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1063. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il existe, dans la langue française, sur l’art d’écrire et sur les principes du goût, des traités qui ne laissent rien à désirer9 ; mais il me semble que l’on n’a pas suffisamment analysé les causes morales et politiques, qui modifient l’esprit de la littérature. Il me semble que l’on n’a pas encore considéré comment les facultés humaines se sont graduellement développées par les ouvrages illustres en tout genre, qui ont été composés depuis Homère jusqu’à nos jours. […] Un tel peuple est alors dans une disposition presque toujours insouciante ; le froid de l’âge semble atteindre la nation tout entière ; on en sait assez pour n’être pas étonné ; on n’a pas acquis assez de connaissances pour démêler avec certitude ce qui mérite l’estime ; beaucoup d’illusions sont détruites sans qu’aucune vérité soit établie ; on est retombé dans l’enfance par la vieillesse, dans l’incertitude par le raisonnement ; l’intérêt mutuel n’existe plus : on est dans cet état que le Dante appelait l’enfer des tièdes. […] Quand une nation acquiert chaque jour de nouvelles lumières, elle aime les grands hommes, comme ses précurseurs dans la route qu’elle doit parcourir ; mais lorsqu’elle se sent rétrograder, le petit nombre d’esprits supérieurs qui échappent à sa décadence, lui semble, pour ainsi dire, enrichi de ses dépouilles. […] Les philosophes de tous les pays nous exhortent et nous encouragent ; et le langage pénétrant de la morale et de la connaissance intime du cœur humain, semble s’adresser personnellement à tous ceux qu’il console.

1064. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Au-dessus de ces simulacres d’humanité planent les dieux, Amour, Vénus, qui semble émanée de l’âme de la daine comme Amour de l’âme du galant, enfin Raison, autre dédoublement de la personne morale du héros, qui lui déconseille la douloureuse carrière de l’amour. […] Cependant ses abstractions, personnifications, commandements et définitions ne semblent être réellement pour lui qu’un procédé d’exposition. […] Il était mort, semble-t-il, avant la fin de l’an 1305. […] Ne semble-t-il pas ainsi instituer en face du vicaire de Jésus-Christ, qui siège à Rome, un autre vicaire divin qui réside en chacun de nous, et dont les commandements intérieurs pourront faire échec aux commandements de l’Église romaine ? […] Son œuvre a subi de durs assauts : mais il semble que les pieux esprits qu’il a scandalisés, Christine de Pisan, Gerson, aient été frappés de certains détails apparents et extérieurs, propos cyniques, épisodes immoraux, plutôt que du sens hardi et profond de l’ensemble.

1065. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Tout cela fait sept cordes (à la vérité, il serait difficile de les nommer avec précision ; il semble pourtant que les sept livres que nous venons de parcourir pourraient s’intituler : Humanité, Nature, Philosophie, Art, Foyer, Amour, Fantaisie). […] J’en connais qui semble faite de rien, et qui me remplit tout entier. […] Et surtout il me semble toujours que, ce qu’ils expriment, je pourrais l’éprouver, que c’est mon âme à moi, qui parle dans leurs vers, et qu’elle chante, par eux, ce qu’elle n’aurait su dire toute seule. […] Aucune des doctrines qui ont presque renouvelé cette vision en nous ne semble être arrivée jusqu’à lui. […] Mais ces idées et ces sujets, il semble toujours les recevoir du dehors.

1066. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Notre échafaudage semble agencé provisoirement en vue que rien, analogue à ces recueillements privilégiés, ne verse l’ombre doctorale, comme une robe, autour de la marche de quelques messieurs délicieux. […] L’usage n’est pas si étranger à l’Académie, dans le premier cas, du moins, que cette assemblée ne semble désignée pour l’étendre au second. […] Autre chose.. ce semble que l’épars frémissement d’une page ne veuille sinon surseoir ou palpite d’impatience, à la possibilité d’autre chose. […] mais il semble que ma pièce d’artifice, allumée par une concession ici inutile, a fait long feu. […] Péage, élections, ce n’est ici-bas, où semble s’en résumer l’application, que se passent, augustement, les formalités édictant un culte populaire, comme représentatives — de la Loi, sise en toute transparence, nudité et merveille.

