pour une misère d’esprit ; ses journées entières appartenaient à la foule. […] Il sentait que l’heure naturelle des départs était arrivée pour tous les deux, et que les douleurs qui finissent la vie ne peuvent pas être déplorées comme celles qui les commencent. « Cette pauvre Judith », me disait-il en essuyant ses yeux encore humides de la matinée des funérailles, « cette pauvre Judith me précède de peu dans le voyage.
Sa mère ne mourut qu’en 1672 : « Je l’en ai vu pleurer, écrit Mme de Sévigné, avec une tendresse qui me le faisoit adorer. » Sa grande douleur, on le sait, fut à ce coup de grêle du passage du Rhin. […] La seule vue inopinée du portrait avait réveillé toutes ses douleurs, et, n’étant plus maîtresse d’elle-même, elle n’avait pu que se retirer151. […] C’est à Mme de Sévigné encore qu’il faut demander le récit de sa dernière maladie et de ses suprêmes moments ; ses douleurs, l’affliction de tous, sa constance : il regarda fixement la mort152.
Elle fondit en larmes et elle devint rouge comme une feuille morte de notre treille coupée, de douleur et de honte de ce qu’on osait seulement lui faire une si offensante proposition. […] Presque évanouis tous les trois de douleur et de la secousse qui nous avait précipités à terre, nous entendîmes les coups redoublés comme d’un autre monde, et le petit chien Zampogna, qui avait cessé d’aboyer, léchait, tout haletant, le sang rose sur la tempe de sa jeune maîtresse, Fior d’Aliza. […] À ces mots, il s’approcha, avec un geste désespéré et pitoyable, les bras en l’air, de l’entaille déjà profonde de l’arbre, et, tout pâle de douleur, il pleura un moment en silence comme on pleure sur la blessure d’un homme mourant d’un coup de feu.
Tant qu’il avait vécu, la bonne fille n’avait pas voulu tenter de délivrer son amant pour ne pas priver son vieux père des douceurs qu’il trouvait dans son jeune camarade de chaîne, et pour qu’on ne punît pas le vieillard de l’évasion du jeune homme ; mais quand son père fut mort et que la pauvre enfant pensa qu’on allait donner je ne sais quel compagnon de lit et de fers à son amant, alors elle ne put plus tenir à sa douleur, à sa honte, et elle pensa à se perdre, s’il le fallait, pour le délivrer ; un signe, un demi-mot, une lime cachée dans un morceau de pain blanc rompu du bon côté, malgré le surveillant, sur le seuil de sa porte ; un rendez-vous nocturne, indiqué à demi-voix pour la nuit suivante, sur la côte à l’embouchure de l’Arno, furent compris du jeune homme. […] Ensuite la pensée des jours sans fin que nous avions passés ensemble, depuis que nous respirions et que nous grandissions dans le berceau, dans la cabane, dans la grotte, dans la vigne, dans les bois, sans songer que jamais nous pourrions être désunis l’un d’avec l’autre, et puis ceci, et puis cela, que nous n’avions pas compris d’abord dans nos ignorances, et que nous nous expliquions si bien à présent que nous nous étions avoué notre penchant, contrarié par nous seuls, l’un vers l’autre ; et puis la fatale journée de la coupe du châtaignier, et puis celle de ma blessure par le tromblon du sbire, quand il avait étanché mon sang sur mes bras avec ses lèvres ; et puis ma folie de douleur et ma fuite de la maison sans savoir où j’allais pour le suivre, comme la mousse suit la pierre que l’avalanche déracine ; et puis ma pauvre tante et mon père aveugle abandonnés à la grâce de Dieu et à la charité du père Hilario, dans notre nid vide ; et puis l’espérance que les anges du ciel nous délivreront des pièges de la mort où nous étions pris, tels que deux oiseaux, pour nous punir d’en avoir déniché, les printemps, tant d’autres dans nos pièges de noisetier, quand nous étions enfants ; et puis la confiance de nous sauver de là, plus tard, d’une manière ou d’autre, car les quatre semaines et les quatre jours nous paraissaient si longs, que nous ne pensions jamais en voir la fin. […] monsieur, le sommeil n’était pas venu une heure de suite sur nos yeux depuis le jour du malheur ; nous n’avions la nuit d’autre bruit dans la cabane que le bruit confus de nos sanglots, mal étouffés sur nos bouches, et de temps en temps les cris de douleur involontaires du petit chien, couché sur le pied de mon lit, quand sa jambe coupée, qui n’était pas encore guérie, lui faisait trop mal, et qu’il implorait ma main pour le retourner sur sa paille.
Vous savez comment mon pauvre Urbin est mort : ce qui a été tout à la fois pour moi une grande grâce de Dieu et une grande et infinie douleur. […] La douleur la tint muette pendant sept ans, n’exhalant ses gémissements que devant Dieu et devant l’image de son époux dans des poésies comparables aux Tristes d’Ovide, mais où le sentiment a l’amertume des larmes et l’onction de la prière. […] Sa douleur, adoucie par le temps, s’était convertie en une mélancolie pieuse qui ne cherchait son repos que dans l’ombre des cloîtres.
Nous y apprenons en détail ce que nous savions en gros ; nous y voyons jour par jour la vie de misères, de déceptions, de pauvreté et de douleurs que mena sans interruption cette passionnée créature qui fut éminemment une « pas de chance », et qui eut une âme admirable et un peu de génie. […] Ne sois pas triste, mon bon ange, ou du moins lève-toi sous ce fardeau de douleurs que je comprends, que je partage. […] Les misères, les déceptions, les douleurs exorbitantes et ininterrompues amènent peu à peu une sorte de renoncement ; et le renoncement est, comme vous savez, la condition de la joie véritable.
S’il apprend avec douleur que le roi n’a pas été présent à la bataille de Saint-Quentin, il dissimule et déguise son mécontentement. […] Soyons un peu juges nous-mêmes : « Un jour (nous dit dans sa Relation naïve un bon moine de Saint-Just), l’empereur étant très satisfait de sa santé et de la bonne disposition où il était, fit appeler le père Fray Juan Regia, son confesseur, et lui dit : “Fray Juan, il m’a paru à propos de faire faire les obsèques et funérailles de mes parents, ainsi que de l’impératrice, puisqu’en ce moment je me porte bien et n’éprouve aucune douleur : que vous en semble ?”
Mais de même que je me rappelais tout à l’heure Virgile en le lisant, je ne puis m’empêcher encore de me reporter à cette autre parole d’Andromaque dans Euripide, laquelle, au plus fort de ses douleurs et de ses alarmes maternelles, s’écrie : « … Oui, cela est vrai pour tous les hommes : leurs enfants, c’est leur âme même, et celui qui, pour n’en avoir pas l’expérience, dit le contraire, celui-là souffre moins, mais il est heureux sans bonheur. […] Je note dans Émile quantités de pensées délicates et pures sur les femmes : « La femme qui vous aime n’est qu’une femme ; celle que nous aimons est un être céleste dont tous les défauts se cachent sous le prisme à travers lequel il vous apparaît. » Ou encore : « Une femme dont on est aimé est une vanité ; une femme que l’on aime est une religion : vous serez tout pour moi, existence, vanité, religion, bonheur, tout. » « Les femmes, qui sont si habiles en dissimulation, feignent plus adroitement que nous un sentiment qu’elles n’éprouvent pas ; mais elles cachent moins bien que les hommes une affection sincère et passionnée, parce qu’elles s’y adonnent davantage. » Sur le bienfait, qui produit des effets si différents selon la terre qui le reçoit, selon les cœurs sur lesquels il tombe : « Toutes les fois que le bienfait ne pénètre et ne touche pas le cœur, il blesse et irrite la vanité. » Sur le désabusement qui vient si tôt, qui devance les saisons, et qui n’est pas même en rapport avec la durée naturelle de la vie : « Il y a un certain âge dans la vie où l’exaltation n’est plus possible ; la sensibilité peut être assez profonde pour assister au spectacle de tant de maux et de tant de douleurs sans être entièrement usée, mais l’exaltation n’a jamais résisté à l’expérience du cœur humain.
