/ 1184
1077. (1929) Amiel ou la part du rêve

Il faut cependant remarquer, à titre de coïncidence significative, que la seconde philosophie de Schelling est une philosophie de la liberté, et que, des trois jeunes philosophes de langue française qui passent alors dans son ombre, Ravaisson a provoqué dans le Rapport de 1869, Secrétan développé dans un livre fameux, Amiel vécu dans son Journal, le problème ou la tragédie de la liberté. […] On jouait la charade, les saynètes de Berthe Vadier, la tragédie classique… Faut-il ajouter qu’aux échecs et aux dames Amiel était extraordinairement habile, que Berthe Vadier était son élève, que ses lettres, pendant ses absences dans les pensions de famille de Clarens, de Charnex, d’Hyères, abondent en communiqués de victoire ?

1078. (1900) La culture des idées

La plupart des tragédies de Shakespeare ne sont qu’une suite de métaphores brodées sur le canevas de la première histoire venue. […] Si Hamlet, idée pour idée, avait été versifié par Christophe Marlowe, ce ne serait qu’une obscure et maladroite tragédie que l’on citerait comme une ébauche intéressante. […] Aicard, s’il avait du génie, n’eût pas traduit Othello, il l’eût refait, comme l’ingénu Racine refaisait les tragédies d’Euripide.

1079. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Les héros et les héroïnes de notre tragédie, au plus fort de la passion, se possèdent encore, s’examinent et se jugent. — Chez les personnages de Balzac, une faculté, grandie jusqu’en des proportions monstrueuses, absorbe toutes les autres et s’impose en maîtresse. — Les romanciers naturalistes, par un procédé de simplification hardi ou candide, réduisent l’homme à ne subir que les confuses impulsions de l’instinct et les poussées de la matière. […] Il n’admet même pas qu’on puisse goûter également, aimer d’un aussi vif et sincère amour des formes d’art différentes ou opposées, l’architecture gothique et l’architecture grecque, la tragédie de Corneille et les Mystères. […] Une étude sur la Tragédie au XVIe siècle lui servit de thèse pour le doctorat.

1080. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Ils écrivent avec la même facilité des mystères, s’ils s’en promettent renom et bon débit, comme ils bâclaient des romans de chevalerie et de brigands, des récits d’aventures, des tragédies romaines et des idylles villageoises, quand la demande des critiques de journaux et du public paraissait se porter plutôt sur cette marchandise-là.

1081. (1929) La société des grands esprits

On ne peut qu’approuver ce que Constantin Lascaris dit si joliment des lyriques (sauf qu’on doute que les Byzantins aient connu les neuf livres de Sappho, dont nous n’avons que les bribes), et aussi du théâtre, tragédie et comédie (excepté que ce bon vieillard conseille un peu imprudemment à ses jeunes auditeurs de lire Ménandre, dont nous possédons même un long morceau, récemment retrouvé en Égypte, qui leur manquait comme presque tout le reste, selon les vraisemblances). […] On lui dut notamment des éditions de l’Anthologie, de Callimaque, de quatre tragédies d’Euripide. […] N’oublions pas que Goethe étudiait ses tragédies, et en a même traduit deux : Tancrède et Mahomet. […] Il disait à d’Alembert qu’il aimerait mieux avoir fait Athalie que toutes ses guerres, en quoi il avait raison, car la tragédie de Racine est immortelle et la Prusse de Frédéric a mal tourné.

1082. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Dans sa tragédie des Érynnies, M.  […] Dès le début, l’idée de la fatalité entendue au sens de la tragédie grecque, c’est-à-dire de l’inévitable et suprême justice, est traduite en vers d’une précision saisissante ; chaque mot contient une idée et porte coup ; l’esprit vague, hébété, le caractère incertain de l’homme que la divinité aveuglait pour le perdre est peint tout entier en quelques traits : L’homme tragique, Saisi par le destin qui n’est que la logique, Captif de son forfait, livré les yeux bandés Aux noirs événements qui le jouaient aux dés, Vint s’échouer, rêveur, dans l’opprobre insondable. […] Il fait beaucoup moins de cas de ses Méditations que de trois grandes tragédies, Saül, César et Clovis, qu’il composait à la même époque : « J’ai fait quelques méditations, mais je ne suis pas assez bien pour déployer toutes mes ailes et me remettre dans mon Clovis. » L’impression morale que lui causa le succès des Méditations fut surtout celle d’un long étonnement.