1067. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Un nouveau crime continua donc par lui les crimes précédents, et d’autres crimes sortis du sien rallongèrent cette chaîne de forfaits qui semblait brisée. […] Chaque cime semble un bras de géant allongeant sa main flamboyante à travers l’espace, pour allumer la torche que lui tend le sommet voisin, La reine proclame pompeusement la victoire, mais de sourdes réticences démentent la joie qu’elle fait éclater. — « S’ils ont respecté les dieux et les temples de la ville conquise, les vainqueurs ne seront point vaincus au retour… Puisse la cupidité ne point les entraîner aux actions impies ! […] Agamemnon va mourir, aucun pressentiment ne l’avertit de sa fin prochaine ; pourtant il semble déjà en dehors et au-dessus de la vie. […] Une langue de feu envolée du trépied de Delphes, semble frémir sur la bouche de la prêtresse d’Apollon. […] Il semble qu’on entende rouler à terre un masque d’airain.

1068. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Il semble avoir la satiété du bonheur paisible au sein duquel il est confiné. […] Ces deux jeunes gens semblent les chevaliers de la France nouvelle revenant de la croisade du devoir. […] La harangue semble intéressée ; madame de Montlouis doit cinquante mille francs, remboursables le lendemain, sous peine de scandale. […] Ce n’est qu’une impression, et je ne veux pas la surfaire ; il me semble pourtant que le Théâtre-Français ne comporte point de pareils spectacles. […] Au second acte, la situation semble se nouer et se tendre.

1069. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Alcyons exilés qui n’avaient pas, dans leur Languedoc, pour bercer leurs chants et leurs songes, le sein de la mer qui avait porté leurs ancêtres, et qui semblaient avoir gardé, dans la tristesse de leur génie, la mélancolie des lagunes ! […] Cette poésie, effluve de son être entier, avait la lueur douce, également noyée et fondue de la perle ; car le diamant semble avoir des interruptions d’éclat dans le scintillement de ses rayons, je ne sais quelles intermittences dans les frénésies de sa lumière ! […] Y ajouter un mot nous semblerait une profanation. […] Seulement son génie d’expression sembla hériter et doubler de cette vie que la douleur tarissait en elle. […] Des circonstances, inutiles à rappeler, suspendirent et semblèrent définitivement empêcher la réalisation d’un projet arrêté et qui a été réalisé depuis.

1070. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

À certains moments ils semblaient gagner. […] C’est une veine austère qu’un Proudhon semble avoir recueillie des corporations du moyen âge et qui côtoie dans le socialisme une veine assez libidineuse héritée de Fourier.‌ […] Nous nous défendons premièrement contre des monstres, des monstres sensés qui vont au fond de tout, même du crime. » — « Cette race est basse, elle sera vaincue et déshonorée. »‌ Au 19 novembre 1914, il fait cette réflexion : « La plus grande grandeur de cette guerre, il me semble, je la vois dans ceci qu’elle rend immédiat, universel l’ordre de la mort, et possible l’ordre de la justice. […] Dans les papiers de Sainte-Beuve, on a trouvé une note, qui demeure juste et qu’il semble qu’Albert Thierry ait méditée : « La bourgeoisie se corrompant si aisément par sa tête (et aujourd’hui, en 1917, j’ajoute : la France étant si fort décimée), le recours est dans le bon sens et la vigueur des masses qu’il faut éclairer le plus possible et animer d’un souffle à elles (c’est tout le programme de Thierry) en tâchant de corriger la brutalité sans attiédir la force ».‌ […] Quand on évoque ces deux noms, il me semble revoir, au milieu d’une mer humaine tachée de milliers de bannières rouges, ces deux hommes aux gestes larges et aux paroles profondes, qui semblaient, comme des apôtres, montrer aux prolétaires la cité future, tout un monde de paix, et non cette vie si proche à laquelle aucun esprit sensé ne voulait croire : la vie où l’on ne parlerait pas d’autre chose que de canons, de tranchées, d’attaques, de meurtres et d’incendies… Où sommes-nous tombés maintenant !

