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1034. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

En l’omettant jusqu’ici, nous avons mieux fait sentir son importance. […] Suffit-il de nous laisser aller à une rêverie quelconque pour nous sentir en état poétique ? […] Sentir en soi les idées affluer, c’est un ravissement. […] En le lisant, nous n’y sentirons aucune contrainte, aucun effort. […] En réalité, le besoin d’une révolution ne se fait pas encore sentir.

1035. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

La malade souffrit des maux intolérables ; ses bras, ses épaules se gonflaient et elle sentait la fièvre. […] ses ouvrages ne la sentent point, comme on dit ; car il est bon coloriste. […] Ainsi, selon le critique, avec Champfleury les commencements sont durs, et l’on finit par se sentir ému. […] On peut sentir avec force et ne rien rendre au théâtre. […] Dans ce cas, il a beau sentir, nous ne l’en croyons pas ; car il paraît en contradiction avec lui-même.

1036. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Voilà ce qu’aperçoit Carlyle ; l’homme est devant lui, ressuscité ; il perce jusque dans son intérieur, il le voit sentir, souffrir et vouloir, de la façon particulière et personnelle, absolument perdue et éteinte, dont il a senti, souffert et voulu. […] Il devine les caractères, il comprend l’esprit des âges éteints, il sent mieux qu’aucun Anglais, mieux que Macaulay lui-même, les grandes révolutions de l’âme. […] Est-ce que Paul de Tarse, que l’admiration des hommes a déclaré saint, ne sentait pas qu’il était le premier des pécheurs ? […] Il a senti comme eux qu’une civilisation, si vaste et si dispersée qu’elle soit à travers le temps et l’espace, forme un tout indivisible. […] — my share is, on the whole, whatever I can contrive to get without being hanged or sent to the hulks.

1037. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Édouard Rod qui ait soupçonné et senti, avec une sûreté surprenante, la nature intime de nos émotions. […] La moindre aventure suffit pour que nous soyons émus à condition que le romancier l’ait sentie, pénétrée, et qu’il la reproduise dans tout son charme d’églogue ou son horreur tragique. […] Il sent se développer en lui une étrange misanthropie et l’on comprend peu à peu que la crise doit avoir lieu. […] Rien n’est plus douloureux, plus élevé que la douleur de cet homme qui s’aperçoit qu’il a manqué sa vie, et qui ne se sent pas suffisamment de volonté pour en recommencer une nouvelle. […] Tous deux, nus et splendides, comme deux puissants fruits détachés du rameau mystérieux des races, ils se sentiront plus sacrés de se savoir plus proches de l’animalité maternelle.

1038. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Il est présent partout où son influence se fait sentir. […] Pourtant, dans bien des cas, on sent craquer le cadre. […] Cherchons, au plus profond de nous-mêmes, le point où nous nous sentons le plus intérieurs à notre propre vie. […] Mais, en même temps, nous sentons se tendre, jusqu’à sa limite extrême, le ressort de notre volonté. […] Car, avec elle, nous ne nous sentons plus isolés dans l’humanité, l’humanité ne nous semble pas non plus isolée dans la nature qu’elle domine.

1039. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Cela est affreux à sentir, quand on est ensemble, dans la même chambre, sur le même canapé, quand on peut se toucher la main. […] De même que, sans avoir vu le personnage qui a posé pour un portrait, on peut, d’après la façon dont il est peint, « sentir » ce portrait ressemblant, on peut aussi sentir que la traduction de M.  […] Vous ne sentez pas ! […] Geffroy), qu’il se sentait gêné, inquiet, de respirer le grand air ? […] Sous sa douceur on sentait la fierté, ce qui maintenait dans les bornes plus que la hauteur.

1040. (1802) Études sur Molière pp. -355

cela sent mauvais et je suis tout gâté ; Nous sommes découverts, tirons de ce côté. Je désirerais qu’on supprimât les deux derniers vers ; il est inutile, je crois, de dire au spectateur que la cassolette sent mauvais. […] Tel est le sort de tout ce qui n’est pas senti. […] je demande si la bonne Laforêt n’aurait pas senti tout le piquant des conseils dont Célimène paie ceux d’Arsinoé ? […] Saint-Foix en a senti, en a su rendre tous les charmes ; mais la plupart de leurs imitateurs ne sont-ils pas tombés dans la fadeur, à force de vouloir être agréables ?