Elle fut éprouvée dans cet intervalle par une vive douleur : le premier Dauphin, tombé depuis quelque temps dans une sorte de rachitisme, mourut le 2 juin 1789 à l’âge de sept ans. […] On aura beau dire, rien ne sera exagéré, et au contraire tout sera au-dessous de ce que nous avons vu et éprouvé. » Elle écrivait encore au comte de Mercy dans le même temps : « Vous n’avez pas besoin de me dire votre douleur, et je n’exprimerai pas ce que je sens ; il me suffit d’être sûre que vous avez apprécié tout ce que j’éprouve.
Très-jeune, plein de foi, d’abord un des collaborateurs de l’Avenir, et disciple de M. de La Mennais, après s’être dévoué avec noblesse, puis s’être séparé avec simplicité, il alla passer deux ans de réflexion, de douleur et d’étude en Allemagne. […] Mais ce que Raphaël en sa noble manière Ne dit pas, c’est qu’au cœur elle a souvent son mal Elle aussi, — quelque plaie à l’aiguillon fatal ; Pourtant, comme à l’insu de la douleur qui creuse, Chaque orphelin qui vient enlève l’âme heureuse !
Le cinquième élément nécessaire de cette création ou de cette poésie, c’est le don d’exprimer par la parole ce que nous voyons et ce que nous sentons en nous-mêmes, de produire en dehors ce qui nous remue en dedans, de peindre avec les mots, de donner pour ainsi dire aux paroles la couleur, l’impression, le mouvement, la palpitation, la vie, la jouissance ou la douleur qu’éprouvent les fibres de notre propre cœur à la vue des objets que nous imaginons. […] Quoi qu’il en soit, l’orpheline ayant un jour accompagné les femmes et les filles de Smyrne au bord du petit fleuve Mélès, où l’on célébrait en plein champ une fête en l’honneur des dieux, fut surprise par les douleurs de l’enfantement.
La victime était faite de la même boue que les bourreaux, et la déesse Douleur fut impuissante à insuffler en cette fange militaire une âme. […] C’est le sublime dans la douleur, et plus tard elles resteront comme un monument impérissable ».
Vous avez bien de l’expérience ; mais il vous en manque une que, j’espère, vous n’aurez jamais : c’est la privation du sentiment, avec la douleur de ne s’en pouvoir passer. […] Mme Du Deffand, à peine arrivée, attend les lettres du président avec une impatience qui ne se peut imaginer, et elle lui déduit les preuves de ce goût qu’elle a pour lui, de peur qu’il n’en ignore : J’ai vu avec douleur que j’étais aussi susceptible d’ennui que je l’étais jadis ; j’ai seulement compris que la vie que je mène à Paris est encore plus agréable que je ne le pouvais croire, et que je serais infiniment malheureuse s’il m’y fallait renoncer.
Mais ceux-ci le repoussent comme un civilisé et un intrus, et il s’en revient au château mourir de douleur et de désespoir, maudissant à la fois l’animal et l’homme, farouche et inconsolé : À sa franche nature, oh ! […] En avançant dans la vie, il a pu ressentir de plus en plus les douleurs et goûter les affections légitimes : le fils qui pleure une mère, l’époux qui va s’attendrir sur le berceau d’un enfant, c’est là de quoi animer raisonnablement le platonicien, et de quoi achever l’homme dans le poète65.
Zola entre, appuyé sur une canne, se plaignant d’une douleur rhumatismale dans la cuisse. […] Et Daudet de s’écrier : « Moi, ça été huit jours une plénitude de la vie, pendant laquelle j’aurais embrassé les arbres… Puis, une nuit, sans avertissement, sans douleur, je me suis senti quelque chose de fade et de gluant dans la bouche — et il fait le geste d’en retirer une limace — et après ce caillot, trois fois des flots de sang qui ont rempli mon lit… Oui, c’était une déchirure du poumon… et depuis ce temps je ne puis cracher dans mon mouchoir, sans regarder s’il n’y a pas de ce sacré sang !
On sçait avec quelle affection Pline vante le trait ingénieux de Timante, qui peignit Agamemnon, la tête voilée au sacrifice d’Iphigenie, pour marquer qu’il n’avoit osé tenter d’exprimer la douleur du pere de cette jeune victime. […] Quoiqu’il aille expirer, on voit qu’il ne veut pas s’abandonner à sa douleur ni à sa défaillance, et qu’il a encore l’attention à sa contenance, que les gladiateurs se piquoient de conserver dans ce funeste moment.
On voit si bien, à travers sa phrase émue, qu’il a souffert toutes ces douleurs, tressailli de toutes ces joies, combattu toutes ces luttes ! […] C’est en vain que Murger s’évertuera à reproduire des joies et des douleurs qu’il n’a pas éprouvées lui-même !
cette manière n’est rien moins que celle de la Toute-Puissante Providence elle-même, qui envoie le châtiment après le crime, la maladie après l’excès, le remords, la tristesse, l’ennui, toutes les hontes et toutes les douleurs qui nous dégradent et nous dévorent, pour avoir transgressé ses lois. […] Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsycoses il n’a pas la foi du grand poète catholique, qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie.
Les larmes immortelles de la Pitié, chez cette Révoltée généreuse des douleurs du monde, n’ont jamais séché sur son athéisme attendri… Il fallait au siècle un athéisme plus furieux et plus implacable. […] Cet effrayant négateur de l’absolu est dévoré par l’absolu du désespoir… et pour lui comme pour tous les poètes, c’est la douleur, qu’elle soit réelle et sentie ou simplement imaginaire, qui donne aux cris de ses vers leur toute-puissance.
Au lieu de s’épanouir, elle se resserre ; nous la sentons se contracter sous la douleur, comme nous la sentons se dilater sous le plaisir. […] Mais ce premier mouvement ne tarde pas à prendre un caractère plus décidé ; la sensibilité se resserre comme pour fermer passage à la douleur ; elle fait plus, elle se détourne de la cause, elle la fuit, on la sent qui se replie en elle-même ; c’est la concentration opposée à l’expansion.
Non, lorsque Antonin ou Trajan moururent autrefois dans cette même ville, et que la douleur publique prononça leur éloge en présence des citoyens, dont ils avaient fait le bonheur pendant vingt ans, je suis bien sûr qu’on n’y parla pas davantage de vertu, de justice, de larmes et de désolation des peuples. […] Il parle des bienfaits qu’il a lui-même reçus de ce prince dont il était aimé ; il joint sa douleur particulière à celle de toute la France, et il finit par faire à son bienfaiteur et à son prince, les adieux les plus passionnés, comme l’ami le plus tendre pourrait les faire sur le tombeau et à la vue des cendres de son ami.
Les beautés vraiment lyriques où il s’est élevé, ce sont ses souvenirs des Alpes et de l’Allemagne, des paysages magnifiques et des vertus simples de la Suisse ; c’est enfin sa douleur, quand il voit la liberté de ce peuple menacée par l’invasion républicaine de la France ; c’est son indignation, sa fureur de résistance, quand il craint pour l’Angleterre la même menace et la même profanation. […] On le sent, aux cris de douleur qui lui échappent sur les vices inhumains mêlés à l’idolâtrie des Hindous, et sur tous les maux dont il faudrait les guérir pour les élever jusqu’à la foi.
— Quant à Phèdre, elle a complètement réussi… Je n’ai pas vu encore mademoiselle Rachel dans ce rôle : mais tout ce qui me revient prouve que si elle n’a pas rendu la Phèdre grecque que personne ne connaît ici, elle a compris admirablement la Phèdre française, la Phèdre chrétienne, celle de Boileau et d’Arnauld, … la douleur vertueuse De Phèdre, malgré soi, perfide, incestueuse.
quand l’Italie et son soleil n’auraient valu à la chère famille errante que cette fleur sombre au parfum profond, tant de douleur ne serait pas perdue !