1071. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Il était lui-même d’une complexion délicate qui fit longtemps craindre pour ses jours ; il fut soigné, moins par sa mère un peu indifférente, ce semble, que par une tante maternelle pleine d’affection et de mérite. […] J’insisterai peu sur ce premier et cet unique amour de Gibbon, passion qui n’était que naturelle en son moment et qui de loin peut sembler un ridicule. […] Il se rompit à écrire correctement tant en français qu’en latin, et, en acquérant une égale facilité à s’exprimer en diverses langues, il perdit moins une originalité d’expression pour laquelle il semblait peu fait, qu’il n’acquit l’élégance, la lumière et la clarté qui deviendront ses mérites habituels. […] Nous le savons déjà aimant la discussion et raisonneur ; ajoutons qu’il n’était point chicaneur, et qu’à toute raison qui lui semblait bonne il se rendait. […] Il poursuit toujours un sujet d’histoire, se méfiant encore de ses forces et sentant toute la dignité du genre : « Le rôle d’un historien est beau, mais celui d’un chroniqueur ou d’un couseur de gazettes est assez méprisable. » La croisade de Richard Cœur-de-Lion l’attire un moment ; mais, à la réflexion, ces siècles barbares, ces mobiles auxquels il est si étranger ne sauraient le fixer, et il lui semble qu’il serait plutôt du parti de Saladin.

1072. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

En voyant ce que deviennent chez les hommes célèbres les qualités qui existaient déjà chez leurs parents, et qui y sont demeurées obscurément utiles, il me semble qu’ils en sont souvent les dissipateurs et les prodigues encore plus que les économes publics et les dispensateurs généreux. […] À ce portrait où perce discrètement la critique et qu’il jugeait trop flatteur, Duclos en a opposé un de lui par lui-même qui est d’un sentiment bien véridique, au moins en tout ce qui touche à l’esprit, et où il y a des aveux : Je me crois de l’esprit, et j’en ai la réputation ; il me semble que mes ouvrages le prouvent. […] Aujourd’hui encore, il nous semble saisir au passage, dans le portrait de Mme de Tonins et de sa société de beaux esprits, un tableau composé du monde de Mme de Tencin et de Mme de Lambert, ou plutôt de leurs imitatrices. […] Le Français, selon lui, a un mérite distinctif : « Il est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le cœur se corrompe et que le courage s’altère. » Il voudrait voir l’éducation publique se réformer et s’appliquer mieux désormais aux usages et aux emplois multipliés de la société moderne ; il prévoit à temps ce qui serait à faire, et, connaissant le train du monde, il craint toutefois qu’on ne le fasse pas à temps : « Je ne sais, dit-il, si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer et hâter les progrès par une éducation bien entendue. » Duclos veut une réforme en effet, et non point une révolution. […] Mais il me semble que tout se concilie chez Duclos, et que les inconséquences elles-mêmes s’expliquent moyennant l’humeur et la race.