1041. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Il connaissait de plus le caractère et la manière de sentir du premier consul, que des attaques et des chicanes de ce genre allaient à l’instant porter au-delà du premier but. […] » Établissant la différence de mœurs et de sensations des deux peuples, il montre l’inégalité d’inconvénients dans les mêmes injures dites à des hommes publics d’un côté ou de l’autre du détroit : En Angleterre, on pèse l’injure ; en France, il faut la sentir… En Angleterre, l’injure intéresse quelquefois en faveur de celui qui la reçoit ; en France, elle avilit toujours celui qui la souffre… En Angleterre, les invectives n’ont point renversé le trône ; en France, elles ont renversé une royauté de quatorze siècles. […] Il en était encore à un certain projet de listes nationales de notabilités, projet conçu et adopté dans le premier ordre consulaire et provenant de Sieyès : comme Roederer avait été le rédacteur de ce projet de loi, il continuait de le croire existant, non incompatible avec les changements survenus, et il en écrivit en ce sens au premier consul, qui crut sentir à l’instant qu’il n’était plus compris. […] Ces paroles, même décousues, et que j’extrais de conversations très suivies, suffisent à donner la force du jet, à faire sentir la note et l’accent. […] Il montra que, dans un gouvernement naissant et dans un ordre à peine établi, le roi ne pouvait, sans inconvénient et sans danger, être ce soliveau que les Français n’aiment jamais sentir dans leur chef.

1042. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Tout en décrivant mieux que personne la Cour et la partie du monde qui s’en rapprochait alors, et en y prenant presque exclusivement ses sujets d’observation, M. de Meilhan n’était pas homme à s’y renfermer : il avait lu et comparé, il sentait les anciens. […] Les femmes le sentirent bien et se récrièrent. […] On est tenté de croire que M. de Meilhan a songé à lui dans ce portrait d’Aladin qui nous représente assez bien son propre idéal et ce qu’il aurait voulu être dans la jeunesse : Aladin était éloquent, passionné pour la liberté ; il était épris de la gloire et sentait qu’on ne pouvait s’élever dans une cour qu’en rampant, et que l’assiduité tenait lieu de mérite. […] Il sent tous les dangers et toutes les chimères de la prétendue perfectibilité ; il n’est nullement opposé d’ailleurs à ce qu’on appelle lumières : il voudrait les voir s’étendre là seulement où il faut ; et, comme il l’a dit, la question n’est pas de savoir s’il faut tromper les hommes, et à quel point il faut les tromper, « mais seulement à quel point il faut tâcher d’arrêter la curiosité humaine ». […] L’objet de M. de Meilhan est de présenter un tableau général exact du gouvernement de la France et de la société avant la Révolution, et de montrer qu’il n’y avait pas lieu ni motif à la révolte, qu’il y aurait eu moyen de la conjurer si on l’avait su craindre, et que lorsque la crainte est venue après l’extrême confiance, elle a, par son excès même, paralysé les moyens : « La légèreté d’esprit dans les classes supérieures a commencé la Révolution, la faiblesse du gouvernement l’a laissée faire des progrès, et la terreur a consommé l’ouvrage. » La description que donne l’auteur de l’ancien gouvernement de la France, de cette Constitution non écrite, éparse et flottante, mais réelle toutefois, est des plus fidèles ; il fait parfaitement sentir en quoi la France d’avant 89 ne pouvait nullement être considérée comme, un État despotique proprement dit ; il parle du roi et de la reine, du clergé, de la noblesse, du tiers état et du rapprochement des diverses conditions, des parlements, du mécanisme de l’administration, des lettres de cachet, de la dette, de l’influence des gens de lettres sous Louis XVI, avec une justesse et une précision qui me font considérer cet ouvrage comme la meilleure production de M. de Meilhan, après ses Considérations sur l’esprit et les mœurs, et comme pouvant se joindre à titre de supplément utile à l’Abrégé chronologique du président Hénault.

