Firmin Roz Les Mythes et poèmes et surtout peut-être le Chemin du bonheur auront révélé un très grand poète, dont l’œuvre, venue sur le tard d’un siècle, à l’émouvante beauté d’une aurore douloureuse. [Portraits du prochain siècle (1894).]
Et quel motif peut réunir des gens d’esprit, sinon le désir d’agiter ensemble les questions majeures Depuis deux siècles en France la conversation touche à tout cela ; c’est pourquoi elle a tant d’attraits. […] Ceci nous indique la pente du siècle ; on demandait alors aux écrivains non seulement des pensées, mais encore des pensées d’opposition. […] Pendant la première moitié du siècle, il n’y a point encore de fronde politique ou sociale. […] — Rappelez-vous qu’en ce siècle les femmes étaient reines, faisaient la mode, donnaient le ton, menaient la conversation, par suite les idées, par suite l’opinion534. […] Ce n’étaient que combats de plume et de paroles qui ne nous paraissaient pouvoir faire aucun dommage à la supériorité d’existence dont nous jouissions et qu’une possession de plusieurs siècles nous faisait croire inébranlable.
Il y a quelque chose que le Cid, Phèdre, les Méditations, la Légende des Siècles, les Forces tumultueuses, disent également pour tout le monde : celui qui ne l’entend pas est un sourd ; au moins est-il atteint de surdité partielle et momentanée. […] On cause à bride abattue sur le siècle ou le sujet. […] Chaque génération lit sa pensée ou son idéal dans les chefs-d’œuvre de la littérature ; chaque siècle les refait à son image. […] Nous sommes un public pour ces écrivains immortels au même titre que les gens de 1580 ou de 1670 ; et nous avons le même droit d’essayer sur nos consciences, nos sensibilités et nos intelligences, la vertu de leurs œuvres, de les obliger à révéler par les réactions de nos esprits des propriétés nouvelles, que les générations des siècles disparus n’ont pas ou n’ont qu’à peine soupçonnées4. […] Au bout de quelques années, les Inspecteurs généraux s’aperçurent que les lycées et les collèges étaient pleins de petits Brunetières qui débitaient en tranches nos quatre siècles de littérature moderne devant des classes passives et mornes.
L’œuvre faite dit : Je suis, c’est l’éternisation d’un instant, et des siècles n’y sauraient plus rien changer. […] Un siècle suffit aux plus graves changements, commence par le sentiment, finit par la pensée ; un autre appartient à l’idée seule. […] À travers les siècles et les latitudes l’absolu humain change indéfiniment. […] C’est toutefois un usage immémorial, celui de distinguer, dans les époques de l’art, ce qu’on nomme les grands siècles et les siècles de décadence. […] Le fait entre tous caractéristique de toutes les religions dites révélées, jusqu’à ce siècle, c’est l’union profonde de la doctrine et de l’art.
Depuis le milieu du siècle, il est mort, en laissant une nombreuse descendance. […] Mais l’érudition ne sauva pas entièrement Rabelais, comme son siècle, de la barbarie. […] Nous pouvons dire qu’elle est la caractéristique de la période littéraire qui commence avec le siècle et dure jusqu’à 1850. […] Taine les admire au point d’appeler Stendhal un grand idéologue et le premier psychologue de son siècle. […] Cela revient à dire qu’il n’y a pas eu en Espagne d’autre roman que celui du siècle d’or et celui qui fleurit aujourd’hui.
Je ferai toutefois observer qu’à défaut des conseils de l’abbé, Le Sage, encore ici, n’eût eu qu’à suivre le courant du siècle. […] Si nous ne le lisons plus, son siècle l’a lu, beaucoup lu, les plus fameux eux-mêmes dans son siècle, Diderot et Rousseau notamment. […] Tourmenté de cette inquiétude et victime de cette mélancolie qui tour à tour l’ont jeté du siècle dans le cloître et du cloître ramené au siècle, s’il cherche dans le travail un moyen de vivre, il y trouve d’abord une occasion, avidement saisie, d’épancher sa sensibilité. […] Il se vante, en effet, aussi souvent que personne en son siècle, de respecter la morale et de prêcher la vertu. […] Et si dans notre siècle, et dans notre siècle seulement, on a reconnu tout d’une voix la supériorité de la petite nouvelle sur le long roman, en voici la raison.