Eugène est si simple qu’il a peine à comprendre ; et quand il a compris, la douleurs de ne plus coucher près de la serre chérie et de ses fleurs favorites est telle, qu’il trouve plus facile d’épouser la veuve de son professeur, que de quitter la maison.
Mais, comme si le destin avait voulu lui faire expier cette heure extraordinaire tout de suite après, l’abandon, l’oubli, la ruine amenée par l’ancien faste et par les charités royales, le travail forcé, une vieillesse attelée, pour vivre, à des tâches de librairie et finissant par tendre la main au peuple… Cette vie si grande le paraît encore plus, s’étant achevée dans tant de douleur.
Les dissensions intestines de la plus puissante maison qui soit au monde, les discords tragiques d’un père et d’un fils, mêlés au plus effroyable drame de douleur et de mort, ont rempli pendant des mois nos gazettes bourgeoises.
Aux cris de douleur, à l’amertume des souffrances premières, la saine et sainte joie succède, chantée par toutes les lyres d’une conscience droite et haute.
Évidemment, toutes ces doctrines n’ont rien de réconfortant ; elles proclament trop nettement la vanité de nos efforts ; elles sèment la douleur jusque sur le chemin de l’héroïsme et de l’idéal.
Le roi avait déclaré, en voyant la douleur que ressentait madame Scarron de la mort du premier de ces enfants, qu’il serait doux d’être aimé par madame Scarron.
d’Alembert n’auroit pas eu la douleur d’avoir contribué, par un bel Ouvrage, à faire naître de fausses espérances.
Les anti-Uranistes, ou Jobelins, préféroient le sonnet de Job à celui d’Uranie : Job, de mille tourmens atteint, Vous rendra sa douleur connue : Mais raisonnablement il craint Que vous n’en soyez pas émue.
Ses livres n’étaient que des catalogues de remèdes pour les infirmités du corps, ou des recueils de cantiques, dont les paroles apaisaient les douleurs de l’âme.
Un homme de courage, attaqué d’une grande douleur, laisse bien voir sa souffrance peinte sur son visage ; mais elle n’y doit point paroître telle qu’elle se montreroit sur le visage d’une femme.
(Il s’affaisse avec un cri de douleur
L’esprit nouveau était né ; et les entrailles de l’humanité ressentent encore la douleur de cet enfantement.
Dans la douleur commune, le langage se fait plus familier, plus bref. […] Alors, le thème du chant n’est plus cette allégresse d’un matin d’été : ce serait la douleur. Mais non : arrière la douleur ; plutôt la haine ! […] » Il n’y eut, auprès d’elle, que du silence et « l’unanime charité lui avait appris la douleur ». […] Non ; et, ici comme dans les romans d’André Lafon, nul drame : une très discrète douleur, et sage !
Il y en a, à cette exposition, qui sont si malheureux d’être séparés de ceux qu’ils aiment, qui montrent si naïvement leur douleur, et dont la plainte est si désespérée et si sincère ! […] Or, j’eus la douleur de constater, voilà quelques années, pendant mes vacances, qu’on en avait abattu des rangées entières dans les prés qui bordent la Loire. […] Même les autres douleurs, les douleurs plus intimes et plus profondes, quand d’aventure on en a, s’engourdissent et s’ensommeillent ; on ne sent plus qu’une petite morsure secrète, de temps à autre, un sourd memento de souffrance. […] Mes chances de douleur se trouvent ici réduites de plus de moitié. […] Son amour, qui flatte sans effrayer, lui vaut du moins des confidences d’une espèce particulière, la confidence des douleurs qui viennent de l’amour.
Ainsi, quoi qu’en puissent dire et penser Vautrin, Esther et le Prince Rodolphe, nous persistons à croire que dans l’immense réunion des infortunes étalées sous les yeux des heureux de ce monde, il vaut mieux s’empresser d’abord de secourir les plus honnêtes, et laisser les douleurs proscrites pour des temps où les misères réellement intéressantes seront plus rares. […] L’abattement profond d’un souverain pleurant sur les débris de sa ville, ou d’un amant trahi par sa maîtresse, ou bien d’un père qui embrasse sa fille morte, ce sont là des situations qui n’ont guère de rapports entre elles, et pourtant lorsque les paroles deviennent dépositaires de ces grandes douleurs, elles se refusent à tenir compte de la distance qui les sépare, et elles ne peuvent leur présenter que l’usage des mêmes mots. […] Nous admettons sans nul doute tout ce que les douleurs d’Octave ont de poignant et combien les larmes de l’amant sont amères ; mais l’art est petit lorsqu’il ne considère dans une question qu’un seul côté, et ici il aurait dû se souvenir que les chagrins amoureux ont pour compagne inséparable la pudeur ; que la pudeur est le trait qui distingue ces peines des autres variétés du désespoir, lorsque l’amant doit exciter la pitié. […] Est-ce que cet âge voit durer ses douleurs morales pendant tant de pages, et ne savons-nous pas combien la consolation est prompte à descendre sur la jeunesse et à lui rendre la force d’avancer dans la vie ? […] Autour du héros, tous les hommes sont riches, toutes les femmes sont belles et il ne semble pas que la douleur ait la puissance de percer jamais l’atmosphère de bien-être dont ces puissants épicuriens sont enveloppés.
C’est bien une douleur vraie qui parle, mais l’art lui sert d’interprète. […] Il verse des larmes en peignant la douleur d’une mère perdant son enfant ; mais il pleurera aussi facilement sur les souffrances du petit chat de Mariette aux yeux d’un vert émeraude. […] Victor Hugo n’explique pas aux hommes ce mystère de la douleur, mais il nie que la douleur soit un mystère ; selon lui, elle est le résultat exclusif de l’iniquité de la société, qui a sans doute sa part de responsabilité dans les vices qui la souillent et la menacent, mais qui n’a pas la responsabilité tout entière. […] Le christianisme est bien meilleur entendeur du cœur humain et des intérêts des sociétés humaines, et, en présence du mystère de la douleur et du problème de la misère, il agit d’une tout autre manière. […] Victor Hugo rapproche le nom du jeune Dauphin de France, qui mourut vieux de douleur à douze ans, et celui du frère de Cartouche, qui fut pendu, non pas pour son nom, mais pour ses méfaits précoces.
Cet honnête homme, à ces mots, ordonna que l’on refermât ma prison, parce que l’on ne pouvait rien faire sans lui ; et il partit sur-le-champ pour aller chez la duchesse, femme de Pier Luigi, qui se trouvait en ce moment avec l’autre duchesse, femme d’Octavio, et lui parla ainsi : Madame, je vous prie, au nom de Dieu, de dire au pape d’envoyer un autre que moi lire à Benvenuto sa sentence, parce qu’il m’est impossible de le faire ; et il la quitta aussitôt, le cœur rempli de douleur. […] Mes dents se gâtaient, ou se séparaient tellement de leurs alvéoles que je pouvais les en arracher sans douleur, comme si elles eussent été dans une gaine. Cependant je m’étais accoutumé à ces nouvelles douleurs. […] ceux qui m’écoutaient allèrent le redire au châtelain, qui s’écria avec douleur : Ô Dieu, il vit content au milieu des souffrances, et moi, je meurs à cause de lui, au milieu de toutes les commodités de la vie !
Le travail est un excellent moyen de triompher de la douleur. […] J’ai souvent ressenti une douleur profonde en pensant à cette nation allemande, qui est si estimable dans chaque individu et si misérable dans son ensemble. […] Une douleur excessive se répandit d’abord sur les membres, puis sur la poitrine, et la respiration devint difficile. — Mais Goethe ne voulut pas que son domestique appelât le médecin. […] La douleur qui torturait sa poitrine lui arrachait des gémissements, et de temps en temps un cri.