1073. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Après sa mort, une lettre du supérieur de la maison professe, le père Martineauk ; un éloge mis en tête de ses Sermons par le religieux qui en fut l’éditeur, le père Bretonneau ; une lettre de M. de Lamoignon, son ami de tous les temps ; un autre hommage plus développé mais du même genre, par une personne de condition, Mme de Pringy, c’est tout ce qu’on a sur Bourdaloue ; et, je le dirai, quand on l’a lu lui-même et considéré quelque temps dans l’esprit qui convient, on ne cherche point sur son compte d’autres particularités, on n’en désire pas : on entre avec lui dans le sens de cette conduite égale, uniforme, qui est le caractère de la prudence chrétienne et le plus beau support de cette saine éloquence ; et l’on répète avec une des personnes qui l’ont le mieux connu : « Ce qui m’a le plus touché dans sa conduite, c’est l’uniformité de ses œuvres. » On ne sait rien ou à peu près rien non plus de la vie de La Bruyère ; mais, à l’égard de ce dernier, le sentiment qu’on apporte est, ce me semble, tout différent. […] elle en parle comme d’un acteur ; et en maint endroit elle se joue ainsi, selon son habitude et contrairement à l’idée, à la réflexion sévère que devait, ce semble, laisser et imprimer à tous une éloquence que, d’ailleurs, elle sent et décrit si bien. Aujourd’hui, le genre de talent de Bourdaloue nous semble bien loin de prêter à de telles vivacités de couleurs, et, pour mieux essayer d’y pénétrer, je dirai d’abord l’effet assez général que cette éloquence produit à la lecture, et par quel effort, par quelle application du cœur et de l’esprit il est besoin de passer pour revenir et s’élever à la juste idée qu’il convient d’avoir de sa grandeur, de sa sobre beauté et de sa moralité profonde. […] Il excelle d’ordinaire dans le choix de ses textes et dans le parti qu’il en tire pour la division morale de son sujet : mais mainte fois il est subtil ou il semble l’être dans l’interprétation qu’il donne, dans l’antithèse qu’il fait des divers mots de ce texte ; on dirait qu’il les oppose à plaisir et qu’il en joue (comme saint Augustin), et ce n’est qu’au développement qu’on s’aperçoit de la solidité du sens en même temps que de la finesse de l’analyse. […] S’emparant de cette poussière du jour des Cendres, il va démontrer que la pensée présente et actuelle de la mort, qu’elle tend à donner à chacun, est le meilleur remède, l’application la plus efficace et dans les crises de passion qui nous entraînent, et dans les conseils ou résolutions qu’on veut prendre, et dans le cours ordinaire des devoirs à accomplir et des exercices de la vie : Vos passions vous emportent, et souvent il vous semble que vous n’êtes pas maître de votre ambition et de votre cupidité : Memento.

1074. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Daru, et j’ai dessein de m’y arrêter même au milieu de cette époque active de l’Empire où il semblait absorbé par de tout autres soins. […] Cet âge pourtant semble se prolonger, à n’en voir que le reflet dans la correspondance littéraire de M.  […] Daru le 1er février 1807, que, sur mon simple aperçu, vous ayez aussi bien senti, approuvé et deviné mon sujet ; il semble à votre lettre que nous avons longtemps causé ensemble. […] Le seul défaut que j’y relèverai, c’est que le sage rapporteur n’y marque pas assez ce qui fut le charme et l’enchantement dans la manière du nouvel écrivain, ce par quoi il a fait avènement à son heure, et qu’il ne nous dit pas assez nettement ce qu’il faut toujours dire et proclamer à la vue des génies, même incomplets et mélangés : « La veille, il y avait un être de moins au monde ; le lendemain, il y a une création de plus. » De tout ce qu’on vient de lire il résulte, ce me semble, que si l’on veut considérer la littérature dite de l’Empire dans ses productions les plus saines, les plus honorables, on ne court aucun risque de s’attacher à M.  […] Il était d’un goût fin, bien autrement impatient et dédaigneux ; il tranchait dès qu’un ouvrage lui déplaisait et lui semblait médiocre.