Pendant quatorze siècles le modèle idéal a été l’anachorète ou le moine. […] Vers 650, Mélas de Chios fait les premières statues de marbre, et, d’olympiade en olympiade, pendant toute la fin du siècle et tout le siècle suivant, on voit la statuaire se dégrossir pour s’achever et devenir parfaite après les glorieuses guerres médiques. […] Pendant les deux siècles qui suivent, on institue ceux de Pytho, de l’Isthme et de Némée. […] Pausanias trouva en Arcadie des concours de beauté ou rivalisaient les femmes, et qui dataient de neuf siècles. […] Il ne marche pas du même pas ; quoique contemporain, il reste, pendant ces deux siècles, inférieur et simple copiste.
Mais que pouvaient ces libertins contre la religion chrétienne, telle que l’avaient faite dix-sept siècles de développement continu ? […] Fontenelle Le cartésianisme, à la fin du siècle, en s’éloignant de la doctrine formelle de Descartes, manifestait de plus en plus la puissance de sa méthode. […] Mais la grande qualité de Fontenelle, et par où il donna le ton à toute la philosophie du siècle, ce fut la clarté. […] Il enfonce dans les esprits la foi au progrès, par le spectacle de toutes les découvertes que la raison a faites dans les sciences au siècle précédent.
La médecine scientifique, fondée depuis cinq siècles par la Grèce, était, à l’époque de Jésus, inconnue des Juifs de Palestine. […] L’admirable traité « De la maladie sacrée » d’Hippocrate, qui posa, quatre siècles et demi avant Jésus, les vrais principes de la médecine sur ce sujet, n’avait point banni du monde une pareille erreur. […] Les miracles de Jésus furent une violence que lui fit son siècle, une concession que lui arracha la nécessité passagère. […] Pendant près d’un siècle, les apôtres et leurs disciples ne rêvent que miracles.
Le rideau, jusque-là baissé, en se relevant doit nous permettre de plonger dans le coin le plus sombre, le plus noir et le plus tragique d’un siècle (le XVIIe) qui a tout couvert de sa pourpre, et aussi dans cet autre coin de l’âme humaine qui résiste à toute lumière, et au fond duquel le moraliste, moins heureux que l’historien, enfonce ses regards et sa torche, sans pouvoir jamais l’éclairer ! […] devant aucun de ces visages rongés déjà, effacés par deux siècles, pas même devant celui de cette Aurore qui eut l’honneur de jeter la peur d’aimer dans le cœur de glace polaire de Charles XII, et qui plus tard descendit sa fierté jusqu’à devenir l’une des maîtresses d’Auguste de Pologne, le taureau saxon ! […] — un spectacle de corruption dans les mœurs et d’athéisme dans les idées fort peu remarqué par les historiens d’alors, et qui rappelait presque l’Italie du siècle précédent. […] En effet, déjà de 1695 à 1700, lorsque Louis XIV penchait à son déclin, mais remplissait encore tout de l’éclat de sa gloire, l’Allemagne, anticipant sur l’avenir de presque la moitié d’un siècle, pullulait de Louis XV obscurs, pires de cynisme et de débauche que le roi futur du Parc aux-Cerfs.