Lorsqu’en 1716, la voyant s’éteindre dans sa douleur, il eut consenti à un mariage secret, ce secret devint une torture pour Stella, et il refusa de le rompre. Il est vrai qu’il avait alors en Irlande un autre amour, et qu’il pouvait désirer que les deux rivales continuassent de s’ignorer, mais lorsque cet obstacle eut disparu, lorsque cette autre femme elle-même eut succombé, abreuvée de jalousie, de honte et de douleur, pourquoi refusa-t-il d’avouer la suppliante Stella pour sa femme ? […] Je vous écris cela parce que je ne pourrais vous le dire si je vous voyais ; car lorsque je commence à me plaindre, vous vous fâchez, et il y a alors dans vos regards quelque chose de terrible qui m’impose silence. » De son côté, Stella, se sentant une rivale sans la connaître, se mourait, et en 1716, Swift, vaincu par sa douleur, l’épousa secrètement. […] Ni la vie de Swift, ni ses douleurs ne nous sont inutiles, car ce n’est que d’un tel homme et que d’une telle vie que Gulliver pouvait sortir.
Lorsqu’elle eut fait rentrer les glaives dans leurs fourreaux, la contenance audacieuse de Tannhseuser se change en un abattement désolé, et il tombe prosterné à ses pieds, Élisabeth achève son imploration de suprême amour et de suprême douleur, d’une voix que l’épuisement éteint. […] Dans cette multiplicité d’aveux échappés aux plus cruels tournions, le chant, le récitatif, la parole, l’interjection, le cri, le rire sardonique se succèdent et s’entremêlent avec une telle vérité pathologique, une telle science toxicologique, une telle variété de mouvements passionnés, désolés et révoltés, selon que les espérances accordées et frustrées, la pitié due à un cuisant remords obstinément déniée, le pardon d’une faute amèrement déplorée à jamais rendu impossible, les instantes supplications repoussées, les repentirs ardents dédaignés, enfin le terrifiement dernier du désastre irrémédiable viennent se retracer dans une énumération haletante, que es moment forme à lui seul un drame dans le grand drame, et par ses sombres couleurs et son épouvantable angoisse, se détache de ce qui l’a précédé ainsi que de ce qui va suivre, comme une évocation qui aurait brisé les scellés de l’abîme des maux, pour surgir devant nos regards pétrifiés, pour leur dévoiler subitement tout l’infini de la douleur, et chacun de ses râles impuissants. […] C’est l’excès de la douleur qui a tué l’un et l’autre. […] Il exprimera les douleurs et les joies par des agencements sonores et rythmiques de syllabes, insoucieux, dans ces rares passages, du sens notionnel des mots : puisque, aussi bien, nuls mots ne peuvent traduire les émotions.
Ce que paraît bien réellement Bernis d’un bout à l’autre dans ces lettres à Choiseul, c’est un honnête homme qui est au-dessous de la situation, qui est l’auteur désigné et responsable d’une alliance devenue funeste, qui se sent engagé, et qui n’a pas le pouvoir de tenir ni de réparer : On ne meurt pas de douleur, écrit-il à Choiseul (13 décembre 1757), puisque je ne suis pas mort depuis le 8 septembre (époque de la convention étourdie de Klosterzeven). […] Je crois même sur cela que mon calcul aurait été à l’avantage de la conservation des hommes… J’ai pensé en mourir de honte et de douleur. » Et à un autre endroit il ajoute : J’ai fait la lettre que le roi a écrite au comte de Clermont pour l’empêcher de quitter le Rhin où, chose incroyable !
. — « Douleur, tu n’es pas un mal », dit le philosophe stoïcien que le mal dévore. Maine de Biran veut encore davantage, il aspire à dire avec le chrétien parfait : « Douleur, tu es mon bien » — « Car, remarque-t-il délicatement, c’est le trouble et non la souffrance qui nuit à l’âme. » Tout cela ne se passe pas en un jour chez Maine de Biran, mais dure des années.
Telles sont ses douleurs et humiliations, dont il ne ressent pas autant d’irritation qu’on le croirait : c’est un enfant qui se plaint, encore plus qu’un auteur piqué. […] J’y opposerai seulement une certaine page des mémoires de Marolles où il se représente, sans y être obligé, comme singulièrement attaché à la pudeur, et n’ayant jamais manqué en rien d’essentiel aux devoirs de sa condition, et aussi cette autre page où, déplorant en 1650 la mort d’une petite fille née en son logis et sœur des deux autres personnes dont parle Jean Rou, il la regrette en des termes si touchants, si expressifs et si publics, que véritablement il ne semble pas soupçonner qu’on puisse attribuer sa douleur à un sentiment plus personnel : « Cela fait bien voir, dit-il simplement, ce que peut quelquefois la tendresse de l’innocence sur le cœur d’un philosophe quand il ne s’est pas dépouillé de toute humanité. » — Cette remarque faite pour l’acquit de ma conscience, chacun en croira pourtant ce qu’il voudra.
Dans le délire de sa douleur (car elle est comme une folle), elle court au palais du roi et le supplie de lui épargner l’odieux hymen de don Sanche ; elle est prête, pour y échapper, à renoncer à tout, à se dépouiller de tous ses biens et à se jeter dans un cloître. […] Il y a de ces lendemains cruels par lesquels on fait expier à un beau talent son premier succès. — Béranger a fait un bien mauvais vers, mais qui dit une chose juste : « De tout laurier un poison est l’essence. » Les auteurs piqués, les rivaux éclipsés, les Scudéry, les Mairet, — le grand Cardinal (ô douleur !)
Il eut la douleur de survivre plus de deux années à sa femme, et l’on est allé jusqu’à penser que dans son deuil et sa mélancolie extrême, il avait pu lui-même avancer sa fin. […] Il a écrit dans son Journal, à la date de janvier 1772 : « J’ai soixante-trois ans presque accomplis ; jusqu’ici je me porte assez bien, je ne désire point ma fin ; mais si des douleurs aiguës, continues et irrémédiables, s’emparaient de votre serviteur, la mort la plus prompte lui serait la plus agréable ; voilà mes sentiments… » Ce qu’il disait là assez lestement et par manière de souhait, il put bien y aider en effet douze ans plus tard dans son excès d’ennui et de tristesse.
On a d’admirables lettres de lui à ce sujet, adressées à son frère, non plus son cher Croisilles (il était mort depuis peu, et la douleur de cette perte s’ajoutait aux autres douleurs), mais à son frère aîné, conseiller d’honneur au Parlement ; il lui disait : « Au camp d’Antignate, le 22 août 1701.
En 1814 il eut, nous dit-il, la douleur de voir les Cosaques faire leur entrée dans la capitale. […] Elle est venue me voir hier, et ses beaux yeux ont répandu des larmes si vraies qu’elles m’ont tIouché jusqu’au fond de l’âme ; cette douleur fait le plus grand éloge de Mme de Staël.
C’est à la fois un psychologiste ardent, un lamentable élégiaque des douleurs humaines et un peintre magnifique de la réalité. […] Tout est douleur, vide, abandon, si l’amour s’éloigne ; s’il s’approche, tout est joie, espoir, félicité.
L’âme, rayon du ciel, prisonnière invisible, Souffre dans son cachot de sanglantes douleurs ; Du fond de son exil elle cherche ses sœurs ; Et les pleurs et les chants sont les voix éternelles De ces filles de Dieu qui s’appellent entre elles. […] Ce qui n’a pas été remarqué, c’est que cette apostrophe si admirée à l’Amour n’est autre qu’un passage de la Notice de Latouche sur André Chénier ; Latouche y apostrophait déjà en propres termes « ce sentiment qui tient à la douleur par un lien, par tant d’autres à la volupté.
Ils coulent avec tant de grâce, Qu’on ne sait, malgré ta pâleur, S’ils laissent une amère trace, Si c’est la joie ou la douleur. […] tes joies ont été glacées par les baisers du temps, mais tes douleurs ont survécu au temps qu’elles ont étouffé sur leur sein.