1043. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Personnellement il n’était pas ennemi de la Révolution, mais il en sentait les horreurs ou les ridicules, il en répudiait les crimes, et à propos de l’attentat du 21 janvier, il s’attache à constater les sentiments de réprobation générale que cet événement fit éclater dans tout le Midi, au sein des familles honnêtes, qui ne demandaient à la Révolution que l’égalité politique et la réforme de graves abus : Si cette réflexion, dit-il, passe un jour ou l’autre sous les yeux de quelques ardents, ils ne voudront peut-être pas croire que tel était l’état des esprits à cette époque. […] La confiance s’établit dès les premiers combats ; l’armée sent qu’elle a un chef comme elle n’en a jamais eu encore ; les plus braves généraux sentent qu’ils ont aussi le leur. […] Pelleport avait pour principe que, quand on se sent digne, il faut obtenir sans solliciter. […] Général de brigade en 1813, Pelleport fait les campagnes de Saxe et de France dans le corps de Marmont ; ses jugements, quoique toujours prudents et sobres, font sentir à quoi tint surtout l’issue fatale dans cette lutte héroïque, dès l’abord si disproportionnée. « L’armée fut toujours digne d’elle-même, mais elle était trop jeune. » — Et puis, à propos des graves résolutions militaires qui signalèrent le milieu de cette campagne, après la bataille de Dresde : « On pensait généralement que Napoléon se déciderait enfin à abandonner la ligne de l’Elbe et à se rapprocher du Rhin : les vieux de l’armée ne furent pas écoutés. » Il est blessé à Leipsick ; il est blessé à la défense du pont de Meaux ; il l’est surtout grièvement sur les hauteurs de Paris, à la butte Saint-Chaumont.

1044. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

C’est un coup d’œil unique, et, je le répète, rien n’a plus l’air d’un sacrifice. » Peut-on imaginer rien de mieux dit, de mieux senti et de mieux touché que ce récit ? […] Il est véritablement au pinacle, et, quant au militaire, comme il le dit rondement : « Je ne puis monter plus haut, ou bien je me casserai le cou » (il disait ces derniers mots en allemand) ; et quant à la partie diplomatique qui s’entame, il a le bon esprit de sentir que ce serait le plus beau titre de sa maison aux yeux de la France, que sa nièce, en s’asseyant sur le degré le plus voisin du trône, devînt, dès le premier jour, un gage de paix. […] Elle faisait mystère de son crédit qui eût augmenté si elle eût vécu ; mais elle se sentait tournée à mourir. […] Le maréchal sentit que l’heure était venue, et près de mourir, dans un instant lucide, il dit à Senac ce mot souvent cité : « Mon ami, J’ai fait un beau songe !  […] La vérité avant tout, et ce qui n’est qu’un autre nom de la vérité, la mesure. — Et pour en finir avec toutes ces prêcheries vertueuses sur Mme Favart et avec ceux qui seraient tentés de les renouveler, je mettrai ici la page de M. de Lauraguais, que peu de gens iraient chercher ailleurs et qui sent à pleine gorge son xviiie  siècle : il ne songe qu’à donner une preuve de la confusion d’idées de l’abbé de Voisenon, à la fois libertin indévot, scandaleux, et avec cela scrupuleux sur un seul point qui était de ne pas manquer à dire son bréviaire ; or voici ce dont M. de Lauraguais fut témoin comme bien d’autres et ce qu’il raconte : « Personne n’ignore que Favart, sa femme et l’abbé de Voisenon vivaient en famille, et furent pères de Gertrude, de l’Anglais à Bordeaux, sans compter d’autres enfants.