Habitués, depuis des siècles, à promener de porte en porte notre individualité littéraire, nous avions pris pour nous conduire cette accorte femme, madame de Staël, et nous nous tenions à la porte du pays de Lessing et de Schiller, lui demandant la charité d’une littérature et d’une philosophie. […] Quand les Grecs visitèrent ces climats, il y a vingt ou vingt-cinq siècles, ils y trouvèrent les ruines du monde entier. […] Seuls, Carey et Marshman avaient achevé la leur dans cette langue anglaise qui, bronzée depuis un siècle au soleil de Lahore et polie par les dialectes auxquels elle a été mêlée, semble mieux faite qu’une autre pour recevoir la pensée indienne sans trop visiblement l’altérer. […] On ne l’a pas assez remarqué : les Indiens sont, dans l’ordre intellectuel, des espèces de somnambules sans lucidité, des cataleptiques aux yeux retournés, tombés, depuis des siècles, dans la contemplation de leur moi imbécille, mais des cataleptiques qui sentent les coups malgré leur extase ; car ils tremblent devant le bambou qui les a toujours menés, dans quelque main de conquérant qu’il ait passé, depuis Alexandre jusqu’à Clive.
Il n’est point un vil photographe littéraire, un calqueur à la vitre de la réalité, un pointilleur de descriptions microscopiques, un naturaliste naturant, peintre des plus sales crottes du siècle. […] Comme tous les Infatués de ce temps-ci, qui s’aiment dans le siècle, il peut se tromper et il se trompe sur la beauté de la vie moderne, qui n’est, à mes yeux, que plate et laide ; mais il s’efforce toujours d’en faire bomber les platitudes et d’en pousser jusqu’à l’horrible les laideurs. […] Mendès publia les Contes épiques, qui ne fut pas frappé de la prodigieuse ressemblance de ces poésies avec La Légende des siècles ? […] Il serait curieux de savoir quelles furent les sensations de Victor Hugo quand il lut, pour la première fois, ces Contes épiques, que La Légende des siècles avait inspirés.
Les éloges commencés par le respect ou par la crainte, continuent par l’habitude, et il se fonde une grande réputation chez la postérité, qui reçoit des siècles précédents l’admiration des noms célèbres, comme elle reçoit son culte et ses lois. […] Quelque jugement qu’on porte sur le caractère moral de ce ministre, le premier de son siècle, et fort supérieur aux Bukingham et aux Olivarès qu’il eut à combattre, son nom, dans tous les temps, sera mis bien loin hors de la foule des noms ordinaires, parce qu’il donna une grande impulsion au-dehors ; qu’il changea la direction des choses au-dedans ; qu’il abattit ce qui paraissait ne pouvoir l’être ; qu’il prépara, par son influence et son génie, un siècle célèbre ; enfin, parce qu’un grand caractère en impose même à la postérité, et que la plupart des hommes ayant une imagination vive et une âme faible, ont besoin d’être étonnés, et veulent, dans la société comme dans une tragédie, du mouvement et des secousses. […] Heureusement il y a des siècles, où, en respectant les rangs, on respecte encore plus la vérité.
Lors donc qu’un genre a été traité par quelques grands hommes dans un pays ou dans un siècle, pour exciter un nouvel intérêt, et avoir des succès nouveaux, il faut attendre que les idées prennent un autre cours, par des changements dans le moral, dans le physique, et peut-être par des révolutions et des bouleversements. […] Votre réputation n’est plus à vous ; c’est la seule et dernière vie qui vous reste encore parmi nous ; elle appartient à la renommée ; c’est à elle d’exercer son empire sur votre nom, pour le conserver aux siècles à venir avec encore plus d’autorité que la mort n’en prendra sur vos cendres pour les détruire. On a besoin de votre nom pour faire à nos descendants l’apologie de notre siècle ; ils douteront au moins de ses excès, quand ils sauront qu’il a produit en votre personne ce que nos pères avaient admiré dans les Du Guesclin, les Bayard et les Dunois, pour la gloire des rois, le salut de la patrie et l’honneur de la vertu. » Il n’y a personne qui, dans tous ces morceaux, ne reconnaisse le ton d’un orateur. […] Massillon, comme on sait, fut le dernier des hommes éloquents du siècle de Louis XIV ; on le choisit aussi quelquefois pour célébrer des héros et des princes, à peu près comme la tendresse ou l’orgueil ont recours aux plus célèbres artistes pour élever des mausolées.