IV À l’exception de l’extrême douleur qui brise les cordes de l’instrument et qui leur arrache un cri inarticulé, cri qui n’est ni prose, ni vers, ni chant, ni parole, mais un déchirement convulsif du cœur qui éclate, quand l’émotion de l’homme est modérée et habituelle, l’homme se sert pour l’exprimer d’un langage simple, tempéré et habituel comme son émotion. […] Nous trouverions partout que c’est l’émotion qui est la mesure de la poésie dans l’homme ; que l’amour est plus poétique que l’indifférence, que la douleur est plus poétique que le bonheur, que la piété est plus poétique que l’athéisme, que la vérité est plus poétique que le mensonge ; et qu’enfin la vertu, soit que vous la considériez dans l’homme public qui se dévoue à sa patrie, soit que vous la considériez dans l’homme privé qui se dévoue à sa famille, soit que vous la considériez dans l’humble femme qui se fait servante des hospices du pauvre et qui se dévoue à Dieu dans l’être souffrant, vous trouveriez partout, disons-nous, que la vertu est plus poétique que l’égoïsme ou le vice, parce que la vertu est au fond la plus forte, comme la plus divine des émotions.
La théorie des deux morales, c’est-à-dire, pour parler net, le privilège accordé aux souverains et aux hommes d’État de manquer à la morale dans un intérêt public ou qu’ils estiment tel, peut être également l’erreur volontaire et calculée d’un prince selon Machiavel — ou l’illusion d’un mystique, comme paraît avoir été ce mélancolique empereur au souvenir de qui trop de douleur s’attache pour que nous puissions, nous, le juger en toute liberté d’esprit, mais qui, au surplus, se trouverait sans doute suffisamment jugé, si l’on regarde sa fin, par le mot de Jocaste à Œdipe : « Malheureux ! […] Joignez à cela de cruelles douleurs domestiques : la mort d’une femme, de deux filles, de deux fils.
Dans un écrit intitulé : Pour la dernière fois, il fit entendre sa plainte doucement résignée : « Je ne suis pas stoïcien, dit-il, et je n’ai jamais nié que la douleur fût un mal. Or, depuis bien des mois, la douleur m’accable avec une persistance désespérante.
ses maladies elles-mêmes, ses infirmités avaient quelque chose d’indolent et de tranquille : « Il avait la goutte, mais sans douleur ; seulement son pied devenait de coton ; il le posait sur un fauteuil, et voilà tout. » C’était une âme et un corps où n’entra jamais l’aiguillon. […] Cette mort fut la seule douleur de sa longue vie, le seul accident qui trouva sa philosophie en défaut ; il fut homme un jour par ce côté.
C’est à partir de 1836 que son talent montra qu’il était capable de s’élever à des compositions pures, naturelles, touchantes, désintéressées : il publia le joli poème intitulé L’Aveugle de Castel-Cuillé, dans lequel il nous fait assister aux fêtes, aux joies du village, et à la douleur d’une jeune fille, d’une fiancée que la petite vérole vient de rendre aveugle et que son amoureux délaisse pour en épouser une autre. La douleur de la pauvre abandonnée, son changement de couleur, son attitude, ses discours, ses projets, le tout encadré dans la fraîcheur du printemps et dans l’allégresse riante d’alentour, porte un caractère de nature et de vérité auquel les maîtres seuls savent atteindre.
Une douleur infinie, si elle était possible, serait elle-même la perfection de la douleur, une perfection en son espèce, purement quantitative, mais ne serait pas une perfection proprement dite et qualitative, c’est-à-dire un bien d’une grandeur infinie.
A l’extase sont liées des émotions excessivement fortes dans lesquelles la plus ardente volupté se mêle à la douleur. […] Cette remarque prouve qu’ils ont conscience aussi de la douleur aiguë qui accompagne la désagrégation dans les cellules cérébrales surexcitées, et qu’une analyse attentive discerne dans chaque sensation voluptueuse très forte. […] Car les commencements du romantisme coïncident avec l’abaissement le plus profond de l’Allemagne, et la douleur causée aux jeunes talents par la honte de la domination étrangère donna à tout l’ensemble de leurs idées une coloration patriotique. […] si j’osais t’anéantir en t’écrasant d’amour, et mourir, mourir de ta douleur et de mes délices, et me mêler à ton sang et me fondre en toi ! […] Douleur de cœur pour la fille du roi.
Ils changeaient de place leur douleur, à la recherche d’un soulagement qui ne voulait pas venir.
Rien ne le troublerait dans sa profonde et austère contemplation ; ni le passage bruyant des événements publics, car il se les assimilerait et en ferait entrer la signification dans son œuvre ; ni le voisinage accidentel de quelque grande douleur privée, car l’habitude de penser donne la facilité de consoler ; ni même la commotion intérieure de ses propres souffrances personnelles, car à travers ce qui se déchire en nous on entrevoit Dieu, et, quand il aurait pleuré, il méditerait.
Je voyais là ce Rien que nous appelons Tout ; Les rois, les dieux, la gloire et la loi, les passages Des générations à vau-l’eau dans les âges ; Et devant mon regard se prolongeaient sans fin Les fléaux, les douleurs, l’ignorance, la faim, La superstition, la science, l’histoire, Comme à perte de vue une façade noire.
Elles imaginèrent de représenter, dans cette apologie, une dame, le chief des dames, l’advocate de toutes les loyales dames du monde ; d’abord triste, abattue, ensévelie dans une douleur profonde ; ne cherchant que la retraite & les bois ; confuse de tout le mal qu’on a dit de son sexe : mais bientôt passant de cet état d’accablement à celui de la fureur & des menaces.
« Je ne sais (dit l’orateur, en reprochant le luxe aux femmes chrétiennes), je ne sais si des mains accoutumées aux bracelets, pourront supporter le poids des chaînes ; si des pieds ornés de bandelettes s’accoutumeront à la douleur des entraves.
On voit dans la sœur aînée qui est appuyée debout sur le dos du fauteuil de son père, qu’elle crève de douleur et de jalousie, de ce qu’on a accordé le pas sur elle à sa cadette.
Il y a dans l’art, comme dans la société, les fausses grâces, la minauderie, l’afféterie, le précieux, l’ignoble, la fausse dignité ou la morgue, la fausse gravité ou la pédanterie, la fausse douleur, la fausse piété ; on fait grimacer tous les vices, toutes les vertus, toutes les passions ; ces grimaces sont quelquefois dans la nature ; mais elles déplaisent toujours dans l’imitation ; nous exigeons qu’on soit homme, même au milieu des plus violents supplices.
Domitien, naturellement féroce, et d’autant plus implacable dans sa haine qu’elle était plus cachée, était cependant retenu par la prudence et la modération d’Agricola ; car il n’affectait point ce faste de vertu et ce vain fanatisme qui, en bravant tout, veut attirer sur soi l’œil de la renommée ; que ceux qui n’admirent que l’excès sachent que même sous de mauvais princes, il peut y avoir de grands hommes, et qu’une vertu calme et modeste, soutenue par la fermeté et les talents, peut parvenir à la gloire, comme ces hommes qui n’y marchent qu’à travers les précipices, et achèvent la célébrité par une mort éclatante, mais inutile à la patrie46. » Toutes les fois que Tacite parle des vertus d’Agricola, son âme fière et ardente paraît s’adoucir un peu ; mais il reprend la mâle sévérité de son pinceau pour peindre le tyran soupçonné d’avoir fait empoisonner ce grand homme, s’informant avec une curiosité inquiète des progrès de sa maladie, attendant sa mort de moment en moment, et osant feindre de la douleur, lorsqu’assuré qu’Agricola n’est plus, il est enfin tranquille sur l’objet de sa haine.
Au mois de mars 1807, sous le coup de nouvelles douleurs domestiques, et dans un grand dérangement de santé, elle se vit forcée d’interrompre un moment son travail ; mais une lettre arrive, qui lui offre des articles qu’on tâchera de rendre dignes d’elle durant tout le temps de l’interruption. […] Personne de réalité, de pratique et d’épreuves, elle ne se prêtait pas volontiers à la mise en œuvre de la douleur, et ne se laisssait pas contenir et bercer dans l’idéale région. […] Voilà pourquoi je ne puis plus soutenir au spectacle, ou dans les romans, ou dans les poëmes, sous les noms de Tancrède, ou de Zaïre, ou d’Othello, ou de Delphine, n’importe, la vue des grandes douleurs de l’âme ou de la destinée.
