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995. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Les psychologues de profession s’évertuent à percer ces dessous, mais ne leur arrive-t-il pas d’inventer, d’imaginer des nuances de sentiment et de secrets mobiles d’action ? […] Ce qui est remarquable, c’est que ce drame, de donnée romanesque (par le caractère absolument exceptionnel de la situation et de quelques-uns des sentiments), M. de Maupassant le développe par les procédés du roman réaliste. […] La suprême entrevue des deux torturés arrive à un tel degré d’émotion qu’il n’y a rien par-delà, ou pas grand’chose : tant le sentiment des obscures fatalités humaines y est douloureux et accablant !

996. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

Un paysan grossier, sans instruction, à qui le sentiment des droits de l’homme, trop offensés par les tyrans, donne une éloquence naturelle et passionnée qui s’attire l’admiration de la capitale du monde et désarme le despotisme, un tel sujet devait conduire à un autre terme que la morale du souriceau. […] Voilà le sentiment qui les fait parler. […] Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui : Quel mélange de sentiment et de véritable philosophie !

997. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Et toi dont le nom seul trouble l’âme amoureuse, Des bois du Paraclet vestale malheureuse, Toi qui, sans prononcer de vulgaires serments, Fis connoître à l’amour de nouveaux sentiments ; Toi que l’homme sensible, abusé par lui-même, Se plaît à retrouver dans la femme qu’il aime, Héloïse ! […] L’imagination, vers tes murs élancée, Chercha le saint repos, leur long recueillement ; Mais mon âme a besoin d’un plus doux sentiment. […] Toutefois quand le temps, qui détrompe sans cesse, Pour moi des passions détruira les erreurs, Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs, Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète, Dans ces moments plus doux, et si chers au poète, Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins, Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins, Alors je reviendrai, solitude tranquille, Oublier dans ton sein les ennuis de la ville, Et retrouver encor, sous ces lambris déserts Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.

998. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Pajou » pp. 325-330

Je ne me déplairai pas six mois devant mon ouvrage… il y a pourtant un ciseau, des beautés, de la peau, de la chair dans cette insipide figure ; elle est faite largement ; il y a de la souplesse, du sentiment, de la vie. […] Vous verrez qu’il aura lu ma dispute avec son confrère sur le sentiment de l’immortalité et le respect de la postérité ; et qu’il aura trouvé que je n’avais pas le sens commun. […] Je dis moi, contre le sentiment général, que cette douleur n’est que celle d’une vierge au pied de la croix ; qu’elle est unie, monotone, sans inégalités, sans passages ; que c’est une vessie soufflée, que, si l’on appliquait un peu fortement les mains sur ces joues, elles feraient la plus belle explosion.

999. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Ils sont tous comme lui, élevés dans l’amour du roi, — ce sentiment qui était de France, — dans ce feu sacré de l’amour du roi que soufflaient alors toutes les mères au cœur de leurs fils, et que, plus religieuses que les Vestales, elles ne laissèrent éteindre jamais ! […] Telle était la vie générale, la vie régulière, correcte, irréprochable, réglée comme un papier de musique… militaire et dansante, de toute la noblesse française au temps de Louis XIV, de ce roi qui fut aimé de sa noblesse autant que de La Vallière, et qui ne méritait ni de l’une ni de l’autre le sentiment qu’il eut de leur immortelle fidélité ! […] L’auteur du Marquis de Grignan n’a, lui, ni orgueil blessé, ni basse envie, ni ressentiment, ni mauvais sentiment quelconque contre la société de Louis XIV, contre cet ancien régime que tant de lâches historiens, qui l’ont fusillé et enterré, déterrent comme les bleus déterrèrent Charette, pour le refusiller encore !  

1000. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

il ne s’agit que de vérité littéraire… Or, très certainement, on n’avait pas besoin de s’adresser au sentiment public, blessé en ce moment par la Russie, pour provoquer un succès qui se serait naturellement fait tout seul. […] Si, pour une raison ou pour une autre, involontairement ou à dessein, il se trompe sur la portée du livre qu’il offre au public, il n’en a pas moins, dès qu’il le traduit, le sentiment profond et juste. […] En effet, qu’y a-t-il de commun entre un grand tableau à la détrempe, vrai de couleur, de dessin et de perspective comme une enseigne, fait pour les myopes ou les organes grossiers, et les petits chefs-d’œuvre à la sanguine, grands comme l’ongle, où le sentiment, malgré l’exiguïté du cadre, a une puissance infinie, et qui rappellent ces noyaux de pêche que Properzia di Rossi a ciselés avec tant de passion dans la fantaisie et tant de précision dans la main !

