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32. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Il y a un abîme entre la faculté de juger et celle de vouloir, entre l’intelligence et la volonté. […] La conviction de l’esprit n’entraîne point une détermination correspondante de la volonté. […] Si vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre, vous ne pouvez prétendre à aucun empire sur notre volonté. […] C’était là le problème à résoudre pour toute religion qui aspirait à s’emparer de la volonté humaine. […] Mais qu’on y prenne garde ; ils adoraient Dieu, ils marchaient en sa présence, ils soumettaient leur volonté à la volonté divine.

33. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Notre volonté peut agir sur notre intelligence. […] Mais il en est qui ont plus ou moins de volonté. […] Volonté et personnalité sont anéanties. […] Ce sont la volonté, l’instinct, l’habitude. […] C’est là ce qui distingue la volonté.

34. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « III »

L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. […] Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. […] La sécession, me direz-vous, et, à la longue, l’émiettement des nations sont la conséquence d’un système qui met ces vieux organismes à la merci de volontés souvent peu éclairées. […] Les volontés humaines changent ; mais qu’est-ce qui ne change pas ici-bas ?

35. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Puis lorsqu’il y eut un langage articulé, les contractants s’assurèrent de la volonté l’un de l’autre en joignant au nœud des paroles solennelles qui exprimassent d’une manière certaine et précise les stipulations du contrat. […] Mais dans les temps civilisés où se formèrent les démocraties et ensuite les monarchies, la cause du contrat fut prise pour la volonté des parties et pour le contrat même. Aujourd’hui c’est la volonté qui rend le pacte obligatoire, et par cela seul qu’on a voulu contracter, la convention produit une action. Dans les cas où il s’agit de transférer la propriété, c’est cette même volonté qui valide la tradition naturelle et opère l’aliénation ; ce ne fut que dans les contrats verbaux, comme la stipulation, que la garantie du contrat conserva le nom de cause pris dans son ancienne acception. […] Ainsi fut préparée la définition vraiment divine qu’Aristote nous a laissée de la loi : Volonté libre de passion  ; ce qui est le caractère de la volonté héroïque.

36. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Car votre volonté et l’amour de votre gloire doivent prévaloir dans mon cœur sur tout autre sentiment, et me causer plus de consolation et de plaisir que tous les bienfaits que j’ai reçus et que je recevrai. […] C’est ne désirer, ne chercher et n’aimer que lui, c’est tout faire et tout souffrir pour lui ; c’est acquiescer en tout à sa volonté ; c’est ne vouloir que ce qu’il veut ; c’est ne s’égarer et ne se détourner jamais de la voie de sa volonté ; c’est enfin mettre son bonheur et son repos à le contenter, sans chercher à être content soi-même : mais cette conduite est contraire à la nature, et la grâce seule peut y parvenir. […] Elle s’associe, sans le connaître, au mystère de la volonté divine sur l’homme, et, par cette association surnaturelle, elle participe pour ainsi dire à l’impassibilité, à la sainteté et à la divinité de la volonté de la Providence. […] Celui-là possède la vraie science, qui fait la volonté de Dieu et renonce à la sienne. […] Pour vous, mon fils, ne suivez pas vos convoitises, et détachez-vous de votre volonté.

37. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Ce qui s’use le plus vile en nous, c’est la volonté. […] Notre siècle, à nous, en débutant par la volonté gigantesque de l’homme dans lequel il s’identifia, semble avoir dépensé tout d’un coup sa faculté de vouloir, l’avoir usée dans ce premier excès de force matérielle, et depuis lors il ne l’a plus retrouvée. […] Parmi les hommes qui se consacrent aux travaux de la pensée et dont les sciences morales et philosophiques sont le domaine, rien de plus difficile à rencontrer aujourd’hui qu’une volonté au sein d’une intelligence, une conviction, une foi. […] Cette excroissance démesurée de la faculté compréhensive constitue une véritable maladie de la volonté, et va jusqu’à la dépraver ou à l’abolir. […] On dirait que la quantité de volonté vive, fluide et non réalisée jusque-là, n’étant plus tenue en suspension par la chaleur naturelle à l’âge et la fermentation ignée de la vie, se précipite et s’infiltre plus bas en s’égarant.

38. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

La science du médecin est dans ce cas complètement inutile, car la guérison dépend de la seule volonté du malade, de son retour à la conscience. […] Un être né homme, avec des sens, un sexe, un cœur, un cerveau, une volonté, une conscience. […] individualité suppose volonté et le prêtre ne peut avoir une volonté personnelle, celle de l’Église en tenant lieu. La volonté de l’Église est le principe moteur de l’existence du prêtre ; lui-même n’est rien par définition. […] Il est temps, pour celui qui possède encore quelque lueur humaine, de s’interroger, de ressusciter sa volonté, et d’agir.

39. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

La raison n’a pas elle-même de force pour faire dominer ses jugements : c’est le rôle de la volonté, à laquelle il appartient de déterminer ceux « sur lesquels elle résout de conduire les actions de la vie ». La théorie de la volonté est l’âme du Traité des Passions, et elle est fort remarquable. La volonté n’agit pas directement sur les passions, mais elle les modifie indirectement à l’aide de l’imagination, elle les réduit les unes par les autres, enfin elle est toujours maîtresse d’en suspendre les effets extérieurs : elle commande l’action, avec, sans ou contre les passions. […] Tout le monde reconnaît ici la psychologie de Corneille : sur ces deux questions capitales, théorie de l’amour, théorie de la volonté, le philosophe souscrit aux affirmations du poète, et ne fait pour ainsi dire que donner la formule de l’héroïsme cornélien. […] Ces gens-là n’ont rien, absolument rien de féminin : ils se gouvernent par raison et par volonté.

40. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

Cette spontanéité, indifférente en apparence pour la psychologie, contient en germe, comme nous le verrons plus tard, le développement de la volonté. […] C’est ce que l’auteur a fait pour la volonté. […] Qu’y a-t-il de plus dans la volonté que cette décharge des impulsions spontanées. […] La volonté, au contraire, connaît le but et les moyens ; elle ne se dépense pas au hasard. Prenons acte toutefois de l’existence de cette spontanéité, de cette activité instinctive ; elle nous servira plus tard à mieux comprendre la nature de la volonté.

41. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Bornons-nous à deux points : la perception extérieure et la volonté. […] Nous avons dit que dans son étude sur la volonté, M.  […] « Si la psychologie, dit-il276, étudiait les affections et opérations au lieu des facultés, et réglait son langage en conséquence, il semble qu’on se débarrasserait d’un bon nombre de questions embarrassantes parmi lesquelles il faut mettre la controverse sur la liberté de la volonté, ce qui est littéralement la liberté d’une non-existence. » La question examinée de près se réduit, suivant l’auteur, à se demander, non pas si nous sommes libres d’agir dans certains cas comme il nous plaît, — car personne, je pense, ne conteste que nous le soyons ; — mais s’il y a des causes régulières qui nous mettent en état de « vouloir » agir comme nous agissons. […] Ainsi lorsqu’on laisse de côté le langage vague sur la liberté de la volonté — qui est, comme on l’a dit, la liberté de quelque chose qui n’existe pas — la véritable question se présente sous une forme qui ne laisse plus guère de place à une divergence d’opinions. […] Cette théorie de la volonté est si bien d’accord avec celle des contemporains, que M.

42. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Pour les uns, c’est un état d’esprit irréductible et indéfinissable ; pour d’autres, c’est un état tout passif et sensitif ; pour d’autres enfin, c’est un acte, et même un acte de volonté libre. […] Mais c’est là un effet fatal de la volonté même, qui, en intervenant dans le spectacle intérieur, a modifié l’aspect intellectuel de ce spectacle. […] A quel mouvement de la volonté et des organes aboutit une vague sensation d’odeur, comme celle que Condillac prête seule à sa statue ? […] Mouvement, induction et volonté sont donc au fond des manifestations d’un même principe109. […] La volonté ressemble à la force d’un courant, la croyance, à sa vitesse. » (La Liberté et le Déterminisme, p. 149.)

43. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Les réfugiés, impies et sans dieu, obéissaient à des hommes pieux, qui adoraient la divinité, bien qu’ils la divisassent par leur ignorance, et qu’ils se figurassent les dieux d’après la variété de leurs manières de voir ; étrangers à la pudeur, ils obéissaient à des hommes qui se contentaient pour toute leur vie d’une compagne que leur avait donnée la religion ; faibles et jusque-là errants au hasard, ils obéissaient à des hommes prudents qui cherchaient à connaître par les auspices la volonté des dieux, à des héros qui domptaient la terre par leurs travaux, tuaient les bêtes farouches, et secouraient le faible en danger. […] La forme même de la monarchie retient la volonté du monarque tout infinie qu’est sa puissance, dans les limites de l’ordre naturel, parce que son gouvernement n’est ni tranquille ni durable, s’il ne sait point satisfaire ses peuples sous le rapport de la religion et de la liberté naturelle. […] Ces hommes se sont accoutumés à ne penser qu’à l’intérêt privé ; au milieu de la plus grande foule, ils vivent dans une profonde solitude d’âme et de volonté. […] Si donc, comme le dit Aristote, de bonnes lois sont des volontés sans passion, en d’autres termes, des volontés dignes du sage, du héros de la morale qui commande aux passions, c’est dans les républiques populaires que naquit la philosophie ; la nature même de ces républiques conduisait la philosophie à former le sage, et dans ce but à chercher la vérité.

44. (1813) Réflexions sur le suicide

La volonté de Dieu ne nous a-t-elle pas également donné l’une et l’autre ? […] Comment anéantir, par un caprice de sa volonté, et j’appelle ainsi tout ce qui n’est pas fondé sur un devoir, l’œuvre de Dieu dans nous-mêmes ? […] Mais certes il ne faut pas confondre la résignation à la volonté de Dieu avec la condescendance pour le pouvoir des hommes. […] La volonté toujours momentanée d’un être humain donnait-elle à son semblable le droit d’enfreindre les principes éternels de la justice et de l’humanité ? […] On a vu les plus habiles succomber, mais la réunion des volontés religieuses et patriotiques ne saurait faillir.

45. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

La conscience d’un changement en nous sans que nous l’ayons voulu exige une volonté étrangère. […] — Il est possible, répondrait Nietzsche, la volonté de puissance, elle aussi, a ses erreurs. […] Aucune « volonté de puissance », aucune « volonté de domination » aussi formidable ; car tout effort est volonté et puissance. […] Mais c’est ainsi que parle une espèce d’hommes qui n’a pas le courage de se fixer une volonté. […] Il n’y a pas de moyen de marquer mieux sa volonté.

46. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Ainsi tous seront égaux devant la loi ; nulle personne, famille ou classe, n’aura de privilège ; nul ne pourra réclamer un droit dont un autre serait privé ; nul ne devra porter une charge dont un autre serait exempt  D’autre part, tous étant libres, chacun entre avec sa volonté propre dans le faisceau de volontés qui constitue la société nouvelle ; il faut que, dans les résolutions communes, il intervienne pour sa part. […] Il est admis que, d’elle-même et par sa propre force, la théorie engendre la pratique, et qu’il suffit aux hommes de décréter ou d’accepter le pacte social pour acquérir du même coup la capacité de le comprendre et la volonté de l’accomplir. […] Le premier intérêt de l’État sera toujours de former les volontés par lesquelles il dure, de préparer les votes qui le maintiendront, de déraciner dans les âmes les passions qui lui seraient contraires, d’implanter dans les âmes des passions qui lui seront favorables, d’établir à demeure, dans ses citoyens futurs, les sentiments et les préjugés dont il aura besoin448. […] Par nature, il est hostile aux associations autres que lui-même ; elles sont des rivales, elles le gênent, elles accaparent la volonté et faussent le vote de leurs membres. « Il importe, pour bien avoir l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’État, et que chaque citoyen n’opine que d’après lui449. » Tout ce qui rompt l’unité sociale ne vaut rien », et il vaudrait mieux pour l’État qu’il n’y eût point d’Église  Non seulement toute Eglise est suspecte, mais, si je suis chrétien, ma croyance est vue d’un mauvais œil. […] À la place de ma volonté, il y a désormais la volonté publique, c’est-à-dire, en théorie, l’arbitraire changeant de la majorité comptée par têtes, en fait, l’arbitraire rigide de l’assemblée, de la faction, de l’individu qui détient le pouvoir public  Sur ce principe, l’infatuation débordera hors de toutes limites.

47. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Chacune de ces habitudes d’obéir exerce une pression sur notre volonté. […] Ce qui est simple au regard de notre entendement ne l’est pas nécessairement pour notre volonté. […] La volonté a son génie, comme la pensée, et le génie défie toute prévision. […] Non pas, certes, qu’une idée pure soit sans influence sur notre volonté. […] Comment aura-t-on prise sur la volonté ?

48. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

La volonté mentale ne fournit donc pas les éléments d’une division quelque peu précise de la parole intérieure. […] Pourquoi la vivacité de la parole intérieure-n’est elle pas proportionnelle à la volonté motrice qui la détermine ? Pourquoi cette vivacité persiste-t-elle en l’absence de toute volonté, dans l’obsession, par exemple ? […] VII, « l’âme est : 1° imagination, 2° entendement, 3° sensibilité » ; la volonté n’est même pas nommée. […] Notons en passant que Cardaillac confond ici la volonté motrice et la volonté mentale : diriger nos souvenirs n’est pas la même chose que vouloir émettre un son.

49. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

On n’estime pas à volonté, et parce qu’on a intérêt à le faire. […] On ne désire pas et on ne cesse pas de désirer à volonté. […] La connaissance de la vérité n’est pas une résolution de la volonté. […] Cependant la volonté peut beaucoup sur l’intelligence. […] Qu’est-ce en effet pour cette philosophie que la volonté ?

50. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IV »

Création de mots, saillie d’expressions, surprises de style, équivalents et images proviennent, selon lui, « de l’émotivité » et non de la « volonté ». […] Je compare, je cherche, je corrige, et, par ce seul effort de volonté, il se trouve que je parviens à sentir autrement, je découvre des images nouvelles, ma volonté a éveillé mon émotivité et ma sensibilité. […] Voilà pourquoi, dans notre enseignement, nous faisons une part si large au travail, à la volonté, aux procédés, au métier.

51. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Mais pourquoi cette volonté de vivre ? […] Ses gestes tracent le pentacle de la volonté. […] C’est une âme impérieuse, que sa propre volonté tend comme un arc vers la domination. […] Ils dépensent beaucoup de volonté à résister aux attaques des inférieurs et cette volonté serait mieux employée, peut-être, à leur œuvre. […] Sachant que les volontés s’équivalent, tu stimules les volontaires.

52. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Même alors, c’est du Thomas, et non pas du Corneille : l’intuition personnelle de la vie morale n’anime pas la conception cornélienne de la volonté ; Essex, malgré quelques beaux cris d’une âme fière, fait l’effet d’un mannequin bien creux, je ne dis pas à côté de Nicomède, mais seulement en face de Suréna. […] Les personnages de Racine sont plus près de nous que ceux de Corneille : du moins, il nous le semble, quoique peut-être les grandes passions ne soient guère moins rares que les grandes volontés. […] Il a donc peint une nature faible, impuissante à se diriger, tiraillée entre ses instincts, des passions fougueuses, des volontés chancelantes ou abattues. […] Ainsi, tandis que Corneille résout le conflit de la volonté et des passions par la victoire de la volonté, Racine conclut au triomphe des passions : et comme Corneille tend à supprimer les passions, il tend à supprimer la volonté. L’orageuse beauté de Phèdre résulte de ce que sa volonté tient à peu près en balance son amour ; une lutte intérieure la déchire, tellement que tout le drame est dans ce seul rôle.

53. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

C’est l’appétit et la volonté qui a ainsi emmagasiné ce que Kant et les platoniciens nomment la « matière » de la connaissance. Le contenu sensible de notre conscience a été déterminé par l’action du monde extérieur et par la réaction motrice de l’être qui veut vivre : les divers modes de sentir sont le résultat de la lutte des volontés pour la vie. […] De plus, la tendance au bien-être, la « volonté de vivre », qui luttait contre la douleur, sera alors satisfaite ; le besoin sera rempli, l’énergie motrice aboutira à un succès. […] Comme les intellectualistes, les sensualistes sont portés à négliger le caractère moteur des états de conscience, le point de vue de la volonté. […] Quant aux diverses opérations « intellectuelles » qu’on oppose aux « sensitives », nous allons voir tout à l’heure, en les examinant plus en détail, qu’elles sont une combinaison ou un développement de la sensation, de l’émotion et de la volonté.

54. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Que sa volonté soit faite, et que son nom soit toujours loué ! […] Cela serait beau, mais cela ne serait pas saint, car la volonté seule est sainte ; autrement le miroir qui réfléchit la lumière aurait autant de vertu que le feu qui la produit. […] La volonté eût péri avec la liberté. Or, qu’est-ce que la création sans volonté ? […] C’est la philosophie de la raison, car Dieu, comme dit Élihu à Job, est plus grand que nous ; c’est la philosophie de la nécessité, car Dieu, comme ses œuvres le disent à Job, est plus fort que nous ; c’est la philosophie de la sainteté, car, comme dit l’Évangile, c’est la conformité de la misérable, fragile et perverse volonté de l’homme à la volonté parfaite, sainte et divine de Dieu ; c’est la divinisation de la volonté humaine, car notre volonté devient Dieu en s’assimilant contre elle-même à Dieu !

55. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Mill répond qu’il ne voit dans la volonté qu’une cause physique comme une autre ; qu’elle est cause de nos actions corporelles, de la même manière que le froid est cause de la glace, et l’étincelle de l’explosion de la poudre. […] Le châtiment part de cette hypothèse que la volonté est gouvernée par des motifs ; le châtiment étant lui-même un motif. Mais si le châtiment n’avait pas le pouvoir d’agir sur la volonté, il serait illégitime. Si la volonté est supposée capable d’agir contre des motifs, la punition reste sans objet et sans justification115. […] Le fatalisme, que l’on peut appeler modifié, soutient que nos actions sont déterminées par notre volonté, notre volonté par nos désirs, et nos désirs par l’influence jointe des motifs qui se présentent à nous et de notre caractère individuel ; mais que ce caractère ayant été fait pour nous et non par nous, nous n’en sommes point responsables ni des actions auxquelles il nous conduit, et que nous tenterions vainement de le modifier.

56. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Il ne la tient pas toujours de ses aïeux ; il l’acquiert alors par un acte de volonté, et sa nationalité est sur lui comme une qualité dont il se préoccupe de prouver qu’il est digne.‌ […] Je lui fais tort si je ne vous dis pas son amour de son foyer, sa vigoureuse curiosité intellectuelle qui s’exerce de la manière la plus originale au cours même de la guerre, sa pleine satisfaction dans cette discipline militaire où il satisfait ce qu’il appelle sa « nostalgie de la cathédrale absente », enfin sa volonté indomptable et bien réfléchie d’aller « jusqu’au bout ». […] Leur patriotisme est tout spirituel, acte de volonté, décision, choix de l’esprit. […] Si vous étiez disposé à la longue à trouver ce dilettantisme un peu voulu, hâtez-vous de reconnaître dans cette volonté, qui de toute manière serait méritoire, un fond bien touchant de tendresse. […] Par modestie d’abord, et par justice aussi pour les héros inconnus, je désire que le nom de mon fils soit par vous pieusement gardé sans être publié…‌ Je me conforme à regret à cette volonté ; je tairai le nom du héros, qui occupait une haute charge ; je me borne à analyser le petit dossier que l’on me communique.‌

57. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « La course à la mort » pp. 214-219

Celui que ce livre nous confesse est atteint plus profondément que dans son intelligence ; il est malade de la volonté et de la sensibilité, il se sait vaguement frappé au centre de son être et s’entend à démêler dans la contemplation de sa ruine morale les plus secrets symptômes. […] L’impuissance de sa volonté, qui est la cause et le fond de son infortune, est par lui subtilement analysée ; il distingue le penchant à suppléer aux actes par de vagues rêves, sa dépravation morose qui le porte à se regarder faire dans le peu qu’il fait et à se rendre ainsi déplus en plus incapable de toute action spontanée ; enfin apparaît ce dernier symptôme de la décadence volitionnelle, la lassitude anticipée, le dégoût préventif qui détournent même de tout désir, de tout rêve-d’entreprise et bornent définitivement en son incapacité le malade et le moribond que M.  […] A la fin le dégoût reste seul ; comme une ombre se mouvant dans une lueur très pâle, il grandit, il devient ruineux, il absorbe tout, le présent et l’avenir, ce qui est et ce qui pourrait être, il étend jusqu’à d’invisibles limites son envahissante obscurité et sa main pesante m’écrase dans ces ténèbres émanées de lui. » De la volonté le mal s’étend aux émotions.

58. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Le droit comme idée intérieure, comme sentiment individuel et volonté de revendication personnelle s’est trouvé en conflit avec le droit comme contrainte sociale. […] Même les lois les plus libérales, celles qui semblent relâcher quelque lien social (par exemple la loi du divorce) affirment encore en un certain sens l’asservissement de l’individu à la volonté collective. […] En tous cas, le droit nouveau, en tant qu’il reflète les mœurs nouvelles, ne fait comme le droit ancien, qu’affirmer la suprématie de la volonté sociale sur la volonté individuelle.

59. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Il était, en effet, tout un caractère et peut-être ne fût-il que cela, mais qui peut dire que ce ne soit pas assez pour l’honneur d’un homme, car le caractère suppose plus que la volonté solitaire ; il implique aussi et toujours le bon sens ! […] Pour qu’il soit dans la nature d’un homme, il faut combiner la réalité du point de vue que l’on embrasse et la force de volonté que l’on met à l’embrasser. Un homme qui n’aurait que de la force de volonté dans la proportion la plus vaste et pour la durée la plus longue, ne pourrait être appelé, sans vice de langage, un homme de caractère, fût-il la hardiesse, la persévérance et la fermeté au plus haut degré d’énergie, fût-il Charles le Téméraire de Bourgogne, fût-il Charles le Téméraire de Suède, fût-il, à lui seul, tous les Téméraires de l’Histoire, que l’Histoire n’a point appelés des hommes de caractère, mais à qui elle a su trouver d’autres noms ! […] La solution vers laquelle ils inclinent manifestement n’est pas la plus vraie, mais c’est la plus saine, la plus utile, surtout à cette heure, où nous sommes trop disposés à accorder plus d’influence aux choses qu’aux hommes, aux circonstances qu’à la volonté, et où nous donnons notre démission d’êtres libres et agissants, en faveur de je ne sais quelle commode et lâche fatalité.

60. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Comment concilier avec la socialisation de la culture, avec la démocratisation et l’égalisation des valeurs l’instinct qui porte les individualités à se différencier et à étendre sur autrui leur volonté de puissance ? Aucune culture « organique » ne fera cesser le divorce originel qui scinde l’être humain en deux parties ennemies : le moi et le nous ; la volonté d’égalité et la volonté de différenciation. […] La volonté de domination, d’inégalité, prend seulement d’autres formes ; à la place des barons féodaux, nous avons les barons de la finance et les rois de l’industrie. […] Un idéal nouveau : celui de l’accroissement de la puissance collective de l’humanité sur la nature se substitue à l’idéal ancien de la volonté de puissance individuelle s’exerçant sur autrui et contre autrui. […] Nietzsche, La Volonté de puissance, t. 

61. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Les secondes sont celles où le savant passe de l’observation à l’expérience, produit lui-même les phénomènes qu’il veut étudier, en change les conditions, les isole, les combine, les reproduit à volonté, et par là obtient sur la nature une puissance bien plus grande que ne peut en avoir le simple contemplateur. […] Enfin ils le placent jusqu’en Dieu lorsqu’ils lui prêtent une volonté absolue, supérieure au bien et au mal, au vrai et au faux, décidant et créant par un sic volo, sic jubeo absolu. Ils ne s’aperçoivent pas que cette volonté souveraine, sans l’intelligence, n’est que le hasard lui-même, car le hasard n’est autre chose qu’une cause vide, une cause nue, une cause dans laquelle rien n’est prédéterminé, et où il n’y a pas de proportion entre la cause et l’effet. […] Réciproquement, la liberté ne reste pas concentrée en elle-même, elle n’agit pas exclusivement dans le monde intérieur ; la volonté commande au corps, elle en dirige, elle en suspend, elle en accélère les mouvements. […] Sans doute, il est un point limite où le conflit peut surgir : c’est quand il s’agit des conditions physiologiques de la volonté.

62. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

« Ce gouvernement doit exprimer l’intérêt légitime de tous et la volonté générale. […] Cette volonté générale doit être obéie. […] Toutes ces délégations de la volonté générale ou du gouvernement sont arbitraires, locales, contestables, systématiques, abstraites, affirmées ou niées selon les temps, les lieux, les circonstances. […] Les enfants l’aimaient et le respectaient instinctivement, par reconnaissance pour le bienfait de la vie qu’ils lui devaient, et par l’habitude de se soumettre à sa volonté présumée sage. Cette obéissance d’instinct, de reconnaissance et de volonté donnait un caractère de moralité, de vertu, de divinité à la supériorité du père.

63. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Préoccupés tantôt de la spéculation tantôt de la pratique, les philosophes ont étudié surtout l’intelligence, d’où semble venir toute lumière, et la volonté d’où semble sortir toute action ; mais le grand ressort de l’intelligence et de la volonté n’est-il pas l’émotion agréable ou douloureuse, qui est une des premières et des plus radicales manifestations de la vie même ? […] Enfin et surtout, les dents sont un organe soumis à la volonté, et c’est une loi générale que tous les organes sur lesquels la volonté a un pouvoir de direction soient sensibles. […] Dans ce cas, la même cause excite l’activité et la satisfait, sans l’intercalation d’un besoin, d’une « faim mécanique ou mentale », d’une volonté non rassasiée. […] C’est que, à en croire de Hartmann, la conscience est « l’étonnement de la volonté » devant une chose qu’elle n’a pas voulue et qui lui révèle tout d’un coup sa dépendance. […] Au contraire, « la satisfaction de la volonté échappe par elle-même à la conscience », parce qu’elle ne produit aucun étonnement ; la volonté ne ressent que les satisfactions qui provoquent, par le contraste même, le souvenir d’expériences tout opposées, la comparaison, le souvenir, le raisonnement.

64. (1891) Esquisses contemporaines

La science nous assujettit à ce qui est, la volonté nous en affranchit. Si donc la volonté morale est la volonté par excellence, la seule peut-être qui mérite ce nom, le moment de l’obéissance morale sera le moment suprême, le seul véritable de la vie de l’homme. […] En fait, les héros de ces histoires n’ont pas de volonté ; leur vie par conséquent est dépourvue, sinon d’intérêt, du moins de beauté, puisqu’il n’est de beauté réelle que dans les manifestations de volonté et que la volonté est la matière propre de l’art. […] Nos volontés sont impotentes parce qu’elles sont pécheresses. […] On demande à l’intelligence ce qu’il faudrait demander à la volonté.

65. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

Il se fait de plus en plus conscient, voulu, il devient égotisme, c’est-à-dire égoïsme théorétisé, volonté de différence et d’isolement, dilettantisme amoral et antisocial. […] Tout rationalisme sociologique et moral est une expression de la volonté sociale d’un groupe ; une affirmation de la domination de la société sur l’individu. […] Il nie toute certitude rationnelle, tout dogmatisme sociologique et moral au nom duquel la volonté sociale s’arrogerait le droit d’imposer son autorité aux individus. […] Cet individualisme est un impérialisme intégral, une philosophie de la vie intense et de la volonté de puissance triomphante, une philosophie du surhomme. […] sur la volonté de sauvegarder les valeurs individuelles : énergie, indépendance, orgueil et noblesse personnels et de les défendre contre les prétentions de plus en plus envahissantes de la morale de groupe119.

66. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Cependant, toutes ses facultés si éclatantes, si variées, si fortuites en apparence, obéissent à une faculté suprême, la volonté : or, c’est précisément dans cette volonté impérieuse et obstinée que réside l’élément merveilleux ; car la volonté, en multipliant à l’infini les forces humaines, élève celui qui la possède aux proportions héroïques. […] Sa volonté, telle au moins que nous avons pu la deviner dans l’exécution, est-elle d’accord avec la pensée de Molière ? […] L’occasion arrive, et leur volonté, usée dans la déclamation, fléchit et se décourage. […] Mais c’était la volonté de M.  […] Elle n’aurait eu d’autre complice qu’elle-même et sa volonté dans ce nouvel apprentissage d’un amour qu’elle avait ignoré jusque-là.

67. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Une intoxication légère peut donner lieu à des troubles déjà profonds de l’intelligence, de la sensibilité et de la volonté. […] Cette phosphorescence, s’éclairant pour ainsi dire elle-même, crée de singulières illusions d’optique intérieure ; c’est ainsi que la conscience s’imagine modifier, diriger, produire les mouvements dont elle n’est que le résultat ; en cela consiste la croyance à une volonté libre. […] Et ils ne prouvent rien de semblable, puisqu’ils ne font qu’étendre arbitrairement aux actions volontaires une loi vérifiée dans des cas où la volonté n’intervient pas. Il est d’ailleurs bien possible que, si la volonté est capable de créer de l’énergie, la quantité d’énergie créée soit trop faible pour affecter sensiblement nos instruments de mesure : l’effet pourra néanmoins en être énorme, comme celui de l’étincelle qui fait sauter une poudrière. […] Descartes, il est vrai, n’allait pas encore aussi loin : avec le sens qu’il avait des réalités, il préféra, dût la rigueur de la doctrine en souffrir, laisser un peu de place à la volonté libre.

68. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Vous pâlissez de la seule pensée ; cependant la volonté triomphe de la terreur, il vous reste à gravir encore 75 pieds en dehors des murailles pour ramper autour du dernier petit globe, bouton de la grande coupole, et pour embrasser les bras de la croix de fer de 25 pieds qui couronne le tout. […] Raphaël peignait, Jules Romain dessinait, Buonarotti changeait à volonté le marteau contre le pinceau, Bramante imaginait et concevait la transfiguration de l’architecture pour élever dans le ciel le Panthéon simplifié, exalté, glorifié. […] Tout ce que les yeux ou le télescope nous permettent de discerner de ses lois, dans les espaces astronomiques de l’étendue infinie de l’éther, n’est que la volonté absolue et mystérieuse de Dieu qu’il a commandé et commande d’exécuter à l’infini matériel de ces mondes flottants. […] L’égalité de leur création et de leur illusion les nivelle, ils sont tous l’œuvre de Dieu et les exécuteurs de ses volontés qui sont leurs lois. […] Rien sans mystère, car le nom de mystère est le nom de la volonté ou de l’action de Dieu dans les deux mondes, le monde physique et le monde de l’âme.

69. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Pourtant l’extrême conséquence, possible et logique après tout de la loi sociologique de la multiplication des groupes serait la possibilité de changer de parti à volonté, selon son intérêt du moment ou même son caprice ou simplement par désir d’affirmer sa liberté ou enfin afin d’éviter la formation d’un groupe ou d’un parti trop puissant. […] Il est dans l’individu lui-même, dans sa physiologie, dans sa volonté native, présociale, d’unicité et d’indépendance. […] Mais le fait même de recourir à cette tactique suppose chez l’individu une volonté antécédente (biologique et présociale) d’indépendance. […] Par exemple, dans une situation dépendante, les uns ne chercheront nullement à manifester une volonté d’indépendance. […] À l’individualisme sociologique qui fait de la libération de l’individu un résultat du jeu mécanique des lois sociales et qui rapporte ainsi à la société elle-même l’honneur de cette libération, on peut opposer un individualisme biologique et psychologique qui fait appel à une volonté personnelle et présociale d’individualisation.

70. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

I Rapport du plaisir et de la peine à la représentation Nous pouvons maintenant déterminer les rapports du plaisir et de la douleur avec l’intelligence et avec la volonté ; question importante, dont la solution sert à marquer la vraie fonction de l’esprit et, par cela même, sa véritable efficacité sur le cours des choses. […] II Selon les partisans de Schopenhauer, notamment de Hartmann, le plaisir et la douleur empruntent à l’intelligence les qualités qu’ils semblent avoir, mais, en eux-mêmes, ils ne sont que des degrés divers d’intensité dans la volonté inconsciente et n’ont aucune qualité propre. […] La conséquence de ce qui précède, c’est que l’activité fondamentale, la « volonté » primitive, d’où naissent les peines et les plaisirs, est une activité mêlée de passivité, où l’élément agréable lié à l’action efficace est continuellement contrarié et contrebalancé par un élément pénible, à savoir le sentiment d’usure et de manque, qui accompagne la passivité et la résistance subie. […] Dans le plaisir, la volonté s’abandonne, va toujours devant elle, s’épand dans le présent sans se concentrer vers un but à venir. Dans la peine, la volonté fait immédiatement effort et, pour cela, se concentre, en se proposant plus ou moins consciemment la cessation de la douleur.

71. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Les lois cérébrales de l’association, considérées indépendamment de toute réaction de la volonté intelligente, resteraient vraies même chez un être entièrement dépourvu de mémoire et de comparaison. […] La volonté, après avoir accepté le plaisir, s’en lasse et le refuse : après l’affirmation naît la négation. D’ailleurs, ce contraste vécu n’est pas absolument irréductible à une identité plus profonde, celle de la volonté avec elle-même, celle de l’appétition tendant toujours au plus grand plaisir. […] Cette conscience suppose une réaction de la volonté et de l’intelligence par rapport aux sensations qui nous arrivent, et cette réaction, sur laquelle nous devons maintenant insister, est un facteur important de la synthèse mentale. […] Du côté psychologique, le vrai lien primitif des idées est leur rapports l’unité de l’appétition, de l’effort, de la volonté, jointe à l’unité de l’émotion et à l’unité de conscience.

72. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Pour se maintenir dans les régions poétiques, elle a besoin d’un perpétuel effort de volonté. […] Il est bon que chacun, dans l’intérêt de son nom, dans l’intérêt de son bonheur, n’applique pas sa volonté à des points trop multipliés ; mais la volonté, pour ne pas s’engourdir, a besoin de s’exercer dans un cercle étendu et varié : M.  […] Le temps manque au plus grand nombre des poètes, la volonté a manqué à M.  […] La destinée malheureuse de ce drame n’a pas fléchi la volonté nouvelle de M.  […] Il pratique la volonté sur une échelle effrayante ; mais il ne perd jamais de vue un point quelconque de sa volonté pour se préoccuper étourdiment du point suivant.

73. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Stendhal, son journal, 1801-1814, publié par MM. Casimir Stryienski et François de Nion. »

Se regarder vivre est bon ; mais, après qu’on s’est regardé, fixer sur le papier ce qu’on a vu, s’expliquer, se commenter (à moins d’y mettre l’adorable bonne grâce et le détachement de Montaigne) ; se mirer longuement chaque soir, commencer ce travail à dix-huit ans et le continuer toute sa vie… cela suppose une manie de constatation, si je puis dire, un manque de paresse, d’abandon et d’insouciance, un goût de la vie, une énergie de volonté et d’orgueil, qui me dépassent infiniment. […] Il croit à la toute-puissance de la volonté. […] Il avait reçu de la nature, avec une volonté très forte, un don merveilleux d’observation, et, comme on dit aujourd’hui, de dédoublement. Il crut que, en mettant cette faculté d’analyse au service de sa volonté, il augmenterait la puissance de celle-ci.

74. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Fait, comme tout homme qui vient en ce monde, de mémoire, d’intelligence et de volonté, le bâtard, si loin qu’il recule en lui, trouve dans sa mémoire l’événement qui lui a retranché toute légitimité naturelle et sociale ; car le séducteur dont il est sorti n’est pas père. […] Qui sait exactement la distance entre la volonté et l’intelligence, entre la théorie et l’action ; avec quelle violence la volonté entre en exercice pour abolir un état de choses qui la révolte ; avec quelle fureur elle allume le foyer des sociétés secrètes, des commandites saint-simoniennes, de toutes les prétendances en haut et en bas ? […] V Vignette fatale dans la mémoire, coup de sifflet dans l’intelligence, corruption dans la volonté fourvoyée, le bâtard est la parabole de la chute, la contrefaçon du dogme qu’il repousse, et un argument vivant, dans sa propre existence, contre sa propre incrédulité !

75. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

C’est au nom d’idoles logiques et dogmatiques que l’on a de tout temps prétendu plier l’individu aux volontés du groupe. […] Il va sans dire que cette place est une place dépendante et subordonnée et que ces sentiments sont des sentiments d’obéissance et de docilité aux volontés du groupe. […] D’après le Dr Toulouse, le rôle de l’éducation est un rôle inhibiteur. — Cette thèse éducative s’appuie sur la théorie psychologique de la volonté considérée comme étant essentiellement un pouvoir frénateur. — D’après le Dr Toulouse, le but de l’éducation serait de refréner les instincts, d’inhiber les réactions qui ne s’harmoniseraient pas avec le milieu. […] D’abord la volonté n’est pas uniquement une fonction frénatrice et inhibitrice ; elle est aussi une fonction motrice et initiatrice ; impulsive et primesautière. […] Sans doute il peut arriver que les qualités développées par cette éducation coïncident avec une personnalité vigoureuse, une volonté forte, une intelligence pénétrante, une sensibilité vive et originale ; mais c’est par un accident heureux que cette rencontre a lieu.

76. (1913) Le bovarysme « Avertissement »

Sous l’empire de cette illusion, la volonté humaine, prise dans le remous d’un tourbillon de causes et d’effets, croit ; qu’il est possible pourtant d’intervenir. […] On trouvera donc, au cours de cet ouvrage, composé avec des mots, quelque trace de cette humeur où une volonté humaine, c’est-à-dire malléable, et sujette à changer sous l’empire de causes qu’elle ignore, se prend pour la mesure, des choses.

77. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Quelque désir qu’eût Lemonnier de faire revenir le roi à Versailles, il n’avait pas la force de s’opposer à la volonté de Mme Dubarry. […] La résolution où il trouva le roi de demeurer à Trianon ne l’empêcha pas de travailler fortement à l’en détourner, et il y réussit avec facilité ; car le roi, qui n’avait jamais eu dans sa vie que la volonté des autres, n’avait pas plus la sienne dans ce moment. […] Quand je dis que Mme Dubarry voulait, j’entends que M. d’Aiguillon voulait ; car cette femme, comme les trois quarts de celles de son espèce, n’avait jamais eu de volonté. Toutes ses volontés se bornaient à des fantaisies, et toutes ses fantaisies étaient des diamants, des rubans, de l’argent. […] Il avait entendu dire que, pendant la maladie du roi à Metz, M. de Richelieu s’était enfermé seul avec lui et avait interdit la porte à M. de Bouillon et à mon grand-père, qui avaient eu l’un et l’autre la faiblesse de souscrire à cette volonté ridicule de M. le maréchal.

78. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Cependant c’est un échantillon de la beauté universelle ; mais il faut, pour qu’il soit compris, que le critique, le spectateur opère en lui-même une transformation qui tient du mystère, et que, par un phénomène de la volonté agissant sur l’imagination, il apprenne de lui-même à participer au milieu qui a donné naissance à cette floraison insolite. […] Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l’amour du beau : et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps, s’endormiront sur l’oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la décrépitude. […] Je ne pousserai pas l’irrévérence et la mauvaise volonté jusqu’à dire que c’est chez M.  […] Courbet, lui aussi, est un puissant ouvrier, une sauvage et patiente volonté ; et les résultats qu’il a obtenus, résultats qui ont déjà pour quelques esprits plus de charme que ceux du grand maître de la tradition raphaélesque, à cause sans doute de leur solidité positive et de leur amoureux cynisme, ont, comme ces derniers, ceci de singulier qu’ils manifestent un esprit de sectaire, un massacreur de facultés. […] Ingres ce qu’il est, le puissant, l’indiscutable, l’incontrôlable dominateur, c’est la volonté, ou plutôt un immense abus de la volonté.

79. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Le passage rapide par des états d’âmes variés, pensées, émotions, volontés, fait que tous tes phénomènes mentaux sont perçus par la conscience ; connus ainsi, ils se transforment du même coup nécessairement en pensées ou en pensées de pensées. […] Il suit de là que la sensibilité exagérée de l’artiste, ses longues introspections, son constant contrôle de toute sa vie passionnelle, aboutissent nécessairement à une atonie de sa volonté, la paralysent et l’abolissent. […] Que ce soit dans l’affaiblissement de la volonté qu’il faut chercher l’origine de cette bizarre illusion, un fait significatif en témoigne. […] James Sully comme condition du bonheur, cette forte discipline de la volonté qui conduit à réaliser les désirs possibles et à se détourner des désirs insensés. […] Par son inaction, la faiblesse actuelle de sa volonté, l’artiste correspond à une paix et une civilisation supérieures où les gros efforts laborieux seront superflus et disparus.

80. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Ils voient des passions mesquines, des intérêts égoïstes, des droits faux, des idées contradictoires en elles-mêmes, des volontés qui ne peuvent aboutir, engager une escarmouche burlesque. […] Ils ont la prétention de tout régler chez eux, autour d’eux, par leur volonté personnelle, leur courage, et la supériorité, d’une raison droite, loyale et magnanime. […] La faiblesse de l’indécision, les irrésolutions qui missent de la réflexion, l’analyse des motifs d’après lesquels la volonté doit se diriger, apparaissent chez les anciens déjà dans Euripide. […] Dans la tragédie, les personnages consomment leur ruine par l’exclusif de leur volonté et de leur caractère d’ailleurs solide, ou bien ils doivent se résigner à admettre ce à quoi ils s’opposent. […] À ce point de vue, un personnage n’est comique qu’autant qu’il ne prend pas lui-même au sérieux le sérieux de son but et de sa volonté.

81. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

Il veut un trône pour appuyer la démocratie, il veut la liberté dans les chambres, et la volonté de la nation, une et irrésistible, dans le gouvernement. […] XIV « Le club dominant était celui des Jacobins ; ce club était la centralisation de l’anarchie ; aussitôt qu’une volonté puissante et passionnée remue une nation, cette volonté commune rapproche les hommes, l’individualisme cesse et l’association légale ou illégale organise la passion publique. […] À une action soudaine, irrésistible, convulsive du corps social, il faut les bras et la volonté de tous. […] Il faut un levier capable de soulever trente millions de volontés. […] La volonté publique devient le gouvernement.

82. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

La volonté dépend de l’intelligence : pour vouloir, il faut comprendre ; pas d’énergie sans connaissance. […] Sans doute, il ne fait pas de psychologie profonde ; il ne s’attache pas au travail intérieur qui fait ou défait une âme ; il n’essaie pas d’isoler et de peser tous les éléments qui se mêlent dans une volonté, dans un désir. […] La préoccupation principale de Stendhal, dans son œuvre littéraire, se rattache à ce goût de l’action et de la volonté. […] Les héros qu’il expose sont à l’ordinaire des natures énergiques, qui ont suivi leur volonté jusqu’au crime. […] Le réservoir des forces qu’emploie la volonté est dans la sensibilité : la volonté maîtrise et manie l’impulsion, mais, l’impulsion défaillant, la volonté n’a plus où s’exercer.

83. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Vieux, dans sa retraite, ayant eu l’occasion d’être présenté, à Genève, au Premier consul qui partait pour la campagne de Marengo, et de s’entretenir avec lui, il en rapporta surtout l’impression de cette force de volonté, de ce qui lui manquait à lui-même, et il écrivit cette note : Ce qui distingue éminemment le Premier consul, c’est la fermeté et la décision de son caractère ; c’est une superbe volonté qui saisit tout, règle tout, et qui s’étend ou s’arrête à propos. Cette volonté, telle que je la dépeins d’après un grand modèle, est la première qualité pour gouverner en chef un grand empire. On finit par considérer cette volonté comme un ordre de la nature, et toutes les oppositions cessent. […] Un biographe que je citais tout à l’heure, et qui avait beaucoup vécu dans sa société, disait : « Je ne crois pas l’avoir jamais laissé plus satisfait de mes éloges, qu’en l’assurant qu’une volonté très décidée me paraissait presque incompatible avec une grande étendue, une grande finesse, une grande supériorité d’esprit. » Nous avons à revenir, après être allés ainsi tout d’abord au centre de l’homme. […] Necker, en s’attaquant à Turgot « comme n’ayant que le désir et le soupçon de la grandeur sans en avoir la force », semblait se désigner assez distinctement en plus d’un endroit à titre de ministre bien préférable : « S’il y avait constamment à la tête de l’administration, disait-il, un homme dont le génie étendu parcourût toutes les circonstances ; dont l’esprit moelleux et flexible sût y conformer ses desseins et ses volontés ; qui, doué d’une âme ardente et d’une raison tranquille, etc. » Si l’on ne pense pas à soi en parlant ainsi et en décrivant si complaisamment celui qu’on appelle, il y a au moins manque de tact, puisqu’on fait croire à tout le monde qu’on y a pensé.

84. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Les idées, les sentiments et les volontés constituent le fond de l’art. — Nécessité des idées et de la science pour renouveler les sentiments mêmes. […] Le seul expérimentateur, en une certaine mesure, c’est le poète ou le romancier qui, lorsqu’il a le don de vie, nous fait voir et toucher des caractères se développant dans un milieu nouveau, qu’il varie à sa volonté. […] Ce fond vivant de l’art, qui doit toujours transparaître sous la forme, est fait d’abord d’idées, puis de sentiments et de volontés. […] Le sentiment ou, pour mieux dire la volonté, puisque tout sentiment est une volonté en germe. […] Les sentiments et les volontés, à leur tour, s’expriment dans les actes et dans tous les faits de la vie.

85. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Mais l’organisation intime, l’âme de M. de Lamartine, est trop encline par essence au spiritualisme, au Verbe incréé, au dogme chrétien, pour que même les négligences de volonté amènent chez lui autre chose que des éclipses passagères : dans M. […] Il n’y avait donc qu’une volonté de tous les instants qui pût le diriger et le maintenir dans la première route chrétienne où sa muse de dix-neuf ans s’était lancée. Or le poëte, qui possède cependant une vertu de volonté si efficace et qui en donne chaque jour des preuves assez manifestes dans le cours de son infatigable carrière, semble en être venu, soit indifférence pratique, soit conscience de l’infirmité humaine en ces matières, à ne plus appliquer cette volonté à la recherche ou à la défense de certaines solutions religieuses, à ne plus faire assaut avec ce rocher toujours instable et retombant.

86. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

À l’époque où furent faites les annexions, on n’avait l’idée ni des limites naturelles, ni du droit des nations, ni de la volonté des provinces. […] Il y a dans l’homme quelque chose de supérieur à la langue : c’est la volonté. La volonté de la Suisse d’être unie, malgré la variété de ces idiomes, est un fait bien plus important qu’une similitude souvent obtenue par des vexations. […] Si l’histoire l’avait voulu, la Loire, la Seine, la Meuse, l’Elbe, l’Oder auraient, autant que le Rhin, ce caractère de frontière naturelle qui a fait commettre tant d’infractions au droit fondamental, qui est la volonté des hommes.

87. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Nous avons déjà signalé le principe que nous croyons appelé à dominer la psychologie : ubiquité de la conscience et de la volonté sous des formes plus ou moins rudimentaires, mais qui enveloppent toutes un germe de discernement, un germe de bien-être ou de malaise, enfin un germe de préférence, par conséquent le processus fondamental dont l’idée-force est la forme la plus haute. […] Il ne faut pas confondre cette sensibilité permanente avec la conscience réfléchie ou avec la volonté intentionnelle. […] Au reste, si les centres de la moelle sont presque réduits chez l’homme à l’automatisme des actions réflexes, il n’en est plus de même à mesure qu’on descend l’échelle animale ; nous avons vu qu’alors les centres de la moelle manifestent non seulement une sensibilité rudimentaire, mais de la conscience et de la volonté, parfois même de l’intelligence. […] Les organes importants du système nerveux sont des concentrations de la vie sensitive et appétitive ; le cerveau n’est qu’une concentration encore plus puissante, où la sensation devient idée, l’appétition volonté, où la vie enfin prend conscience de soi.

88. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Par la vertu de cette illusion, les hommes ressemblent à des sujets hypnotisés qui, ayant reçu pendant leur sommeil une suggestion, créent pour l’accomplir, sitôt que l’heure est venue, les circonstances et le décor qui leur sont nécessaires, modifiant et travestissant s’il, le faut le monde extérieur, et suscitant aussi dans leur âme toute nue germination de motifs, afin d’enraciner l’acte dans les régions profondes de leur volonté, de lui imprimer le sceau de leur personnalité coutumière. […] À savoir qu’ils ne peuvent rien changer à la forme de leur volonté, aux modes de leur activité, à la fatalité de leurs passions, non plus qu’aux circonstances avec lesquelles leur personne doit en venir aux prises, la plupart des hommes seraient atteints de désespoir ou frappés de torpeur. […] Si l’on observe que le cycle des illusions qui aboutissent à favoriser le vœu du Génie de l’Espèce ont du même coup pour effet d’engendrer les êtres qui vont être les spectateurs du drame phénoménal, il apparaît que cet ensemble d’artifices, qui se traduisent chez l’homme par autant de conceptions bovaryques, tend à réaliser cette volonté unique d’un être qui se veut étreindre et posséder dans la connaissance de soi-même.

89. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

C’est, en dernière analyse, séparer une force de sa direction, une volonté de son image-but, une variété animale de son premier type, que de distinguer une armée de son général, une masse d’adhérents h une entreprise de celui qui la conçut, un peuple de ses chefs, une classe de ses membres énergiques. […] La gloire, le pouvoir, la richesse, le succès ne s’acquièrent en dernière analyse qu’en suscitant dans des âmes étrangères, des images, des enchaînements de pensées et de sentiments, qui, remplaçant ou doublant les états d’esprit appartenant en propre à ces êtres subjugués, donnent à leur volonté, à leurs muscles, à leur sensibilité, des impulsions qui sont utiles à leur maître. […] La mise en jeu fréquente de tout un groupe de sentiments par un spectacle fictif, par des idées irréelles, par des causes qui ne peuvent pousser ces sentiments jusqu’à fade ou à la volition, affaiblit très probablement, par la désuétude de cette transition, la tendance des émotions réelles à se transformer de la sorte ; et les sentiments esthétiques étant dénués, à proprement parler, de souffrance, étant agréables et pouvant être provoqués à volonté quand on a appris à en jouir, on ne désire plus en ressentir d’autres ; le rêve dispense de faction. […] Que l’on considère en outre que de plus en plus, à mesure que la civilisation s’affine à mesure que les hommes deviennent plus paisibles et plus vertueux, les actes absorbent une moindre partie de l’énergie, et ont derrière la nature brute de la volonté qu’ils expriment, un arrière-fonds plus ténébreux de pensées et d’émotions qu’ils sont impuissants à signifier. […] Même, en vertu de la substitution qui peut s’opérer entre une émotion réelle et une émotion esthétique, en vertu de l’affaiblissement de force active que cause chez un individu ou un peuple la prévalence des sentiments esthétiques, nous pourrons, par l’analyse, arriver à connaître et l’intensité et la nature de la volonté, dans un ensemble social possédant un art.

90. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Quel que soit le manque d’ordonnance de ses Reisebilder, c’est encore la seule œuvre prosaïque allemande qu’un Français puisse lire d’un bout à l’autre, sans avoir à user de sa volonté pour contraindre son attention. […] La sensibilité, au contraire, et sa proche dépendance, la volonté, furent sans doute profondément affectées. […] Que l’on réfléchisse que Heine n’était pas un philosophe chez qui domine la faculté raisonnante, mais un artiste nerveux, irritable et fantasque, qui avait passé sa vie à ciseler des souffrances à demi imaginaires dans de jolies chansons moitié mélancoliques, moitié railleuses, qu’à ce constant exercice de sa sensibilité, celle-ci s’était hypertrophiée et affinée, que sa volonté était plus vaniteuse que forte ; — Henri Heine, comme beaucoup d’autres, se mit à refaire en sens inverse l’évolution religieuse de sa vie. […] En roule, j’ai rencontré le Dieu des panthéistes, mais je n’ai su qu’en faire, ce pauvre être étant vague et tout mêlé au monde ; il y est emprisonné, et vous bâille au nez, sans volonté et sans pouvoir. […] Cette marche descendante, homologue à l’ascendante, a été constatée dans toutes les maladies mentales, celles de la parole, de la mémoire, de la volonté.

91. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Schopenhauer dit « Rien n’est plus foncièrement différent de la Négation de la volonté de vivre que le suicide. […] Si Wagner avait voulu exposer la théorie du monde de Schopenhauer, il aurait fallu qu’il fit ressortir avec évidence l’opposition entra la Volonté et la Représentation, et ensuite qu’il montrât la Volonté devenue consciente d’elle-même, répudiant la Représentation et entrant, par la Résignation, dans l’état de Sainteté. […] Or, il est positivement avéré que Wagner ne fit la connaissance de la philosophie de Schopenhauer qu’en hiver 1853-54, époque à laquelle le poète Herweghg lui apporta Le Monde comme Volonté et Représentation (Wolzogen, bayr. […] La tragédie entière tourne autour de la Volonté de Wotan, et Wotan, dans la scène culminante de l’évocation d’Erda, renonce à vouloir ; etc… Notons aussi, dans Jésus de Nazareth, cette phrase, « la négation de l’univers » (IV, 404) ; elle est de 1848-50. […] La lecture de ses textes est une véritable révélation pour le compositeur et principalement de son ouvrage le plus connu  : Le Monde comme volonté et représentation, publié en 1818 et remanié en 1844.

92. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

De même, Goethe pouvait évoquer à volonté l’image d’une fleur et lui faire subir devant son esprit une série de transformations ; là encore le volontaire se distinguait de l’involontaire. […] Telle est, selon nous, la classification primitive et fondamentale des idées selon leur relation à notre volonté. […] Ici encore, nous allons voir qu’on s’en tient trop au point de vue géométrique et statique, au lieu d’introduire le point de vue dynamique de l’activité motrice et de l’effort, de l’appétit et de la volonté. […] Enfin, une fois la coopération parfaitement établie dans la société de cellules, celles-ci fonctionnent d’elles-mêmes sans l’intervention de la volonté centrale : il n’y a plus mémoire consciente, mais instinct. […] Quant à l’habitude et à l’instinct, ils sont un automatisme façonné peu à peu par la sensibilité même, par l’intelligence, par la volonté, pour les suppléer et accomplir sans effort ou faire accomplir par d’autres le même travail qui avait exigé un effort propre.

93. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Ce qui est inconnu, ce qui n’est guidé par aucune volonté intelligente, porte la crainte au dernier degré. […] Ce ne sont point des personnages mythologiques, apportant leurs volontés supposées ou leur froide nature au milieu des intérêts des hommes ; c’est le merveilleux des rêves, lorsque les passions sont fortement agitées. […] Dans les monarchies absolues, les grands crimes politiques ne peuvent être commis que par la volonté des rois ; et ces crimes, il n’est pas permis de les représenter devant leurs successeurs45. […] Le rang des femmes, dans les tragédies, était donc absolument livré à la volonté de l’auteur : aussi Shakespeare, en parlant d’elles, se sert, tantôt de la plus noble langue que puisse inspirer l’amour, tantôt du mauvais goût le plus populaire.

94. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

De nombreuses observations étendues aux adultes, aux enfants, aux aliénés, aux diverses races humaines, il conclut que les modes d’expression sont les mêmes partout et qu’ils peuvent s’expliquer par trois principes fondamentaux : la loi d’association ou d’habitude ; le principe de l’antithèse ; l’action directe du système nerveux indépendamment de la volonté, — On peut se demander si Darwin a résolu la question capitale et dernière : pourquoi telle émotion agit sur tel muscle ou tel groupe de muscles plutôt que sur tel autre ; si les trois principes par lui posés sont réellement irréductibles ; si le troisième n’est pas en réalité le fondement des deux autres : l’ouvrage n’en a pas moins une grande valeur psychologique par tes résultats et par la méthode. […] Stuart Mill) y voient une forme de notre nature active, c’est-à-dire de notre volonté. […] La volonté a sa source dans l’activité soit de l’organisme, soit des instincts, appétits et passions. Sous sa forme adulte, la volonté est un pouvoir directeur, régulateur.

95. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

— Un grand homme fait par la nature, et non par la volonté ! […] Dieu n’a créé qu’une forme et qu’un moyen de volonté, c’est l’unité. La divergence des volontés, en effet, c’est l’immobilité ou l’anarchie. […] L’unité de volonté est nécessaire même dans la république. […] Le gouvernement parlementaire refuse de gouverner : la volonté nationale est paralysée par la nation elle-même.

96. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

A peu près ceci : que l’énergie et la volonté commençaient à travailler les êtres, que les natures saines et droites, parmi les simples et les cultivés, sentaient confusément que là où ils avaient cru voir la volonté divine, ne subsistait que le despotisme humain ; que la toute justice et la toute vérité s’étaient peu à peu corrompues entre les mains de ses dépositaires, qu’il n’y avait plus enfin dans cette Église triomphante, que pourriture et insincérité. […] En 1545, à l’instigation du cardinal de Tournon et contre la volonté de François Ier, trois mille « hérétiques » Vaudois, dans lesquels on voyait des alliés de la Réforme, furent massacrés. […] Vous nous dites que la Révocation, dont vous êtes contraints malgré vous de reconnaître les conséquences funestes pour la France, fut prononcée à rencontre des volontés de Bossuet. […] On comprend dès lors, qu’avec toute l’autorité de son rôle de directeur de conscience, Bossuet ait eu assez d’ascendant sur l’esprit du roi pour contraindre sa volonté hésitante à sévir contre les protestants. […] Aucun péril ne les rebuta, et ce qui les soutint dans la pire détresse, ce fut la volonté invincible d’échapper aux bourreaux de Louis XIV, et de vivre librement leur vie sur une terre de liberté.

97. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Il y a de la volonté dans la pensée, et il n’y en a pas dans le rêve. […] Le moi d’en bas, c’est l’âme ; le moi d’en haut, c’est Dieu134. » Hugo arrive à la même conclusion quand il critique la philosophie de la volonté : — « Une école métaphysique du Nord a cru, dit-il, faire une révolution dans l’entendement humain en remplaçant le mot Force par le mot Volonté. […] C’est qu’il en sortirait ceci : la plante veut, donc elle a un moi ; l’univers veut, donc il a un Dieu. » Quant à Hugo, au rebours de cette nouvelle école allemande, il ne rejette rien a priori, mais il lui semble qu’« une volonté dans la plante » doit faire « admettre une volonté dans l’univers135 ». […] Enfin, comme Aristote, Hugo identifie la beauté, l’harmonie éternelle des choses, avec une volonté élémentaire du bien répandue en tout. […] Si l’homme, voyant clair, roi de sa volonté, Avait la certitude, ayant la liberté ?

98. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Enfin pour Wundt, on s’en souvient, si la perception est l’entrée d’une représentation dans le champ visuel de la conscience, l’aperception est la mise au point de vision distincte, œuvre de la volonté, acte essentiel de la volonté. Selon nous, la volonté ne peut, par elle-même, donner naissance à aucune forme d’activité intellectuelle ; l’aperception intellectuelle ne peut donc être identique avec l’attention, comme il arrive dans la doctrine de Wundt.

99. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Il est presque impossible de dire à quelle époque a lieu la première apparition de la volonté. […] L’idée fixe a une cause analogue ; elle consiste en une tension excessive, et la volonté n’a pas de prise sur elle. […] La contemplation implique encore l’exercice de la volonté et le pouvoir de faire cesser la tension extrême de l’esprit. […] Pour les faits, nous renverrons le lecteur à nos Maladies de la volonté, p. 30 et suiv. […] Les Maladies de la volonté, ch. 

100. (1895) Hommes et livres

De là le « palais à volonté », la durée vague des tragédies de la décadence. […] La raison éclairée tout d’un coup a retourné tout d’un coup la volonté. […] C’est une volonté ; là est le trait saillant, caractéristique, de sa nature. […] Sa volonté n’est pas atteinte dans la chute de sa fortune. […] Dans ses négociations diplomatiques, il porte cette volonté âpre, inflexible.

101. (1888) La critique scientifique « Avant-propos »

Alexander Bain (1818-1903) : ce philosophe écossais, professeur à l’Université d’Aberdeen, logicien, auteur d’une Science de l’éducation (1879), a marqué l’histoire de la psychologie dite « scientifique » par deux ouvrages importants touchant à la « psychologie expérimentale » dégagée de la vieille théorie des facultés, Les Sens et l’Intelligence (1855), ainsi que Les Émotions et la Volonté (1859). […] Hennequin rendra compte en février 1885, dans La Revue contemporaine, de la parution de la traduction française des Émotions et la volonté, donnée chez Alcan par P.

102. (1899) Arabesques pp. 1-223

Désireux de me reconquérir, de me créer une volonté, je me mis au travail. […] Autour de moi, les pierres formidables, arides, pareilles à des léviathans immobilisés soudain par une volonté souveraine. […] mon fils, la volonté n’exprime qu’un poignant désir de perfection dont la vie se sert pour te duper. […] La volonté qui s’objective dans l’univers une fois niée, l’univers s’écroulera. […] Je fis de ma volonté de guérir, de vivre, ma philosophie.

103. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Il serait long de l’expliquer : mais j’ai déjà fait remarquer que toutes les doctrines qui ont demandé le plus à la volonté humaine ont posé en principe l’impuissance de la volonté ; elles ont ôté le libre arbitre et livré le monde à la fatalité. […] Ils mettaient la piété au-dessus de tout, mais ils s’efforçaient de former la volonté et le jugement, afin qu’on pût faire en ce monde tous les devoirs d’un état honnête. […] Mais il n’eut ni la volonté ni la puissance d’être un artiste : il fit œuvre de théologien, de philosophe, de logicien, jamais pour ainsi dire œuvre d’écrivain ; dans aucune de ses polémiques, il ne fit un de ces livres « absolus » qui dépassent l’occasion d’où ils naissent et lui survivent. […] Jacqueline, dès la mort de son père, a déclaré sa volonté d’entrer à Port-Royal. […] Mais désirer de croire n’est pas croire : on ne croit pas à volonté ; il faut la grâce.

104. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

parce que l’émotion s’accompagne de mouvements caractérisés, intenses et répandus dans tout l’organisme, puis dirigés et coordonnés par la volonté ; conséquemment l’émotion ouvre aux courants nerveux des voies nouvelles, profondes, qui s’étendent au loin et se relient à une grande quantité d’autres voies nerveuses. […] Tout est actuel dans le souvenir, aussi bien pour les faits d’intelligence ou de volonté que de sensibilité. […] Ajoutons que ces réactions centrales sont, en dernière analyse, des réactions de la conscience tout entière conçue comme activité générale et volonté ; or, que la volonté réagisse sous une cause externe ou sous une excitation interne, l’intensité de la réaction pourra varier, mais sa qualité demeurera toujours sensiblement identique, si on fait abstraction de toutes les sensations concomitantes et de tous les mouvements concomitants pour ne considérer que l’émotion en elle-même. […] Toutes les fois qu’il s’agit de mouvements de masse, lesquels sont facilement dessinés par l’imagination et effectués par la volonté, l’idée et l’émotion se suggèrent aisément. […] Ici encore, nous voyons les sentiments, et surtout ceux des jeunes années, résister mieux que les idées à l’influence destructive de la maladie, tant il est vrai que la sensibilité et la volonté sont le fond de la vie même et conséquemment de la mémoire.

105. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

La vanité, chez lui, entravait l’ambition ; la passion déconcertait les calculs de l’égoïsme ; l’intelligence faisait hésiter la volonté : il était irrésolu, inconstant ; il paraissait peu sûr à son parti, qui ne lui pardonnait point de le juger parfois, et de se juger lui-même en tant qu’il y coopérait, avec trop de clairvoyance. […] La nécessité de notre nature nous fait vicieux ; la nécessité de la fortune nous fait heureux ou malheureux ; ni notre volonté n’élude la nature, ni notre mérite ne gouverne la fortune. […] On l’a fait d’Église malgré lui, pour conserver dans la famille l’archevêché de Paris : dès qu’il a reconnu la nécessité d’être prêtre sans vocation, peut-être sans foi, il cesse de regimber ; sa volonté se fixe un but, le ministère ; pour y atteindre, il prêche le bon peuple de Paris, il répand les aumônes ; il est populaire. […] Il rentre en France, et sa volonté embrasse la seule vie qui pût conserver sa gloire. […] Retz est bien cornélien toute sa vie d’un bout à l’autre est une œuvre de volonté.

106. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

En effet, tantôt les écrivains reproduisent dans leurs œuvres cette vie intime, le jeu compliqué des sentiments qu’elle suscite et les conflits de volontés qu’elle amène ; tantôt, comme nous l’avons vu déjà, opposant leur idéal à la réalité, ils travaillent à changer dans le sens de leurs prédilections les traditions consacrées par l’usage ou l’organisation sanctionnée par le Code. […] Les poètes et les romanciers, dans la première moitié du xviie  siècle, ont proclamé sur tous les tons qu’un honnête homme doit être toujours amoureux, qu’il est l’esclave né des dames ; qu’il doit accepter, le sourire aux lèvres et la soumission au cœur, leurs volontés, leurs ; désirs, leurs caprices. […] Il n’a point jusqu’ici tyrannisé les âmes ; Mais l’empire inhumain qu’exercent vos beautés Force jusqu’aux esprits et jusqu’aux volontés. […] Bientôt Corneille, mêlant de plus en plus l’amour et la politique, outre encore les volontés tyranniques de ses héroïnes. […] Il ne songe pas à imposer ses goûts et sa volonté.

107. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

Après l’avoir tout d’abord énervé et tendu, elle amenait une torpeur hantée de songeries vagues ; elle annihilait ses desseins, brisait ses volontés, guidait un défilé de rêves qu’il subissait passivement, sans même essayer de s’y soustraire. » Après un repos de courte durée, la maladie reprend son cours, ramenant d’anciens accidents qu’une vie plus réglée, plus calme, avait lentement fait disparaître. […] « Le Horla, l’être fantastique, l’invisible puissance dont on subit d’abord le voisinage mystérieux, le Horla intangible mais réel, qui possède les âmes et abolit les volontés, tue le courage ; “ce rôdeur d’une race surnaturelle”, n’est-ce pas la folie qui rôde sans cesse autour du lettré, le guette, prête à fondre sur lui pour en faire sa chose, un dément qu’on enfermera vivant dans une cellule qui s’ouvre sur une tombe ?  […] Le déterminisme rigoureux des visions du Haschisch ne pouvait, en effet, sourire à cet amoureux de la volonté libre, de la volonté seule maîtresse, pour lui, de l’inspiration.

108. (1842) Essai sur Adolphe

Adolphe est las de lui-même et de sa puissance inoccupée ; il aspire à vouloir, à dominer, à parler pour être compris, à marcher pour être suivi, à aimer pour mettre à l’ombre de sa puissance une volonté moins forte que la sienne, et qui se confie en obéissant. S’il avait choisi de bonne heure une route simple et droite ; si, au lieu de promener sa rêverie sur le monde entier qu’il ne peut embrasser, il avait mesuré son regard à son bras ; s’il s’était dit chaque jour en s’éveillant : Voilà ce que je peux, voilà ce que je voudrai ; s’il avait marqué sa place au-dessous de Newton, de Condé ou de Saint-Preux ; s’il avait préféré délibérément la science, l’action ou l’amour ; s’il avait épié d’un œil vigilant le premier éveil de ses facultés, s’il avait démêlé nettement sa destinée, s’il avait marché d’un pas sûr et persévérant vers la paix sereine de l’intelligence, l’énergique ardeur de la volonté ou le bonheur aveugle et crédule, il ne serait pas vain, il ne dédaignerait pas. […] Mais comme il n’a pas mesuré sa volonté à sa puissance, comme il a tout désiré sans rien vouloir, il s’ennuie, il dédaigne, il ne prévoit pas. […] Mais le mensonge, d’abord si riche en métamorphoses, si habile à se déguiser, si fécond en ressources, devient de jour en jour plus maladroit et plus facile à surprendre : il n’est plus qu’une habitude, et se passe de volonté.

109. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Sa volonté dominait son intelligence et sa manière de sentir : « Pourquoi voulez-vous m’ôter mon calme ?  […] Quand on s’épanouit sans cesse pour tout voir et tout sentir à la fois, la volonté hésite et, pour ainsi dire, bégaie. […] Son intelligence, sa sensibilité, étaient comme une algèbre exacte et pressante dont sa volonté souveraine dénombrait à l’avance les éléments.

110. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Angelo, tyran de Padoue » (1835) »

La curiosité, l’intérêt, l’amusement, le rire, les larmes, l’observation perpétuelle de tout ce qui est nature, l’enveloppe merveilleuse du style, le drame doit avoir tout cela, sans quoi il ne serait pas le drame ; mais pour être complet, il faut qu’il ait aussi la volonté d’enseigner, en même temps qu’il a la volonté de plaire.

111. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Comment serait-il au pouvoir de la volonté de diriger notre disposition à cet égard ? […] La religion ouvre une longue carrière à l’espérance, et trace une route précise à la volonté, sous ces deux rapports elle soulage la pensée. […] J’ai donc dû, de toutes les manières, ne pas admettre la religion parmi les ressources qu’on trouve en soi, puisqu’elle est absolument indépendante de notre volonté, puisqu’elle nous soumet et à notre propre imagination, et à celle de tous ceux dont la sainte autorité est reconnue.

112. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

S’il vous est arrivé jamais de concevoir l’idée d’un enfantillage, d’une équipée, d’une folie, pure fantaisie de l’esprit inquiet et désœuvré, et de passer à l’exécution sans autre raison que l’idée conçue, sans entraînement, sans plaisir, mais fatalement, sans pouvoir résister ; — si vous avez repoussé parfois de toutes les forces de votre volonté une tentation vive, si vous en avez triomphé, et si vous avez succombé à l’instant précis où la tentation semblait s’évanouir de l’âme, où l’apaisement des désirs tumultueux se faisait, où la volonté, sans ennemi, désarmait ; — si vous avez cru, après une émotion vive, ou un acte important, être transformé, régénéré, naître à une vie nouvelle, et si vous vous êtes attristé bientôt de vous sentir le même et de continuer l’ancienne vie ; — si par un mouvement de générosité spontanée ou d’affection vous avez pardonné une offense, et si vous avez par orgueil persisté dans le pardon en vous efforçant de l’exercer comme une vengeance ; — si vous avez pu remarquer que les bonnes actions dont on vous louait n’avaient pas toujours de très louables motifs, que la médiocrité continue dans le bien est moins aisée que la perfection d’un moment, et qu’un grand sacrifice s’accomplit mieux par orgueil qu’un petit devoir par conscience, qu’il coûte moins de donner que de rendre, qu’on aime mieux ses obligés que ses bienfaiteurs, et ses protégés que ses protecteurs ; — si vous avez trouvé que dans toute amitié il y a celle qui aime et celle qui est aimée, et que la réciprocité parfaite est rare, que beaucoup d’amitiés ont de tout autres causes que l’amitié, et sont des ligues d’intérêts, de vanité, d’antipathie, de coquetterie ; que les ressemblances d’humeur facilitent la camaraderie, et les différences l’intimité ; — si vous avez senti qu’un grand désir n’est guère satisfait sans désenchantement, et que le plaisir possédé n’atteint jamais le plaisir rêvé ; — si vous avez parfois, dans les plus vives émotions, au milieu des plus sincères douleurs, senti le plaisir d’être un personnage et de soutenir tous les regards du public ; — si vous avez parfois brouillé votre existence pour la conformer à un rêve, si vous avez souffert d’avoir voulu jouer dans la réalité le personnage que vous désiriez être, si vous avez voulu dramatiser vos affections, et mettre dans la paisible égalité de votre cœur les agitations des livres, si vous avez agrandi votre geste, mouillé votre voix, concerté vos attitudes, débité des phrases livresques, faussé votre sentiment, votre volonté, vos actes par l’imitation d’un idéal étranger et déraisonnable ; — si enfin vous avez pu noter que vous étiez parfois content de vous, indulgent aux autres, affectueux, gai, ou rude, sévère, jaloux, colère, mélancolique, sans savoir pourquoi, sans autre cause que l’état du temps et la hauteur du baromètre ; — si tout cela, et que d’autres choses encore !

113. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

Instinct, raison, perception, conception, mémoire, imagination, sentiment, volonté, etc., etc., tout cela ne peut être que des groupes conventionnels de correspondances. […] Action réflexe à son plus bas degré, elle devient instinct ; et de là sortent d’une part les manifestations cognitives : mémoire, raison ; d’autre part les puissances affectives : sentiment, volonté. […] 1° Relativement vifs ; 2° A nié rieurs dans le temps (ou originaux) ; 3° Qualités non modifiables par la volonté ; 4° Ordre simultané non modifiable par la volonté ; 50 Ordre successif non modifiable par la volonté ; 6° Font partie d’un agrégat vif qui ne peut être rompu ; 7° Qui est complètement indépendant de l’agrégat faible ; 8° Et qui a ses lois qui dérivent de lui-même ; 9° Ont des antécédents qui peuvent être ou ne peuvent pas être indiqués ; 10° Appartiennent à un tout d’étendue inconnue. […] 1° Relativement faibles ; 2° Postérieurs dans le temps (ou copies) ; 3° Qualités modifiables par la volonté ; 4° Ordre simultané modifiable par la volonté ; 5° Ordre successif modifiable par la volonté ; 6° Font partie d’un agrégat faible qui peut être rompu ; 7° Qui est partiellement indépendant de l’agrégat vif ; 8° Et qui a ses lois en partie dérivées de l’autre et en partie particulières à lui-même ; 9° Leurs antécédents peuvent toujours être indiqués ; 10° Appartiennent à un tout restreint à ce que nous appelons mémoire   La différenciation complète du sujet et de l’objet aboutit à l’affirmation de l’existence objective. […] Là commence, à proprement parler, la vie consciente, qui est, d’une part, mémoire et raison, d’autre part sentiment et volonté.

114. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Mais on sa science des nuances morales, son habileté à minutieusement analyser la dépendance et le jeu des départements spirituels, atteint encore au plus liant, c’est dans le débat d’un des problèmes psychologiques les plus considérables de notre époque, celui dont la solution importe le plus à nos races débilitées par une culture intellectuelle trop rapide : l’atrophie graduelle de la volonté par le développement excessif de l’intelligence. […] La domination sur les intelligences vides est aussi peu durable qu’inutile. »« Il n’est ni habile, ni fripon », dit de lui plus loin un personnage du roman ; il ne fera jamais rien parce qu’il n’y a rien en lui, ni un sang énergique, ni une volonté puissante. […] Ce qui agite et accable Roudine, c’est cette atrophie particulière de la volonté, qui provient d’une intelligence trop exclusivement développée, trop nourrie d’idées purement abstraites et par là incapables de se transformer en mobiles d’action. […] L’atrophie fonctionnelle de la volonté nous est présentée avec tous ses symptômes habituels, la surabondance d’idées et de sentiments abstraits, la disposition que donne cette perpétuelle agitation à l’analyse intérieure et à l’ironie envers soi-même, l’incapacité finale de formuler un jugement arrêté ou de ressentir une émotion entraînante et la scission de l’âme en deux courants d’idées contraires, cette division intestine conduisant à la perception de deux moi irréconciliables, puis causant la mort de l’organisme qu’elle affecte. […] Il connaît tout le ridicule des plans forgés d’avance et sans cesse déroulés, toute la futilité des passions crues éternelles, la vanité des spéculations philosophiques, les vacillations des plus belles volontés.

115. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Ce que je relevai bien plus vivement encore, ce fut le mode, la surprise, employés pour réussir ; mais je protestai résolument que je n’accepterais jamais un tel acte, expressément contraire à la volonté du Pape, d’après mes instructions et mes pouvoirs. […] Je ne sacrifiais certainement pas mon honneur aux volontés de son maître, auprès duquel il ambitionnait de se faire bien venir. […] « La fureur de Napoléon, excitée par la résistance de Pie VII à ses desseins et à ses volontés, allait toujours croissant. […] « On sut ensuite qu’il ne s’était montré aussi gracieux que dans le but de séduire les cardinaux récalcitrants à sa volonté. […] Malgré ces réflexions, la volonté efficace de ne point faillir à nos devoirs et de ne rien tenter qui pût être réprouvé par la conscience prévalut dans nos âmes.

116. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Tous les hommes, antérieurement égaux et libres, renoncent également à leur liberté : ils soumettent tous leur volonté individuelle, antérieurement souveraine pour elle-même, à la volonté de tous, qui devient l’unique souverain. […] pour que la volonté de tous procure le bien de tous. […] Mais ils sont libres pourtant, car être libre, c’est être soumis à sa volonté propre ; or la volonté constante de l’homme civil, c’est que la volonté générale soit obéie de tous, et de lui-même. […] Par Dieu, présent en lui, source d’énergie morale, appui de la volonté, garant et témoin des engagements intérieurs. […] Dans une crise douloureuse de sa conscience, Julie se relève de sa faute, purifie son âme, et la crée à nouveau : elle sort de l’église, où on la mène malgré elle, avec une volonté prête à l’effort moral.

117. (1909) De la poésie scientifique

Ils ont senti intelligemment que la médiocrité et le manque de volontés de maints nouveaux poètes étaient tels, qu’on les pouvait manier et récompenser. […] J’ai su que cette volonté ne créerait point une Œuvre tout de suite en contact avec le grand nombre9. […] La Vie que ma volonté voulait exalter, elle devait être complexe, de sens universel. […] Pouvoir providentiel sur et dans la volonté au mieux des peuples consciemment et nécessairement assentants. […] Si moi, si d’autres demain qui s’avancent dans la même voie, nous en avons la volonté et l’énergie pensante, nous écrirons aussi des livres nouvellement sacrés, parmi les éclairs de plus en plus larges de la Science !

118. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

dans ma confiance en toi, le suprême vœu de mon cœur est que ta volonté soit faite. […] C’est la volonté inconnue et mystérieuse qui est au-dessus de nos volontés. […] La puissance fatale qui conduit l’homme et opprime sa volonté, elle n’est pas au ciel, elle est dans l’homme même. […] Si sa sensibilité est fatale, sa volonté n’est-elle pas libre ? […] Non, ce n’est point par sa volonté que l’homme est entré dans la société, et sa volonté ne suffit point à l’en faire sortir.

119. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Elle prit, d’un air dégagé, l’assurance et le commandement d’une volonté nette et tranchante. […] Ils ont eu à soutenir une lutte contre des volontés. […] Cet affaiblissement de la volonté, habituel objet de l’étude des frères de Goncourt, c’est vraiment la maladie du siècle. […] Ainsi s’expliquent tant d’abdications de la volonté qui se produisent en nous et autour de nous. […] Elle a été séparée de son amant par la volonté du père, et ne sait rien de lui, sinon qu’il est aux Indes.

120. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Car, ou bien la volonté renforce chaque aperception surgissante jusqu’à la pleine lumière et à la netteté, ou bien, si elle ne le peut pas, elle l’éteint complètement. […] L’attention a ainsi pour prémisse une volonté forte, et celle-ci, à son tour, est le propre d’un cerveau normalement construit et non fatigué. […] La conséquence de la faiblesse ou du manque de volonté est l’incapacité d’attention. […] Elles s’allument et s’éteignent automatiquement, et la volonté n’intervient pas pour les renforcer ou les supprimer. […] Un cerveau vigoureux qui élabore chaque aperception en pleine netteté, une volonté forte qui arrête l’attention si difficile à fixer, sont des dons rares.

121. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

L’instinct social vise à refréner l’instinct individuel en lui imposant les volontés de Dieu, les règles établies, en le leurrant par les satisfactions à longue échéance d’une autre vie. […] Le rôle de l’homme doué du génie de la volonté peut être immense, mais il suppose peut-être autant de souplesse que de force. […] L’origine même de la volonté dominatrice est peut-être souvent dans les besoins, dans les désirs inconscients ou non de la masse qu’elle va pétrir. […] Par cela seul que nous existons, notre volonté est déjà orientée, notre choix est fait, il n’y a plus qu’à en tirer les conséquences logiques, qui se trouvent ici des conséquences morales. […] Un ordre émané d’un homme qui est censé représenter les intérêts généraux, et l’intérêt même de celui qui doit obéir, ou qui est désigné comme l’interprète de la volonté divine, se fait mieux écouter.

122. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Le monde extérieur n’était pour nous qu’un objet intelligible : et quand notre intelligence trop faible encore ne s’y appliquait pas pour en tirer des concepts, notre volonté en faisait le champ de son action : nous ne voyions dans la nature que nous-mêmes, l’objet qu’elle présentait et l’obstacle qu’elle opposait à nos ambitions. […] L’amour contrarié souffre : c’est la révolte de la volonté, qui s’irrite de l’obstacle, plutôt que le cri de l’âme possédée et privée de son bien. […] Si on analyse le contenu de cette forme originale de l’amour dont les Provençaux ont enrichi la littérature, elle repose sur l’idée de la perfection conçue comme s’imposant à la fois à l’intelligence et à la volonté, devenant en en même temps que connaissance, et sur la préférence désintéressée qui fait que le moi subordonne son bien au bien de l’objet aimé, selon l’ordre des degrés de perfection qu’il découvre en soi et dans l’objet. […] Celui qui n’est pas fait à tout souffrir, et à faire la volonté de l’objet aimé, n’est pas digne du nom d’amant. » Il n’y a pas un de ces mots par où l’imitation peint l’amour de Dieu, qui ne réponde à une des lois de l’amour courtois : tant les deux amours ne sont qu’une même essence !

123. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Début d’un article sur l’histoire de César »

Début d’un article sur l’histoire de César Il y a deux sortes et comme deux races de Césars ; les Césars par nature et par génie, et les Césars par volonté. […] Faibles, indécis sur presque tous les points, indifférents même, ils n’ont qu’une volonté bien arrêtée, c’est d’être Césars.

124. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Une fille qui aime mieux son amant que son père (car c’est cela au fond), une fille dont la volonté est impuissante à étouffer la passion et qui reste sympathique par cela même, quel scandale ! […] Un instant, il nous montre la victoire d’un devoir incontestable (Horace), puis d’un devoir plus douteux (Polyeucte) sur la passion ; mais bientôt cela ne lui suffit plus : ce qu’il exalte, c’est le triomphe de la volonté toute seule, ou tout au plus de la volonté appliquée à quelque devoir extraordinaire, inquiétant, atroce, et dans la conception duquel se retrouvent, avec la naïve et excessive estime des « grandeurs de chair » (Pascal), les idées de l’Astrée et de la Clélie sur la femme et les doctrines du XVIe siècle sur la séparation de la morale politique et de l’autre morale. […] Non, mais un peu par politique et surtout par orgueil, pour jouir de sa volonté et parce que l’effort en est illustre aux yeux de l’univers : cela est dit vingt fois dans la pièce. […] Est-ce forcer les mots que de voir dans ce poète de la volonté toute pure quelque chose comme le Kant du théâtre tragique ? […] Le phénomène moral qui consiste à céder à sa passion tandis qu’on l’observe et qu’on sait où elle vous conduit, la conscience parfaite et minutieuse dans le mal, dans le consentement à la passion funeste, n’est point rare chez les hommes extrêmement civilisés, à une époque où la sensibilité est plus fine, l’intelligence plus aiguisée et la volonté moins vigoureuse.

125. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Tandis que la métaphysique, tandis que la religion, cette forme figurée et imaginative de la métaphysique, s’efforcent de réaliser dans la société humaine la communauté des idées directrices de l’intelligence, la liaison intellectuelle des hommes entre eux et avec le tout, la morale réalise l’union des volontés et, par cela même, la convergence des actions vers un même but. […] Mais l’union sociale à laquelle tendent la métaphysique, la morale, la science de l’éducation, n’est pas encore complète : elle n’est qu’une communauté d’idées ou de volontés ; il reste à établir la communauté même des sensations et des sentiments ; il faut, pour assurer la synergie sociale, produire la sympathie sociale : c’est le rôle du grand art, de l’art considéré au point de vue sociologique. […] Comme la métaphysique, comme la morale, l’art enlève donc l’individu à sa vie propre pour le faire vivre de la vie universelle, non plus seulement par la communion des idées et croyances, ou par la communion des volontés et actions, mais par la communion même des sensations et sentiments. […] Taine, nous donnent, selon Guyau, le spectacle de trois sociétés liées par une relation de dépendance mutuelle : 1° la société réelle préexistante, qui conditionne et en partie suscite le génie ; 2° la société idéalement modifiée que conçoit le génie même, le monde de volontés, de passions, d’intelligences qu’il crée dans son esprit et qui est une spéculation sur le possible ; 3° la formation consécutive d’une société nouvelle, celle des admirateurs du génie, qui, plus ou moins, réalisent en eux par imitation son innovation. […] Le vrai roman réunit donc en lui tout l’essentiel de la poésie et du drame, de la psychologie et de la science sociale ; c’est « de l’histoire condensée et systématisée, dans laquelle on a restreint au strict nécessaire la part des événements de hasard, aboutissant à stériliser la volonté humaine ; c’est de l’histoire humanisée en quelque sorte, où l’individu est transplanté dans un milieu plus favorable à l’essor de ses tendances intérieures.

126. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Marie Tudor » (1833) »

S’il y avait un homme aujourd’hui qui pût réaliser le drame comme nous le comprenons, ce drame, ce serait le cœur humain, la tête humaine, la passion humaine, la volonté humaine ; ce serait le passé ressuscité au profit du présent ; ce serait l’histoire que nos pères ont faite confrontée avec l’histoire que nous faisons ; ce serait le mélange sur la scène de tout ce qui est mêlé dans la vie ; ce serait une émeute là et une causerie d’amour ici, et dans la causerie d’amour une leçon pour le peuple, et dans l’émeute un cri pour le cœur ; ce serait le rire ; ce serait les larmes ; ce serait le bien, le mal, le haut, le bas, la fatalité, la providence, le génie, le hasard, la société, le monde, la nature, la vie ; et au-dessus de tout cela on sentirait planer quelque chose de grand ! […] Demain il quittera l’œuvre faite pour l’œuvre à faire ; il sortira de cette foule pour rentrer dans sa solitude ; solitude profonde, où ne parvient aucune mauvaise influence du monde extérieur, où la jeunesse, son amie, vient quelquefois lui serrer la main, où il est seul avec sa pensée, son indépendance et sa volonté.

127. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ils ne connaissaient d’autres époques historiques que celles de la vie de leurs mères, d’autre chronologie que celle de leurs vergers, et d’autre philosophie que de faire du bien à tout le monde et de se résigner à la volonté de Dieu… …………………………………………………………………………………………… Quelquefois, seul avec elle (Virginie), il (Paul) lui disait au retour de ses travaux : « Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse. […] On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d’obéissance à ses parents, de charité envers les pauvres ; en un mot, dans cette douce théologie que respire le poème de Bernardin de Saint-Pierre.

128. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

. —  Sa volonté obstinée. —  Sa patience au travail. —  Son bon sens méthodique. —  Ses agitations religieuses. —  Sa piété finale. […] Le mal comme le bien dans le caractère anglais, c’est la volonté trop forte1047. […] Il ne s’agit plus ici de raisonnement ; leur volonté devient machinale. […] L’indomptable volonté écrasante appesantit tous les jours sur elle sa masse qui croît. […] Une volonté égale1057.

129. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Dans l’univers il peut exister des animaux ayant des sensations toutes différentes des nôtres : ils ont sans doute, avec la même volonté de vivre, des formes de perception et de raisonnement analogues aux nôtres, mais la matière de leurs sensations, leur liste de sensations peut être toute différente. […] L’intensité, caractère essentiel de la force considérée au point de vue philosophique, est donc primitivement un caractère de l’activité appétitive, de la volonté (au sens le plus général de ce mot), et secondairement un caractère de la passion, de la sensation. […] Sous le mouvement se trouve non la logique de l’entendement, mais l’impulsion de la sensibilité et de la volonté : chercher le plaisir, fuir la douleur, vouloir, et pour cela mouvoir, telle est la seule logique de la vie, dont le mouvement est le signe extérieur et dont le raisonnement des logiciens n’est que la formule inanimée. Aussi Wundt lui-même, dans les dernières éditions de son livre, est-il arrivé à faire de la volonté le fond de l’existence mentale. […] Enfin, si les réactions motrices sont plus énergiques encore et plus émotionnelles, elles intéressent alors assez la volonté générale de l’être organisé pour provoquer des mouvements musculaires déterminés, avec le but, conscient ou inconscient, d’écarter ou de rapprocher l’organisme de l’objet senti.

130. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

L’adolescence est l’âge où la volonté, l’âge où le moi s’éveille ; c’est par cette volonté même qu’il faut la dompter. […] Le moment de l’éveil de sa volonté est un moment critique qu’il faut suivre avec attention. Il y a une éducation à faire à cette volonté naissante ; il faut surtout ne pas la choquer.

131. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Par conséquent, un ensemble de données esthétiques permettra de conclure à la présence d’une certaine organisation psychologique, c’est-à-dire, en dernière analyse, à une activité particulière, à une nature particulière des gros organes de l’esprit, des sens, de l’imagination, de l’idéation, de l’expression, de la volonté, etc. […] Enfin le fait même de la contention et de la pudeur qui lui fait s’imposer un style lapidaire, éviter les confessions, les apostrophes, les insistances, s’abstenir de se montrer ouvertement dans ses œuvres, est un indice significatif de sa volonté et de son humeur. […] La volonté, la mémoire, le sentiment, le langage, une perception, une image, une idée, un raisonnement, sont des termes possédant un sens précis, représentant des faits notoires. […] Il est ainsi l’auteur d’une série d’études de « psychologie pathologique », maintes fois republiées, qui ont fait date : Les Maladies de la mémoire (1881) ; Les Maladies de la volonté (1883) ; Les Maladies de la personnalité (1885).

132. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

L’homme n’a point d’instinct ; il a une liberté et une volonté. […] De ce que la société a été imposée à l’homme il résulte que l’homme qui veut se soustraire à la société devient rebelle à la volonté de Dieu, refuse une des conditions auxquelles il a reçu l’existence. […] Ajoutons ici que le gouvernement étant destiné, par la nature même de son institution, à réprimer les erreurs de la volonté d’un peuple, il est nécessaire qu’il soit primitivement imposé à ce peuple comme les autres nécessités sociales. […] Seulement il est certain, dès à présent, que si nous ne sommes plus sous la tutelle immédiate des traditions, nous sommes encore sous l’empire et l’influence de ce qui a été primitivement fondé par elles, tant est grande l’énergie de cette volonté toute-puissante qui n’a eu besoin que de s’exercer une fois pour que les choses existassent toujours.

133. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

… — un Titan de force qui aurait arrêté de son doigt l’écroulement des fautes de ses pères, s’il avait eu seulement une médiocre volonté. Malheureusement, cette fière fortune, cette magnifique gloire d’une volonté médiocre lui manqua. […] Cette impuissance effrayante de volonté, qui est le trait distinctif de Louis XVI, réduisit à néant toutes les forces qui composaient la sienne.

134. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

III Ainsi, de l’aveu même de l’auteur, forme petite et contractée, l’infini dans un point, la lumière arrêtée ou versée dans une goutte d’eau condensée, et pour Muse la Patience enflammée, pour Génie la rageuse Volonté, telles sont les caractéristiques de la poésie de M.  […] Soulary, des plus précieuses facultés poétiques et pour laquelle la Volonté et son effort ont remplacé, dans une époque de décadence littéraire, la naïveté grandiose de l’Inspiration ? […] deux mots abstraits, deux volontés sans loi !

135. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

Le dix-neuvième siècle finira par des découvertes encore mal formulées, mais aussi importantes peut-être dans le monde moral que celles de Newton ou de Laplace dans le monde sidéral : attraction des sensibilités et des volontés, solidarité des intelligences, pénétrabilité des consciences. […] Elle n’anime pas toutes choses uniquement pour satisfaire l’imagination et l’instinct sympathique de sociabilité universelle ; elle anime tout, 1° pour expliquer les grands phénomènes terribles ou sublimes de la nature, ou même la nature entière, 2° pour nous exciter à vouloir et à agir avec l’aide supposée d’êtres supérieurs et conformément à leurs volontés.

136. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

D’abord la coutume immémoriale, différente selon la province, selon le titre de la terre, selon la qualité et la condition de l’individu ; ensuite la volonté du roi qui a fait écrire et qui a sanctionné la coutume  Cette volonté elle-même, cette souveraineté du prince, ce premier des pouvoirs publics, qui l’autorise ? […] D’abord une tradition de dix-huit siècles, la série immense des témoignages antérieurs et concordants, la croyance continue des soixante générations précédentes ; ensuite, à l’origine, la présence et les instructions du Christ, puis, au-delà, dès l’origine du monde, le commandement et la parole de Dieu. — Ainsi, dans tout l’ordre social et moral, le passé justifie le présent ; l’antiquité sert de titre, et si, au-dessous de toutes ces assises consolidées par l’âge, on cherche dans les profondeurs souterraines le dernier roc primordial, on le trouve dans la volonté divine. — Pendant tout le dix-septième siècle, cette théorie subsiste encore au fond de toutes les âmes sous forme d’habitude fixe et de respect inné ; on ne la soumet pas à l’examen. […] Grâce à cette forme palpable, elle peut jeter son poids énorme dans la conscience, contrebalancer l’égoïsme naturel, enrayer l’impulsion folle des passions brutales, emporter la volonté vers l’abnégation et le dévouement, arracher l’homme à lui-même pour le mettre tout entier au service de la vérité ou au service d’autrui, faire des ascètes et des martyrs, des sœurs de charité et des missionnaires. […] Pour entrer dans la pratique, pour prendre le gouvernement des âmes, pour se transformer en un ressort d’action, il faut qu’elle se dépose dans les esprits à l’état de croyance faite, d’habitude prise, d’inclination établie, de tradition domestique, et que, des hauteurs agitées de l’intelligence, elle descende et s’incruste dans les bas-fonds immobiles de la volonté ; alors seulement elle fait partie du caractère et devient une force sociale. […] Comment des esprits aussi policés et aussi aimables auraient-ils pu épouser les sentiments d’un apôtre, d’un moine, d’un fondateur barbare ou féodal, les voir dans le milieu qui les explique et les justifie, se représenter la foule environnante, d’abord des âmes désolées, hantées par le rêve mystique, puis des cerveaux bruts et violents, livrés à l’instinct et aux images, qui pensaient par demi-visions, et qui pour volonté avaient des impulsions irrésistibles ?

137. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

L’invention dans l’activité. — La volonté et la création intellectuelle Peut-être éclaire-t-on un peu la nature de l’invention et celle de la volonté aussi en comparant ces deux faits. Le fonctionnement de l’intelligence est semblable à celui de la volonté, et la création intellectuelle est tout à fait l’analogue de l’acte volontaire. […] La volonté s’oppose à l’instinct comme l’invention à la routine intellectuelle. […] C’est tout de même un des mérites du criticisme contemporain d’avoir insisté sur ce qu’il entre de volonté dans l’adoption d’une croyance. […] On comprend aisément que les hommes très intelligents aient la volonté souvent impuissante et que des gens à volonté énergique ne fassent preuve que d’une intelligence très peu inventive.

138. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Il doit recevoir la vie d’un centre, et non essayer de constituer sa vie par le concours de cent mille volontés particulières. […] Des volontés ? […] C’est la volonté, obscure et diffuse dans le peuple, prenant conscience d’elle-même dans un homme. […] De là ces bornes et ces entraves à notre volonté souveraine. […] Il veut les hommes égaux pour qu’aucun n’impose sa volonté à un autre, mais non pas pour que tous imposent leur volonté à chacun ; car ceci encore serait une limite à la liberté individuelle, et la plus étroite, une oppression de la personne humaine, et la plus lourde.

139. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Or l’homme, en tant qu’homme, a deux parties constituantes, l’esprit et le cœur, ou si l’on veut, l’intelligence et la volonté. La sagesse doit développer en lui ces deux puissances à la fois, la seconde par la première, de sorte que l’intelligence étant éclairée par la connaissance des choses les plus sublimes, la volonté fasse choix des choses les meilleures.

140. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel. Mais les psychologistes, en même temps qu’ils scindent la vie à l’intérieur et qu’ils rompent la solidarité mystérieuse et sacrée de tous les organes, de toutes les fonctions au sein de l’homme, saisissent encore la vie au moment où elle s’élance au dehors en vertu de la volonté et du désir ; ils la frappent à la sortie, ils l’enchaînent au seuil, quand, armée de ses légitimes organes de relation, elle s’apprête à communiquer matériellement avec ses semblables ou avec la nature ; à parler, à agir, à être industrieuse, créatrice et féconde. Ils lui accordent bien d’entrer en rapport avec le non-moi par la pensée et l’intelligence ; d’en connaître et d’en réfléchir les lois, d’en posséder la science, quoique encore cela soit impossible, sans que l’activité matérielle s’en môle à un certain degré ; mais dès que le moi désire modifier activement, transformer, embellir ce monde extérieur, ils l’arrêtent, ils l’avertissent comme s’ils n’en avaient que fort précairement le droit et le pouvoir ; de même en effet qu’ils nient la continuité entre le moi et la vie dite de nutrition, de même aussi ils nient la continuité essentielle du moi avec la vie dite de relation ; entre la pensée et l’acte, entre la volonté et l’acte, il y a pour eux un abîme, de même qu’il y en avait un entre la sensation et la pensée.

141. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil. — I »

« Les gouvernements sont républicains, dit-il, en proportion seulement de leur aptitude à s’identifier avec la volonté du peuple et de leur fidélité à l’accomplir ; selon qu’ils admettent dans une plus ou moins grande proportion le contrôle et l’élection populaires… Le véritable principe du gouvernement républicain est de reconnaître à chaque citoyen l’égalité de droits en ce qui touche sa personne, sa propriété, et la disposition de l’une et de l’autre. Jugez, par l’application de cette règle, de toutes les parties de notre constitution, et voyez si elles sont dans une dépendance directe de la volonté du peuple… Que tout homme qui combat et qui paie exerce son droit de concourir à l’élection des membres de la législature par un égal et juste suffrage ; soumettez-les, à de courts intervalles, à la réélection ou à la réprobation de leurs commettants : que le magistrat exécutif soit choisi pour le même terme et de la même manière par ceux dont il doit être l’agent. » Or, c’est là que nous tendons évidemment : partout l’élection, partout le contrôle ! […] Galatin, également seul, luttait dans la Chambre des représentants ; si, avec l’autorité de son nom, de ses services passés, de sa parole exacte et judicieuse, il n’avait pas hâté le désabusement public et présenté une tête honorée aux suffrages des républicains longtemps épars, il est douteux que la volonté du peuple se fût dégagée et se fût fait jour : cette noble constitution, qui est comme l’honneur du monde, aurait succombé peut-être à l’incurable corruption qui s’y infiltrait dès sa naissance.

142. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Entendons-nous : il faut l’avoir vue, mais il n’est pas toujours bon de l’avoir sous les yeux, au moment d’écrire : la volonté de la peindre vous gênerait, vous verriez tout, rien ne se détacherait. […] Sentiments, idées, volontés, ce sont des abstractions. […] Le sentiment n’existe pas à côté de l’intelligence et de la volonté ; mais il donne en quelque sorte aux idées et aux actes leur couleur propre.

143. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Baudelaire, Œuvres posthumes et Correspondances inédites, précédées d’une étude biographique, par Eugène Crépet. »

Hélas l’œuvre posthume de Baudelaire se réduit presque à des titres de nouvelles et de romans, tels que : Le Marquis invisible, la Maîtresse de l’idiot, la Négresse aux yeux bleus, la Maîtresse Vierge, les Monstres, l’Autel de la volonté, le Portrait fatal… Evidemment ces titres lui semblaient très singuliers et très beaux. […] On raffine sur les sensations ; on en crée presque de nouvelles par l’attention et par la volonté ; on saisit des rapports subtils entre celles de la vue, celles de l’ouïe, celles de l’odorat (ces dernières surtout ont été recherchées de Baudelaire) ; on se délecte du monde matériel, et, en même temps, on le juge vain, — ou abominable  C’est encore, en amour, l’alliance du mépris et de l’adoration de la femme, et aussi de la volupté charnelle et du mysticisme. […] C’est le chef-d’œuvre de la Volonté (je mets, comme Baudelaire, une majuscule), le dernier mot de l’invention en fait de sentiments, le plus grand plaisir d’orgueil spirituel… Et l’on comprend qu’en ce temps d’industrie, de science positive et de démocratie, le baudelairisme ait dû naître, chez certaines âmes, du regret du passé et de l’exaspération nerveuse, fréquente chez les vieilles races… Maintenant il va sans dire que le baudelairisme est antérieur à Baudelaire.

144. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

D’une part, on est porté à supposer ces créations trop impersonnelles ; on attribue à une action collective ce qui souvent a été l’œuvre d’une volonté puissante et d’un esprit supérieur. […] Un état où l’on dit des choses dont on n’a pas conscience, où la pensée se produit sans que la volonté l’appelle et la règle, expose maintenant un homme à être séquestré comme halluciné. […] C’est par cet accès de volonté héroïque qu’il a conquis le ciel.

145. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Une société, étant un organisme doué d’une conscience collective et d’une volonté commune, ne peut subsister que par la solidarité et le consensus des individus, qui sont ses organes élémentaires. Cette solidarité s’exprime par l’esprit public, c’est-à-dire par une subordination des consciences particulières à une idée collective, des volontés individuelles à la volonté générale ; et c’est cette subordination qui constitue la moralité civique. […] De là résulte une rupture de l’équilibre intérieur, une modification de la volonté dans un sens nouveau. […] L’œuvre d’art est un centre d’attraction, tout comme la volonté active d’un génie supérieur. Si un Napoléon entraîne des volontés, un Corneille et un Victor Hugo n’en entraînent pas moins, quoique d’une autre manière.

146. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Si tel ressort l’emporte, il accélère ou fausse le mouvement des autres, et l’impression qu’il leur communique échappe au gouvernement de notre volonté, parce qu’elle est notre volonté même. […] Les uns avaient perdu la force et la volonté d’être libres ; les autres avaient gagné la force et la volonté d’être injustes. […] Y a-t-il encore en France des forces et des volontés ? […] Là-bas, à travers tous les accidents, la force des choses intronisait une volonté privée ; ici, à travers toutes les aventures, elle intronise la volonté publique. […] L’une affaiblit l’énergie des volontés, l’autre ôte aux volontés l’initiative.

147. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Maître François Rabelais, l’auteur, a quarante ans ou environ : c’est un de ces tard-instruits dont nous avons parlé ; et même il lui a fallu plus d’ardeur, plus de volonté qu’à personne pour étudier, puisqu’une erreur du sort l’avait fait moine, et moine mendiant. […] Il n’y a vraiment pour lui que deux modes d’existence : par la chair, et par l’esprit : d’un côté, la nutrition, et les séries multiples de phénomènes antécédents ou consécutifs ; de l’autre, la pensée, et la poursuite du vrai par la raison, du bien par la volonté. […] L’égoïsme qu’il lâche en liberté est à peu près inoffensif, parce qu’il s’offre dans sa simplicité primitive, tout proche de la naturelle volonté d’être, parce qu’il est soustrait aux malignes complications que la société y introduit, parce qu’en un mot il reste égoïsme, et ne devient pas ambition ni intérêt. […] il suffit qu’il crée des formes d’intenses volontés, qu’on les sente se déployer selon leur loi intime : si elles n’ont pas existé, si elles n’existent pas actuellement en tel degré et proportion, qui oserait dire qu’elles ne seront pas ?

148. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

La volonté, c’est-à-dire la composition. […] Deux ans dans la vie d’un homme sans volonté, sans prévoyance, c’est un monde pour l’oubli et les mauvais desseins. […] Aimer, savoir, qu’est-ce après tout sans la volonté ? […] Déjà il félicite sa volonté persévérante de la puissance qui vient de lui échoir. […] Il faut maintenant que l’évolution s’achève, il faut que la volonté divine dénoue le nœud qu’elle a noué.

149. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Mais que la volonté de Dieu se fasse ! […] Jamais je ne serais sorti de moi-même de mes éternelles irrésolutions ; mais Dieu m’avait préparé en ce pays le secours dont j’avais besoin ; sa Providence, par un enchaînement de grâces admirable, m’a conduit au terme où elle m’attendait ; pleine d’amour pour un enfant rebelle, pour le plus indigne des pécheurs, elle m’arrache à ma patrie, à ma famille, à mes amis, à ce fantôme de repos que je m’épuisais à poursuivre, et m’amène aux pieds de son ministre pour y confesser mes égarements et m’y déclarer ses volontés. […] en ce moment même, je ne le sens que trop, si ma volonté tout entière n’était pas entre les mains de mon père bien-aimé, si ses conseils ne me soutenaient pas, si je n’étais pas complètement résolu à obéir sans hésiter à ses ordres salutaires, oui, en ce moment même je retomberais dans mes premières incertitudes et dans l’abîme sans fond d’où sa main charitable m’a retiré. […] Cet excellent père consent à être mon guide ; il me permet de ne le point quitter… » On ne peut se dissimuler, en lisant ces lettres de La Mennais, que son absolue déférence et sa tendresse pour l’homme à qui il s’est donné ne soient pour beaucoup dans sa volonté suprême : « (Londres, 12 septembre 1815)… Il m’est impossible de peindre sa tendresse et ses bontés pour moi. […] En me décidant, ou plutôt en me laissant décider pour le parti qu’on m’a conseillé de prendre, je ne suis assurément ni ma volonté, ni mon inclination : je crois, au contraire, que rien au monde n’y saurait être plus opposé ; mais je m’attends dans l’avenir à bien d’autres contradictions.

150. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

À Athènes, à Rome, dans les villes dominatrices du monde civilisé, en parlant sur la place publique, on disposait des volontés d’un peuple et du sort de tous ; de nos jours, c’est par la lecture que les événements se préparent et que les jugements s’éclairent. […] Que pouvez-vous sur la volonté libre des hommes, si vous n’avez pas cette force, cette vérité de langage qui pénètre les âmes, et leur inspire ce qu’elle exprime ? […] Les passions seules attachent fortement à l’existence, par l’ardente volonté d’atteindre leur but ; mais cette vie consacrée aux plaisirs, amuse sans captiver ; elle prépare à l’ivresse, au sommeil, à la mort. […] À cet égard, leur esprit de corps a quelques rapports avec celui des prêtres ; il exclut de même le raisonnement, en admettant pour unique règle la volonté des supérieurs. […] La force se passe du temps, et brise la volonté ; mais par cela même elle ne peut rien fonder parmi les hommes.

151. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Les passions, cette force impulsive qui entraîne l’homme indépendamment de sa volonté, voilà le véritable obstacle au bonheur individuel et politique. […] Avant d’aller plus loin l’on demanderait, peut-être, une définition du bonheur ; le bonheur, tel qu’on le souhaite, est la réunion de tous les contraires, c’est pour les individus, l’espoir sans la crainte, l’activité sans l’inquiétude, la gloire sans la calomnie, l’amour sans l’inconstance, l’imagination qui embellirait à nos yeux ce qu’on possède, et flétrirait le souvenir de ce qu’on aurait perdu ; enfin, l’inverse de la nature morale, le bien de tous les états, de tous les talents, de tous les plaisirs, séparé du mal qui les accompagne ; le bonheur des nations serait aussi de concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies, l’émulation des talents et le silence des factions, l’esprit militaire au-dehors et le respect des lois au-dedans : le bonheur, tel que l’homme le conçoit, c’est ce qui est impossible en tout genre ; et le bonheur, tel qu’on peut l’obtenir, le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l’homme peuvent agir, ne s’acquiert que par l’étude de tous les moyens les plus sûrs pour éviter les grandes peines. […] Le philosophe veut rendre durable la volonté passagère de la réflexion ; l’art social tend à perpétuer l’action de la sagesse ; enfin ce qui est grand se retrouve dans ce qui est petit, avec la même exactitude de proportions : l’univers tout entier se peint dans chacune de ses parties, et plus il paraît l’œuvre d’une seule idée, plus il inspire d’admiration. […] Le premier volume est divisé en trois sections ; la première traite successivement de l’influence de chaque passion sur le bonheur de l’homme ; la seconde analyse le rapport de quelques affections de l’âme avec la passion ou avec la raison ; la troisième offre le tableau des ressources qu’on trouve en soi, de celles qui sont indépendantes du sort, et surtout de la volonté des autres hommes. […] On m’objectera, peut-être aussi, qu’en voulant dompter les passions, je cherche à étouffer le principe des plus belles actions des hommes, des découvertes sublimes, des sentiments généreux ; quoique je ne sois pas entièrement de cet avis, je conviens qu’il y a quelque chose de grand dans la passion ; qu’elle ajoute, pendant qu’elle dure, à l’ascendant de l’homme ; qu’il accomplit alors presque tout ce qu’il projette, tant la volonté ferme et suivie, est une force active dans l’ordre moral.

152. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Le respect de la pensée d’autrui, la tolérance mutuelle, la volonté de reconnaître à tous une égale liberté de conscience prit peu à peu dans l’estime générale, malgré la résistance des partisans attardés de l’orthodoxie forcée, la place si longtemps occupée par la conception chère aux Inquisiteurs. […] Sans être du parti des solitaires, il se développe dans la même atmosphère morale que les fortes vertus des hommes de Port-Royal, que les volontés robustes et les âmes austères de ces puritains catholiques. […] Mais le résultat n’est jamais une défaite pour la volonté sûre d’elle-même. […] Ainsi, pour peu qu’on suive dans sa marche ce qu’on a nommé de nos jours « le mal du siècle », cette espèce de petite vérole noire qui a sévi durant bon nombre d’années, on voit, pour ainsi dire, la contagion passer de certains écrivains fameux à leurs lecteurs ; on voit le suicide parfois, plus souvent l’aveulissement de la volonté dériver des œuvres pessimistes et déprimantes composées par les hommes de talent qui furent atteints de cette maladie. […] Il faut conseiller encore à ceux qui poursuivent une enquête de cette espèce de distinguer nettement deux catégories d’œuvres : celles qui avouent l’intention d’agir sur les lecteurs, spectateurs ou auditeurs ; celles qui agissent sans que les auteurs l’aient voulu et même contre leur volonté.

153. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Et puis parfaits dans les autres (car, n’est-ce pas, nous croyons à la communion des saints), ce qui veut dire prier pour eux, pour qu’ils sachent plier leurs consciences et leurs volontés à la volonté royale de Dieu. »‌ Voilà ses pensées premières, voilà d’où part cet enfant plein du génie religieux de sa maison familiale, et, jour par jour, durant sa courte année d’apprentissage à la vie, il s’occupe passionnément à recevoir la leçon des faits.‌ […] Quelle superbe volonté de se joindre éternellement aux meilleurs ! […] Est-ce beau, cette volonté qui domine ce cœur tendre, aimant la vie ?‌ […] Mais si mon sang est utile à notre victoire, mon Dieu, que votre volonté soit faite !‌

154. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Par ce trait d’union, alors, elles se rejoignent en une expérience unique, se déroulant dans une durée unique qui sera, à volonté, celle de l’une ou de l’autre des deux consciences. […] Quand nous assistons à un mouvement très rapide, comme celui d’une étoile filante, nous distinguons très nettement la ligne de feu, divisible à volonté, de l’indivisible mobilité qu’elle sous-tend : c’est cette mobilité qui est pure durée. […] J’appelle « simultanées » deux perceptions instantanées qui sont saisies dans un seul et même acte de l’esprit, l’attention pouvant ici encore en faire une ou deux, à volonté. […] Quand nous sommes assis au bord d’une rivière, l’écoulement de l’eau, le glissement d’un bateau ou le vol d’un oiseau, le murmure ininterrompu de notre vie profonde sont pour nous trois choses différentes ou une seule, à volonté. […] On estime que la dimension n’est pas un absolu, qu’il y a seulement des rapports entre dimensions, et que tout se passerait de même dans un univers rapetissé à volonté si les relations entre parties étaient conservées.

155. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

— Ceci n’est rien ; la fièvre du cerveau y est pire que celle de la volonté. […] Celle de la volonté d’abord. […] Ordinairement ces inclinations niveleuses accompagnent une volonté impérieuse. […] Il n’y a qu’un être parfait, la nature ; il n’y a qu’une idée parfaite, celle de la nature ; il n’y a qu’une vie parfaite, celle où la volonté de la nature devient notre volonté. […] De toutes parts l’action est barrée et la volonté brisée.

156. (1894) Critique de combat

Il y sonnait la diane des énergies viriles, le réveil des volontés. […] C’est Deslon qui définissait le magnétisme « l’action de la volonté sur la matière animée ». […] madame, les événements dépendent de bien d’autres causes que de notre pauvre volonté. […] Mais on a passablement négligé de reconstituer sa volonté malade. […] Payot prend un peu tard dans la vie l’éducation de la volonté ?

157. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Il se défie de ses forces, et il n’essaye pas de ramener, par une volonté violente, son esprit, emporté en d’autres régions. […] L’art de l’auteur est tellement voilé, que la prévoyance et la volonté ne semblent jamais intervenir dans l’invention et l’ordonnance des incidents. […] Il est heureux de la voir, heureux de l’entendre ; il met aux pieds de sa maîtresse toute sa vie, toute sa volonté. […] Elle a fait de lui un homme sans volonté, sans probité ; qu’elle dise un mot, et il voudra, il fera le bien, s’il peut lui plaire et la retenir sans affronter la honte. […] Hugo s’est proposé l’étonnement, comme terme suprême de la poésie, il a pleinement réussi, et les Orientales ont réalisé sa volonté.

158. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Ces excitants physiologiques sont au nombre de deux : la volonté et la sensibilité. La volonté ne peut exercer son influence sur tous les nerfs moteurs du corps ; les nerfs du cœur par exemple sont en dehors d’elle. […] On sait que par sa volonté l’homme peut arriver à dominer beaucoup d’actions réflexes dues à des sensations produites par des causes physiques. […] La volonté de l’animal persiste, mais il n’est plus libre de diriger ses mouvements. Malgré ses efforts de volonté, il va fatalement dans le sens que la lésion organique a déterminé.

159. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

Ainsi se forme cet état mental que nous appelons volonté et qui est en réalité « une somme de vibrationcules composées. » Si l’on chatouille la main d’un enfant, il réagit, sans pouvoir rien de plus, puis après un certain nombre d’essais infructueux, il devient maître de ses mouvements ; l’automatisme se transforme en volonté.

160. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

On ne peut considérer les membres mus indépendamment du moteur, la force dépensée indépendamment de la volonté qui la dépense pour un but. […] Spencer en ait donnée ; elle exprime essentiellement, elle aussi, un état de volonté. […] La grâce est l’expression visible de ces deux états : la volonté satisfaite et la volonté portée à satisfaire autrui. […] — Elle sera faite, elle aussi, de force, d’harmonie et de grâce, c’est-à-dire qu’elle révélera une volonté en harmonie avec son milieu et avec les autres volontés. […] En général, les sentiments énergiques, la volonté tenace, violente même, ont toujours quelque chose de bon et de beau, même quand leur objet est mauvais et laid.

161. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Les affaires se tiennent par des liaisons qui les mettent dans une dépendance nécessaire les unes des autres, et ce n’est que par la combinaison de toutes les parties qu’on doit se décider sur ce qu’il est le plus avantageux de faire pour chacune d’elles en particulier. » Le maréchal de Noailles est âgé de soixante-quatre ans à cette date ; il représente une longue expérience acquise, il est un des rares demeurants du dernier règne ; il peut dire au roi avec autorité sur presque chaque sujet : « Le feu roi, votre auguste bisaïeul, pensait… le feu roi, votre auguste bisaïeul, disait… » Il s’offre pour ce genre de conseil avec un dévouement passionné, qui n’est pas sans dignité jusque dans son expansion : « Jusqu’à ce qu’il plaise à Votre Majesté de me faire connaître ses intentions et sa volonté, me bornant uniquement à ce qui regarde la frontière dont elle m’a donné le commandement, je parlerai avec franchise et liberté sur l’objet qui est confié à mes soins, et je me tairai sur tout le reste, toujours prêt, cependant, à vous exposer, Sire, lorsque vous le voudrez, etc., etc. […] Il s’agissait de montrer à l’Europe, dans la guerre inégale où l’on s’était engagé sur le pied d’auxiliaires et sans volonté ni plan arrêté au début, que la France avait décidément un roi, et de porter Louis XV à faire comme ses glorieux et redoutés prédécesseurs, à paraître à la tête de ses armées. […] Rousset, c’est qu’on y sent l’esprit mou, la volonté molle, à la mollesse même de la phrase ; le relâchement et l’indécision sont dans la parole comme dans la pensée ; le sens y flotte ; on y passe du pour au contre en un instant. […] si tout le monde était comme vous et moi, et le bon Dieu surtout, cela irait bien ; la volonté est très grande, mais les moments sont bien critiques… » Ce n’est là certes ni la langue de Louis XIV ni celle de Henri IV, ni leurs sentiments non plus.

162. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Ce n’est pas tout : le Cid pose cette loi, que le héros tragique fait sa destinée par les déterminations de sa volonté : il ne reçoit pas l’impulsion du dehors ; le hasard et l’accident sont exclus (en principe) de l’intrigue tragique. […] Et le développement de cette action, la suspension pathétique du dénouement vient de ce que chacun des deux amants trouve en lui-même un sentiment qui l’oblige à défaire ou retarder son bonheur, et de ce que chacun d’eux trouve aussi dans l’autre un sentiment qui s’oppose à sa volonté : chez tous les deux, la piété filiale combat l’amour ; et le devoir parle à Rodrigue quand Chimène n’a encore qu’à suivre son amour, à Chimène quand Rodrigue peut de nouveau écouter son amour. […] La lutte des passions et des volontés, dans une âme agitée, ou dans plusieurs âmes opposées, voilà ce que le Cid pose comme l’essence de la tragédie. […] Car si cette dévotion de l’amour et cette exaltation de l’honneur sont réellement espagnoles, elles ne le sont pas pourtant exclusivement ; et c’est vraiment en tout pays qu’on peut voir deux volontés, éprises d’amour, éprises aussi d’honneur, subordonner l’amour à l’honneur par respect pour cet amour même, et se rendre dignes du bonheur en le refusant.

163. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

tu peux ne faire qu’une volonté de toutes les volontés ? […] C’est le doux Emmanuel Kant, que Henri Heine appelait suavement un second Robespierre ; c’est Fichte, qui abolissait le monde dans la volonté ; c’est Hégel, qui l’abolit dans la logique. […] Aujourd’hui, ces velléités sont devenues, dans le gouvernement de Saint-Pétersbourg, des volontés arrêtées et traduites en faits positifs.

164. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

. — Les fleuves ne remontent pas vers leur source ; les événements accomplis ne rentrent pas dans le néant. » Il disait à la Sorbonne : « A mesure que la réflexion retire la causalité que l’ignorance avait répandue sur les objets, les volontés locales, exilées du monde matériel, sont successivement rassemblées et concentrées par la raison en une volonté unique, source commune de toutes les volontés contingentes, cause première et nécessaire que la pensée de l’homme affirme sans la connaître, et dont elle égale le pouvoir à l’étendue, à la magnificence, à l’harmonie des effets qu’elle produit sous nos yeux. » Il invente des expressions superbes, qu’on n’oublie plus, images puissantes qui condensent sous un jet de lumière de longues suites d’abstractions obscures. […] Telle est sa dernière force ; comptons-les toutes : le style simple et lucide qui met la science à la portée des ignorants ; la précision du langage qui imprime des convictions nettes ; la vigueur du raisonnement qui asseoit des convictions fortes ; les métaphores grandioses qui éclairent et dominent l’imagination ; la volonté impérieuse qui asservit les esprits indécis ; la verve féconde qui séduit les esprits grondeurs.

165. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Nous en aurons un plus triste en jugeant l’histoire de la volonté ou pouvoir personnel. […] Bien plus et bien pis, voilà que la volonté en nous devient la personne, le moi lui-même, être et principe distinct, lequel est à nos facultés ce que Dieu est à l’univers, et ce que l’ouvrier est à la montre. […] L’histoire de la volonté est l’histoire de l’idée abstraite du plus grand bien. Pour la faire d’une manière utile, il faudrait chercher les causes qui fortifient cette idée, par exemple gueil (Anglais), le manque d’imagination (Hollandais), l’habitude du péril (Sauvages), la réflexion habituelle et intense, la vie solitaire, etc ; la volonté n’est qu’un effet.

166. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

L’astronome s’ajoute au philosophe ; le législateur est l’exécuteur des volontés du poëte ; le libérateur armé prête main-forte au libérateur pensant ; le poëte corrobore l’homme d’état. […] L’apostolat, étant un acte de volonté, touche d’un côté à la liberté, et, de l’autre, étant une mission, touche par la prédestination à la fatalité. […] qui les approvisionne de force, de patience, de fécondation, de volonté, de colère ?

167. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Il faudrait savoir et se donner et se doubler en quelque sorte, élever son cœur en même temps qu’anéantir sa volonté propre, comprendre d’un seul coup d’œil toutes les destinées futures qui intervertissent l’ordre antérieur et s’y résigner en grandissant. […] Capitaine de frégate, ayant ordre, en 1805, d’appareiller avec la Pomone et deux bricks pour se rendre dans les eaux d’Alger et y réclamer du Dey 250 Génois pris par les corsaires algériens et jetés dans les fers, il montra une énergie, une volonté devant laquelle la puissance barbaresque dut plier.

168. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

L’occupation où l’on est de son ressentiment, l’effort qu’on fait sur soi pour le combattre remplit la pensée de diverses manières ; après s’être vengé, l’on reste seul avec sa douleur, sans autre idée que la souffrance ; vous rendez à votre ennemi, par votre vengeance, une espèce d’égalité avec vous ; vous le sortez de dessous le poids de votre mépris, vous vous sentez rapprochés par l’action même de punir ; si l’effort que vous tenteriez pour vous venger était inutile, votre ennemi aurait sur vous l’avantage qu’on prend toujours sur les volontés impuissantes, quelle qu’en soit la nature et l’objet : tous les genres d’égarement sont excusables dans les véritables douleurs ; mais ce qui démontre cependant combien la vengeance tient à des mouvements condamnables, c’est qu’il est beaucoup plus rare de se venger par sensibilité, que par esprit de parti ou par amour propre. […] On dit qu’il faut contraindre, humilier, punir, et l’on sait néanmoins que de pareils moyens ne produiraient dans notre âme qu’une exaspération irréparable ; on voit ses ennemis comme une chose physique qu’on peut abattre, et soi-même, comme un être moral que sa propre volonté seule doit diriger.

169. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Choses d’autrefois »

Ce couvent est une sorte d’« École des Cadettes », une école de vie élégante, d’orgueil, de volonté — et de sacrifice. […] L’éducation n’y développe plus la volonté ni l’énergie morale.

170. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

sinon que, tout ce que nous gagnons sur la volonté de vivre, nous le gagnons sur l’instinct et sur l’égoïsme ? […] La volonté, en effet, a plus de part qu’on ne le veut bien dire aux révolutions littéraires. […] C’est par un acte de volonté qu’entre 1820 et 1840, les Hugo et les Sainte-Beuve ont accompli la révolution romantique. […] Mais j’ose bien affirmer que rien de tout cela n’aura lieu si la volonté ne s’en mêle. […] Tandis que dans le roman il ne dépend que du romancier de diminuer au profit des circonstances la part de la volonté ; au théâtre, au contraire, c’est la part de la volonté qu’il faut que l’on fasse toujours plus grande que celle des circonstances.

171. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Il faut brusquer les choses, et, par un acte de volonté, pousser l’intelligence hors de chez elle. […] Mais, en même temps, nous sentons se tendre, jusqu’à sa limite extrême, le ressort de notre volonté. […] Sans doute, pour que toutes ces petites volontés constituassent un « ordre voulu », il faudrait qu’elles eussent accepté la direction d’une volonté supérieure. Mais, en y regardant de près, on verra que c’est bien ce qu’elles font : notre volonté est là, qui s’objective elle-même tour à tour dans chacune de ces volontés capricieuses, qui prend bien garde à ne pas lier le même au même, à ne pas laisser l’effet proportionnel à la cause, enfin qui fait planer sur l’ensemble des volitions élémentaires une intention simple. […] Notre volonté fait déjà ce miracle.

172. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Or la liaison constante des deux termes n’a été vérifiée expérimentalement que dans un nombre très restreint de cas, et pour des faits qui, de l’aveu de tous, sont à peu près indépendants de la volonté. […] Les déterministes s’empareront de cet argument : il prouve en effet que nous subissons parfois d’une manière irrésistible l’influence d’une volonté étrangère. […] L’intervention brusque de la volonté est comme un coup d’état dont notre intelligence aurait le pressentiment, et qu’elle légitime à l’avance par une délibération régulière. Il est vrai qu’on pourrait se demander si la volonté, même lorsqu’elle veut pour vouloir, n’obéit pas à quelque raison décisive, et si vouloir pour vouloir serait vouloir librement. […] Ici encore tout essai de reconstitution d’un acte émanant de la volonté même vous conduit à la constatation pure et simple du fait accompli.

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