1045. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

assez fâcheusement et abondamment de s’y introduire ; mais on s’y laisse moins prendre qu’ailleurs ; on l’y sent tout aussitôt sous les déguisements et les emprunts qu’il tente ; on le rejette avec dégoût, ou plutôt il va naturellement au fond ; et, tandis que, sous l’écorce de la prose, bien des talents équivoques en qualité surnagent, tandis qu’ils atteignent à une contrefaçon assez difficile à démêler, et qu’avec le travail, l’instruction, l’imitation de ce qu’on lit, la répétition assez bien débitée de ce qu’on entend, avec tous ces mérites surchargés, on parvient souvent à une sorte de compilation de fond ou de style, décente, et qui fait fort honnëte contenance, en poésie la qualité fondamentale se dénote aussitôt, la substance des esprits s’y fait toucher dans le plus fin de l’étoffe ; aussi très-peu suffit pour qu’on ait rang, sinon parmi les grands, du moins entre les délicats, et qu’on soit, comme tel, distingué de la muse, de cette muse intérieure qui console : ce qui, j’en conviens, n’empêche pas d’être parfaitement ignoré du vulgaire, comme disent les poëtes, c’est-à-dire du public. […] Nodier, Hugo, de Vigny, l’appréciaient comme un de ces confrères choisis qui nous sont à eux seuls un public aimé, comme un de ces trouvères heureux qui sentent toujours, qui expriment quelquefois. […] On sent une nature très-délicate et très-vite dégoûtée, qui a pris la fleur de mille choses et n’a pas appuyé. […] Tout auprès on sent le parfum des pommes qu’on récolte dans les enclos, et qui tombent sur l’herbe verte encore, parmi les larges feuilles sèches qui s’échappent des arbres secoués, comme des pluies d’or. […] » Arthur, qui n’est pas un ouvrage composé, ni qui sente le talent de profession, Arthur, qui n’est guère peut-être qu’une suite de débris, de soupirs, de souvenirs et d’espérances, mais où le souffle est le même d’un bout à l’autre, et où l’esprit, vrai parfum, unit tout, sera, nous le croyons, une lecture propice et saine, et reposante, à bien des âmes fatiguées, à bien des palais échauffés, un correctif, au moins d’un moment, à tant de talents plus brillants que sincères, à tant d’enthousiasmes dont la flamme est moins au cœur qu’au front ; Arthur, si l’amitié et trop de conformité intime ne nous abusent, Arthur vivra et conservera le nom de son auteur, qui n’a plus à se repentir littérairement de ses écarts, de sa venue hâtive, de ses plaisirs distrayants et de ses faiblesses paresseuses, puisque, de tant d’imperfections éparses, il lui a été donné un jour (ô nature douée avec grâce !)

1046. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Il s’y trouvait en prison, et sentait que pour produire il avait besoin de la clef des champs. […] Apprenez leur langue, elle est aisée ; je m’offre de vous montrer ce que j’en sais, et, jusqu’à ce que vous soyez en état de lire par vous-même, de vous traduire quelques endroits de Guillen de Castro. » Ce fut une bonne fortune pour Corneille que cette rencontre ; et dès qu’il eut mis le pied sur cette noble poésie d’Espagne, il s’y sentit à l’aise comme en une patrie. […] On sent que Corneille connaissait peu les femmes. […] » Corneille sentait son public français. […] Il sent bien qu’il va un peu loin et s’en excuse : Nous nous aimons un peu, c’est notre faible à tous.

1047. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

en le lisant, j’ai senti la Mme de Krüdner que j’aimais perdre quelque chose de son attrait et de son mystère. […] Elle n’a pas alors moins de trente-sept ans ; elle les déguise avec art sous une grâce divine que les femmes mêmes sont forcées d’admirer ; mais elle sent que le moment est venu d’appeler à son aide les succès de l’esprit et de prolonger la jeunesse par la renommée. […] On sent le trafic. […] On sent encore ce que cette terre a d’attachant, mais on est plus près d’une félicité plus durable. » Cette sorte de station intermédiaire est précisément l’état dans lequel elle se plaisait à se dessiner alors, et dans lequel nous nous plaisions nous-même à la considérer, en nous prêtant à sa coquetterie à demi angélique. […] En voyant cette étrangère, belle encore et fort élégante, descendre de voiture, d’un air si sûr de son fait, pour demander les objets de fantaisie qu’elle inventait, les marchands se sentaient saisis d’une bienveillance inexprimable et d’un désir si vif de la contenter qu’il fallait bien qu’on parvînt à s’entendre… Grâce à ce manège, elle parvint à exciter dans le commerce une émulation si furieuse en l’honneur de Valérie, que pour huit jours au moins tout fut à la Valérie. » On est aux regrets d’apprendre de telles choses, si piquantes qu’elles soient.

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