1075. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Franklin, ce me semble, est un nom qui peut s’opposer avec avantage et sans défaveur à celui de Rollin ou de Quintilien. […] Des juges, d’ailleurs équitables, ont cru trouver trop de régularité et de mécanisme dans l’indication stricte des heures, des minutes consacrées à chaque portion des devoirs dans les classes ; mais il semble qu’en se représentant avec une précision si parfaite les exercices de chaque groupe successivement, le ministre ait voulu ne pas s’en tenir à une idée prise de loin et de haut, comme cela est trop ordinaire ; qu’il ait voulu communiquer aux maîtres le sentiment de l’importance qu’il met à un parfait accord entre les facultés diverses. […] Mais, regret ou non, il en faut prendre son parti, et, comme l’a dit il y a longtemps Euripide (c’est bien lui en effet qui l’a dit, et non pas un autre) : « Il n’y a pas à se fâcher contre les choses, car cela ne leur fait rien du tout50. » L’esprit des générations a donc changé, c’est un fait ; elles sont devenues peut-être plus capables d’une direction précise et appropriée ; elles en ont plus besoin aussi, et il me semble que la pensée qui a présidé à l’Instruction présente et qui s’y diversifie en nombreuses applications est de nature à convenir à ces générations nouvelles, à soutenir, à développer leur bon sens, leurs qualités intelligentes et solides, à tirer le meilleur parti de leur faculté de travail, à les préparer sans illusion, mais sans faiblesse, pour la société telle qu’elle est faite, pour le monde physique tel quelles ont à le connaître et à le posséder : — et tout cela en respectant le plus possible la partie délicate à côté de l’utile, et en laissant aussi debout que jamais ces antiques images du beau, impérissables et toujours vivantes pour qui sait les adorer. […] Ces promenades sont, de tous les sujets de composition à donner aux élèves, les meilleurs… Il me semble qu’il n’y a dans de telles études, entremêlées aux leçons les plus élevées des lettres, rien d’accablant, rien qui émousse le sentiment de l’admiration ni qui jure avec l’idée du beau. […] Les habitudes les plus futiles et les plus inutiles ont d’immenses racines dans le passé, et, quoique de prime abord il semble qu’il suffise d’un souffle pour les détruire, elles résistent souvent et aux convulsions des sociétés, et aux efforts d’un grand homme. » Cette opinion personnelle du prince, qu’on vient de voir si formellement exprimée, étant telle et si en accord avec celle de Franklin, il est plus facile encore d’apprécier la haute impartialité que le même prince devenu empereur, et pouvant tout, a apportée dans la solution pratique, et combien il s’est montré l’homme de son nouveau rôle et de sa destinée, publique, lorsque, dans l’œuvre de conciliation, il a laissé faire une si large part à l’opinion opposée.

1076. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Frédéric, que sa sœur n’avait pas mis dans le secret de ses motifs particuliers, et gardien non moins jaloux que son père des intérêts de la patrie prussienne, trouva à redire à ce mariage étranger, ainsi qu’à d’autres marques que la cour de Bareith semblait donner, vers ce temps, de son penchant pour l’Autriche, et il en témoigna son mécontentement à sa sœur. […] Ce fut la belle époque et la plus littéraire du règne de Frédéric : c’est alors qu’il cherche à rassembler autour de lui l’élite des hommes distingués de son temps, et qu’il semble un instant près d’y réussir. […] Les opéras, les chanteurs et cantatrices, qui sont un de ses plaisirs, ne lui suffisent pas : elle a besoin de conversation ; il y a des vides et des silences autour d’elle : « Nos entretiens me semblent comme la musique chinoise, ou il y a de longues pauses qui finissent par des tons discordants. » Cette conversation qui lui manque de près, elle la cherche au loin, et elle trouve heureusement dans son frère un correspondant qui a du temps pour tout. […] [NdA] On lit chez un autre écrivain français de Berlin, chez Ancillon, cette pensée, qui n’est que celle de Frédéric sous une forme plus générale : Il y a des âmes tellement riches, que, dans leurs développements successifs et graduels, elles semblent pouvoir remplir l’éternité : ces âmes prouvent l’immortalité de notre être. Il y a d’autres âmes qui paraissent tellement au niveau des misères de la vie humaine, qu’il semble que l’étoffe manquerait si l’on voulait faire d’elles autre chose que ce qu’il faut pour la vie actuelle ; et ces âmes paraissent au premier coup d’œil démentir la doctrine de l’immortalité.

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