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411. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Sifflé un vieux paquet de ficelles dont le portrait de mon père, les gants de ma fille, le domino de madame, le mari qui manque le train, sont les bouts les moins roussis et les moins usés ! […] Nous savons chiffonner d’une main osseuse la guimpe des vieilles Muses, et nous accrocher, quand nous voulons rire, à la queue des sourds satyres, amoureux de la joie et de la folie. […] si nous avions pu écrire une seconde pièce d’amour, celle-là, je vous en réponds, eût été balayée de tout jargon romantique ou livresque, et l’on n’y eût pas rencontré une phrase comme celle-ci : « Vous étiez dans mes rêves comme il y a du bleu dans le ciel », une phrase pas mal rédigée tout de même, mais appartenant au vieux jeu. […] Elle donne au public la note du scepticisme blagueur du vieux, et de l’appassionnement un peu ingénu de l’adolescent. […] Mais le matin de la lecture, sur l’annonce des journaux, nous recevions la visite d’une personne qui nous apprenait l’existence d’une marquise de la Rochedragon, d’une vieille femme qui souffrait de l’idée de se voir affichée, imprimée.

412. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

c’est un grand trou dans son cœur et sa société, que cette mort, cette disparition de sa vieille giraille. […] Elle avait une vieille bonne, à laquelle elle est très attachée, et dont j’ai fait la Guénégaud. Cette vieille bonne tombe malade chez sa maîtresse, très gravement malade, et une nuit, on vient réveiller la tragédienne, et lui apprendre que la malade agonise. […] Dans un voyage, à la suite de l’Empereur, je crois, à Cherbourg, il allait voir Saint-Malo, en compagnie d’un vieux vaudevilliste. […] Le vieux vaudevilliste, très paillard de sa nature, la décidait à venir lui ôter ses chaussettes, le soir, dans sa chambre… La charmante fille était cousue dans un sac.

413. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « V » pp. 19-21

Les vieux peuples, comme les vieilles gens, sont tentés de revenir à leurs patenôtres et de n’en plus sortir.

414. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « IX » pp. 33-36

Nos vieux académiciens qui n’ont plus de mémoire ne se doutent pas de cela, et en applaudissant le jeune auteur, ils se donnent une demi-paire de gants romantiques. […] Nos jeunes académiciens qui vont applaudir Lucrèce ne se doutent pas plus de cela que les vieux, tant il y a d’ignorance chez nos lettrés officiels sur notre poésie contemporaine : à part Lamartine et quelque chose de Hugo, ils n’ont rien lu.

415. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

Voltaire lui-même ne se défend pas d’avoir cherché son succès dans la puissance de ce charme, puisqu’il écrit, en parlant de Zaïre : « Je tâcherai de jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne semble avoir de plus pathétique et de plus intéressant 17. » Un antique Croisé, chargé de malheur et de gloire, le vieux Lusignan, resté fidèle à sa religion au fond des cachots, supplie une jeune fille amoureuse d’écouter la voix du Dieu de ses pères : scène merveilleuse, dont le ressort gît tout entier dans la morale évangélique et dans les sentiments chrétiens : Mon Dieu ! […] La cause d’un père et celle d’un Dieu se confondent ; les vieux ans de Lusignan, les tourments des martyrs, deviennent une partie même de l’autorité de la religion : la Montagne et le Tombeau crient ; ici tout est tragique : les lieux, l’homme et la Divinité.

416. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre IV. Effet pittoresque des ruines. — Ruines de Palmyre, d’Égypte, etc. »

Dans les pays chauds, peu favorables aux herbes et aux mousses, elles sont privées de ces graminées qui décorent nos châteaux gothiques et nos vieilles tours ; mais aussi de plus grands végétaux se marient aux plus grandes formes de leur architecture. […] Les colonnes du vieux style égyptien s’élèvent auprès de la colonne corinthienne ; un morceau d’ordre toscan s’unit à une tour arabe, un monument du peuple pasteur à un monument des Romains.

417. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

La vieille gisait, haletante, cherchant à écarter les mouches logées au creux de ses larmiers. […] Il avait une grosse figure drôlement sentimentale, et il chantonnait de vieux airs assis à sa table de café. […] Je me souviens d’un que j’entendis chanter, d’une extraordinaire voix nasillarde, à Tunis, en haut de la vieille ville. […] Sera-t-il exalté à cause des paroles d’Hamlet : « Vieille taupe !  […] C’était l’occasion de tirer une épreuve du Dagobert des vieilles chroniques.

418. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Aujourd’hui même, un poète est mal vu dans le monde quand il n’a pas au moins une vieille tante à pleurer. […] Comme tout est changé, vieux maître ! […] N’est-ce pas qu’elle était d’un aspect agréable et qu’elle semble toute jeune, quoique si vieille déjà ? […] Elle viendra s’asseoir sur un vieux banc de pierre. […] Dans Béthanie, alors, partout, jeunes et vieux.

419. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

On n’a peut-être pas assez rendu justice à son bon sens, à ses vues, à ses recherches ; sa vieille couleur du moins a parlé de loin et a souri ; il a été respecté de ceux qui savent peindre, de M.  […] On raconte que M. de Grancey, gouverneur d’Argentan, voulant faire démolir une vieille tour ou beffroi qui renfermait l’horloge de la ville, l’échevin d’Houay résista au nom des bourgeois ; et, comme le gouverneur, étonné du feu qu’il y mettait, lui demandait : Qui êtes-vous ? […] Ce n’est pas en des temps de Fronde qu’il eût appris à les concevoir, et c’est pour avoir, en ses jeunes années, en sa saison de verve et d’entreprise, vu réunies entre les mains de Richelieu les pièces merveilleuses de cet assemblage, c’est pour lui avoir vu reconquérir ce Roussillon aliéné depuis un siècle et demi, et lui avoir vu refaire en tous sens une France, qu’il a su mêler lui-même à son Histoire cet esprit français étendu, cette intelligence d’ensemble qui y subsiste à travers les remarques plus ou moins libres et les réflexions conformes à notre vieux génie populaire. […] Mézeray est modeste sur les erreurs ; il reconnaît qu’il a dû en commettre beaucoup : « Et vraiment il n’est pas au pouvoir d’un homme mortel de faire une course de douze siècles sans broncher. » De son style il déclare qu’il ne dira rien ; mais on voit qu’il y tient et qu’à ce début il l’a soigné : « C’est à vous, dit-il aux lecteurs désintéressés, à prononcer si j’ai écrit d’une belle manière, si j’ai découvert quelques lumières qui n’eussent pas encore été démontrées ; là où j’ai touché au but, et là où je m’en suis éloigné. » Il nous rappelle ce que nous ne devons jamais oublier quand nous nous reportons à la première époque où parurent ces ouvrages une fois en vogue, et dès longtemps vieillis : c’est que, si la matière était déjà vieille alors et semblait telle, la forme qu’il lui donnait à son heure la rendait toute nouvelle. […] Frantin, dans une lettre qu’il m’a fait l’honneur de m’adresser depuis le présent article, réitère avec précision son jugement sur Mézeray dans les termes suivants : Il est vrai que, parmi tant de réputations à peu près éteintes qu’on a relevées de nos jours, je me suis étonné que l’on n’eût point encore pensé au vieux Mézeray.

420. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Entré dans l’arène vers le temps où le vieux Montluc en sortait, et de cinquante ans plus jeune, il offre dans les rangs calvinistes, et aussi dans la série des écrivains militaires, une sorte de contrepartie de ce chef catholique vaillant et cruel. […] Qui n’a vu, au temps de notre jeunesse, quelque vieux Vendéen ou soldat de l’armée de Condé, mécontent, chagrin, satirique, irrité contre Louis XVIII de ce qu’il avait trop donné du côté de la philosophie ou de la Révolution, et qui, dès que le roi fut mort, le pleura ? […] L’amiral de Coligny, retiré à Châtillon-sur-Loing avec ses frères et autres principaux du parti, hésitait encore : ce vieux capitaine trouvait le passage de ce Rubicon si dangereux qu’il avait résisté un soir par deux fois à toutes les raisons que lui avaient apportées les siens de s’émouvoir et de tirer l’épée, quand il arriva, nous dit d’Aubigné, ce que je veux donner à la postérité non comme un intermède de fables, bienséantes aux poètes seulement, mais comme une histoire que j’ai apprise de ceux qui étaient de la partie. […] Un jour que d’Aubigné à Lyon, en 1574, rencontre le vieux baron, qui alors avait changé de parti, il prend sur lui de lui adresser trois questions : 1º pourquoi il avait usé d’une cruauté si peu convenable à sa grande valeur ? […] D’Aubigné voyait dans ce dévouement et cette vaillance une preuve du bon droit : « Il arrive peu souvent, pensait-il, que l’injustice ait les meilleures épées de son côté, parce que c’est la conscience qui émeut la noblesse et la porte aux extraordinaires dépenses, labeurs et hasards. » D’Aubigné, si on l’avait pressé, eût peut-être été dans l’embarras de fixer ce beau temps où l’épée de la noblesse était toujours pour le parti le plus juste ; dans les souvenirs de la fin de sa vie, il confond involontairement ce temps idéal avec celui de sa jeunesse, le bel âge pour tous : quand il devint vieux, il ne fut pas des derniers à crier à la décadence.

421. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Nous sommes obligés de connaître Rome, comme des petits-fils de connaître leur vieille mère. » Il montrait que ce n’est pas tant à l’Université qu’il faut s’en prendre des maladies morales de la jeunesse qu’aux familles elles-mêmes, à l’esprit public et à l’air vicié du dehors, à la littérature enfin ; et faisant allusion à la grande plaie, selon lui régnante, au roman, il appelait de ses vœux un roman pareil à Don Quichotte, c’est-à-dire qui mît à la raison tous les mauvais romans du jour ou de la veille, et en sens inverse de Don Quichotte ; car, en ce temps-là, c’était la chevalerie, avec sa fausse exaltation idéale, qui était la maladie à la mode, et du nôtre c’est le contraire : « c’est le goût du bien-être personnel, c’est l’amour des jouissances positives, c’est l’égoïsme, c’est Sancho, en un mot, et non pas Don Quichotte. […] Dans le second discours, prononcé à Louis-le-Grand, s’inquiétant moins des attaques du dehors, il disait agréablement et en famille bien des vérités à la jeunesse : non pas qu’il fut décidé à louer le passé en tout aux dépens du présent : « Cette élégie sur la décadence perpétuelle du genre humain est d’ancienne date, disait-il ; elle a probablement précédé l’Iliade, et j’affirmerais volontiers que l’aïeul de Nestor lui a reproché plus d’une fois de n’être, en comparaison du vieux temps, qu’un parfait mauvais sujet. » Mais, tout en se gardant des banalités du lieu commun, il opposait, dans un parallèle ingénieux, l’éducation sévère ef terrible d’autrefois à celle d’aujourd’hui, si molle et si propre à faire de petits sybarites ; l’élève choyé de Louis-le-Grand était mis en présence de l’écolier si souvent fouetté et si affamé de Montaigu : « Et cependant, dans ces séjours terrifiés, on voyait accourir en foule une jeunesse prête à tout souffrir, la faim, le froid et les coups, pour avoir, le droit d’étudier. […] C’était le temps héroïque des études classiques, messieurs, le temps où Ronsard et son ami Baïf, couchant dans la même chambre, se levaient l’un après l’autre, minuit déjà sonné, et, comme le dit un vieux biographe, Jean Dorât, se passaient la chandelle pour étudier le grec sans laisser refroidir la place. […] On me dira que je m’étonne de peu, mais je suis stupéfait quand je lis sur ce même Baour-Lormian : « Il continuait la tradition et cherchait la nouveauté : il avait pour lui tout le monde » ; et sur sa traduction du Tasse : « C’est le vers de l’ancienne école, solide, plein, harmonieux… Le poëme ressemble à ces vieilles étoffes au tissu ferme et doux, etc. » ; tandis que Baour-Lormian avait le vers harmonieux, sans doute, mais essentiellement vide, creux et mou. […] La fiction du vieux Janséniste, pour en venir à nos petits livres de dévotion et de piété fine, est bien compliquée.

422. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Elle nous répéta plusieurs fois d’un air fin un mot dont nous ne sentîmes pas dans le moment toute la valeur : « Vous avez du talent, disait-elle aux romantiques, mais n’oubliez pas, Messieurs, ce conseil d’une vieille femme : soyez aimables !  […] Voilà que je fais le Nestor et que je radote du vieux temps : j’en viens vite à l’idée qui m’a mis la plume à la main. […] Sans doute, il eût été très profitable au xviiie  siècle d’être averti utilement à son début, d’avoir sous la Régence sa petite Fronde pour se rappeler les dangers toujours latents et se rendre compte de tout ce que contient de putride et d’inflammable le fond d’une vieille société. […] Or, les idées de bon sens, de tolérance, de réforme, civile, les idées justes, exclusives des vieux préjugés et vraiment libératrices des esprits, circulaient, étaient partout au xviiie  siècle, tandis qu’elles étaient rares, étouffées, contraintes, et n’existaient que dans quelques têtes durant la dernière et même la première moitié du règne de Louis XIV. […] Bertin l’aîné, peu révérencieusement et en vieux royaliste.

423. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Il a pu même, grâce à ce génie des vieux temps qu’il avait si bien écouté et deviné, remonter une ou deux fois avec succès jusqu’aux siècles reculés du Moyen-Age. […] Quand Virgile prenait Énée pour son héros, il était plein d’Auguste et plein aussi des souvenirs de la vieille Rome. […] Il y a dans ces chapitres des vieux auteurs un fonds de bon sens général et de raison publique qu’il ne faudrait jamais oublier ni omettre, quand on veut ensuite y introduire une part de nouveauté et de singularité. […] Savez-vous quelle eût été la forme la plus naturelle, la plus vraie à adopter, dans l’état actuel de la science, pour qui voulait nous entretenir de ce vieux monde punique ? […] L’amour de la vieille Carthage, puisqu’amour il y avait, y aurait trouvé son compte : on en aurait refait l’histoire, en indiquant les lacunes, en restituant, à l’aide des fragments et du parti raisonnable qu’on en peut tirer, la religion, la politique, le caractère, les mœurs.

424. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

À ce vieux fonds de la langue française il y a peu à réformer pour l’orthographe. […] L’usage a donc amené et produit pour ce vieux fonds domestique la forme qui, ce semble, est définitive. […] Quand on est assez vieux pour avoir vu une grande destinée individuelle s’accomplir à travers ses inégalités, ses caprices, ses luttes, ou même ses scandales, il est bon de vieillir encore pour voir comment tout cela se réduit et se capitalise dans une somme de qualités éminentes et de gloire consacrée. » Se peut-il un jugement plus élevé et mieux rendu ? […] Les défenseurs des vieilles racines celtiques et indigènes peuvent garder un restant d’espoir de ce côté. […] Et en particulier sur cet article des termes en usage : « On a retranché, disait-il, si je ne me trompe, plus de mots (du vieux langage) qu’on n’en a introduit… Je voudrais n’en perdre aucun et en acquérir de nouveaux.

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