1083. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Si Domitia ne me le disputait que de tendresse pour Néron, je l’en remercierais ; mais c’est un plan de tragédie qu’elle concerte avec son amant Atimétus et son histrion Paris. […] Nous avons perdu ses poëmes, ses tragédies, ses discours oratoires, ses livres du mouvement de la terre, son traité du mariage, celui de la superstition, ses abrégés historiques, ses exhortations et ses dialogues. […] Les tragédies publiées sous le nom du poëte Sénèque, sont un recueil de productions de différents auteurs ; et il n’y a point d’autorité qui nous permette de les attribuer à Sénèque. […] « Remotus inter Corsici rupes maris », dit l’auteur do la tragédie d’Octavie, vers 382.

1084. (1927) Approximations. Deuxième série

Car si les conséquences de ces sentiments, j’entends leur solidification et leur dépôt en résultats, leur retentissement sur autrui, demeurent d’une constance désespérante — et cette permanence des effets dans la perpétuelle variabilité des causes m’apparaît chaque jour davantage comme la plus poignante de nos tragédies —, le trajet parcouru par les sentiments eux-mêmes les a tellement éloignés de leur point de départ que souvent ils ont l’air de mériter un nom opposé à celui qu’ils portaient à l’origine. […] D’où cette atmosphère si spéciale — tendue, âcre, salubre, — comme d’une tragédie continûment en révolte contre son tragique même : un cornélianisme d’abord voulu ; puis à moitié accepté, à moitié subi ; et qui finit par mettre son courage à se dépriser. […] On ne saurait trop consulter à cet égard la fin de De la foi : la partie intitulée la « difficulté de croire » ; car la tragédie centrale qui fut la sienne (en son essence quasi invariable, si la faculté — confinant chez Rivière au génie — de sécréter, et de vivre chaque fois à fond, de nouveaux événements intérieurs la laissait apparaître sous des aspects fort divers) — tragédie toujours si discrète en son mode d’expression, si nette de tout faux tragique, et même de tout tragique explicité, nulle part notre ami ne nous la dévoile en une analyse d’une aussi communicative profondeur.

1085. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Issu en droite ligne de George Sand, dont il n’a cependant ni la grandeur ni la fluidité, Octave Feuillet a peint la passion et le drame dans des milieux où il y a ordinairement aussi peu de véritable passion que de tragédie. […] Georges Ohnet, comme la tragédie de Racine a abouti à M. de Jouy. […] Résidant à Paris à l’époque où Chateaubriand partit pour l’Amérique (janvier 1791), nous la voyons promener son éternelle tristesse dans les salons de M. de Malesherbes, où l’on jouait des comédies en attendant les tragédies de 93. […] Notre plus belle tragédie française, Athalie, est une pièce sans amour.

1086. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Ce sont là presque les limites de durée dans lesquelles s’enferme une tragédie. Une crise mentale se noue et se dénoue en peu de temps ; et, comme une tragédie noue et dénoue une telle crise, c’est une crise également que présente La Veillée des armes : il s’agit d’une âme, — et de l’âme française, — que va troubler, bouleverser la subite explosion de la guerre et qui maîtrisera son émoi. Une occasion de folie et qui tourne en sagesse, par l’œuvre énergique de la raison : c’est une tragédie en effet. […] La tragédie de Racine, comme une fleur violente et douce, surgit naturellement de ce sol tourmenté et arrosé d’orages.

1087. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Parmi plusieurs essais plus ou moins remarquables, trois se placent au premier rang : Faust, que Goethe intitule tragédie, Manfred, que Byron nomme poème dramatique, et la troisième partie des Dziady, que Mickiewicz désigne plus légèrement sous le titre d’acte. […] JUGEMENT DE GOETHE Tiré du journal l’Art et l’Antiquité La tragédie de Byron, Manfred, me paraît un phénomène merveilleux et m’a vivement touché. […] Le Prométhée, Médée et les Sept chefs devant Thèbes sont les seules tragédies qui m’aient jamais plu. […] Qui est le coupable dans la tragédie de Marguerite ? […] Il écrivit et montra à son père une tragédie qui fut soumise au jugement de M. 

1088. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Le chevalier d’Aydie, dans sa jeunesse, offrait plus d’un de ces traits qui s’adaptent d’eux-mêmes à un héros de roman ; Voltaire, écrivant à Thieriot et lui parlant de sa tragédie d’Adélaïde du Guesclin à laquelle il travaillait alors, disait (24 février 1733) : « C’est un sujet tout français et tout de mon invention, où j’ai fourré le plus que j’ai pu d’amour, de jalousie, de fureur, de bienséance, de probité et de grandeur d’âme.

1089. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

C’est bien pis lorsqu’elle fabrique le pudding ; il y a là une scène entière, dramatique et lyrique, avec exclamations, protase, péripéties, aussi complète qu’une tragédie grecque.

1090. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

La tragédie antique n’a rien de plus éclatant sur les larmes des rois.

/ 1184