Elle y pensa pourtant encore par intervalles ; dans ses plus grandes dissipations, elle entretenait de ce côté quelque commerce de lettres ; elle leur écrivait à chaque assaut, à chaque douleur ; elle leur revint à la fin, et se partagea entre elles et Port-Royal. […] Ce récit fera ce triste effet, et c’est pourquoi je vous le demande ; car, enfin, vous voyez bien que ce ne doit point être le repos qui succède à une douleur comme la mienne, mais un tourment secret et éternel : auquel aussi je me prépare, et à le porter en la vue de Dieu et de ceux de mes crimes qui ont appesanti sa main sur moi. […] » Et là-dessus elle tomba sur son lit, et tout ce que la plus vive douleur peut faire, et par des convulsions, et par des évanouissements, et par un silence mortel, et par des cris étouffés, et par des larmes amères, et par des élans vers le Ciel, et par des plaintes tendres et pitoyables, elle a tout éprouvé.
cela m’a inspiré une douleur mortelle, une honte imméritée, une résignation religieuse, mais cela ne m’a donné aucune haine injuste et brutale contre les hommes. […] Il a beau dire, plus on place haut le drame du supplice sur l’échafaud, plus l’univers est attendri : le respect se joint à la compassion ; ce sont deux douleurs ! […] Le peuple a eu faim, soif, il a souffert des douleurs dans tous les âges, et, pour cela, le peuple sera innocenté, célébré, glorifié, canonisé dans ses bourreaux vengeurs en 1793 ou en 1862 !
S’il y avait égalité, équilibre, harmonie entre toutes leurs facultés ; si la sensibilité était contrebalancée par la raison, l’imagination par la justesse, l’enthousiasme par le bon sens, la passion par le devoir, la douleur par la force, ces hommes puissants dans une seule aptitude deviendraient puissants dans toutes, et leur supériorité spéciale, qui fait leur malheur, se changerait en une supériorité universelle qui ferait la gloire de l’humanité. […] On reconnaît avec douleur, dans cette incohérence d’idées absurdes et d’expressions tronquées, tous les symptômes d’un égarement d’esprit trop réel. […] Convaincu alors de l’amour de sa sœur pour lui, et se reprochant à lui-même une feinte qui avait causé tant d’angoisses à Cornélia, il commença à la rassurer avec de meilleures paroles, et il finit par se découvrir à elle pour ce qu’il était, mais peu à peu, néanmoins, et par degrés, de peur que la surprise et la joie, succédant sans préparation à tant de douleur, ne lui causassent un autre évanouissement qui, cette fois, pourrait être mortel.
La seconde, moins âgée d’un an, paraissait aussi réfléchie et moins timide ; elle avait l’air d’une pensée éclose tout fraîchement, mais qui jouit de se sentir, et qui dit à ses sœurs : « Voyez, comme ceci est semblable à ce que j’avais imaginé. » C’est ma seconde fille, me dit sa mère, elle sait par cœur tout ce qui intéresse votre famille ; dans le volume des Confidences, que nous avons lu en commun depuis que ce volume est tombé dans nos mains, votre mère, vos aimables sœurs, votre… Elle baissa la voix, craignant de faire saigner ma douleur, trop rapprochée de la perte ; les filles inclinèrent leurs fronts vers le gazon et nous restâmes un moment en silence. […] Nous pleurâmes en silence toutes les quatre en présence du premier sentiment et des premières douleurs de Lamartine. […] Nous glissâmes sur ces suprêmes douleurs de notre vie. — Non, cela n’est pas possible, dirent-elles toutes à la fois.
C’est qu’il y a au fond même de sa personnalité d’écrivain, une large tendresse de cœur, un sens d’apitoiement toujours éveillé, et prêt à comprendre toutes les douleurs et toutes les misères. […] Il nous touche par la douleur, par les destinées qu’il nourrit, par les conditions qu’il mélange, par les antagonismes qu’il crée. […] Il a pénétré, enfin, la splendeur du dévouement, l’âpre et forte ivresse du renoncement et du sacrifice, ainsi que la sainte efficacité de la douleur.
Dimanche 26 mars Quinze jours de migraine, de douleurs de tête insupportables qui me forcent à me mettre au lit, à chercher un soulagement dans l’obscurité d’une chambre complètement fermée. […] Puis, s’arrêtant au milieu de son attendrissement, il dit : « Je vous dois tout cela… je suis prêt à faire tout ce que vous voudrez… à vous prêter 80 000 fr. ; mais… et je suis venu pour cela, c’était pour moi un devoir de vous le déclarer… je ne peux pas voter pour vous… j’appartiens à l’Internationale… je dois même travailler contre vous. » Et le cul-de-jatte de l’Internationale se remet à pleurer, et sa douleur était sincèrement déchirante. […] Ici transporter toutes les douleurs morales que j’ai perçues chez mon frère, quand il a senti son cerveau incapable de ne plus produire.
Sa langue si pure, si habile, si nuancée, quand il reste dans les sujets antiques ou dans ceux qui n’ont pas d’âge, ceux que fournit le cœur humain, éternel dans ses douleurs, dans ses passions et ses joies, cette même langue s’embarrasse et se trouble dès qu’elle touche à des idées scientifiques ou à des pensées modernes que le vers français n’était peut-être pas encore en état de soutenir et d’exprimer. […] Il veut y corrompre d’avance tout germe vivant, éteindre à son aurore toute forme d’idéal qui pourrait éclairer ou consoler la planète maudite ; il imagine tous les supplices, la vie, qu’il rend plus sensible pour en faire une proie plus vulnérable à la douleur, l’amour, avec la mort pour en détruire toutes les joies, la Beauté souillée, la Vérité se montrant à l’homme pour l’égarer dans une vaine poursuite, la Liberté ignorante et profanée par ses propres œuvres. […] Il crée l’amour idéal, vainqueur de la mort même, il crée la science, il crée la justice, le dévoûment, le martyre ; il transforme la douleur même, la grande calomniée, et lui fait produire la dignité de l’homme, la perfection morale, la bonté ; c’est Le pire par le mieux sans cesse combattu.
IV Le livre d’Aujourd’hui commence par une si grande douleur qu’il ne faudrait pas être un bien grand poète pour agir sur les âmes, en chantant le malheur réel que M. […] Dieu sentit une douleur, Le poids prit une forme, — et, comme l’oiseleur Fuit emportant l’oiseau qui frissonne et qui lutte, Il tomba, traînant l’ange après lui dans sa chute. […] Je suis le poète farouche, L’homme devoir, Le souffle des douleurs, la bouche Du clairon noir !
Voilà une douleur qui raisonne admirablement. […] Boileau, qui était un cœur droit et un ferme esprit, parle de la « douleur vertueuse » de Phèdre et la déclare « perfide et incestueuse malgré soi ». […] Tous ceux-là aimeront et comprendront Bajazet qui ont été obligés de mentir et de soutenir péniblement leur mensonge, par amour, fidélité et compassion, et pour épargner des douleurs à une autre créature. […] la haine la plus farouche, la douleur la plus inconsolable, la fidélité la plus intransigeante aux mânes de son époux, tels doivent être les seuls sentiments de la captive troyenne. […] Il a donné à ses fidèles l’exemple de la purification par la douleur.
Or, celui de Goethe s’est nourri de douleurs étrangères, et vraiment, on peut admirer l’art avec lequel il les a dépouillées de ce qu’elles ont eu d’amertume et, pour ainsi dire, cristallisées dans sa sérénité. […] Dans le fait, s’il veut obéir aux leçons reçues, s’il tient à garder intacte la philosophie qu’on lui a léguée, il ne comprendra pas la douleur. […] Et vous reconnaîtrez, je crois, qu’elles trahissent un souci bien plus vif du « morceau » qu’une douleur poignante ou vive. […] La vie est l’étoffe même de la poésie : ses joies, ses douleurs, ses fatigues, ses blessures, ses déceptions, ses efforts, n’est-ce pas la matière brute que le génie s’assimile avant de la travailler ? […] La nature nous a donné les larmes, le cri de la douleur, quand l’homme enfin ne la supporte plus… Elle m’a laissé par-dessus tout, elle m’a laissé, dans la douleur, la mélodie et l’éloquence, pour déplorer toute la profondeur de ma misère : et tandis que l’homme reste muet dans sa souffrance, un Dieu m’a donné de pouvoir dire combien je souffre.