1001. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

Je ne croirai jamais, pour mon compte, qu’on ait la vocation d’être Indien quand on est Français ; je ne croirai jamais qu’à l’état sain, sans opium et sans hatschich, un homme proprement organisé puisse être fasciné par les sentiments et les idées de l’Asie, cette rêveuse à vide, cette grande bête de l’Apocalypse ruminante ! […] Le sentiment qui a inspiré tant de poésies à tant de poètes et qu’on retrouve à travers tout dans le cœur des hommes, l’amour, l’âme du lyrisme humain, il ne le connaît pas, il ne l’a jamais éprouvé. […] C’est déjà beaucoup de se remuer encore comme il se remue dans cette machine pneumatique du cœur et de l’esprit, dans cette absence complète de tout sentiment vrai, individuel et profond.

1002. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

III Ce serait presque une anthologie avec un seul poète, — une anthologie non pas grecque de sentiment, car l’auteur du Roitelet n’a dans l’inspiration aucun archaïsme, mais grecque par cette brièveté pleine qui, en quelques vers, enferme ou concentre toute une perspective et fait un poème comme un disque, car, chez les Grecs, rondeur voulait dire perfection ! […] Il est bien moins le poète d’un sentiment trompé ou blessé que le poète résigné à la vie et à tout ce qu’elle renferme d’irréparable. […] Quant au sentiment qui ‘anime ce petit chef-d’œuvre de calme et de sérénité dans la tristesse, l’effet produit par la poésie est toujours relatif, mais je ne connais rien, pour mon compte, d’une plus grande puissance.

1003. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Une seule chose est nécessaire : la force et l’originalité du sentiment personnel, et ce double don éclate en celui-ci comme en peu d’hommes. […] Je me rappelle encore le sentiment de tristesse morne que cette Champagne mettait en moi. […] Strauss et M. de Sybel, ils ignorent ou méconnaissent les vrais sentiments de la nation. […] Le premier sentiment est au second, comme un colosse à un pygmée. […] Clément a rendu service à la mémoire de Gleyre, à ses amis, à tous ceux qui aiment la beauté des sentiments intimes ou des formes visibles.

1004. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Mais il n’y a aucune nécessité et il n’y a même aucune tendance à ce que l’on généralise un sentiment. […] Il n’est rien qui ne doive y tendre, sentiments, pensées, actes. […] Le souverain bien terrestre, c’est le sentiment de la justice et la pratique de la justice. […] Or l’attrait des sons ou des formes est plus matériel que l’attrait des sentiments. […] Il y aura bien des sentiments, puisqu’il y aura des hommes ; mais nous n’insisterons pas là-dessus.

1005. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhède (Raymond de la) = La Tailhède, Raymond de (1867-1938) »

Charles Maurras Je crois qu’on sentira dans ce livre profond et clair : De la métamorphose des fontaines, les deux traits essentiels du génie de M. de La Tailhède : c’est la force lyrique, d’une part, et, d’autre part, un sentiment d’admiration et d’étonnement religieux devant le secret de la nature des choses. […] Aussi est-ce avec un sentiment de surprise presque douloureux que j’ai assisté à l’emprise de la rhétorique sur M. de La Tailhède.

1006. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Le poète a voulu faire reparaître ici la nature et le caractère orgueilleux de Gusman : l’intention dramatique est heureuse ; mais prise comme beauté absolue, le sentiment exprimé dans ce vers est bien petit, au milieu des hauts sentiments dont il est environné !

1007. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Aussi sa princesse était-elle souvent obligée de le ramener au sentiment des distances. […] Cette âme qui a pénétré dans la mienne par ses sentiments ? […] Ce n’était plus à la dialectique ou au raisonnement, mais au sentiment et à la persuasion qu’il faisait appel. […] Elle est vraiment dans le sang de nos veines, et le langage, par exemple, ou le sentiment religieux ne nous sont pas plus innés. […] On inquiète l’égoïsme ; on dénonce l’injustice ; on nous rappelle au sentiment de la solidarité qui nous lie !

1008. (1911) Nos directions

— à des sentiments… Mais Candaule ! […] Il n’est pas une jouissance, un sentiment ou une idée qu’il n’ait connus ou ne doive connaître. […] Les sentiments de tous ne le peuvent plus satisfaire. […] Il sut que l’important au théâtre n’est pas l’idée, — anti-musicale en principe, à moins que devenue sentiment ou sensation — mais le sentiment et la sensation eux-mêmes, et il mit l’un si près de l’autre qu’ils finirent par se confondre. […] Une strophe, une pensée (c’est-à-dire une idée, un sentiment ou une image).

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