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25. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Or c’est là précisément ce que donnent les religions : elles jettent le pont entre nous et les autres hommes, entre l’Humanité et Dieu. […] Voilà donc ce poète tombé dans la contemplation de l’infini, de l’harmonie universelle, et ne comprenant pas l’anarchie de l’Humanité. […] On voudrait à toute force voir le développement de l’Humanité, comme Bossuet, dans l’histoire hébraïque. […] L’autre prend l’Humanité comme un spectacle varié et infini, comme un théâtre pour faire briller la force de son génie. […] Poète, d’où vient l’Humanité, et où va-t-elle ?

26. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

Tel est le schéma de cette évolution psychique au terme de laquelle l’abbé Pierre se convertit à l’humanité. […] Comment s’étonner, dès lors que l’humanité chrétienne ait salué en lui le surhumain ? […] Et la prétention de l’anti-humain, qui se croit en mesure de diriger l’humanité, ne peut plus que nous faire sourire. […] Comment ceux qui se placent d’eux-mêmes en dehors de toute humanité, prétendraient-ils la conduire ? […] Pierre Lasserre, L’Humanité nouvelle, janvier 1893.

27. (1890) L’avenir de la science « I »

Qui sait si un jour la vue du bien général de l’humanité, pour laquelle on construit, ne viendra pas adoucir et sanctifier les sueurs de l’homme ? Car, au point de vue de l’humanité, les travaux les plus humbles ont une valeur idéale, puisqu’ils sont le moyen ou du moins la condition des conquêtes de l’esprit. […] La fin de l’homme n’est pas de savoir, de sentir, d’imaginer, mais d’être parfait, c’est-à-dire d’être homme dans toute l’acception du mot ; c’est d’offrir dans un type individuel le tableau abrégé de l’humanité complète et de montrer réunies dans une puissante unité toutes les faces de la vie que l’humanité a esquissées dans des temps et des lieux divers. […] Le modèle de la perfection nous est donné par l’humanité elle-même ; la vie la plus parfaite est celle qui représente le mieux toute l’humanité. Or l’humanité cultivée n’est pas seulement morale ; elle est encore savante, curieuse, poétique, passionnée.

28. (1890) L’avenir de la science « IX »

Pourquoi le philologue, manipulant les choses de l’humanité pour en tirer la science de l’humanité, est-il moins compris que le chimiste et le physicien, manipulant la nature, pour arriver à la théorie de la nature ? […] Il est indubitable que l’humanité a commencé d’exister. […] — État de l’humanité et de l’esprit humain à ses premiers jours. […] — Histoire de l’humanité avant l’apparition définitive de la réflexion. […] Et, si on ne l’a pas résolu, comment dire qu’on sait l’homme et l’humanité ?

29. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

On oublie que l’humanité ne se répète jamais et n’emploie pas deux fois le même procédé. […] La culture intellectuelle est pour l’humanité comme si elle n’était pas, lorsqu’on n’étudie que pour écrire. […] Cela a pu être bon pour l’éducation de l’humanité, mais il y a quelque chose de plus parfait encore. […] Mais hâtons-nous de dire que l’uniformité serait maintenant l’extinction de l’humanité. […] L’humanité, en effet, n’est ce qu’elle est que par la variété.

30. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

La société ouverte est celle qui embrasserait en principe l’humanité entière. […] Cette nature, l’humanité dans son ensemble ne saurait la forcer. […] L’humanité en paraît sans doute aussi éloignée que jamais. […] L’humanité ne se modifiera que si elle veut se modifier. […] L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits.

31. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Ce peuple aura une littérature le jour où il reconnaîtra en lui l’humanité elle-même par la comparaison du passé, du présent et de l’avenir. […] Notre nation n’a pas été un jour sans idées générales et sans une certaine notion de l’humanité. […] Si l’idée de l’humanité a été conçue et exprimée clairement quelque part, ce doit être dans des livres dont l’homme en général a été l’unique sujet. […] Elle appauvrissait l’homme : comment aurait-elle eu l’idée de l’humanité ? […] C’est une sorte de synthèse de l’homme, acceptée par la foi et l’humanité n’est qu’une formule de la théologie chrétienne.

32. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

L’humanité dont on se détourne alors est celle qu’on a découverte au fond de soi. […] Était-ce de cette société ouverte que serait l’humanité entière ? […] Mais lui-même ne vise pas l’humanité. […] Ce n’est pas en élargissant des sentiments plus étroits qu’on embrassera l’humanité. […] Ajoutons qu’il y a derrière elle les hommes qui ont rendu l’humanité divine, et qui ont imprimé ainsi un caractère divin à la raison, attribut essentiel de l’humanité.

33. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Chacune de nos œuvres, chacun de nos actes est une expression de notre humanité. […] La poésie est une expression individuelle de l’humanité. […] Nous pouvons le constater en regardant autour de nous — et c’est un mot que j’emprunte à M. de Goncourt : « L’humanité s’en va des choses », entendons : l’humanité personnelle. […] L’humanité ne peut attendre ! […] Le chef-d’œuvre a deux sens : il est, d’abord le plus haut témoignage que nous puissions rendre de notre humanité.

34. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

Elle nierait la perfectibilité indéfinie et cette ascension chimérique de l’humanité on ne sait vers quoi… car le mot n’a pas encore été dit ! […] Il ne commence point par creuser dans les facultés de l’homme pour mieux juger du but de l’humanité. […] Le progrès incessant et éternel de l’humanité ! […] L’Allemagne, qui a l’intrépidité des crimes abstraits, l’a révélée depuis longtemps, c’est le détrônement de Dieu par l’humanité, c’est la révolution démocratique contre Dieu. […] Il y a en lui des tendresses de cœur, des forces de sentiment qui ne savent plus que devenir dans ce système, sans Dieu personnel, de l’humanité progressive !

35. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

L’esprit nouveau était né ; et les entrailles de l’humanité ressentent encore la douleur de cet enfantement. […] Il fallait souffrir pour mériter la récompense posthume, puisque Dieu avait voulu son humanité telle qu’elle était.‌ […] La vie individuelle, la vie religieuse, la vie sociale de l’humanité sont entrées, depuis l’ère moderne, dans une nouvelle phase.‌ […] La Révolution enfin est venue renouveler la vie sociale de l’humanité en posant les bases du droit. […] Affranchissement de l’individu, retour aux voies de nature, acheminement de l’humanité vers sa propre conscience, telles sont les grandes lignes du nouveau devenir.

36. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Le rationalisme, qui est le résultat le plus général de toute la culture philologique, a-t-il pénétré dans la masse de l’humanité ? […] ce que nul individu ne peut faire, l’humanité le fera ; car elle est immortelle, tous travaillent pour elle. L’humanité arrivera à percevoir la vraie physionomie des choses, c’est-à-dire à la vérité dans tous les ordres. […] Elle est aux sciences de l’humanité ce que la physique et la chimie sont à la science philosophique des corps. […] Comte n’entend rien aux sciences de l’humanité, parce qu’il n’est pas philologue.

37. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Le Fils de l’homme, assis à la droite de Dieu, présidera à cet état définitif du monde et de l’humanité 782. […] Il se proposa de créer un état nouveau de l’humanité, et non pas seulement de préparer la fin de celui qui existe. […] Cela est si vrai que cette morale prétendue des derniers jours s’est trouvée être la morale éternelle, celle qui a sauvé l’humanité. […] L’humanité avait passé à un autre royaume de Dieu. […] Toutes les révolutions sociales de l’humanité seront entées sur ce mot-là.

38. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Nous ne croyons pas un mot de tout cela ; nous sommes convaincu que l’état sauvage est une maladie de l’humanité, et nullement son état originaire et normal. Nous sommes convaincu qu’il y a eu avant nous une humanité primitive tout aussi bien douée, et, disons franchement notre pensée, qui est en cela la pensée des livres sacrés, de toutes les grandes races religieuses ou historiques du globe, qu’il y a eu une humanité mieux douée de lumière, de vérités divines, de facultés et de bonheur que nous. […] Job n’est plus l’homme ; c’est l’humanité ! […] Sa satire sanglante contre l’humanité s’élève jusqu’au Créateur de l’humanité, complice de ce qu’il ne punit pas en ce monde. […] C’étaient à peu près celles de Job, ou de la philosophie antédiluvienne, transmise et comme filtrée traditionnellement depuis la grande aurore intellectuelle de l’humanité dans l’Éden.

39. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

L’humanité tout entière, qui tend à l’unité pour que chacune de ses découvertes profite à l’ensemble, manque de ce grand instrument de perfectionnement et de communication qui unifie et grandit l’homme, — on peut même dire qui grandit la terre elle-même, car, sans la passion géographique qui illumina Colomb de ses pressentiments, où serait l’Amérique ? […] Tout cela passe successivement sous vos yeux comme un panorama parlant du globe, qui vous dit la biographie complète du globe, des temps, des races, des idées, des religions, des empires, par où l’humanité a passé, passe et passera avant de tarir, en faisant ce petit bruit que les historiens profanes appellent gloire, civilisation, puissance, et que les philosophes appellent néant ! […] Encore une fois, non, elle n’en vaut pas la peine, si on considère seulement l’humanité au point de vue de son passage rapide sur ce globe. […] Voilà la géographie de l’âme, qui donne seule de l’importance à cette géographie terrestre, et qui fait suivre d’un œil curieux les routes, les stations, les progrès, les bornes, les catastrophes des empires, conduisant par des voies visibles l’humanité au but invisible, mais ascendant, non de sa grandeur ici-bas, mais de sa grandeur ailleurs, c’est-à-dire de sa moralité ! […] Notre cours de géographie serait devenu naturellement et nécessairement un cours d’humanité tout entière.

40. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

A travers Dieu, par Dieu, il aime toute l’humanité d’un divin amour. […] Bien différent est l’amour mystique de l’humanité. […] Le grand obstacle qu’ils rencontreront est celui qui a empêché la création d’une humanité divine. […] L’humanité ne comprend bien le nouveau que s’il prend la suite de l’ancien. […] L’humanité, qui est au bout de cette ligne, tourne dans ce cercle.

41. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’arbitrage et l’élite »

L’arbitrage et l’élite L’épanouissement du sens d’humanité et de solidarité au sein des nations modernes a produit ce résultat. indiscutablement grand : la fondation d’un droit international. […] Quelles garanties de justice et d’humanité en présenteraient pas un Tolstoï, un Zola, un Hæckel, un Elisée Reclus, un Biœrnson, pris comme arbitres ? […] Mais pour débattre les hautes questions qui leur seraient soumises, ne suffit-il pas d’un cerveau puissant, d’un sens profond de justice et d’humanité ? […] Le spectacle de la réunion d’hommes illustres, venant apporter chacun à l’œuvre commune leur part de pensée et d’humanité, serait en lui-même d’une incomparable fécondité. […] Ce serait un pas immense et décisif dans la voie de l’affranchissement individuel, vers un avenir d’humanité.‌

42. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Elle est faite pour une élite qui seule représente l’humanité, qui seule est véritablement l’humanité, et qui doit gouverner l’humanité et mépriser profondément la masse, son tempérament, sa complexion, ses mœurs et ses préjugés. […] Le péché est un manquement envers lui et non envers l’humanité ! […] La conception des deux morales fait arbitrairement deux classes dans l’humanité, alors qu’il n’y a nullement deux espèces dans l’humanité, mais cent degrés. […] Des sociétés ont vécu ainsi et ont été les plus grandes de l’humanité et ont fait avancer l’humanité : Athènes, Grèce d’Alexandre, Rome, France de Louis XIV. […] L’humanité ne doit se sacrifier qu’à l’humanité.

43. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Oublie-t-on que la guerre était la condition de l’Humanité à cette époque ! […] Ainsi isolé au milieu de l’Humanité du dix-neuvième siècle, l’homme est plus pauvre en science, en certitude, en morale, qu’il ne le fut jamais dans des âges moins avancés de l’Humanité. […] Héritage de l’Humanité, n’a-t-il donc pas droit à une part dans tes richesses ? science de l’Humanité, ne devrais-tu pas le soutenir et l’illuminer ? […] Qu’est-ce donc que l’Humanité ?

44. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

On l’appelle la philosophie de la perfectibilité indéfinie et continue de l’humanité ici-bas. […] Pas une, pas une seule n’a échappé jusqu’ici à cette vicissitude organique de l’humanité. […] Changer en fête et en joie cette procession éternelle vers la mort, c’est plus que se tromper ; c’est se moquer de l’humanité. […] C’est le sceau de toute cette littérature indienne : l’humanité ! L’humanité s’y agrandit aux proportions de l’amour divin du Créateur pour l’universalité de ses ouvrages.

45. (1908) Après le naturalisme

N’est-ce pas à l’Élite d’élaborer les destinées futures de l’humanité. […] Phénomènes dans l’humanité, certes, mais non encore résultats. […] Mais quelle anarchie au sein de l’humanité ! […] La condition de l’humanité n’est pas rendue meilleure. […] L’humanité les y a laissés périr.

46. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Par ses grands hommes l’Aryen marcha vers l’humanité idéale, et il y amena avec lui le Christianisme qui dans cet idéal doit trouver sa libération et sa perfection. […] Tout amour est un modèle, une Idée de la grande humanité idéale ; et le Dieu de cette harmonie, le Christ, c’est encore l’espérance. […] Dans une telle époque certes c’est par un miracle qu’un art peut encore exister ; l’art est le prophète d’une humanité idéale, mais il représente comme un idéal la plus noble image de la nature humaine. […] Le chemin de cette humanité idéale ne nous est pas montré dans Tristan, mais dans Parsifal : là l’amour n’est plus attaché par les sens aux manifestations de la vie, mais elle devient la compassion agissante pour les souffrances du monde, elle devient la volonté qui renonce à l’égoïsme et à la sensualité, la volonté pour tous, pour l’humanité. […] Quelle intensité de poésie et quel noble réalisme à la fois, dans l’action pittoresque, étincelante de verve, exubérante d’humanité, qui transfigurait la scène et les interprètes !

47. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Jésus a fondé la religion dans l’humanité, comme Socrate y a fondé la philosophie, comme Aristote y a fondé la science. […] Jésus reste pour l’humanité un principe inépuisable de renaissances morales. […] En un sens, l’humanité entière y collabora. […] Tout cela se faisait par des canaux secrets et par cette espèce de sympathie qui existe entre les diverses portions de l’humanité. […] Mais jamais personne autant que lui n’a fait prédominer dans sa vie l’intérêt de l’humanité sur les petitesses de l’amour-propre.

48. (1902) L’humanisme. Figaro

L’humanité. […] Ils n’ont pas songé que ce qui nous intéresse dans l’artiste, c’est l’homme, car c’est l’humanité qui est la commune mesure entre lui et nous. […] Il renoue heureusement, la tradition avec l’admirable Pléiade, qui, délaissant les allégories du moyen âge, et remontant à l’art antique, source de toute beauté, sut retrouver sous les humanités l’humanité. […] Évidemment, dans l’esprit de ces jeunes philosophes, c’est le contraire du déisme ; c’est l’homme substitué à Dieu dans la conduite de la vie ; c’est une religion nouvelle qui rapporte tout à l’humanité, abstraction faite de la divinité, et qui prétend, au moyen de commandements spéciaux, nous enseigner nos devoirs envers cette humanité souveraine. […] Au contraire, il est touché jusqu’au fond du cœur par les contradictions d’idées et de sentiments qui tourmentent l’humanité.

49. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Et ce signe de la bête est peut-être ce qu’il a de plus précieux aux yeux de Barot, qui doit à peu près croire, comme Darwin, que l’homme n’est qu’un singe qui présentement reprend ses droits… Selon lui, la gloire de lord Byron s’en va baissant ; la gloire de Shelley grandit au contraire, et, comme pour ces fiers penseurs de la démocratie, si comiquement optimistes, qui trouvent que l’humanité, composée de toutes les canailles, a toujours raison dans ce qu’elle pense et quoi qu’elle pense, Odysse Barot pense comme toute l’Angleterre actuelle sur Byron (en supposant qu’elle pense ce qu’il atteste), et sans façon il lui rogne sa gloire… C’est à Shelley qu’est l’avenir, dit-il. […] Les grands esprits que je viens de nommer ne sont à ses yeux que les pierres d’attente d’une littérature plus grande que la leur, parce qu’elle sera plus pratique et plus politique, et qu’elle servira davantage à l’émancipation définitive de l’humanité. Mais c’est là une vue erronée : la littérature et les arts, et ceux qui en écrivent l’histoire, n’ont point à se préoccuper de l’émancipation définitive de l’humanité. La littérature et les arts n’ont à se préoccuper que d’une chose, tout aussi importante d’ailleurs que l’émancipation de l’humanité : c’est de la beauté à exprimer, — à inventer ou à reproduire, — mais à exprimer dans des œuvres fortes et parfaites, si l’homme de lettres ou l’artiste peuvent atteindre jusque-là… La littérature et les arts sont désintéressés de tout, excepté de la beauté qu’ils expriment pour obéir à cette loi mystérieuse et absolue de l’humanité, qui veut de la beauté, pour le bonheur de son être, tout aussi énergiquement qu’elle veut des vêtements et du pain… Je parle, bien entendu, de l’humanité à son sommet, élevée à sa plus haute puissance ; je ne parle pas d’elle à l’époque de ses besoins inférieurs… Mais c’est le vice justement des libres penseurs, strangulés par la logique que leur a faite l’épouvantable matérialisme de ce temps, de ne voir jamais que les besoins les plus bas de l’humanité. […] Et c’est pour cela que leurs œuvres sublimes, à Raphaël et à Michel-Ange, sont réservées aux brasiers de l’avenir par ces bienfaiteurs de l’humanité, qui trouveront que le tableau de la Transfiguration ou tel autre chef-d’œuvre ne sont bons, en définitive, que pour chauffer, entre deux barricades, les goujats qui ont froid par une nuit d’hiver !

50. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Le théoricien de l’athéisme moral, le grand a-narchiste de l’humanité ! […] C’est la moralité seule qui en fait une humanité. […] C’est la nature : elle seule était assez révélatrice des lois sociales pour inculquer à l’humanité cette condition de son existence ; elle seule était assez puissante pour faire obéir cette humanité, égoïste et toujours révoltée, à cette dure condition naturelle de la sociabilité qu’on nomme souveraineté. […] Morte la propriété, morte la terre ; morte la terre, morte l’humanité ! […] à l’humanité tout entière.

51. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

C’est Dieu même qui la lui a donnée, et c’est le premier cri qui est remonté à lui de l’humanité ! […] Et moi, méditant sous ma tente, et recueillant des vérités historiques ou des pensées sur toute la terre, la poésie de philosophie et de méditation, fille d’une époque où l’humanité s’étudie et se résume elle-même jusque dans les chants dont elle amuse ses loisirs. […] Toutes les époques primitives de l’humanité ont eu leur poésie ou leur spiritualisme chanté ; la civilisation avancée serait-elle la seule époque qui fit taire cette voix intime et consolante de l’humanité ? Non, sans doute, rien ne meurt dans l’ordre éternel des choses, tout se transforme : la poésie est l’ange gardien de l’humanité à tous ses âges. […] Ce que ces femmes de Calabre disaient ainsi de leur ange gardien, l’humanité peut le dire de la poésie.

52. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Non content de conjecturer qu’il y a des êtres vivants dans les planètes, il veut savoir que ce sont des hommes, des espèces d’humanités ; il veut en venir à deviner, à pénétrer le mode de penser et de sentir, sur quelques points essentiels, de ces humanités si diverses et sans doute fort disparates. […] Qui nous dit que la grande Humanité collective n’est pas formée par une suite non interrompue d’humanités individuelles, assises à tous les degrés de l’échelle de la perfection ?  […] « Les humanités des autres mondes et l’humanité de la terre sont une seule humanité. […] L’Humanité collective et solidaire y apparaît rangée comme en amphithéâtre, ou plutôt échelonnée dans des stations successives et de plus en plus avancées ; mais laissons parler ou chanter l’auteur. […] Et ces hommes ne nous sont point étrangers : nous les avons connus ou nous devons les connaître un jour, ils sont de notre immense famille humaine ; ils appartiennent à notre humanité.

53. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

L’âme de l’humanité se recueille. […] Où reprendre la vie psychique, où retrouver le for intérieur, où ressaisir l’humanité de ces morts ? […] Puis arrive l’heure où les crédulités de l’enfance, les illusions de la jeunesse abandonnent l’humanité. […] Elle étudiera et définira les révolutions morales de l’humanité, les formes temporelles et locales de la civilisation. […] Elle ne négligera rien pour peindre l’humanité en pied.

54. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Ne pensez-vous pas que ces parcelles de nature et d’humanité recèlent un monde de douleur et de joie, de vérité profonde et d’insondable idéal ? […] Je me sens au contraire lié à cet homme qui me dit de ne pas suivre ce chemin, et qui me le dit par sympathie pour moi poussé par un intérêt commun, par un intérêt d’humanité. […] Si nous résumions leurs affirmations nous verrions qu’elles aboutissent à cette triple découverte : d’une liaison dans la Nature, d’une liaison dans l’Humanité, d’une liaison de la Nature et de l’Humanité, c’est-à-dire à un ensemble de solidarités se résolvant dans la solidarité du Tout. […] Et peu à peu les hommes vivront, peu à peu l’humanité sentira battre en elle un cœur plus large.‌ […] Extrait de l’Humanité intégrale, que dirige M. 

55. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Hugo aux romans de George Sand, où l’humanité moderne ne croie retrouver à un degré plus ou moins éminent les mêmes mérites, et c’est de cela justement qu’elle les admire. […] S’il a voulu ajouter que l’humanité qu’il fallait observer et peindre était l’humanité contemporaine, vivante, et qu’il importait pour cela de s’affranchir aussi complètement que possible de toutes les conventions des écoles et de tous les pastiches du passé, d’être surtout et avant tout naïf et sincère : tout en approuvant fort ce programme, je ne vois pas bien encore où serait la grande innovation. […] Car enfin il est partout, le document humain, ondoyant et divers comme l’humanité elle-même. […] Les romantiques eux aussi avaient en leur temps la prétention de représenter l’humanité, et leurs admirateurs pensaient qu’ils y avaient réussi. […] J’accorde qu’il existe, qu’il tient même dans l’humanité une large place.

56. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Duveyrier : « C’est une grande consolation, Messieurs, de pouvoir se dire que tout est prêt pour franchir la plus longue étape que dans la voie du progrès l’humanité ait encore eue devant elle. […] Guizot a traité de la civilisation en France et en Europe ; il a montré qu’elle existe seulement dans l’ensemble des bonnes tendances de l’humanité, dans l’union des biens moraux et des biens matériels, et qu’elle implique le développement simultané de la société et de l’individu. […] aux armes pour la famille, pour la société qu’on nourrit, qu’on vêtit, qu’on réchauffe, qu’on abrite, pour la ville qu’on assainit ou qu’on embellit, pour la patrie, pour l’humanité ! […] Le bon abbé de Saint-Pierre fut certainement un des premiers qui aimèrent l’humanité pour elle-même et jusqu’à la folie. […] Le simple amour de la science et de ses applications salutaires, le spectacle grandissant de l’humanité émancipée, le caritas generis humani dans sa forme la plus haute, ne suffisent-ils pas à faire entreprendre cette sainte ligue, cette croisade dernière que M. 

57. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Et le poète vous insinue peu à peu l’âme qu’il a lui-même, une âme qui serait contemporaine de l’humanité naissante et de l’humanité vieillie, et qui aurait parcouru la surface entière du globe terrestre ; âme amoureuse et triste, toujours inquiète et toujours frémissante. […] Si quelques poètes n’étaient venus, doués de facultés singulières, l’humanité aurait à jamais ignoré l’aspect de sa planète. […] L’humanité y est éternellement enfantine. […] Il a vaguement peur de ce jardin du Pacifique où l’humanité ne souffre pas. […] Et c’est l’humanité la plus misérable, la plus brutale, la plus proche des bêtes.

58. (1890) L’avenir de la science « XI »

Welcker est la science des littératures classiques, c’est-à-dire des littératures modèles, qui, nous offrant le type général de l’humanité, doivent convenir à tous les peuples et servir également à leur éducation. […] Il serait possible, en prenant l’une après l’autre les langues de tous les pays où l’humanité a une histoire, d’y vérifier cette marche, qui est la marche même de l’esprit humain. […] De là son incapacité à se constituer par elle-même en langue littéraire, et l’utilité de ces hommes qui durent, à certaines époques, faire son éducation par l’antique et présider, si on peut le dire, à ses humanités. […] Prendre l’humanité à un point isolé de son existence, c’est se condamner à ne jamais la comprendre ; elle n’a de sens que dans son ensemble. Là est le prix de l’érudition, créant de nouveau le passé, explorant toutes les parties de l’humanité ; qu’elle en ait ou non la conscience, l’érudition prépare la base nécessaire de la philosophie.

59. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Le brahmanisme, qui remonte jusqu’aux âges les plus anciens de l’humanité, n’a jamais péri, et il est encore debout en face de la civilisation chrétienne. […] Il n’y a point à se demander ce que fera l’humanité sans religion, comme si le fait était possible. Les religions positives conserveront, selon toute apparence, pendant un temps indéterminé, leur empire sur une foule d’âmes, avec des vicissitudes de progrès et de décadence, de chute apparente et de résurrection inattendue, et il n’est pas à craindre que d’ici à longtemps l’humanité manque de secours religieux. […] Tout ce qui tend à élever l’âme est donc favorable à la morale ; c’est ainsi que les arts, la science, la liberté politique, la philosophie, sont des forces qui tendent à maintenir un niveau élevé dans l’humanité. […] Nous l’avons dit déjà48, nous le répétons encore, le christianisme, mais le christianisme transformé, peut bien contenir encore en lui le secret du salut religieux de l’humanité.

60. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Préoccupée, dès ses origines, d’accroître le nombre des Romains, elle fait efforts pour englober, vers la fin de son règne, l’humanité tout entière. […] L’idée de l’humanité n’est-elle pas elle-même, en effet, une extension de l’idée de la famille et de la cité ? […] Penser l’humanité, c’est se représenter plus ou moins vaguement un nombre d’hommes considérable, et susceptible de s’accroître indéfiniment. […] En ce sens l’idée d’humanité est assurément plus naturelle à l’esprit du citoyen moderne qu’à l’esprit du citoyen antique. […] C’est en ce sens que l’extension de l’Empire aidait l’opinion romaine à penser l’humanité.

61. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Il n’est que juste aussi, je crois, d’ajouter que l’amour collectif de l’humanité, des humbles, des misérables, fut très réel chez V. […] N’est-ce pas un devoir du poète, d’être l’instructeur des peuples, le « phare » de l’humanité ? […] Dieu, l’inconnaissable, l’humanité, le mal dans le monde, la misère et le vice, le devoir, le progrès, l’instruction et la pitié comme moyens du progrès, voilà quelques idées centrales que V. […] Leconte de Lisle a préféré les dérober derrière les incertitudes et les angoisses de toute l’humanité, dont son mal est le mal. […] Puis il a visité les faubourgs, les usines, les gares, la banlieue parisienne ; il a frôlé la vie populaire ; il s’est constitué le poète des formes humbles de la nature et de l’humanité.

62. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

C’est en proposant l’action à leurs compatriotes, à leurs contemporains, qu’ils ont dominé l’humanité. […] Jésus n’eut ni dogmes, ni système, mais une résolution personnelle fixe, qui, ayant dépassé en intensité toute autre volonté créée, dirige encore à l’heure qu’il est les destinées de l’humanité. […] Ne séparant pas le sort de l’humanité de celui de leur petite race, les penseurs juifs sont les premiers qui aient eu souci d’une théorie générale de la marche de notre espèce. […] Délivré de l’égoïsme, source de nos tristesses, qui nous fait rechercher avec âpreté un intérêt d’outre-tombe à la vertu, il ne pensa qu’à son œuvre, à sa race, a l’humanité. […] Avec ses docteurs solennels, ses insipides canonistes, ses dévots hypocrites et atrabilaires, Jérusalem n’eût pas conquis l’humanité.

63. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

L’humanité ainsi conçue et réduite à son élite ne peut cependant tout emporter avec elle : il faut à tout instant choisir, élaguer, généraliser. Les événements, d’ordinaire, se chargent de cette simplification ; l’humanité elle-même y pourvoit, au besoin, par des sacrifices. […] Je me figure encore cette humanité symbolique de M.  […] Elle doit désirer que son œuvre du moins subsiste, que cette meilleure part d’elle-même où elle a mis le plus vif de sa pensée et toute sa flamme, entre dorénavant dans l’héritage commun, dans le résultat général du travail humain, dans la conscience de l’humanité : c’est par là qu’elle se rachète et qu’elle peut vivre. […] Ce jugement n’est pas tout sans doute ; l’humanité n’est qu’un interprète souvent inexact de la justice absolue.

64. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Alors vécut une personne supérieure qui, par son initiative hardie et par l’amour qu’elle sut inspirer, créa l’objet et posa le point de départ de la foi future de l’humanité. […] En tout cas, elle n’eut par ce côté aucune influence sur la direction du grand courant de l’humanité. […] Ce n’est pas de l’Égypte, d’ailleurs, qu’est venue la foi de l’humanité. […] La foi de l’humanité cependant ne pouvait venir de là, parce que ces vieux cultes avaient beaucoup de peine à se détacher du polythéisme et n’aboutissaient pas à un symbole bien clair. […] C’est la race sémitique 83 qui a la gloire d’avoir fait la religion de l’humanité.

65. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Un ordre nouveau gouvernera l’humanité. […] Un visionnaire qui n’aurait eu d’autre idée que la proximité du jugement dernier n’eût pas eu ce soin pour l’amélioration de l’homme, et n’eût pas fondé le plus bel enseignement moral que l’humanité ait reçu. […] Ce que Jésus a fondé, ce qui restera éternellement de lui, abstraction faite des imperfections qui se mêlent à toute chose réalisée par l’humanité, c’est la doctrine de la liberté des âmes. […] Le déisme du XVIIIe siècle et un certain protestantisme nous ont habitués à ne considérer le fondateur de la foi chrétienne que comme un grand moraliste, un bienfaiteur de l’humanité. […] Toujours le contraste de l’idéal avec la triste réalité produira dans l’humanité ces révoltes contre la froide raison que les esprits médiocres taxent de folie, jusqu’au jour où elles triomphent et où ceux qui les ont combattues sont les premiers à en reconnaître la haute raison.

66. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Il ne cherche pas à détourner Gusman d’un crime particulier ; il lui conseille une vertu générale, la charité, sorte d’humanité céleste, que le Fils de l’Homme a fait descendre sur la terre, et qui n’y habitait point avant l’établissement du christianisme24. […] J’ai fait jusqu’au moment qui me plonge au cercueil, Gémir l’humanité du poids de mon orgueil. […] ………………………………………………… J’ai fait jusqu’au moment qui me plonge au cercueil, Gémir l’humanité du poids de mon orgueil. […] Les anciens eux-mêmes devaient à leur culte le peu d’humanité qu’on remarque chez eux : l’hospitalité, le respect pour les suppliants et pour les malheureux, tenaient à des idées religieuses.

67. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

L’humanité veut des noms qui lui servent de types et de chefs de file ; elle ne met pas dans son choix beaucoup de discernement. […] L’humanité doit sûrement être écoutée en ses instincts ; l’humanité, au fond, a raison ; mais dans la forme, dans le détail, oh ! […] Le moment où il est venu au monde est un âge particulier, comme tous les autres âges, dans l’histoire de notre globe et de l’humanité. […] Il a compris son heure mieux que personne ; il a vécu et senti avec l’humanité de son temps ; il a partagé ses espérances, si l’on veut ses erreurs ; il n’a reculé devant aucune responsabilité. […] Nous entendrons toujours ces sages paroles qui semblaient, par leur calme gravité, venir du fond d’un tombeau, et nous dirons pour finir par une grande pensée de lui : « Le temps, qui est beaucoup pour les individus, n’est rien pour ces longues évolutions qui s’accomplissent, dans la destinée de l’humanité.

68. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Les Deux Cités ; la philosophie de l’histoire aux différens âges de l’humanité, par F. de Rougemont ; Paris 1874. — IV. […] Non moins intéressante est la critique de cette autre prétendue loi, également spécieuse, également célèbre, que l’humanité se développe comme un organisme vivant. […] Mais la croissance de cette plante libre et responsable, l’humanité, n’est pas ainsi emportée d’un mouvement uniforme et nécessaire, suivant une ligne inflexible, vers un but qui ne peut manquer d’être atteint. […] L’humanité conçoit, obscurément d’abord, plus clairement à mesure qu’elle avance, un idéal de science, de justice, de perfection. […] Elle est pour l’humanité l’obligation, sourdement sentie d’abord comme un besoin, acceptée plus tard librement comme une dignité et un devoir, de tendre dans toutes les directions vers un idéal de beauté, de vérité, de bonheur, de perfection.

69. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Il ne falloit, en effet, rien moins que cette précaution, pour débiter, sans risque, des principes aussi impies, aussi séditieux, que flétrissans pour l’Humanité. […] Dans le Systême de la Nature, tout s’altere, se brouille, s’éteint ; la Nature, en désordre, n’a plus rien qui rappelle à elle-même ; tout ce qu’elle produit dans l’humanité, devient sa honte & son ennemi. […] Par un effet tout contraire, l’excès de leurs emportemens a déjà désabusé les Esprits, que le langage imposteur de leur faux zele pour l’Humanité avoit d’abord séduits. […] Qu’on examine ce qu’ont produit, en faveur de l’Humanité, tant de déclamations vagues, qui ont enrichi la Presse en la déshonorant ; ou plutôt, quels maux n’ont-elles pas déjà enfantés ? […] Et si un véritable amour de l’humanité dirigeoit les plumes philosophiques, les bienfaits continuels de cette Religion ne devroient-ils pas les arrêter ?

70. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

C’est là surtout qu’on peut contempler l’humanité dans sa liberté, dans sa personnalité, dans sa vie vraiment humaine : beau et dramatique spectacle d’un effet esthétique et d’un enseignement moral admirables. […] Dans son livre des Idées sur l’histoire de l’humanité, Herder a des définitions fécondes et des images heureuses qui ont inspiré bien des écoles de philosophie historique. […] C’est sur ce principe que repose l’histoire de l’humanité. […] Sur deux choses, la liberté et l’humanité. […] Cependant, quand on pourrait prouver que cette fatale journée a été un mal inévitable, en est-elle moins un des plus affreux attentats qui aient jamais été commis contre l’humanité ?

71. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

La dignité commande également au poète de se retirer dans sa « tour d’ivoire » si cela lui plaît, ou, s’il le préfère, de ne pas se désintéresser des affaires de l’humanité. […] La grande excuse de l’idée que l’effort produit le mérite est dans la misérable condition de l’humanité. […] Dans une humanité, je ne dis point parfaite, mais meilleure que la nôtre, elle se transformerait. […] Il faut tirer l’humanité avec violence pour la faire avancer un peu. […] Il est douteux que l’humanité arrive à un état très élevé.

72. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Jamais vous n’avez été plus grand, ni plus utile à la terre. » De ce sentiment d’humanité naît, dans le prince, le devoir d’adoucir la sévérité de la loi. […] Il fit couler le sang des ennemis, avec cette fureur que les caractères atroces nomment justice : l’orateur, en le louant d’une humanité qu’il n’avait pas, tâche au moins de lui inspirer les sentiments qu’il devait avoir. […] etc. » L’orateur veut étendre ce sentiment d’humanité dans le prince, des sujets de l’État, aux ennemis mêmes de l’État. […] Thémiste osa parler de douceur à un fanatique, et d’humanité à un barbare ; et ce qui est plus étonnant, il réussit. […] La colère de son prince lui a paru préférable à l’humanité d’un rebelle ; et pouvant être heureux et libre en devenant coupable, il a mieux aimé rester vertueux et attendre la mort.

73. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « au lendemain du saint-simonisme  » p. 505

au lendemain du saint-simonisme Un des traits les plus caractéristiques de l’état social en France, depuis la chute de la Restauration, c’est assurément la quantité de systèmes généraux et de plans de réforme universelle qui apparaissent de toutes parts et qui promettent chacun leur remède aux souffrances évidentes de l’humanité. […] Si l’humanité n’a pas encore fait choix d’un abri, ce n’est certes pas faute d’être convoquée chaque matin en quelque nouvelle enceinte. Mais, toute souffrante qu’elle est incontestablement, tout exposée qu’on la voit aux fléaux de la nature et à l’incurie de ses guides, cette pauvre humanité ne paraît pas empressée de courir à l’un plutôt qu’à l’autre de ces paradis terrestres qu’on lui propose.

74. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

A ne voir qu’elles, on serait tenté de prendre l’humanité en dégoût. […] La nature s’imprégnera donc ici d’humanité. […] L’inertie de l’humanité n’a jamais cédé qu’à la poussée du génie. […] Les esprits une fois posés, l’humanité aurait passé de la croyance à l’adoration. […] Tout cela explique que l’humanité n’ait pas répugné au culte des animaux.

75. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Au fond, vivre dans la volupté et la violence, l’une conséquence, mais assaisonnement aussi de l’autre, c’est où il croit bien que l’humanité devrait tendre, et d’où il croit que l’humanité devrait ne pas trop se hâter de s’éloigner. […] L’histoire de l’humanité, c’est l’humanité cherchant à créer l’ordre dans son sein, à tirer la justice du chaos. […] Fixera-t-il la valeur d’après son goût, son humanité, son intérêt ou son caprice ? […] Nous sommes cette syllabe dans le poème de l’humanité. […] Il a aimé savoir le secret des hommes, et dans ce désir il entrait au moins comme un goût de l’humanité.

76. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

A celui qui ajournait la religion, l’auteur de ces lettres avait à faire sentir et à démontrer que la science est sans vie, l’industrie sans réhabilitation, les beaux-arts sans rôle social, si un lien sacré d’amour ne les enserre pour les féconder ; il avait à révéler l’influence puissante, bien qu’incomplète, du dogme chrétien et de la théologie sur la politique d’alors et sur les progrès de la société ; il avait à prouver qu’aujourd’hui que cette théologie est reconnue arriérée, s’abstenir d’y substituer celle qui seule comprend l’humanité, la nature et Dieu ; rejeter ce travail glorieux et saint à un temps plus ou moins éloigné sous prétexte que le siècle n’est pas mûr ; s’obstiner à demeurer philosophe, quand l’ère religieuse est déjà pressentie, se rapetisser orgueilleusement dans le rôle de disciples d’un Socrate nouveau, quand la mission d’apôtres devrait soulever déjà tous nos désirs ; — que faire ainsi, c’était se barrer du premier pas la carrière, se poser une borne au seuil de l’avenir, s’ôter toute vaste chance de progrès et être véritablement impie. […] Elevé tendrement au sein d’une famille où s’était conservée la tradition des liens d’une parenté patriarcale, il fut un de ceux qui appelèrent et réalisèrent avec le plus de ferveur la hiérarchie dans la grande parenté de l’espèce humaine ; il s’efforça d’harmoniser ce qu’il y a de religieux dans les sentiments de famille avec la dévotion à l’humanité nouvelle révélée par Saint-Simon. […] Le mosaïsme, moins développé en dogme que la religion chrétienne ; s’en tenant, avant tout, à l’unité de Dieu, qu’il importait de conserver entière et pure au sien du polythéisme ; renonçant à lier et à associer l’humanité encore rebelle et trop peu assimilable ; le mosaïsme, même avec ses restrictions, ses ignorances et ses grossièretés, cimentait plus fortement qu’aucune autre religion n’eût fait, et coordonnait en société complète, dans sa contrée étroite et montagneuse, son petit peuple choisi. […] On y verra clairement jusqu’où peut aller, en aperçus ingénieux de l’avenir, la philosophie sans la foi, la sagesse sans la religion ; on se demandera quel bonheur il revient au genre humain d’une idée isolée, trouvée une fois lancée dans le monde pour le plus grand plaisir de quelques penseurs, et à laquelle toute une vie d’amour et de dévouement n’a pas été consacrée ; on admirera Lessing ; on saluera en passant, avec bienveillance et respect, la statue de marbre du sage, mais on se jettera en larmes dans les bras de Saint-Simon ; on se hâtera vers l’enceinte infinie où l’humanité nous convie par sa bouche, et où l’on conviera en lui l’humanité ; on courra aux pieds de l’autel aimant et vivant, dont il a posé, et dont il est lui-même la première pierre4.

77. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

pour nous démontrer le Dieu en trois personnes : — Shakespeare est un homme et un créateur dans l’humanité, et l’humanité, c’est Dieu, et c’est l’humanité qui fait Dieu, dit Meurice, qui n’est, en somme, qu’un hégélien, comme vous voyez, tombé du baragouin d’Hegel dans le baragouin d’Hugo, deux effroyables baragouins ! Eh bien, ce sont ces intelligents messieurs, qui soutiennent que Shakespeare explique la Trinité, qui prétendent que l’humanité pond son Dieu, ce long Dieu du devenir qui ressemble à un câble et que l’humanité fait et augmente d’une spirale tous les jours ; ce sont ces messieurs, qui soutiennent les droits du corps autant que les droits de l’esprit, et qui, niant toutes les négations, nient le péché, le châtiment, la guerre, la mort et l’enfer ; ce sont eux, ces messieurs, que Paul Meurice appelle : « les Chevaliers de l’Esprit » !

78. (1842) Discours sur l’esprit positif

Pendant la longue enfance de l’Humanité, les conceptions théologico-métaphysiques pouvaient seules, suivant nos explications antérieures, satisfaire provisoirement à cette double condition fondamentale, quoique d’une manière extrêmement imparfaite. […] Ainsi rapportées, non à l’univers, mais à l’homme, ou plutôt à l’Humanité, nos connaissances réelles tendent, au contraire, avec une évidente spontanéité, vers une entière systématisation, aussi bien scientifique que logique. […] La philosophie théologique n’a été, pendant l’enfance de l’Humanité, la seule propre à systématiser la société que comme étant alors la source exclusive d’une certaine harmonie mentale. […] C’est surtout, en effet, comme base rationnelle de l’action de l’Humanité sur le monde extérieur que l’étude positive de la nature commence aujourd’hui à être universellement goûtée. […] Pour lui, l’homme proprement dit n’existe pas, il ne peut exister que l’Humanité, puisque tout notre développement est, dû à la société, sous quelque rapport qu’on l’envisage.

79. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Elle est tout à la fois la philosophie et l’histoire de l’humanité. […] Mais comment expliquer ce premier pas de l’esprit humain, ce passage critiqué de la brutalité à l’humanité ? […] Idées philosophiques sur l’histoire de l’humanité, 1772 (traduit par M.  […] Histoire de l’humanité, 1786. […] Ajoutons à cette critique, que, dans la première édition, il conçoit pour l’humanité l’espoir d’une perfection stationnaire.

80. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

III Nous avons montré que les conclusions tirées de la destinée du moi à la destinée de l’humanité étaient inexactes, insuffisantes et peu fécondes. […] A l’origine, quand l’humanité naissante, venue je ne sais d’où, échappant à une vie antérieure et inconnue, sortant du non-moi au sein duquel elle avait été recueillie et transformée, se leva debout, secoua sa fange, se sentit à part, et fit en chancelant le premier pas dans sa nouvelle carrière de progrès, les choses durent se passer étrangement, et nous avons peine, de la hauteur où nous sommes aujourd’hui, à nous en représenter l’idée. […] L’humanité ne s’y laissa pas amuser ; elle avait d’autres progrès à poursuivre, et quand elle commença d’être lasse de ses héros athlètes et de ses prêtresses de Vénus, Platon naquit. […] L’humanité cessa de tendre à la perfection métaphysique pour laquelle elle n’était point faite ; les sciences profanes et l’industrie, marchant de concert, ruinèrent sur tous les points de la société la pratique chrétienne. […] On sent que toute une nouvelle morale découle de là ; c’est qu’en effet nous sommes arrivés à une époque où un grand progrès est tout près de s’accomplir, où l’humanité en masse va s’élever d’une conception passée à une conception supérieure et où, par conséquent, la ligne de démarcation entre le bien et le mal doit être portée en avant.

81. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Culte des ancêtres perpétuant la mémoire et sanctifiant la filiation humaine en reportant sans cesse l’humanité à sa source par la reconnaissance : spiritualisme filial, qui va rechercher la vie pour la bénir et la tradition pour la vénérer. […] Des râteliers toujours pleins, dans cette vaste étable de l’humanité, changent-ils la nature de cette bête de somme plus ou moins repue qu’ils appellent la société humaine ? […] Il a donné à l’homme, en le créant, les instincts innés qui le forcent à vivre en société politique, parce que la société politique est le moyen de perfectionner l’individu en élargissant sa sphère par la famille, l’État, l’humanité, cette trinité de devoirs. […] Il a donné à l’homme une âme pour communiquer par la pensée avec Dieu, son créateur, et pour perfectionner cette âme par la vertu, travail surhumain de l’humanité mortelle dont la vie immortelle est le salaire dans un temps qui ne finit pas, c’est-à-dire dans l’éternité rémunératrice. […] Elle résolut, non de les nier, mais de les tourner, et de montrer une voie générale de salut, qui fît marcher au ciel par toutes les voies ; elle n’écartait pas le christianisme, elle l’ouvrait plus large à plus de fidèles ; elle considérait le Christ comme l’Homme-Dieu qui, participant à toute la nature humaine pour la réhabiliter en lui, fut affranchi de tout ce que l’humanité a de vicieux, rédempteur dont l’humanité aurait pu se passer si elle avait conservé sa pureté originelle et la religion naturelle bien gravée dans sa conscience.

82. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Nous savons déjà, d’abord, que l’étroitesse des cercles sociaux, parce qu’elle n’est pas propice au développement de l’idée de l’humanité, est un obstacle à l’expansion de l’égalitarisme. […] D’où il suit que l’homogénéité absolue des cercles sociaux parce qu’elle entraîne leur étroitesse, s’oppose indirectement à ce que l’idée des droits de l’humanité y pénètre. […] Si Athènes, plus que Sparte, fraie la voie de l’humanité, c’est peut-être aussi qu’elle entre en contact, par la mer et dans ses murs mêmes, avec plus d’étrangers121. […] En ce sens, s’il est vrai que les similitudes ou les dissemblances extérieures sont capables d’influer sur nos sentiments et nos idées, la composition ethnique des sociétés modernes prépare les esprits au respect de l’humanité. […] L’humanité a la capacité de bouleverser les distinctions de la nature.

83. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre I. Définition des idées égalitaires »

Mais pour que nous pensions à traiter, conformément à cet impératif, les individus avec lesquels nous entrons en relations, ne faut-il pas que nous ayons, au préalable, porté certains jugements de fait sur leur nature même Le premier élément constitutif de l’égalitarisme, c’est l’affirmation que l’humanité a une valeur propre, et que par suite tous les hommes ont des droits. […] La conception de l’humanité ne se concilie pas avec la conception des castes. […] Si donc l’idée de l’égalité exclut à nos yeux celles de la classe ou de l’espèce, elle réunit celles de l’individualité et de l’humanité : en d’autres termes, dans un esprit qui déclare les hommes égaux, le sentiment qu’ils sont semblables n’exclut nullement, le sentiment qu’ils sont différents. […] Dès à présent, on peut les reconnaître : elles sont pour nous des idées pratiques, postulant la valeur de l’humanité et celle de l’individualité, — comme telles tenant compte des différences des hommes en même temps que de leurs ressemblances, — leur reconnaissant par suite, non les mêmes facultés réelles, mais les mêmes droits, — et réclamant enfin qu’à leurs actions diverses des sanctions soient distribuées, non uniformes, mais proportionnelles.

84. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

L’idée de la valeur de l’humanité en général nous a paru être, en même temps que l’idée de la valeur propre à la personne, une des pierres angulaires de l’égalitarisme. […] Demandons-nous donc si, entre l’idée de la nationalité, et celle de l’humanité, l’opposition est irréductible et si par suite la Révolution, — dont, le principe des nationalités découle en même temps que celui de l’égalité des hommes, — a enfanté des frères ennemis. […] Les groupements primitifs sont des touts aussi compacts que fermés, où il ne semble y avoir place ni pour l’humanité, ni pour l’individualité. […] La cité romaine s’étend à l’humanité ; les règles universelles prévalent sur les usages particuliers ; le « Droit naturel » s’élabore29. […] L’idée se fait jour qu’il existe une humanité, dont chaque membre a sa valeur propre : ce sont bien nos théories égalitaires qui brillent déjà dans le crépuscule de l’antiquité.

85. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Elle a été posée et résolue à toutes les phases des sociétés, et si un tel fait a été méconnu, si l’on n’a pas tenu le compte qu’on devait des solutions sur lesquelles l’humanité a vécu, pendant des siècles, heureuse et puissante, la faute en est à ce mépris que des économistes ignorants ont toujours montré pour l’histoire, — pour l’histoire qui le leur rendra bien ! […] Mais un seul contrat d’atermoiement et le plus léger soupçon suffisaient pour le faire destituer ; car les habitants de Paris voulaient avoir à leur tête un homme qui résumât tous les nobles penchants de l’humanité. » Ce fut sous la minorité de saint Louis, de ce grand roi qui refit la morale publique de son temps, que la constitution des travailleurs fut fortement remaniée. […] Dans cette vaste constitution, il sera juste de voir figurer un syndicat chargé de représenter chaque profession au sein de la société générale ; de surveiller officiellement l’éducation des apprentis dans le ressort de chaque groupe industriel ; de juger tous les différends des fabricants entre eux ou les différends des chefs d’ateliers avec les ouvriers, afin que le moindre oubli des lois de l’humanité de la part du premier envers le dernier soit frappé d’une réprobation générale et flétri par le stigmate du déshonneur ; de veiller à l’exécution de la loi constitutive librement consentie et à la distribution des secours accordés aux travailleurs pauvres et nécessiteux sur la caisse de la communauté, qu’alimenteront les versements pécuniaires et fixes de tous les associés ; de blâmer, de condamner à une amende quelconque, et même au besoin d’exclure de l’association, tel fabricant ou chef d’atelier qui, par une production mauvaise ou quelque autre délit commis, soit envers les ouvriers soit envers les acheteurs, compromettrait les intérêts moraux ou matériels de toute une industrie. » Certes ! […] L’humanité, cet homme collectif, fait souvent dans sa marche ce que fait l’homme individuel dans la sienne, quand il revient chercher ce qu’il a oublié derrière lui et ce qui est nécessaire à son voyage. Comme les armées, l’humanité recule parfois pour mieux avancer.

86. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Ces sabreurs de la politique, ces proclamateurs de la liberté illimitée démoliraient plus de sociétés et de gouvernements humains en une minute et en une phrase que la raison, l’expérience et la sagesse merveilleuse de l’humanité n’en ont construit en tant de siècles ! […] La première de ces vertus, l’âme de ces rites ou devoirs, est l’humanité, sentiment inspiré par Dieu pour la conservation de la race. […] Écoutons Confucius sur cette partie de sa politique : « Avoir plus d’humanité que ses semblables, c’est être plus homme qu’eux ; c’est mériter de leur commander. L’humanité est donc le fondement de tout. » Aimer l’homme, c’est avoir de l’humanité. […] Je retrouve avec orgueil, en propres termes, dans la bouche de ce prétendu barbare ce que j’ai dit moi-même en commençant cet entretien : « Le chef-d’œuvre de l’humanité, c’est un gouvernement ! 

87. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

La nature et l’humanité se mêlent dans le hurlement attendri que jette Ézéchiel. […] Lucrèce tourne le dos à l’humanité et regarde fixement l’Énigme. […] Telle est l’humanité à laquelle assiste Tacite. […] À partir de saint Paul, ce sera l’histoire de l’humanité. […] Le grand poëte définitif de l’Allemagne sera nécessairement un poëte d’humanité, d’enthousiasme et de liberté.

88. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Il ne s’agit point de rétablir le latin, puisqu’il n’est pas supprimé pour ceux qui veulent en faire ; ce qu’il faudrait, c’est revenir aux vieilles humanités (latin-grec) jusqu’à la 1re incluse. […] Que le ministre commence donc, ou recommence, ses humanités et nous le verrons, avec nous, déplorer le français belge et les néologismes bancals dont le Palais Bourbon retentit. […] Des centaines d’expériences de ce genre ne pouvaient que confirmer, à mes yeux, la valeur éducative supérieure des humanités. […] Que votre défense des humanités et du latin cachât d’insidieuses menées politiques, voilà une joyeuse trouvaille ! […] Tout poste important exige une culture générale fondée sur les humanités ; les négliger c’est ôter des forces vives à la nation.

89. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Renan, l’humanité a le sentiment religieux ou le sentiment du surnaturel, plus fort ici que là, dans certaines races que dans certaines autres, mais elle l’a incontestablement. […] car l’humanité aura toujours besoin de symbolisme. […] Renan : l’optimisme béat, la foi dans l’humanité en masse qui fait bien tout ce qu’elle fait, et aussi en l’homme individuel dont M.  […] Seulement, « pour construire scientifiquement la théorie des premiers âges de l’humanité, il faut étudier l’enfant et le sauvage », c’est-à-dire le sens sur le contresens, la lumière sur les ténèbres, et la montée sur la descente. […] Caligula philologique à faire mourir de rire qui voudrait que l’humanité n’eût qu’une tête pour la lui couper, si cette tête portait un nom propre !

90. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité I. […] I Les quatre manifestations18, où l’on a observé dans la première partie de ce livre les effets d’un Bovarysme essentiel de l’Humanité, sont unies entre elles par un lien de dépendance si étroit qu’il semble préférable de ne pas les séparer, pour les examiner du point de vue nouveau auquel nous a fait accéder la réduction de l’idée de vérité à l’idée d’artifice, de moyen, d’illusion. […] La croyance au libre arbitre remplit à l’égard de l’humanité l’office de cette suggestion. […] Ce vœu de l’existence se voit donc réalisé d’une façon concrète et saisissable selon deux modes dans l’humanité : sous son aspect le plus haut et le plus dramatique, ainsi qu’on l’a déjà montré, avec le héros qui, parvenu à l’émotion esthétique, se reconnaît le propre créateur de la suggestion qui lui fit accomplir sa destinée, sous un autre aspect moins mystique, avec le savant qui, désintéressé des applications déduites par les autres hommes de ses découvertes, fait sa joie du seul fait de connaître, du seul spectacle de toutes les choses créées par l’activité objective de l’être.

91. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Quand les deux Brutus donnerent aux romains le premier combat de gladiateurs qu’ils eussent vû dans leur ville, les romains étoient déja civilisez : mais loin que l’humanité et la politesse des siecles suivans aïent dégoûté les romains des spectacles barbares de l’amphithéatre, au contraire elles les en rendirent plus épris. […] Nous avons dans notre voisinage un peuple tellement avare des souffrances des hommes, qu’il respecte encore l’humanité dans les plus grands scelerats. […] Neanmoins ce peuple, si respectueux envers l’humanité, se plaît infiniment à voir les bêtes s’entre-déchirer. […] L’attrait de l’émotion fait oublier les premiers principes de l’humanité aux nations les plus débonnaires, et il cache aux plus chrétiennes les maximes les plus évidentes de leur religion.

92. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Le Bovarysme essentiel de l’humanité I. […] On va maintenant considérer certaines manières d’être et certaines croyances communes à l’humanité tout entière, à ce point qu’elles semblent conditionner son existence, et dont on va montrer qu’elles comportent toutes un fait flagrant de Bovarysme. […] Mais il apparaît aussi que cet instinct, en dehors du moi humain où il s’est développé, se ramifie à d’autres instincts de même nature en des raillions d’autres moi, en des millions d’autres corps, en sorte que cette fin particulière et passagère pour tel moi déterminé est une fin générale pour l’humanité. […] Cette faculté de mécontentement est donc la cause et le pivot de tout progrès, et on voit dès lors la loi ironique, le Bovarysme essentiel, qui gouverne encore ici l’humanité. […] Ainsi, tout l’effort utilitaire de l’humanité est détourné vers des fins désintéressées.

93. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Je l’entends, cette voix forte & puissante, qui, comme un tonnerre qui roule dans la nue réveille les esprits les plus engourdis ; non ce n’est plus un homme, c’est un Dieu tutelaire qui s’est chargé des intérêts de la patrie, & qui défend la cause honorable de l’humanité ; d’une main il foudroye le vice, de l’autre il dresse des Autels à la vertu, déploye toute l’indignation d’une ame sensible contre d’injustes Tyrans, il rejette le cri insensé de l’opinion pour faire parler la voix immortelle de la raison. […] Vous pleurez en voyant dans tous les tems les plaies faites à l’humanité par ceux qui puissans & redoutés, méritoient d’en être l’opprobre & le jouet. […] Ici Lucrece sonde la Nature, analyse l’homme & le rassure contre de vaines chimères, heureux, si l’erreur ne se plaçoit pas à côté des plus utiles vérités ; là, Juvenal arme sa main de la verge de la satyre, porte le flambeau dans les ténébres épaisses ou se cache le crime, & sert l’humanité en démasquant le vice. […] Titus, Marc-Aurele & Julien furent des Empereurs Philosophes, l’antique vœu de Planton fût rempli, & sous leur régne paisible les hommes sentirent le bonheur d’être gouvernés par des Chefs éclairés, & par conséquent échauffés de l’amour de l’humanité. […] Ceci regarde les Orientaux, Peuples soumis à la volonté arbitraire d’un seul homme, & qui d’après l’expérience n’ont jamais excellé dans les Arts qui font l’honneur de l’humanité.

94. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Quels sont ces problèmes, aussi vieux que l’humanité, aussi répandus quelle sur la surface du globe, problèmes que se pose inévitablement chacun de nous aussitôt qu’il commence à penser ? […] La Providence explique l’instinct et le besoin de la prière, cet instinct si universel de l’humanité. […] Sans vouloir mêler ici prématurément la critique à l’exposition, il est impossible cependant de ne pas être frappé de cette imprudence, au moins apparente, qui fait reposer le dogme fondamental de la religion et l’espoir de l’humanité sur une opinion toute scientifique. […] Toutes les religions ont cru à l’incarnation de Dieu dans l’homme40 : ce n’est pas que toutes ces incarnations soient vraies ; mais elles prouvent la tendance de l’humanité à voir et à sentir Dieu en elle. […] C’est sur ce sentiment universel de l’humanité qu’est fondé le grand mystère de la rédemption, Dieu s’étant payé à lui-même par un sacrifice volontaire la rançon du péché des hommes.

95. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Lettre-préface à Henri Morf et Joseph Bédier » pp. -

. — Cette foi nouvelle hésitait encore, étonnée de sa propre hardiesse, lorsque je vous connus, cher ami Bédier ; notre longue promenade d’avril 1904, dans le jardin du Palais-Royal, et de là au Panthéon, m’est inoubliable ; votre confiance, votre amitié me révélaient enfin le Paris entrevu dans les livres, ce Paris dont je dis ailleurs, en des mots d’amour, qu’il est la ville du livre lumineux et du pavé sanglant, d’où l’idée prend son essor vers l’humanité. […] La vulgarité, la sottise, la bassesse sont inhérentes à l’humanité, mais elles ne font pas l’humanité.

96. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Les ravageurs de l’ile de Scio, les massacreurs du clergé grec de 1825, protestaient naguère contre l’agression étrangère qui avait confondu dans le désastre de leur flotte les habitants d’une de leurs villes maritimes ; ils invoquaient le droit et l’humanité, au milieu de l’esclavage domestique et du renfort de barbarie qu’ils tirent de leurs hordes asiatiques : chaos bizarre qui ne peut durer, et qui prépare un changement du monde ! […] L’Asie Mineure est une autre Amérique, à la porte de l’Europe. » Et ce grand esprit, qui n’avait pas dédaigné de tracer le modèle d’un travail de statistique usuel pour Paris, mais qui, dans sa profonde science mathématique, gardait et laissait voir un instinct d’élévation morale, était inépuisable dans ce qu’il disait alors de cette renaissance d’un monde oriental annexé à l’Europe et gouverné par ses arts et son humanité. […] Que, dans un district de l’Union, dans un des plus opulents et des plus endurcis par l’orgueil du bien-être et de la domination, une humble et pieuse femme ait élevé la voix contre l’usage impie et tout-puissant de l’esclavage domestique ; qu’elle ait attaqué du même coup la loi, le préjugé, l’avarice, la volupté, toutes les passions humaines coalisées sous le sceau de la coutume, du bon sens et de la fierté même d’un peuple libre : eh bien, cette faible voix, qu’anime un saint enthousiasme, a partout retenti ; des millions d’échos la répètent dans le monde américain et la renvoient au-delà des mers ; une ardeur nouvelle d’humanité a enflammé les prêches des temples et les congrégations de fidèles. L’œuvre avance, au nom de la foi et de l’humanité : on s’engage à poursuivre l’abolition de l’esclavage, comme l’accomplissement même de l’Évangile ; et, malgré les résistances de l’intérêt, les raisons spécieuses de la politique, malgré la difficulté du remède accrue par l’excès du mal, on peut prédire que celle souillure sera un jour écartée du monde américain ; on peut dire au zèle de l’humanité marchant à l’ombre de la croix : In hoc signo vinces.

97. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

« L’homme qui prend la vie au sérieux, a-t-il dit, et emploie son activité à la poursuite d’une fin généreuse, voilà l’homme religieux ; l’homme frivole, superficiel, sans haute moralité, voilà l’impie. » — « L’humanité est de nature transcendante, a-t-il dit encore, quis Deus incertum est, habitat Deus (quel Dieu habite en elle ? […] Le mot Dieu est toujours pour lui le signe représentatif de toutes les belles et suprêmes idées que l’humanité conçoit, pour lesquelles elle s’exalte et qu’elle adore ; mais il semble que ce soit quelque chose de plus encore à ses yeux qu’une expression ; il semble prêter décidément à l’intelligence, à la justice indéfectible et sans bornes, une existence indéfinissable, inconnue, mais réelle. […] Il va jusqu’à dire que ce n’est pas seulement dans la mémoire et la conscience de l’humanité que subsiste, selon lui, l’œuvre de quiconque est digne de vivre, car il y en a, et des meilleurs, qui sont restés obscurs ; il ajoute que « c’est aux yeux de Dieu seul que l’homme est immortel. » Il peut y avoir dans tout ceci, je le sais, la part à faire à un certain langage poétique, métaphorique, dont l’écrivain distingué se prive malaisément. […] Du moment qu’on déclare que l’humanité, dans ses diverses manifestations historiques, a tout fait, mais en même temps a tout bien fait, et qu’on se révolte, comme si c’était un sacrilège, à l’idée qu’elle a pu commettre en masse quelque grosse sottise, il est difficile de ne pas admettre un plan auquel, même à son insu, elle obéit : il y a un Dieu là-dessous. De même qu’il estime que l’humanité a son œuvre à accomplir, M. 

98. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Cela est si vrai que le subjectivisme de la métaphysique, au lieu de ne s’appliquer qu’à un individu abstrait, peut parfaitement s’entendre comme conditionnant l’activité d’un ensemble systématisé d’esprits, d’une société, d’une race, de l’humanité même. […] Elle se révèle dans l’enchaînement de nos idées, dans la forme que prennent chez nous les impressions et les désirs, dans le moindre de nos actes, dans les mille détails de notre vie psychique, dans le timbre irréductible que revêt en passant par chacun de nous la grande voix de l’humanité. […] Tous les autres : nos ancêtres et nos contemporains, et nos descendants, ceux que nous aimons, ceux que nous croyons indifférents, et ceux que nous haïssons, notre patrie et toutes les patries, tous les groupes sociaux, et l’humanité entière, ou du moins le germe de l’humanité. […] Il suffit, pour reconnaître la fragilité de l’« humanité » dans l’homme, de se rappeler les excès où le pouvoir absolu conduisit jadis ceux qui l’ont exercé, ou les faits qui se passent de nos jours encore en temps de guerre, surtout quand les adversaires ne sont pas de même race et de même couleur, les massacres désintéressés, les pillages, les viols, ou bien les exactions, les violences exercées dans de lointaines colonies où la pression sociale n’arrive que bien atténuée. […] Bien souvent il n’arrive qu’à une transformation apparente, il a fait de l’humanité une sorte de théâtre aux décors conventionnels, qu’on rafraîchit de temps en temps ou que l’on change, mais qui restent toujours des décors, incapable de vaincre l’individu, il l’a déguisé plus qu’il ne l’a transformé en être social.

99. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Tous font don à l’humanité de son portrait, les uns en riant, les autres en pleurant, les autres pensifs. […] Ces portraits de l’humanité, laissés à l’humanité comme adieux par ces passants, les poètes, sont rarement flattés, toujours exacts, ressemblants de la ressemblance profonde. […] De chacun d’eux découle, au regard du penseur, une humanité. […] Cela tient à la quantité d’humanité et à la quantité de mystère qui est en lui. […] Que lui importe votre histoire à lui qui a l’humanité ?

100. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

La vérité scientifique ou philosophique n’est pas forcément un moyen en vue de la sociabilité (unité sociale, bonheur collectif, rationalisation collective de l’humanité ou d’une fraction importante de l’humanité). […] L’idéal de l’humanité serait la fourmilière. […] Plus d’un penseur de nos jours qui ne croit plus au Paradis croit à l’amélioration du sort de l’humanité sur la planète. […] Tel est le rôle de cet acte de foi dans l’évolution intellectuelle de l’humanité. […] Plus l’idéal de culture qu’ils ont conçu est haut, plus l’écart est grand entre cet idéal et l’humanité réelle.

101. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

L’humanité à ces besoins d’opposition. […] Mais, comme nous ne saurions trop le répéter, ces contradictions sont inhérentes à l’humanité. […] Ils créent alors une philosophie de l’histoire, c’est-à-dire une exégèse logique de l’évolution de l’humanité. […] En humanité, cette méthode est inapplicable. […] Il eût doté l’humanité d’une invention utile qu’il n’eût pas obtenu le dixième de l’attention dont il est actuellement l’objet.

102. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

En d’autres termes, les origines zoologiques de l’humanité sont énormément antérieures aux origines de la culture, de la civilisation, du langage. […] Ces groupements sont des faits historiques qui ont eu lieu à une certaine époque, mettons il y a quinze ou vingt mille ans, tandis que l’origine zoologique de l’humanité se perd dans les ténèbres incalculables. […] Un Anglais est bien un type dans l’ensemble de l’humanité. […] L’étude de la race est capitale pour le savant qui s’occupe de l’histoire de l’humanité. […] On quitte le grand air qu’on respire dans le vaste champ de l’humanité pour s’enfermer dans des conventicules de compatriotes.

103. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

La Révolution, tournant climatérique de l’humanité, se compose de plusieurs années. […] L’humanité n’a pas une minute à perdre. […] la pauvre misérable humanité ! […] Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poëmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution ! […] Ils font ce que vous avez fait ; ils contemplent directement la création, ils observent directement l’humanité ; ils n’acceptent pour clarté dirigeante aucun rayon réfracté, pas même le vôtre.

104. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

La religion de ce Mystique sans Dieu était l’humanisme, c’est-à-dire la déification de l’humanité (idée commune, du reste, à tous ces fabricants de religions !), mais c’était la déification de l’humanité par la femme ; et le culte de cette religion fut l’adoration de la femme, qui, dans un temps qu’on ne précisait pas, devait faire des enfants toute seule… Je me contenterai de ce léger détail pour donner une idée de cet Illuminé ténébreux et à tendresse pleurnicheuse, malgré ses mathématiques, à qui quelques vieilles femmes et quelques très jeunes gens firent une rente, mais dont le dévouement ne put le tirer du fond de son puits, où il resta ; — seul rapport qu’il eût jamais, le pauvre homme ! […] Littré, que les lois qui régissent l’humanité seront changées et qu’elle se déshabituera d’aller choquer sa noble tête contre les problèmes de sa destinée, insolubles dans ce monde-ci du moins, mais que son éternel honneur est d’incessamment agiter ! […] Comte, ce fondateur de religion nouvelle, qui est athée et qui ne reconnaît de Dieu que l’humanité. […] Est-ce sa religion de l’humanité ?

105. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

L’histoire de l’humanité pour eux n’est qu’un plan parcellaire ; Tout n’y est pas ; le vrai Tout reste en dehors ; à quoi bon s’occuper de ce détail, l’homme ? […] Trouvez-moi donc la place, la durée, les éléments d’une humanité parfaite dans cet abrégé de brièveté, d’imperfections et de souffrances inhérentes à notre condition fatale ! […] Humanité, ton vrai nom est Misère ! […] Être toujours paisible, cela ne dépend pas plus du Progrès que du fleuve ; n’y élevez point de barrage, n’y jetez point de rocher ; l’obstacle fait écumer l’eau et bouillonner l’humanité. […] Tout ce qu’il y a de raison, de bon sens, de lumière dans l’intelligence humaine, doit se rallier et protester contre ces doctrines qui seraient le suicide de l’humanité.

106. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

Pour régénérer les peuples et relever le tempérament moral de l’humanité, il proposait de remplacer la pomme de terre par la purée de pois, aliment très phosphore. […] C’est en comparant le singe aux races inférieures de l’humanité, en montrant que l’intelligence va en se dégradant toujours dans les diverses races humaines, et qu’aux plus bas degrés elle est à peine supérieure à celle du singe ou de quelque autre animal. […] Je suis d’avis que l’on ne doit pas mêler les questions morales et sociales aux questions zoologiques ; je voudrais cependant que l’histoire naturelle ne montrât pas une trop grande indifférence morale, et que par sa prétendue impartialité elle ne blessât pas trop l’humanité. […] Notre race commence à reconnaître des sœurs dans les races inférieures ; la conscience humaine franchit la question zoologique et la tranche instinctivement : voilà le grand spectacle que présente l’humanité dans le monde entier. […] Ce qui m’importe, c’est qu’il y a un lien commun entre toutes les branches de l’humanité, et un immense intervalle entre les derniers des hommes et les premiers des singes, intervalle qui ne s’explique pas suffisamment par la différence de leur organisation encéphalique.

107. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

, si, dans l’entreprise révolutionnaire, il y a des puérilités, des agitations et du vide, une grandeur pourtant est apparue : certaines dépenses d’énergie, fussent-elles infécondes, contribuent à manifester l’humanité, elles accroissent, sinon le bien-être, du moins la beauté et, par là, la volupté et puis aussi la dignité de notre espèce.‌ […] Il ne s’agit point d’abattre, mais au contraire d’élever quelque chose en quoi l’humanité trouve un plaisir pur. » Il haïssait le désordre.‌ […] Si chacun peut en dire autant de soi, cela ira bien pour tous. »‌ Vous voyez comment il faudrait très légèrement transformer la phrase pour qu’un de ces grands individus, que Taine traite de fous furieux, la reprît : « Nous ne pouvons pas tous servir l’humanité de la même façon… Marc-Aurèle, Spinoza, Gœthe, c’est très bien… accepter les lois de la nature, c’est parfait… Mais contrarier la nature, l’exalter, c’est un magnifique dressage… » Les grands hommes que je viens de citer sont des forces conservatrices ; elles s’efforcent de maintenir ; elles pourraient enrayer le mouvement vers l’inconnu, qui est la vie même.

108. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Il expose de foudroyantes fresques où toute l’humanité palpite, chante, se répand… Cet homme a conçu une cosmogonie… La Terre, puissante fresque énorme, qui semble un pan de paysage arraché du monde par un jeune géant ! […] Après l’injure et après l’encens, il y a place encore pour la justice et pour un simple regard d’humanité vers l’un de ceux dont nous sortons. […] Oui, le petit peuple de la rue, le peuple de l’usine et de la ferme, le bourgeois qui lutte pour garder le pouvoir, le salarié qui exige un partage plus équitable des bénéfices, toute l’humanité contemporaine en transformation, c’est là le champ qui suffit à mon effort. […] Je crois à une peinture de la vérité plus large, plus complexe, à une ouverture plus grande sur l’humanité 19 » Il y a peut-être là l’intuition du vrai. […] « Et malgré nos réserves, (dont vous devez, en partie du moins, comprendre la justesse), c’est la sympathie puissante qui l’emporte pour votre œuvre saine et forte, et nous ne sommes pas près d’oublier quelques-unes de vos pages admirables sur les bêtes, sur l’art ; sur la femme, sur l’humanité.

109. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Donc ces créations de l’humanité intelligente attestent la perversion de l’humanité : elles sont nées du mal et l’augmentent. […] L’humanité s’est instruite par le besoin, par l’expérience : faisons sentir le besoin, apprêtons de l’expérience à l’enfant. […] La moralité est une acquisition de l’humanité éloignée déjà de ses origines animales, et hors d’état d’y retourner : idée purement évolutionniste. […] Ils mettent entre les deux portions de l’humanité une telle différence de culture, que les uns et les autres ne se sentent plus de la même nature. […] L’expérience a été le grand maître de l’humanité ; et si l’enfant doit parcourir seul toutes les étapes de l’humanité, il faut l’abandonner aux leçons de l’expérience.

110. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

… » Ou bien : « Ages sacrés, âges primitifs de l’humanité, qui pourra vous comprendre !  […] Il veut bien rêver la réforme de l’humanité, mais il croit qu’elle peut s’accomplir par les méditations des sages. […] Il devient un contemplateur de l’humanité, un Diogène, un Timon d’Athènes, alors qu’il n’a été qu’un désabusé, pas beaucoup plus misanthrope qu’on ne l’est couramment, lorsque après un bon dîner, en fumant un cigare, on se met à médire de l’humanité. […] Qu’importe la vie de l’homme, celle d’un peuple, et celle d’une race, et celle de l’humanité ? […] L’humanité ne prête qu’une attention distraite à la voix de la raison, qu’elle sait changeante et faible.

111. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

» Au milieu de l’égoïsme, de la crasserie générale de l’humanité, il y a par-ci, par-là, chez quelques individus de beaux mouvements de générosité. […] Et il s’apercevait à peine de la panne, dans laquelle il vivait, la cervelle, prise par un immense poème, en trois parties : « La Genèse, l’Humanité, l’Avenir », et qui était l’histoire cyclique et épique de notre planète, avant l’apparition d’une humanité, pendant ses longs siècles d’existence, et après sa disparition. […] L’atelier de la rue de Vaugirard renferme une humanité toute réelle, l’atelier de l’Île des Cygnes est comme le domicile d’une humanité poétique, tirée du Dante, d’Hugo. […] Et il dit : « Il y a des moments féroces, où il n’y a plus d’humanité dans l’homme ; il n’est plus qu’une bête qui a faim et soif !  […] Cette humanité peinte me semblait une figuration d’hommes et de femmes, ayant la jaunisse dans la demi-nuit d’une cave.

112. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

En juillet 1914, quand la question serbe s’est posée, on est parti du vote de la fédération parisienne, où l’on a voté à la quasi-unanimité la grève générale en cas de guerre, et quelques jours après, fin juillet, à Lyon, Jaurès lançait la fameuse phrase que si la guerre arrivait tout de même, la France se souviendrait non point de son alliance avec l’empire russe, mais de son contrat avec l’humanité.‌ […] Sonnino en Italie (et Renaudel l’affirme dans l’Humanité du 20 décembre), nous pouvons être tranquilles. […] L’Humanité des 25 novembre 1914 et 24 février 1915.)‌ […] Oui, il faut que cette guerre marque l’affranchissement définitif de l’humanité… (L’Humanité du 19 novembre 1914.)‌ […] Appuyant sa tête contre le cœur de ses frères, et puis écoutant son propre cœur, il a constamment chauffé et perfectionné à ce foyer d’humanité une conception fort belle qu’il s’était faite de la sainteté du travail et de la sainteté du peuple qui travaille.

113. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Le personnage le plus universellement sympathique est celui qui vit de la vie une et éternelle des êtres, celui qui s’appuie, sur le vieux fond humain et, se soulevant sur cette base immuable, s’élève aux pensées les plus hautes, que l’humanité atteint seulement en ses heures d’enthousiasme et d’héroïsme. […] Ce qui fait qu’il est si difficile d’établir des règles fixes dans la critique d’art, c’est que l’objet suprême de l’art n’est pas fixe : la vie sociale est sans cesse en évolution ; nous ne savons jamais au juste ce que sera demain l’humanité. […] Mais ce centre où l’individu se confond avec l’humanité éternelle n’est qu’un point de la vie mentale ; il ne peut constituer l’objet unique de l’art. […] Ainsi que l’a remarqué Balzac, il existe au sein de l’humanité, comme de l’animalité même, une diversité d’espèces, l’artiste les reproduit toutes ; mais, parmi ces espèces ; il en est qui sont plus ou moins susceptibles de durée, d’autres quidoivent s’éteindre du jour au lendemain. […] Loin de diminuer dans l’humanité et dans les arts, la part de la convention pourra bien augmenter toujours.

114. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Sans doute une histoire générale de la caricature dans ses rapports avec tous les faits politiques et religieux, graves ou frivoles, relatifs à l’esprit national ou à la mode, qui ont agité l’humanité, est une œuvre glorieuse et importante. […] Quoi de plus grand, quoi de plus puissant relativement à la pauvre humanité que ce pâle et ennuyé Melmoth ? […] Aussi comme il rit, comme il rit, se comparant sans cesse aux chenilles humaines, lui si fort, si intelligent, lui pour qui une partie des lois conditionnelles de l’humanité, physiques et intellectuelles, n’existent plus ! […] L’humanité s’élève, et elle gagne pour le mal et l’intelligence du mal une force proportionnelle à celle qu’elle a gagnée pour le bien. […] Le comique ne peut être absolu que relativement à l’humanité déchue, et c’est ainsi que je l’entends.

115. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

De la sorte l’humanité historique tout entière parvient à composer un seul et même être, un être dont la jeunesse est illimitée puisqu’elle se retrempe dans la jeunesse individuelle de chaque génération naissante, un être aussi dont la mémoire et l’expérience vont s’enrichissant sans cesse. […] Se concevoir autre par le moyen de l’éducation, subir la suggestion de la notion, c’est se déplacer et progresser, c’est se montrer capable de saisir la corde tressée par l’industrie de l’humanité, et de hisser, par un raidissement de l’effort, sa propre et frêle personnalité jusqu’au plateau conquis et aménagé par les meilleurs de l’espèce. […] Ainsi propagée elle va exercer sur toute une part de l’humanité sa fascination. Toute une part de l’humanité va la prendre pour idéal, se concevoir à son image, faire effort pour la posséder. […] Si le pouvoir de se concevoir autre fonctionnait dans l’humanité selon un rythme absolument normal, si tous les hommes également doués du pouvoir de se concevoir à la ressemblance les uns des autres étaient également doués du pouvoir de réaliser cette conception, il n’y aurait plus qu’un seul exemplaire humain.

116. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

Pourquoi pas de grandes âmes dans l’humanité, comme de grands arbres dans la forêt, comme de grandes cimes sur l’horizon ? […] qui est juge du besoin actuel de l’humanité ? […] La vie de l’humanité marchera par eux. […] L’humanité se développant de l’intérieur à l’extérieur, c’est là, à proprement parler, la civilisation. […] Les lumières dont une humanité a besoin, il viendrait une heure où tu ne pourrais plus les lui fournir !

117. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Non-seulement sa religion, ce jour-là, fut la bonne religion de l’humanité, ce fut la religion absolue ; et si d’autres planètes ont des habitants doués de raison et de moralité, leur religion ne peut être différente de celle que Jésus a proclamée près du puits de Jacob. […] Le mot de Jésus a été un éclair dans une nuit obscure ; il a fallu dix-huit cents ans pour que les yeux de l’humanité (que dis-je ! d’une portion infiniment petite de l’humanité) s’y soient habitués. Mais l’éclair deviendra le plein jour, et, après avoir parcouru tous les cercles d’erreurs, l’humanité reviendra à ce mot-là, comme à l’expression immortelle de sa foi et de ses espérances.

118. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

Sans cette communication de l’homme vivant à l’homme vivant, et de l’homme mort à l’homme qui naît sur la terre, l’homme serait resté un être éternellement isolé, le grand sourd et muet des mondes ; il y aurait eu des hommes, il n’y aurait point eu de société humaine, il n’y aurait point eu d’humanité. […] « Avec cette révélation probable de la parole parlée, ou de la langue innée, est née aussi la première littérature du genre humain, autrement dit l’expression de l’humanité par la parole ; c’est-à-dire encore le seul lien intellectuel possible entre les hommes, c’est-à-dire enfin cette société intellectuelle d’où devait découler et se perpétuer l’esprit humain. » …………………………………………………………………………………………………… L’homme est donc un être qui a besoin de s’exprimer au dedans et au dehors pour être un homme, et qui n’est un homme complet qu’en s’exprimant. La parole ou la langue est donc, selon nous, une des fonctions les plus organiques de l’humanité, car on ne peut concevoir une humanité sans parole.

119. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

A quel instinct ou à quel sentiment peuvent donc obéir ceux de nos jeunes artistes auxquels je viens de faire allusion, en fermant leurs yeux au monde pour préserver de contacts impurs le développement de leurs consciences, en se livrant à ces jouissances secrètes, à cette culture intensive et exclusive du « moi », qui les sépare de toute humanité ? […] Le solitaire découvreur des terres vierges du songe ne permet pas aux grossiers produits d’humanité d’embarrasser la route qu’il suit, perdu qu’il est dans son rêve d’épuration toujours plus artistique et plus parfaite. […] En un mot ce lamentable personnage contient en lui, à doses différentes, des éléments d’involontaire bouffonnerie et de tragique faiblesse qui en font l’une des plus singulières floraisons de la multicolore humanité.‌ […] L’exemple du clergé catholique, chez lequel le cerveau semble vouloir prendre sa part de la stérilité du corps, et ; cela malgré son observance plus ou moins scrupuleuse du vœu de chasteté, semble confirmer cette loi d’humanité.‌ […] Je crois que l’humanité future modifiera à leur endroit les anciens jugements.

120. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M.  […] Développons, autant qu’il est en nous, l’intelligence, la moralité, les habitudes de travail dans toutes les classes de la société française ; cela fait, nous pourrons mourir tranquilles ; la France sera libre, non de cette liberté absolue qui n’est point de ce monde, mais de cette liberté relative qui seule répond aux conditions imparfaites, mais perfectibles, de notre nature. » C’est fort sensé, et du moins, on l’avouera, très spécieux ; mais cela ne satisfait point peut-être ceux qui sont restés entièrement fidèles à la notion première et indivisible de liberté, et je ne serai que vrai en reconnaissant qu’il subsiste, toutes concessions faites, une ligne de séparation marquée entre deux classes d’esprits et d’intelligences : Les uns tenant ferme pour le souffle de flamme généreux et puissant qui se comporte différemment selon les temps et les peuples divers, mais qui émane d’un même foyer moral ; estimant et pensant que tous ces grands hommes, même aristocrates, et durs et hautains, que nous avons ci-devant nommés, étaient au fond d’une même religion politique ; occupés avant tout et soigneux de la noblesse et de la dignité humaines ; accordant beaucoup sinon à l’humanité en masse, du moins aux classes politiques avancées et suffisamment éclairées qui représentent cette humanité à leurs yeux. […] On ne dira pas que je diminue ceux que je viens de définir ; j’en viens hardiment aux autres : ces autres ne sont ni absolutistes ni serviles, je repousse ce nom à mon tour de toute la fierté à laquelle toute sincère conviction a droit ; mais il en est qui pensent que l’humanité de tout temps a beaucoup du à l’esprit et au caractère de quelques-uns ; qu’il y a eu et qu’il y aura toujours ce qu’on appelait autrefois des héros, ce que, sous un nom ou sous un autre, il faut bien reconnaître comme des directeurs, des guides, des hommes supérieurs, lesquels, s’ils sont ou s’ils arrivent au gouvernement, font faire à leurs compatriotes, à leurs contemporains, quelques-uns de ces pas décisifs qui, sans eux, pouvaient tarder et s’ajourner presque indéfiniment. […] Mais l’humanité enfin est émancipée, je le sais ; elle n’a plus de déluge à craindre, à la bonne heure ! […] A côté de la dignité, n’oublions jamais cet autre sentiment inspirateur, au moins égal en prix, l’humanité, c’est-à-dire le souci de la misère, de la souffrance, de la vie insuffisante et chétive du grand nombre ; revenons en idée au point de départ et aux mille entraves qui arrêtent si souvent à l’entrée du chemin, pour en affranchir peu à peu les autres ; inquiétons-nous de tout ce qu’il y a de précaire dans toutes ces existences qui ne se doutent pas qu’elles s’appellent des destinées.

121. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Pendant trente ans, tout jeune homme fut un Hamlet au petit pied, six mois durant, parfois davantage, dégoûté de tout, ne sachant que désirer, croire ou faire, découragé, douteur, amer, ayant besoin de bonheur, regardant au bout de ses bottes pour voir si, par hasard, il n’y trouverait pas le système du monde, entre-choquant les mots Dieu, nature, humanité, idéal, synthèse, et finissant par se laisser choir dans quelque métier ou dans quelque plaisir machinal, dans les coulisses de la Bourse ou de l’Opéra. […] Les drames et les romans devinrent des manuels de science ; on représenta, par des personnages, des moments de l’humanité, des époques de l’histoire, des réformes de politique, des thèses de législation pénale, « des questions d’organisation politique et sociale. » Nul poète ne daigna être simplement poète. Chacun prétendit expliquer l’homme et le monde, et par surcroît sauver l’humanité. […] Après s’être échauffés pour l’humanité, les uns voulurent l’affranchir, d’autres l’organiser, d’autres la rendre heureuse, d’autres la rendre honnête, et ces entreprises se faisaient encore hier. Pour comble, l’un exalta les planètes, êtres intelligents doués de la vie aromale, celui-ci l’escadron des anges swédenborgiens, celui-là la circumnavigation des âmes à travers les astres, un autre le passage des pères dans le corps des fils, un autre le culte officiel de l’humanité abstraite, et « l’évocation cérébrale des morts chéris. » Sauf les deux premiers siècles de notre ère, jamais le bourdonnement des songes métaphysiques ne fut si fort et si continu ; jamais on n’eut plus d’inclination pour croire non sa raison, mais son cœur ; jamais on n’eut tant de goût pour le style abstrait et sublime qui fait de la raison la dupe du cœur.

122. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

Exprimer l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique ; la peindre successivement et simultanément sous tous ses aspects, histoire, fable, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement d’ascension vers la lumière ; faire apparaître, dans une sorte de miroir sombre et clair ― que l’interruption naturelle des travaux terrestres brisera probablement avant qu’il ait la dimension rêvée par l’auteur ― cette grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée, l’Homme ; voilà de quelle pensée, de quelle ambition, si l’on veut, est sortie la Légende des Siècles. […] Pour le poëte comme pour l’historien, pour l’archéologue comme pour le philosophe, chaque siècle est un changement de physionomie de l’humanité. […] L’auteur, du reste, pour compléter ce qu’il a dit plus haut, ne voit aucune difficulté à faire entrevoir dès à présent qu’il a esquissé dans la solitude une sorte de poëme d’une certaine étendue où se réverbère le problème unique, l’Être, sous sa triple face : l’Humanité, le Mal, l’Infini ; le progressif, le relatif, l’absolu ; en ce qu’on pourrait appeler trois chants, la Légende des Siècles, la Fin de Satan, Dieu.

123. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

C’est là un moment psychologique de l’humanité, particulièrement propice à la grande inspiration, tout ce qui est humain appartenant aux poètes, tout ce qui touche à la vie de l’âme, à ses idées, à ses tourments, à ses espérances ou à ses désespoirs. […] Demandons à cette Nature, impersonnelle et froide, ce qu’elle fait de la justice, si elle lui a réservé quelque part un asile, ou si ses oracles sacrés ne sont que la dernière forme des religions, la superstition suprême de l’humanité. […] Suivons la science jusqu’au bout ; elle seule est digne de guider l’humanité hors de tutelle. […] Cela était possible avec les ressources abondantes que lui offrait l’humanité telle que l’imaginent les naturalistes de cette école, l’histoire avant l’histoire. […] Il y aurait eu là de larges horizons à nous ouvrir, de ce côté de l’humanité passée qui prête tant à l’imagination, et certes de pareils sujets étaient dignes de tenter un poète tel que M. 

124. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Conclusion de ce livre » p. 247

C’est elle qui fonda l’humanité chez les Gentils, gloire que la vanité des nations et des savants a voulu lui assurer, et lui aurait plutôt enlevée. […] On peut dire en effet que dans les fables, l’instinct de l’humanité avait marqué d’avance les principes de la science moderne, que les méditations des savants ont depuis éclairée par des raisonnements, et résumée dans des maximes.

125. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Si nous l’admettons, comment saurons-nous jamais discerner en tout cas la vraie supériorité, et pourrons-nous jamais juger de l’importance de l’humanité dans l’univers ? […] Toute sa race, toute l’humanité se reflète en lui, et il se reflète dans les autres. […] Avec raison sans doute, puisque l’humanité n’aura jamais trop de bonté intelligente. […] Mais cet idéal-là est trop loin de nous et trop opposé aux désirs actuellement visibles de l’humanité pour qu’il y ait intérêt à le développer. […] Ceux-là ont aussi leur rôle social dans notre humanité.

126. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Madame de Staël, dès 1796, avait un sentiment profond et consolant de l’humanité libre, de la société régénérée ; elle était poussée vers l’avenir par une sorte d’aspiration vague et confuse, mais puissante ; elle gardait du passé un souvenir triste et intelligent ; mais elle se sentait la force de s’en détacher et de lui dire adieu pour se confier au courant des choses et au mouvement du progrès, sous l’œil de la Providence. […] Puis, plus tard, quand ils sentirent que cet esprit de révolution était la vie même et l’avenir de l’humanité, ils se réconcilièrent avec lui, et ils espérèrent, ainsi que beaucoup de gens honnêtes à cette époque, que la dynastie restaurée ferait sa paix avec le jeune siècle ; qu’on touchait à une période de progrès paisible ; et que la Monarchie selon la Charte ne serait pas un poème de plus par l’illustre auteur des Martyrs. […] Aujourd’hui que la Restauration n’est plus, que la terrasse si laborieusement construite a croulé, et que peuple et poètes vont marcher ensemble, une période nouvelle s’ouvre pour la poésie ; l’art est désormais sur le pied commun, dans l’arène avec tous, côte à côte avec l’infatigable humanité. […] La mission, l’œuvre de l’art aujourd’hui, c’est vraiment l’épopée humaine ; c’est de traduire sous mille formes, et dans le drame, et dans l’ode, et dans le roman, et dans l’élégie, — oui, même dans l’élégie redevenue solennelle et primitive au milieu de ses propres et personnelles émotions, — c’est de réfléchir et de rayonner sans cesse en mille couleurs le sentiment de l’humanité progressive, de la retrouver telle déjà, dans sa lenteur, au fond des spectacles philosophiques du passé, de l’atteindre et de la suivre à travers les âges, de l’encadrer avec ses passions dans une nature harmonique et animée, de lui donner pour dôme un ciel souverain, vaste, intelligent, où la lumière s’aperçoive toujours dans les intervalles des ombres.

127. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

En vingt ans, l’humanité avait marché à pas de titans. […] L’humanité a donc besoin de rudes héros pour donner à nos esprits une nouvelle impulsion. […] Ils regardaient l’humanité à la loupe, l’expertisant avec minutie, et cherchant des nuances singulières et des traits pittoresques. […] Nous y assistons au recommencement d’une humanité, à la nouvelle floraison d’une race. […] Car l’humanité redoute toujours un effort nouveau. » Ce sont là, n’est-ce pas, de violentes affirmations.

128. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

S’il y a un amour de nous-même naturellement officieux et compatissant, et un autre amour-propre sans humanité, sans équité, sans bornes, sans raison, faut-il les confondre ? […] Telle est l’inspiration générale de Vauvenargues, celle par laquelle il rompt avec les moralistes du siècle précédent comme avec ceux de son siècle, et qui lui arrachera cette belle parole digne d’un ancien : « Nous sommes susceptibles d’amitié, de justice, d’humanité, de compassion et de raison. […] Sans faux enthousiasme, sans ressentiment, il a jugé l’humanité dans la juste mesure. Involontairement et si l’on n’y prend garde, quand on juge l’humanité, on se laisse influencer par l’arrière-pensée du rang qu’on y tiendrait soi-même ; on est porté à l’élever ou à la rabaisser selon qu’on se sent au-dedans plus ou moins de vertu, plus ou moins de portée et d’essor. Vauvenargues avait intérêt à ce que le milieu de l’humanité fût le plus haut possible, certain qu’il était d’y atteindre.

129. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

J’en nourrirai cinq mille âmes, cent mille âmes, un million d’âmes, toute l’humanité. […] Désormais tous les progrès se feront dans l’humanité par le grossissement de la région lettrée. […] Une alimentation de lumière, voilà ce qu’il faut à l’humanité. […] L’humanité lisant, c’est l’humanité sachant. […] La nature, plus l’humanité, élevées à la seconde puissance, donnent l’art.

130. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

Or  et nous entrons ici dans le rêve  que pourrait-on attendre aujourd’hui d’un monarque absolu qui, un siècle après la Révolution, aurait, au fond, la même notion du pouvoir royal et le même genre de sérieux et de bonne volonté que les rois-prêtres de jadis, qu’un Philippe-Auguste, un Louis IX ou un Charles V, et qui, jeté dans un monde totalement différent du leur, joindrait à cela les lumières auxquelles est parvenue, depuis ces grands princes, la conscience de l’humanité ? […] Il est monstrueux que des millions d’hommes passent dans les casernes les plus vivaces années de leur jeunesse, de façon qu’en additionnant ce qu’ils coûtent et ce qu’ils pourraient produire, on constate une perte annuelle de dix milliards pour le bien-être de la pauvre humanité occidentale. […] Il considérerait que, si des iniquités ont été commises contre ses pères il y a quatre-vingts ans, Dieu ne permet plus d’en tirer vengeance, justement parce que l’humanité a quatre-vingts ans de plus, et que, du reste, les événements les avaient déjà réparées.

131. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Saint-Pol-Roux, la Procession qu’imagina son rêve, — et mon ravissement au spectacle des splendides reposoirs que son art sincère édifia… Il sera celui qu’il a défini, le Poète : l’entière humanité dans un seul homme, — car il marche, hautain, à la conquête de l’avenir, en semant, avec le geste large des forts, à la volée, le bon grain d’où naîtront des fleurs éternelles comme les pierreries. […] Ainsi la scène III du sixième tableau où la Communion des Amants : Simples comme la brise des vallons et de la mer, Simples comme l’aurore et comme l’eau de source… Le style imagé, coloré, souple et neuf convient étroitement à ce sujet d’humanité large. […] Qu’un admirable poète, Saint-Pol-Roux, ait inventé cette image et fait, autour, bondir les passions d’une tragédie, c’est un espoir d’humanité rêveuse.

132. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 122-123

Dans son Dialogue entre Alexandre & Titus, il plaide la cause de l’humanité contre ceux qui, sous le titre superbe de Conquérans, en sont les plus terribles fléaux, & il le fait avec une supériorité de raison & d’éloquence digne de nos premiers Ecrivains. […] Les Mémoires que M. le Comte d’Albon à adressés à la Société de Berne, décelent une ame sensible, vertueuse, pénétrée d’amour pour l’humanité, & tourmentée, pour ainsi dire, du désir de la soulager.

133. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Ce qu’il sentait de lui, il le disait de l’humanité. […] Tout leur était connu ou pouvait l’être, excepté l’humanité moyenne. […] Zola est subordonnée à sa conception générale et préalable de l’humanité. […] L’humanité moyenne est à peu près telle. […] À ceux à qui l’humanité ne sert que de spectacle, elle ne sert pas de réconfort.

134. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Il est à première vue l’expression monumentale du moyen âge de Florence et de la théologie ; il est davantage encore, et les Italiens le savent bien, le poète de la nation italienne et de l’humanité […] Le Christianisme, la Renaissance, la Révolution n’en demeurent pas moins trois étapes essentielles de l’humanité. — Au moment où la France s’acheminait vers une longue décadence (d’ailleurs utile et nécessaire à d’autres points de vue), l’Italie, débarrassée de certaines contingences par son malheur même, créait Pétrarque, marchait à la Renaissance, et se préparait par là une gloire nouvelle et des raisons nouvelles de servitude. […] Ce fut un bonheur pour l’humanité ; mais pour l’Italie ? […] Quand ils s’adressent à l’humanité et qu’ils chantent un thème universel, comme Leopardi, ou quand ils se confinent dans la satire, comme Giusti, ou même dans le dialecte d’une province, comme Porta, Belli et Brofferio, c’est toujours l’Italie nouvelle qui palpite en eux ; et ce cri de douleur et d’espérance retentira longtemps encore, avec Rossetti, Mameli, Poerio, Mercantini, Zanella, jusqu’au jour où le roi Victor-Emmanuel y répondra. […] Il y a là un phénomène que nous constaterions aussi dans la littérature allemande et qui mérite une attention particulière ; il s’agit d’un conflit entre l’évolution nationale et l’évolution de l’humanité pensante en général.

135. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Mais on s’attachera aussi à montrer son universalité, et ce caractère général du phénomène contraindra l’esprit à reconnaître son utilité, sa nécessité, à préciser son rôle comme cause et moyen essentiel de révolution dans l’Humanité. […] Mais, tandis que la faculté de se concevoir autre, exagérée en quelques individus, faisait de ceux-ci des personnages de drame ou de comédie et nous montrait des êtres que l’on pouvait croire exceptionnels, elle apparaît maintenant comme le mécanisme même en vertu duquel l’Humanité se meut, comme le principe funeste et indestructible qui la fonde et constitue son essence. […] C’est cette même force mensongère et fatale qui désorbitait les individus et qui maintenant manifeste son pouvoir sur l’espèce tout entière, contraignant l’humanité à se concevoir autre qu’elle n’est, faite pour d’autres destins, pour un autre savoir. […] On voit résumé en son délire tout l’effort de l’Humanité pour connaître au-delà des limites possibles de la connaissance humaine. […] Par cette disproportion, ils montrent à nu, avec une exagération qui résulte de leur médiocrité, ce fait essentiel : l’écart prodigieux qui existe, parmi toutes les espèces animales, chez la seule espèce humaine, entre l’apport individuel du meilleur de ses représentants et la richesse qui lui est transmise par l’être collectif Humanité.

136. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXII » pp. 131-132

L'humanité, dès qu’il s’agit d’elle, se prend vite au sérieux. […] O humanité ! 

137. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

C’est aussi toute la part qu’on soit en droit d’exiger de sa coopération au grand œuvre de l’Humanité. […] Par-delà toutes railleries passagères ils restent la portion glorieuse de l’humanité. […] Achille et le Lion sont des symboles d’humanité, voilà tout […] Elle avait, du même trait, biffé les mots : Beauté, Vérité, Joie, Humanité. […] Ses passions dépassent l’humanité.

138. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Hugo, Vigny, Gautier, Banville, Leconte de Lisle, l’ont faite souverainement intelligente et sympathique, soit qu’elle déroule la légende des siècles, soit qu’elle s’éprenne de beauté grecque et païenne, soit qu’elle traduise et condense les splendides ou féroces imaginations religieuses qui ont ravi ou torturé l’humanité, soit enfin qu’elle exprime des sentiments modernes par des symboles antiques. […] Enfin il comprit que, si tout le mal vient de l’action, l’action vient du désir inextinguible, de l’illusion du mieux qui vit éternellement aux flancs de l’humanité, illusion qui fait souffrir puisqu’elle fait vivre, mais qui fait vivre enfin. […] l’humanité en sera-t-elle plus heureuse ? […] Toutefois l’obsession du Destin et le sentiment de la vanité de toutes choses ont suivi l’humanité dans ses immigrations vers l’Occident. […] Victor Hugo écrit l’histoire, non seulement pittoresque, mais morale de l’humanité.

139. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Il débrouille et développe les fils de l’humanité noués et roulés en écheveau dans son âme ; il ne les casse pas. […] Ils sont inquiets pour le sublime s’il descend jusqu’à l’humanité. […] Non, voici le vrai : Chanter l’idéal, aimer l’humanité, croire au progrès, prier vers l’infini. […] L’humanité démesurée, telle est leur divinité. […] Parce que, dans l’occasion et pour le devoir, il aura poussé le cri d’un peuple, parce qu’il a, quand il le faut, dans la poitrine le sanglot de l’humanité, toutes les voix du mystère n’en chantent pas moins en lui.

140. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Le mouvement démocratique le plus exalté dont l’humanité ait gardé le souvenir (le seul aussi qui ait réussi, car seul il s’est tenu dans le domaine de l’idée pure), agitait depuis longtemps la race juive. […] L’humanité, pour porter son fardeau, a besoin de croire qu’elle n’est pas complètement payée par son salaire. […] Mais qu’il ait rempli des années, ou des mois, le rêve fut si beau que l’humanité en a vécu depuis, et que notre consolation est encore d’en recueillir le parfum affaibli. […] Un moment, dans cet effort, le plus vigoureux qu’elle ait fait pour s’élever au-dessus de sa planète, l’humanité oublia le poids de plomb qui l’attache à la terre, et les tristesses de la vie d’ici-bas.

141. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Seulement, pour la remplacer, cette notion inférieure et grossière, l’éminent inventeur n’a trouvé rien de plus puissant que de ramasser dans la poussière des rêves de l’humanité les plus rongés par les siècles et les plus transparents de folie le système ruminé par l’Inde, — cette vache de la philosophie, — d’une métempsychose progressive, qui met l’homme aux galères à perpétuité de la métamorphose et son immortalité en hachis ! […] Si ce singulier traité de philosophie religieuse, qui essaie de renverser tous nos dogmes sans exception, sous l’idée chimérique des transformations éternelles et successives de l’humanité et sous un panthéisme plus fort que l’auteur, et qui le mène et le malmène, si ce traité brillait au moins par une exposition méthodique, nous aurions pu donner le squelette de ce mastodonte de contradictions et d’erreurs : mais M.  […] La métempsychose ou la transformation successive de l’humanité emporte la morale humaine dans sa visible absurdité. […] Pierre Leroux, l’auteur de L’Humanité, avec lequel il a plus d’une analogie, et s’en iront-ils, tous deux, à la fosse commune de l’oubli.

142. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Non seulement l’humanité occidentale, mais toute la planète, mais le système solaire, mais l’univers entier a été de plus en plus présent à ses méditations et presque à chacune de ses démarches. […] C’est une des plus notables singularités de son génie. « … Comme Hégel, écrit-il, j’avais le tort d’attribuer trop affirmativement à l’humanité un rôle central dans l’univers. […] Renan…   Je pourrais ajouter que cet homme « fuyant » a eu la vie la plus harmonieuse, la plus soutenue, la plus une qu’on puisse concevoir ; que cet « épicurien » a autant travaillé que Taine ou Michelet ; que ce grand « je m’enfichiste » (car on a osé l’appeler ainsi) est, au Collège de France, l’administrateur le plus actif, le plus énergique et le plus décidé quand il s’agit des intérêts de la haute science ; que, s’il se défie, par crainte de frustrer l’humanité, des injustices où entraînent les « amitiés particulières » il rend pourtant des services, et que jamais il n’en a promis qu’il n’ait rendus ; que sa loyauté n’a jamais été prise en défaut ; que cet Anacréon de la sagesse contemporaine supporte héroïquement la souffrance physique, sans le dire, sans étaler son courage ; que ce sceptique prétendu est ferme comme un stoïcien, et qu’avec tout cela ce grand homme est, dans toute la force et la beauté du terme, un bon homme… Mais je ne sais s’il lui plairait qu’on fît ces révélations, et je m’arrête.

143. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

C’était, au fond, excessivement brutal : des histoires de filles, de paysans rapaces, de lâches et grotesques bourgeois ; les « faits-divers » d’une humanité élémentaire et toute en instincts. […] Bref, c’est l’humanité supérieure qui fait sa rentrée dans l’œuvre de Maupassant ; et l’humanité supérieure est faite, en somme, de tout l’idéalisme du passé et de ses plus nobles rêves ; et les décrire ainsi et de ce ton, ce n’est peut-être pas y croire, mais ce n’est plus les répudier.

144. (1890) L’avenir de la science « VII »

L’impression profondément triste que produit l’entrée dans une bibliothèque vient en grande partie de la pensée que les neuf dixièmes des livres qui sont là entassés ont porté à faux, et, soit par la faute de l’auteur, soit par celle des circonstances, n’ont eu et n’auront jamais aucune action directe sur la marche de l’humanité. […] C’est rabaisser la science que de la tirer du grand milieu de l’humanité pour en faire une vanité de cour ou de salon ; car le jour n’est pas loin où tout ce qui n’est pas sérieux et vrai sera ridicule. […] Quelle est l’âme philosophique et belle, jalouse d’être parfaite, ayant le sentiment de sa valeur intérieure, qui consentirait à se sacrifier à de telles vanités, à se mettre de gaieté de cœur dans la tapisserie inanimée de l’humanité, à jouer dans le monde le rôle des momies d’un musée !

145. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Que nous disent ces instincts, depuis que l’homme est né de la femme, pour enfanter à son tour dans son union avec la femme des enfants qui le font revivre à perpétuité dans sa race, et qui immortalisent dès ici-bas l’humanité ? […] L’homme a le jour, la famille seule a la perpétuité ; la famille, c’est la vie de l’humanité. […] C’est-à-dire, en deux mots, qu’il faut un troupeau au lieu d’une humanité. […] C’est la traduction faussée d’une belle âme de l’humanité par un bel esprit d’Athènes. […] C’est par Platon que l’humanité de ce temps a su qu’elle avait une âme trois siècles avant la révélation du christianisme.

146. (1896) Les Jeunes, études et portraits

L’humanité a franchi une importante étape. […] L’humanité lui semble ne mériter que beaucoup de dédain. […] Il ne nous offre au contraire que des rudiments d’humanité. […] L’humanité lui apparaît dans une sorte de grandissement. […] L’humanité aveugle allait guidée par la Religion.

147. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

C’est, ici et là, la plus haute et la plus large poésie qui soit ; ce sont deux âmes de poètes en plein contact avec l’immense nature et l’humanité. […] dans l’espace, et si éphémère dans le temps, perdu dans l’humanité totale comme l’est une goutte d’eau dans la mer, et comme l’humanité l’est elle-même dans l’infini des mondes, le poète…. […] Il laisse l’humanité toujours aussi « animale », et non pas plus heureuse ; il n’est, en réalité, qu’un piétinement, sinon un recul. […] Si c’est là que l’humanité doit en venir, elle n’aura rien gagné du tout à peiner durant des milliers et des milliers d’années. […] Seulement, nous en sommes loin, très loin… Lamartine est de ceux qui ont le plus fortement cru et le plus répété que la civilisation industrielle est la grande erreur, le grand péché de l’humanité.

148. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

En revanche, son hommage fut pour Voltaire la première aurore de cette popularité qui aboutit à l’apothéose de 1778 : il n’allait pas seulement au poète, il allait au philosophe, au précepteur et au bienfaiteur de l’humanité. […] Optimiste malgré les déboires de sa vie, il croit à la bonté de la nature ; il estime qu’au total l’effort de l’humanité tend au bien. […] Par lui, l’Encyclopédie resta ce qu’il l’avait destinée à être : un tableau de toutes les connaissances humaines, qui mit en lumière la puissance et les progrès de la raison ; une apothéose de la civilisation, et des sciences, arts, industries, qui améliorent la condition intellectuelle et matérielle de l’humanité, ce fut une irrésistible machine dressée contre l’esprit, les croyances, es institutions du passé. […] Il faisait dépendre tout le progrès de l’humanité, tout le développement de la civilisation de la conformation de nos organes ; et par une inconséquence singulière il croyait à la toute-puissance de l’éducation : il estimait que tous les esprits sont ù peu près égaux, et que toutes les différences intellectuelles résultent de l’inégalité de culture ; or, si l’on ramène tout au physique, c’est le contraire qui est vrai ; il n’y a pas d’éleveur qui croie que, pour avoir un bon étalon, il suffit de bien nourrir n’importe quel poulain. […] Il avait embrassé toutes les parties du gouvernement et de la vie nationale : administration, finances, industrie, commerce, éducation, il avait tout étudié avec un esprit philosophique, sans rechercher la nouveauté ni respecter la tradition, uniquement mû par l’amour de l’humanité et réglé par la considération du possible.

149. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Tout ce qui se rapporte à un homme de génie n’est pas la propriété d’un seul homme, mais le patrimoine de l’humanité… Retenir, altérer, détruire la correspondance d’un tel personnage, c’est dérober le public, et, à quelque parti qu’on appartienne, c’est soulever contre soi les honnêtes gens de tous les partis. […] Il est curieux d’assister à la naissance de la philosophie religieuse : la voilà au maillot, pour ainsi dire ; elle ne fait encore que bégayer sur ces redoutables problèmes, mais c’est le devoir de l’ami de l’humanité d’écouter avec attention, de recueillir avec soin les demi-mots qui lui échappent, et de saluer avec respect la première apparition du raisonnement. […] Ainsi marche l’humanité : elle n’avance que sur des débris. […] Si, dans les orages de l’humanité, le passé disparaissait tout entier, il faudrait que l’humanité recommençât à frais nouveaux sa pénible carrière.

150. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Défense et théorie des humanités classiques (Paris, Mercure de France, 1912). […] Ou plutôt, le Dieu […] c’est ici l’humanité elle-même […] » (id. […] Ses désirs font naître autour de lui une humanité qui les flatte. Mais c’est l’humanité la plus fausse du monde. […] Le débat de son être devient le drame de l’humanité.

151. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Schuré, Édouard (1841-1929) »

Dans le mythe, au contraire, de grands types se dessinent en traits plastiques, leurs actions glorifient l’essence de l’humanité, et les vérités profondes reluisent à travers le merveilleux comme sous un voile étincelant de lumière. » Pour extraire de l’histoire le même diamant que de la légende, pour en dégager « l’essence de l’humanité », il faut donc des alambics plus puissants, un foyer plus concentré, une transmutation plus énergique… Il n’y a donc pas lien de confondre le symbolisme historique du Théâtre de l’âme avec le symbolisme légendaire du drame wagnérien.

152. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Cette vanité (la suite l’a fait voir) s’était toute concentrée dans un point chez Condorcet, dans la confiance absolue qu’il avait en l’excellence de ses idées et de son système relativement au perfectionnement de l’humanité. […] L’idée de Turgot et de Condorcet, et qui d’ailleurs, dans ses termes les plus généraux, ne leur est point particulière, est celle-ci : l’humanité, considérée dans son ensemble et depuis ses origines, peut se comparer à un homme qui a passé successivement par un état d’enfance, puis par un état de jeunesse et de virilité. […] S’ils ne faisaient qu’assigner les caractères généraux de la société moderne, la prédominance de la science et de l’industrie sur la guerre, une certaine égalité de culture et de bien-être pour le plus grand nombre, égalité qui doit être désormais le but principal des institutions ; s’ils ne faisaient que recommander enfin à l’humanité, qui est désormais une personne mûre, de prendre en tout l’esprit de son âge, on n’aurait guère à les contredire, et on les louerait sans réserve d’avoir été des précurseurs dans la recherche et l’indication des voies et moyens. […] On dénigre, on méprise les gens en détail, et tout à coup on se met à exalter l’humanité en masse et à tout en espérer. […] Cet homme était si parfaitement sûr du résultat de ses idées et du bienfait qui allait en rejaillir sur l’humanité entière, qu’il croyait qu’on pouvait bien l’acheter par quelques capitulations du moment.

153. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

Un des traits les plus caractéristiques de l’état social en France, depuis la chute de la Restauration, c’est assurément la quantité de systèmes généraux et de plans de réforme universelle qui apparaissent de toutes parts et qui promettent chacun leur remède aux souffrances évidentes de l’humanité. […] Si l’humanité n’a pas encore fait choix d’un abri, ce n’est certes pas faute d’être convoquée chaque matin en quelque nouvelle enceinte. Mais, toute souffrante qu’elle est incontestablement, tout exposée qu’on la voit aux fléaux de la nature et à l’incurie de ses guides, cette pauvre humanité ne paraît pas empressée de courir à l’un plutôt qu’à l’autre de ces paradis terrestres qu’on lui propose.

154. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

La patrie, l’humanité, le progrès, les révolutions, les idées sociales ont fourni à Lamartine bien des inspirations, et parmi les plus élevées : C’est la cendre des morts qui créa la patrie ! […] l’humanité ne vit pas d’une idée ! […] Alfred de Vigny voit en lui le symbole de l’humanité entière abandonnée de son Dieu. […] Et de toutes les croyances naïves, de tous les beaux rêves puérils de l’humanité, nul ne redescendra du fond de l’infini bleu, grand ouvert sur nos têtes, et dont la profondeur est faite de solitude. […] Heureux ou malheureux, je suis né d’une femme, Et je ne puis m’enfuir hors de l’humanité.

155. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Une abnégation de cette force, si elle existe, n’est possible que par la vertu d’une religion nouvelle, le culte de l’humanité. […] De quel côté se trouve la portion divine de l’humanité ? […] C’est surtout pour le gros de l’humanité qu’il serait souhaitable que l’idéal pût se confondre avec l’intérêt personnel. […] Que me fait cet homme qui vient se placer entre l’humanité et moi ? […] Ce sont les trois ou quatre grands types où l’on peut reconnaître un abrégé de l’humanité : Faust, Hamlet, don Juan, Alceste.

156. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

n’avez-vous pas de la vie, de l’humanité, une impression nouvelle ? […] Il s’étonne de ce que les soupirs de l’humanité n’arrivent plus jusqu’à lui. Ahasvérus, debout sur sa rive, lui apprend que l’humanité n’est plus. […] L’humanité ne sait que ce qu’elle sent. […] Ôter le mystère de la rédemption, ce caractère d’humanité de notre religion tombe avec et peut-être avant tous les autres.

157. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Qui pourra jamais croire, en effet, que le Christianisme, qui a changé le monde jusqu’à l’axe, et retourné, bout pour bout, l’âme humaine, ne soit que le prolongement normal, très simple, très prévu, très attendu, du paganisme, évoluant dans l’humanité ? […] L’avalanche se ramasse en tombant dans le fond du gouffre ; les dernières pages sont les derniers coups… Il faut empêcher par toute voie que le Christianisme soit un démenti donné à toutes les lois du monde, de la nature et de l’humanité ! […] Ce sont des faits corrélatifs, quoiqu’ils ne soient pas du même ordre, et quand il parlera du Christianisme avec plus de légèreté qu’il ne comporte, c’est toujours par le fait de la corruption romaine, qui ne pouvait être vaincue que par quelque chose de supérieur à l’humanité, qu’on lui répondra. […] Gaston Boissier ne voit pas tout à fait cette croix comme nous la voyons, nous… Pour lui, elle n’est guères qu’un agrément assez touchant dans l’histoire du Christianisme ; mais, selon lui, le Christianisme précédait cette croix dans l’humanité, et aurait pu, sous quelque nom que ce fût, exister.

158. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Les créatures inférieures, ténébreuses, misérables, imbécilles, brutales et perverses, qui sont le fond commun de l’humanité et se mêlent au jeu de son action, et le troublent et le souillent ou l’empêchent, je les cherche en vain dans ce livre, où je ne vois que des étoiles… Livre plus orageux et plus passionné, il est vrai, mais aussi chimérique, aussi fabuleux que le livre de l’Astrée, et, comme on ne s’intéresse pas à l’impossible, tout aussi vide d’intérêt que lui ! […] Hommes et femmes : Louis de Laudon, Wilfrid Nore, Conrad Lanze, le vieux Coxe, Jean-Théodore, Harriet, Aurore, Liliane, etc., sont des patriciens et des patriciennes de l’humanité, à blason dans la tète et dans le cœur ; et ce sont, ne l’oubliez pas ! […] le radicalisme intégral de cette misanthropie, qui ne tombe plus ici maigrement sur une société ou sur l’homme d’une société, mais sur l’humanité tout entière, et que dis-je ? sur l’essence même de l’humanité !

159. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Jamais la haine de l’inégalité sociale, du luxe, de l’aristocratie, l’amour de l’humanité, des humbles, de la simplicité, l’enthousiasme de la vertu n’ont revêtu des formes plus faussement, plus béatement, plus niaisement attendries : dès qu’on regarde la pensée de ce pauvre homme, hélas ! […] Le bonhomme a disparu, avec son optimisme, son humanité et sa Providence : il n’y a plus qu’un artiste en face de la nature. […] Ce ne sont pas deux caractères, ce sont deux noms, quelques sentiments élémentaires, simples, larges, plus rêvés qu’observés, quelques attitudes gracieuses ou touchantes ; c’est un doux et triste songe d’amour pur, par lequel l’humanité se repose des réalités rudes.

160. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Or, ce fonds d’humanité, est aussi la base de tout art. […] C’est lui qui mène véritablement l’humanité dans sa marche ascensionnelle vers les perfections imaginables. […] Lui aussi, le grand poète, il entendait par Religion ces aspirations fondamentales de l’humanité dont son âme d’artiste était toute débordante et qui sont la sève fécondante de l’art, comme elles sont la base de toute morale dès que l’humanité s’organise en société. […] Demandez aux martyrs chrétiens, aux grands saints, aux grands artistes, aux héros de l’humanité. […] Quand l’art sera cela, il exercera par sa seule vertu une influence lumineuse dans le sens du progrès de l’humanité.

161. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Vingt siècles ne se sont pas écoulés depuis lors sans profit pour l’humanité, ni par conséquent pour l’art même. […] Renan pour ne reconnaître dans le passé de l’humanité que trois histoires de « premier intérêt ». […] Renan, quoique j’en aimasse mieux une autre, ce qui range Israël parmi les unica de l’histoire de l’humanité. […] Renan, parmi les unica de l’humanité ? […] Mais, pour cela, gardons-nous de la présenter à l’humanité comme une loi nécessaire, et surtout incommutable, de son développement.

162. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Seulement, et au lieu de voir la contradiction où on la voit d’ordinaire, je veux dire entre les affirmations premières du positivisme, et l’affirmation finale de l’Inconnaissable, je la vois en ceci qu’il a essayé de réaliser ou de concréter l’Inconnaissable sous la forme de l’Humanité. Or, l’humanité n’est pas l’inconnaissable, et le mot de religion perd le meilleur de son sens si nous nous proposons à nous-mêmes comme l’objet de notre adoration. La religion de l’humanité ne peut pas être une religion. Mais de la conception d’Auguste Comte, ce qu’il faut pourtant retenir, c’est que, s’il appartient à quelqu’un d’approfondir et de préciser la notion de l’Inconnaissable, c’est à ceux qui font de la destinée de l’humanité le principal objet de leurs préoccupations ; qui ne sont curieux ni de l’art, ni de la science en soi, mais des services que l’art ou la science peuvent rendre à l’éducation morale de l’humanité ; et qui considèrent enfin que la sociabilité faisant le premier caractère de l’homme, c’est elle que notre perpétuel effort doit avoir pour ambition de développer, d’assurer, et de perfectionner. […] Il avait dit ailleurs : « Toutes nos spéculations quelconques peuvent être envisagées comme autant de résultats nécessaires de l’évolution spéculative de l’humanité » ; et encore : « Les diverses spéculations humaines ne sauraient comporter en réalité d’autre point de vue pleinement universel que le point de vuehumain. » La rédaction est un peu naïve, mais ce qu’il veut dire est plein de sens.

163. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

Or l’humanité est sentiment bien plus qu’elle n’est intelligence. […] Les livres sont les pyramides des pensées de l’homme, ou plutôt les livres sacrés sont les temples intellectuels qui semblent avoir poussé d’eux-mêmes et sans architectes du sol, pour contenir les idées de l’humanité sur Dieu ou les dieux. […] Et si Dieu lui-même a voulu se façonner, dans un cœur d’homme, un instrument capable de crier, de chanter ou de pleurer pour l’humanité tout entière, Dieu lui-même aurait-il pu pétrir autrement le cœur de cet homme ? […] Or, nous le répétons ici, le caractère spécial de David, c’est d’exprimer l’âme de l’humanité dans toutes les phases, dans tous les sentiments, dans tous les lieux, dans tous les temps. […] C’est que ce poète était plus qu’un poète ; il était l’inspiré de l’humanité passée et de l’humanité future.

164. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

La passion universelle poussait les hommes vers cette reconstruction d’une humanité transcendante. […] C’était une illusion, si vous voulez, mais de temps en temps l’humanité est saisie d’une de ces manies générales qui deviennent la passion du moment ; la plus populaire est celle qui la sert le mieux. […] avec quelle politesse, quelle humanité et presque quelles caresses il accueillit Mirandole ! […] L’affection si exquise, si distinguée de tout le peuple et de toutes les classes sans exception, montra clairement combien étaient remarquables en lui l’affabilité, la politesse et l’humanité. […] Aussitôt que Laurent eut cessé de vivre, à peine pourrais-je vous dire avec quelle humanité et quelle gravité notre Pierre reçut tous les citoyens qui affluaient dans sa demeure ; comme il fut convenable et même caressant dans les diverses réponses qu’il fit aux condoléances, aux consolations et aux offres de service ; et bientôt quelle adresse, quelle sollicitude il montra dans l’arrangement des affaires de famille ; comment il secourut et releva tous ses amis frappés par ce grand malheur ; comment le moindre d’entre eux, celui-là même qui lui avait fait de l’opposition dans l’adversité, fut relevé dans son abattement, ravivé, encouragé ; comment, dans le gouvernement de la république, il suffit à toutes choses, au temps, au lieu, aux personnes, et ne se relâcha en rien.

165. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Et véritablement, il est aisé de faire voir, par de bons exemples, que les prétendus Philosophes du siecle, en se disant les zélateurs de l’humanité, en s’annonçant pour la lumiere des Peuples & les vengeurs de la raison, ont trouvé moyen de se faire croire & de se faire bénir, tandis que la plupart de leurs maximes ne respirent que trouble, sédition, renversement, & ne sont propres qu’à rendre le genre humain plus malheureux. […] Si, continuant le rôle de Législateur, je faisois afficher au coin des rues cette maxime : Un Monarque qui cesse d’être le Berger de son Peuple, en devient l’ennemi ; l’obéissance à un tel Prince est un crime de haute trahison au premier chef contre l’humanité L’Astique tolérat Pag. 105. […] Et cependant ces prétendus Zélateurs de l’humanité, qui n’en sont que la honte, oseront encore se plaindre, quand on s’élevera contre leurs odieux systêmes ! […] Quand je formai le dessein de mon Livre, la contagion philosophique avoit infecté les objets les plus intéressans pour l’humanité ; ses ravages faisoient tous les jours de nouveaux progrès : j’avois donc à prémunir les Esprits contre un poison qui se glissoit par-tout & sous toute sorte de formes, qui menaçoit tous les individus : il falloit, pour le détruire, l’attaquer toutes les fois que je pouvois en reconnoître les traces. […] Ce n’est pas le désir de la célébrité qui m’a fait écrire contre les Philosophes ; c’est l’amour des Lettres qu’ils dégradent, l’amour de la Morale qu’ils corrompent, l’amour de la Religion qu’ils calomnient, l’amour de la Nation qu’ils insultent publiquement, qu’ils déshonorent par leurs Libelles en tout genre, l’amour de l’Humanité entiere qu’ils affligent par leurs systêmes désolans.

166. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

L’humanité, grandie, demande à se passer d’eux. […] Chose étrange que jusqu’à ce jour l’humanité ait eu une manière de lire l’Iliade qui effaçait Homère sous Achille ! […] Sans doute, et l’on ne nous reprochera point de n’y pas insister, l’histoire réelle et véridique, en indiquant les sources de civilisation là où elles sont, ne méconnaîtra pas la quantité appréciable d’utilité des porte-sceptres et des porte-glaives à un moment donné et en présence d’un état spécial de l’humanité. […] V L’humanité, non plus possédée, mais guidée ; tel est le nouvel aspect des faits. […] Il n’y a pas de plus pathétique et de plus sublime spectacle ; l’humanité délivrée d’en haut, les puissants mis en fuite par les songeurs, le prophète anéantissant le héros, le balayage de la force par l’idée, le ciel nettoyé, une expulsion majestueuse.

167. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

C’est même ainsi qu’elle se laissa prendre et gagner insensiblement aux doctrines des réformés qui se présentèrent d’abord à elle sous la forme savante et littéraire : traducteurs des Écritures, ils ne voulaient, ce semble, qu’en propager l’esprit et en faire mieux entendre le sens aux âmes pieuses ; elle les goûtait et les favorisait à titre de savants, les accueillait comme hommes aimant à la fois « les bonnes lettres et le Christ », ne voulait croire chez eux à aucune arrière-pensée factieuse ; et, lors même qu’elle parut détrompée sur l’ensemble, elle continua jusqu’à la fin de plaider pour les individus avec zèle et humanité auprès du roi son frère. […] Montaigne relève ce propos et se demande à quoi pouvait servir, en un tel moment, cette idée de protection et de faveur divine : « Ce n’est pas par cette preuve seulement, ajoute-t-il, qu’on pourrait vérifier que les femmes ne sont guère propres à traiter les matières de la théologie. » Aussi n’était-ce pas une théologienne que Marguerite : c’était une personne de piété réelle et de cœur, de science et d’humanité, et qui mêlait à une vie grave un heureux enjouement d’humeur, faisant de tout cela un ensemble très sincère et qui nous étonne un peu aujourd’hui. […] « Ne parlons point de celle-là, dit le roi, elle m’aime trop : elle ne croira jamais que ce que je croirai, et ne prendra jamais de religion qui préjudicie à mon État. » Ce mot résume le vrai : Marguerite ne pouvait être d’une autre religion que son frère, et Bayle a très bien remarque, dans une très belle page, que plus on refuse à Marguerite d’être unie de doctrine avec les protestants, plus on est forcé d’accorder à sa générosité, à son élévation d’âme et à son humanité pure. […] Et pourtant il est bon qu’il y ait de telles âmes éprises avant tout de l’humanité, et qui insinuent à la longue la douceur dans les mœurs publiques et dans des lois restées jusque-là cruelles : car plus tard, aux époques même de sévérité recommençante, la répression, quand elle est commandée par des raisons supérieures de politique, se voit forcée de tenir compte de cette humanité introduite dans les mœurs, et de la tolérance acquise.

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