C’est un point d’orgue entre la douleur et la joie, pendant lequel l’auteur exécute ses plus délicates fioritures. […] Elle endort les douleurs. […] Presque fou de douleur, il se sépare pourtant d’elle sans scandale. […] Huit ans après, il viendra visiter encore une fois la maison où il a connu Lise, et y savourer les douleurs du souvenir. « Mais cette douleur n’avait rien du calme qu’inspire la mort.
Vous ne sauriez porter vos regards nulle part sans découvrir des traces de douleur. […] La douleur, comme le plaisir, sont des représentations. […] La noblesse de la douleur ! […] Le travail forcé, douleur perpétuelle, est donc devenu noble, en même temps que la douleur elle-même. […] Le plaisir est comme la douleur (Ch.
Sur la route qui monte, la douleur est aussi un échelon, un palier d’où ils bondissent. […] Où sont les vrais poètes, sinon dans une certaine faculté qui les invite à rêver une vie plus belle et plus parfaite, dût-elle naître de la douleur qu’ils prennent à celle-ci ? […] Du timide, a gardé cette faculté de méditation solitaire qui domine aussi bien la douleur du Livre de Pierre (extrait d’un de ses premiers romans) que les Voyages de Psychodore et qui le poussa aux audaces de la pensée. […] Il a, si l’on peut dire, passé d’un dieu à un autre, d’un seul mouvement, par le simple poids de douleur de son existence ; il s’est donné, dans une pratique plus assidue, au dieu des Chrétiens, tel qu’il était, avec une dévotion plus nonchalante, vis-à-vis du dieu des juifs. […] Jouve. — Toute la souffrance, toute la douleur, tout le désespoir angoissé des hôpitaux oh venait mourir le bétail humain ravagé par la guerre.
J’ai eu cette bonne fortune d’assister à une représentation de l’Abraham, devant la société protestante de Paris : à la scène le défaut essentiel apparaît beaucoup mieux qu’à la lecture ; il y a là une douleur poignante, mais pas de conflit dramatique ; la volonté de Dieu est indiscutable et insondable ; sans rapport, pour nous, avec les caractères ; Abraham s’y soumet aussitôt « avec obéissance » ; Isaac de même ; il n’y a qu’un court instant de lutte morale, et cette lutte est extériorisée, donc affaiblie, par le personnage de Satan. […] Or, rire était bien dans son tempérament ; il a au plus haut degré ce don du comique, où la réalité et la fantaisie, le déjà vu et l’imprévu vous soulèvent dans une saine gaîté, dans une allégresse absolue de l’esprit ; mais il a autre chose encore : il a la compréhension des douleurs humaines, la vision très nette de nos conflits avec la société, avec nous-mêmes, de nos pauvres illusions, de la jeunesse qui fuit, de la raison qui s’écroule aux pieds de l’amour… ; et Molière, le grand comique, aurait écrit les drames les plus poignants, si son époque avait aimé le drame et s’il n’eût pas dû être un amuseur… Il a frôlé le drame dans Tartufe, dans Le Misanthrope, dans Le Bourgeois gentilhomme, dans Le Malade imaginaire, ailleurs encore ; ce drame, il l’a vu, mais n’a voulu montrer que la comédie. […] Nul ne sait ; ce serait une douleur à ajouter aux autres ; mais ne le plaignons pas… ; il sourirait, héroïque comme au soir de sa mort. […] La poésie des Parnassiens, même quand elle est lyrique, tend par principe à l’objectivité qui analyse et qui décrit, à l’impassibilité qui serait la négation du lyrisme…, si elle se réalisait ; mais le sentiment persiste ; uni à la science, il nous vaut chez Sully Prudhomme une œuvre extraordinaire, où le penseur a concentré, comme en un élixir, toutes les douleurs et toutes les espérances humaines. […] De cette crise prochaine se dégagera le principe nouveau que notre myopie ne distingue pas aujourd’hui, la foi dont l’homme a besoin pour vivre. — Notre époque est intéressante : pour celui qui pense, la vie actuelle est une belle douleur.
Quand elle a soulagé sa douleur à force de pleurer, elle s’arrache de sa couche et se retire le front baissé. […] Cette douleur d’Admète s’emporte à d’étranges excès de langage. […] Moi, quitter le théâtre, renoncer à ses émotions, à ses éblouissements, à ses douleurs ! […] Vous souriez des anciennes douleurs, tandis qu’elles nous rongent ! […] Nos douleurs valent moins que les vers qu’ils feront.
Ils sont à jamais exempts de joie et de douleur. […] — Dans les douleurs de l’enfantement. — Quel âge avais-tu ? […] Tels qu’ils sont, ils nous procurent bien des joies et bien des douleurs. […] Il nous faut envier jusqu’à leurs douleurs. […] Connais ces aïeux obscurs, partage leurs joies et leurs douleurs passées.
Rien n’est plus douloureux, plus élevé que la douleur de cet homme qui s’aperçoit qu’il a manqué sa vie, et qui ne se sent pas suffisamment de volonté pour en recommencer une nouvelle. […] Chose étrange, nous n’avons pas ressenti, alors, ce choc d’exténuante douleur qui nous frappa, voici plus de trois ans, en apprenant la fin de notre tendre et grand Verlaine. […] Assurément, leur douleur ne pouvait être héroïque : il n’y avait nulle espérance dans leurs regrets. […] L’excessive acuité de sa douleur ne l’a pas conduit au chaos, sa mélancolie prend la grandeur de celle du monde, ainsi qu’on peut le constater dans cet admirable Soir d’Octobre. […] Mais vous ne trouverez pas chez ce jeune homme des accents de douleur, des paroles d’affliction, l’atroce renoncement de la créature à l’existence ni les aspirations de celle-ci vers une vie chimérique.
Étienne de La Boétie a de plus qu’eux de mêler, au milieu de son découragement et de sa douleur, une verte sève de jeunesse, un accent un peu rude, mais franc, de poésie. […] Quoi qu’on ait dit, elles connaissent entre elles la parfaite amitié ; et, pour m’en tenir aux témoignages que la littérature me prête, qu’on veuille relire à la fin des Mémoires d’une des femmes les plus spirituelles, Mme de Staal-Delaunay, ce qu’elle dit de sa dernière et intime amie Mme de Bussy, et de sa douleur pénétrée, de son accablement après l’avoir perdue.
Campaux (un peu plus sérieux et plus ému que nous sur le compte de Villon), il voulut faire ses adieux au monde qu’il quittait, et laisser de lui un souvenir, d’abord à celle qui était la cause de son départ, et que, par un reste d’espoir si naturel aux malheureux, il ne désespérait peut-être pas de toucher par l’expression de sa douleur si navrante et si résignée ; ensuite à son maître Guillaume de Villon, auquel il devait tant, ainsi qu’au petit nombre d’amis qui lui étaient restés fidèles ; enfin aux nombreux compagnons qui n’avaient pas épargné sans doute les railleries à sa disgrâce, et sur lesquels il était bien aise de prendre sa revanche. […] Plus tard enfin, banni de Paris, lorsque, chevauchant sans croix ni pile par tous les chemins de France et de Navarre, il promenait son exil et sa misère d’une frontière à l’autre, méditant déjà dans sa tête et dans son cœur les confessions et les plaintes douloureuses du Grand Testament, l’arbre et le buisson de la route ne lui avaient-ils donc jamais parlé et fait oublier un instant ses douleurs, comme ils devaient un jour, plus d’une fois, calmer celles de Jean-Jacques vagabond ?
Le poète, un certain Glaucus, peu connu d’ailleurs, mais qui a de l’art et du sentiment, s’écrie : « C’est après l’avoir vu, le douloureux héros de Trachine, que Parrhasius s’est mis à peindre ce Philoctète : car dans ses yeux desséchés habite une larme muette, et au dedans est la douleur qui le ronge. Ô le plus grand des peintres, tu es sans doute un génie, mais il était bien temps de laisser respirer de ses maux ce mortel de tant de douleur. » Il demande grâce pour le héros torturé, tant il prend au sérieux la peinture !
Catinat, en apprenant la perte soudaine de l’homme qui l’avait toujours apprécié, poussé, protégé et aimé jusque dans les rudesses et brusqueries qu’il ne ménageait à personne, écrivait à Barbezieux, son fils et son successeur (20 juillet) : « Je suis dans une situation où je me fais de grandes violences pour ne me point laisser aller à la vive douleur que je ressens de la grande perte que vient de faire le roi, l’État, et moi de mon protecteur, dont l’affection m’a toujours cent fois plus touché que tous les biens qu’il pouvait me faire. » Louvois de moins, tout changeait ; Catinat perdait un point d’appui solide et puissant ; il dut être porté à en devenir plus circonspect encore. […] Je t’assure que c’est ma moindre inquiétude, et que je ne suis agité d’aucune attention ni réflexion là-dessus : je suis dans une douleur qui me perce le cœur, par rapport aux affaires du roi.
Il n’en fut pas aussi satisfait que moi : la douleur aride et quelquefois rebelle du Lépreux lui paraissait, me dit-il, comme une autre lèpre qui desséchait son âme ; cet infortuné (ajoutait-il), révolté contre le sort, n’offrait guère à l’esprit que l’idée de la souffrance physique, et ne pouvait exciter que l’espèce de pitié vulgaire qui s’attache aux infirmités humaines. […] ton aspect de ma douleur Suspend et calme la puissance ; Tu me ramènes l’espérance Prète à s’éteindre dans mon cœur.
Vous qui savez des chants pour calmer la douleur, Pour calmer la douleur ou lui prêter des charmes, Quand vos chants du malheur auront tari les larmes, Consolez-moi de mon bonheur !
Une chute qu’elle avait faite, il y avait peu d’années, sans lui laisser douleur ni trace, avait apporté quelque dérangement dans son être. […] Ce fut une grande douleur, et leur lien encore, s’il était possible, se resserra.
Les longues douleurs de sa captivité, le sentiment désespéré mais calme de sa situation, les larmes contenues mais murmurantes au fond des paroles, donnaient à sa voix un accent où l’on entendait ce bouillonnement des sentiments qui monte d’un cœur profond. […] ” Elle entendit son arrêt sans étonnement et sans douleur.
Il fait des réductions, des suspensions, et cause la banqueroute du savoir, du plaisir et de l’esprit humain. » En philosophie, le vrai système de l’abbé Galiani est celui-ci : il croit que l’homme, quand il n’a point l’esprit alambiqué par la métaphysique et par le trop de réflexion, vit dans l’illusion et est fait pour y vivre : « L’homme, nous dit-il, est fait pour jouir des effets sans pouvoir deviner les causes ; l’homme a cinq organes bâtis exprès pour lui indiquer le plaisir et la douleur ; il n’en a pas un seul pour lui marquer le vrai et le faux d’aucune chose. » Galiani ne croit donc pas à la vérité absolue pour l’homme, à la vérité digne de ce nom : la vérité relative, qui n’est qu’une illusion d’optique, est la seule, selon lui, que l’homme doive chercher. […] » De même, cet homme qui fait l’insensible éprouve toutes les inquiétudes de l’amitié ; il en ressent les douleurs cruelles dans les pertes qu’il fait.
Il est temps d’arriver aux sentiments de douleur et de repentir qui ont épuré la passion de Mme de La Vallière, et qui ont donné aux trente-six dernières années de sa vie la consécration sans laquelle elle n’eût été qu’une maîtresse de roi assez touchante, mais ordinaire. […] avec une vive et amoureuse douleur de ses infidélités passées, et avec tout le respect et le religieux tremblement que mérite votre souveraine majesté. » De talent, d’imagination proprement dite, il ne saurait en être convenablement question, en appréciant un écrit de cette simplicité.
Quelle douleur et quelle honte serait-ce pour jamais à Paris, s’il y périssait faute de secours ! […] Il me dit : « Vous voyez un homme au désespoir, j’ai perdu tous mes amis ; MM. de Nemours, de La Rochefoucauld et Clinchamp, sont blessés à mort. » Je l’assurai qu’ils étaient en meilleur état qu’il ne les croyait… Cela le réjouit un peu, il était tout à fait affligé ; lorsqu’il entra, il se jeta sur un siège, il pleurait et me disait : « Pardonnez à la douleur où je suis. » Après cela, que l’on dise qu’il n’aime rien ; pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ses amis et pour ce qu’il aimait.
Les devoirs, les convenances du grand monde, une vigilance perpétuelle exercée sur soi et autour de soi, une sensibilité qui se contraignait et se refoulait souvent en silence et avec douleur, tout contribua à user Mme Necker avant l’âge. […] Aussi ce fut une consolation pour elle, au milieu de tant de sujets de douleur, de se retrouver en 1790 à Lausanne ou à Coppet, en vue de son beau lac, et non loin des tombeaux de ses parents : « Il semble, disait-elle à chaque retour en dégageant le sentiment moral qu’inspire cette nature de paysage, il semble que l’Être suprême s’est occupé ici plus particulièrement de sa créature, et qu’il l’oblige sans cesse à élever sa pensée jusqu’à lui. » Elle écrivait en ces années finales, et pendant que 93 étendait ses horreurs sur la France, un écrit touchant, et qui a trouvé grâce auprès de ceux mêmes qui se sont montrés le plus sévères pour le genre d’esprit de Mme Necker, je veux parler de ses Réflexions sur le divorce qui parurent au lendemain de sa mort.
Il y a, de jadis, un opuscule grotesque, maintes fois réimprimé et encore colporté ; c’est un Sermon en proverbes ordonné pour satiriser soit les gens qui évoquent trop, par la sagesse des nations, leur propre niaiserie, soit les prédicateurs qui répétaient toujours les mêmes exhortations vaines comme le vent qui égrène l’herbe des cimetières ; le pauvre auteur enfile donc avec un certain soin les proverbes les plus connus, jusqu’à faire quatre pages dont le sens est fort bien suivi et que l’on comprend, pourvu qu’on ne soit pas devenu hébété dès la première : « Prenez garde, n’éveillez pas le chat qui dort ; l’occasion fait le larron, mais les battus paieront l’amende ; fin contre fin ne vaut rien pour doublure ; ce qui est doux à la bouche est amer au cœur, et à la chandeleur sont les grandes douleurs. […] Expression dont Virgile se sert pour rendre plus touchante la douleur d’un jeune guerrier qui meurt loin de sa patrie.
Sans ses ennemis politiques, sans ces papes qu’il osait damner, ne croyant pas que ce fût assez de les insulter et de les maudire, Dante, ce Juvénal du Moyen Age, ce pamphlétaire plus grand que Tacite, auquel des critiques qui ressemblent un peu aux petits garçons de Florence ont voulu donner l’air inspiré d’un prophète revenant de l’autre monde, tandis qu’il est un homme du temps, se possédant fort bien, au contraire, et tenant d’une main très-froide son stylet de feu, Dante n’aurait jamais songé à enfoncer son profond regard, fait pour juger les hommes et leur commander, dans cette conception de l’enfer, dont la vision pour lui se mêle à d’autres rêves et qu’il a faussée au profit de ses haines et sous le coup de ses douleurs. […] Amédée Pommier, le poète chrétien, de tête du moins, doit être appelé matérialiste par les spiritualistes du Déisme et de la métempsychose, parce qu’il n’a pas craint de retracer, avec une énergie formidable, les douleurs de la damnation et les supplices de ces ténèbres extérieures où, selon notre foi et nos saints livres, il y aura des pleurs et des grincements de dents.