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664. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

C’est que les couleurs et les lignes, sous l’influence de l’habitude, ont également revêtu pour les âmes une valeur émotionnelle, indépendante des objets même qu’elles représentaient. […] Aujourd’hui ces couleurs et ces lignes, procédés de la peinture, peuvent servir à deux peintures très diverses, l’une sensationnelle et descriptive, recréant la vision exacte des objets ; l’autre émotionnelle et musicale, négligeant le soin des objets que ces couleurs et lignes représentent, les prenant, seulement, comme les signes d’émotions, les mariant de façon à produire en nous, par leur libre jeu, une impression totale comparable à celle d’une symphonie. […] Chacun des éléments a, ici, la valeur d’un accord harmonique : ces peintres, pour ne pas représenter une vision réelle, sont puissamment réalistes en ce qu’ils recréent une émotion totale, réelle et vivante. […] Us veulent être, ensemble, émouvants et descriptifs, représenter les choses qu’ils voient, et, en même temps, les embellir, c’est-à-dire joindre à cette représentation une poésie.

665. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Aussi faut-il voir de quels bravos enthousiastes on salue, entre autres points lumineux, le magnifique couronnement du premier acte, cette conclusion rayonnante à laquelle on tend, vers laquelle on se sent entraîné par la force supérieure du génie, amassée et décuplée au courant d’un acte entier : il y a là un effet inouï d’accumulation d’électricité musicale et tel qu’il faut, pour se le représenter, en avoir subi le choc. […] L’héroïque loyauté de Tristan, chargé d’amener la princesse Iseult au vieux roi Marke, et qui, sentant gronder en son cœur une ardente passion, se tient loin d’elle, à l’arrière du navire, et se refuse à l’aborder quand elle l’envoie quérir ; — la colère et le dépit d’Iseult, confuse de l’invincible amour qui la pousse vers le chevalier qui a tué son premier fiancé, Morold ; irritée de ne rencontrer que muette indifférence en cet orgueilleux vainqueur et résolue à l’empoisonner pour venger Morold ; — à côté d’eux, le dévouement complet, absolu, représenté par l’écuyer Kurwenal et l’aimable Brangœne ; — les sages conseils de ceux-ci, tantôt ironiques, tantôt affectueux ; la réserve obstinée de Tristan, la passion croissante d’Iseult et sa soif de vengeance ; l’irrésistible élan qui les jette dans les bras l’un de l’autre après qu’ils ont bu le philtre amoureux, servi par Brangœne, au lieu du breuvage de mort qu’Iseult croyait verser à Tristan ; — leur enivrante extase et leur douloureux réveil lorsque le navire aborde et que les cris des matelots saluent le roi Marke attendant sa fiancée au rivage : — voilà pour les épisodes du premier acte, que l’auteur a traduits avec une vérité et une variété dont on ne peut avoir aucune idée, à moins de l’entendre. […] Les huit Valkyries seront représentées par les artistes qui n’ont pas de râle dans la pièce et par des élèves du Conservatoire que M.  […] Ami du peintre, il lui consacra une monographie en 1909 et Fantin-Latour l’a représenté à l’extrême gauche du tableau Les Wagnéristes (1885).

666. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

Je sais bien qu’elle touche à des choses brûlantes : mais le bourgeois qu’elle met en scène représente bien moins une classe sociale qu’un vice caractéristique : celui de la sottise ambitieuse, mesquine, égoïste, pétrie de vulgarités et de prosaïsmes, aussi étrangères aux idées de générosité et de grandeur d’âme qu’un peintre chinois peut l’être aux lois de la perspective. […] Le Poirier, au contraire, vous représente un de ces types ordinairement et régulièrement ignobles qui donnent à l’âme des nausées morales. […] Elle compte rentrer à Paris, la saison prochaine, en portant haut son front fleuronné, décidée d’avance à renier effrontément le spectre de la courtisane, si jamais il osait se représenter devant elle. […] Je dirai tout à l’heure comment j’aurais compris la mise en scène de cette maladie aussi réelle qu’elle est bizarre, la nostalgie du vice ; mais, telle qu’elle est représentée dans la pièce de M. 

667. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Lassay a pour nous cet avantage, précisément parce qu’il n’est qu’un homme de société et un amateur, non un auteur, de nous représenter au juste le ton de distinction et de bonne compagnie du xviie  siècle, et la langue parlée que ce siècle finissant transmit au xviiie . […] Il lui représentait avec force et douceur les inconvénients de cette versatilité, et il faisait tout pour l’en guérir : « Une honnête personne qui a tant fait que d’aimer et de le dire, ne doit pas imaginer qu’elle puisse jamais cesser d’aimer ; vous ne m’aimez point assez, et, à mesure que mon goût augmente pour vous, il me semble que le vôtre diminue. » Mlle de Châteaubriant paraît avoir été une personne romanesque qui voyait avant tout dans la passion la difficulté à vaincre, et dont la pensée était toujours ailleurs, en avant : Présentement que cet obstacle est levé, lui disait Lassay, vous en imaginerez d’autres… Vous n’aimez qu’à penser et à imaginer… Notre plus grand ennemi est votre esprit… — Il y a, lui disait-il encore en lui faisant voir son caractère à elle comme dans un miroir, il y a une bizarrerie dans votre humeur, à laquelle il est impossible de résister ; je comptais de passer des jours heureux avec une personne qui m’aimait, et que j’aimais plus que ma vie : vous me forcez à perdre cette espérance ; je ne sais plus comme vous êtes faite, mais je sais bien que vous trouvez moyen de faire que c’est un malheur d’aimer et d’être aimé de la personne du monde la plus aimable ; il y a bien de l’art à cela. […] Chaulieu, dans une pièce badine, nous le représente à Saint-Maur ayant l’air assez ennuyé, se frottant la tête et comme regrettant les coups de mousquet qui se donnent sans lui.

668. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Nous allons essayer, après M. de Lescure, de le bien définir et de donner de lui l’idée qui pourra le rendre jusqu’à un certain point reconnaissable à ceux même qui le liront peu, mais qui aiment assez les Lettres pour vouloir qu’un nom cité à la rencontre leur représente quelque chose. […] Quoi qu’il en soit du degré où il admettait le scepticisme de Bayle, il nous représente mieux que personne le mouvement de ferveur et d’enthousiasme qui signala en France l’apparition de ce fameux Dictionnaire ; car cet ouvrage qu’on se borne aujourd’hui à consulter et à ouvrir par places, se lisait tout entier, se dévorait à sa naissance. […] Moins de vingt-cinq ans après, Voltaire qui d’abord s’était annoncé si peu comme devant être le successeur de Bayle et celui qui le détrônerait, Voltaire qui inaugurait ce nouveau rôle philosophique par ses Lettres sur les Anglais (1733), disait vers le même temps dans ce charmant poème du Temple du Goût, à l’endroit où il se représente comme visitant la bibliothèque du dieu : « Presque tous les livres y sont de nouvelles éditions revues et retranchées.

669. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

«  Sainte-Beuve. »   Je ne me crois pas en droit de produire la réponse textuelle de M. le Président du Sénat : qu’il me suffise de dire qu’elle était non-seulement extrêmement polie, mais bienveillante, et que M. le Président Troplong m’assurait que, lorsque ces questions de doctrine se représenteraient par leur côté légal et politique, je serais autorisé à faire entendre ma voix à mon tour et à mon rang de parole. […] Je trouve sur la même liste Jean-Jacques Rousseau pour ses Confessions, une œuvre de courage, où se mêle sans doute une veine de folie ou de misanthropie bizarre, mais production à jamais chère à la classe moyenne et au peuple, dont elle a osé représenter pour la première fois les misères, les durs commencements, les mœurs habituelles, les désirs et les rêves de bonheur, les joies simples, les promenades au sein de la nature, sans en séparer jamais l’espérance en Dieu ; car, à celui-là, vous ne lui refuserez pas, je le pense, de croire en Dieu, d’y croire à sa manière, qui.à l’heure qu’il est, est celle de bien des gens. […] Je me permets même de penser que l’empereur, qui savait mon insuffisance à tant d’égards pour tous les ordres de services et de savoir qui sont si bien représentés dans cette assemblée, n’a pu songer à moi que pour que je vinsse de temps en temps et rarement apporter au milieu de vos délibérations une note sincère, discordante peut-être, mais personnelle et bien vibrante.

670. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Enfin, Alberti consacre les entretiens du troisième et du quatrième jour à un commentaire sur l’Énéide, et il tâche de démontrer que, sous le voile de la fiction, le poëte a prétendu représenter les dogmes principaux de cette philosophie qui a été le sujet des discussions précédentes. […] « Il ne faut pas pourtant s’imaginer qu’au milieu de ses études et de ses occupations sérieuses, Laurent fût insensible à cette passion qui, dans tous les temps, a été l’âme de la poésie, et qu’il a représentée dans ses propres écrits avec tant de philosophie et sous des aspects si variés. […] On donna deux fêtes militaires, dont l’une représentait un combat de cavalerie, et l’autre l’attaque d’une citadelle fortifiée.

671. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Si bien que toutes ces énumérations chères aux écrivains du xiiie siècle, où défilent sur le même plan, en monotone et interminable procession, toutes sortes d’objets, nous représentent comme un effort pour évoquer une partie de la vie réelle sans le mélange d’une fiction romanesque, sans le lien d’une action inventée. […] De saint Basile, à qui Ulysse abordant à l’île des Phéariens représentait la vertu toute nue, auguste et vénérable dans cette nudité même, de Fulgentius Planciades, à qui l’Enéide racontait les voyages de l’âme chrétienne, de Prudence, qui faisait battre les vertus et les vices dans sa Psychomachie de Martianus Capella, qui mariait en justes noces Mercure et la philologie, l’allégorie passa aux clercs scolastiques qui en firent leur instrument favori d’interprétation et de recherche, l’explication allégorique d’un texte fut légitime et nécessaire ainsi que l’explication littérale, et même au-dessus d’elle. […] Voulant traduire en faits les préceptes de l’Art d’aimer, et faire un roman didactique, il se souvint d’un poème latin du siècle précédent, le Pamphilus, où le poème d’Ovide est mis en action par quatre personnages, Vénus, le jeune homme, la jeune fille et la vieille : il prit à un Fabliau du dieu d’Amours le cadre du songe qui transporte l’amant dans le jardin du Dieu ; et, forcé par la tradition de donner un nom de convention à sa belle, il trouva, dans l’usage de donner poétiquement des noms de fleurs aux dames, plus précisément encore dans un Carmen de Roua et dans un Dit de la Rose, l’idée de représenter l’amante sous la figure de la Rose, c’est-à-dire l’allégorie fondamentale de l’œuvre, qui entraînait nécessairement toutes les autres allégories et personnifications.

672. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

me représenté-je pas vivement ? […] Il est curieux qu’au milieu de cette abondance de souvenirs, sa mémoire ne lui représente jamais qu’il a été conseiller au Parlement, robin : il se pose en homme d’épée, en soldat. […] Il démontrera que les lois ne représentent pas la justice, mais la coutume, afin qu’on n’ait point le désir turbulent de les changer.

673. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Les principaux éléments lui eussent manqué pour représenter les caractères et pour juger l’organisation de la société contemporaine. […] Il évite le singulier, le monstrueux ; il s’applique à saisir et à manifester les caractères généraux, les lois communes et constantes de la vie, à découvrir par conséquent et à peindre des types, mais ces types ne sont pas pour lui des formes abstraites, ce sont des individus réels et vivants, dont la généralité consiste dans leur aptitude à représenter des groupes. […] Suivant toujours son sens individuel, il représente la liberté.

674. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Il faut le dire, la mythologie païenne, dont les paysans slaves ont conservé la mémoire, est encore aujourd’hui beaucoup moins connue en Russie que la mythologie grecque, et les antiquaires, même les plus amoureux des fables nationales, se représentent plus distinctement Jupiter et Mercure que Tchernobog ou Péroun. […] Alors envoie-moi le courrier des fiançailles. » Il paraît certain que Marina n’épousa l’imposteur que pour être tsarine, mais son ambition était moins élevée que nous la représente Pouchkine. […] Tatiana, la sœur de la fiancée de Lenski, timide, réservée, n’osant dire un mot, est tout yeux et tout oreilles pour le froid compagnon de son futur beau-frère ; il lui représente la perfection de ce comme il faut dont elle a entendu parler.

675. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

L’un, épicurien, exagérant trop souvent les excès du dernier du troupeau, au visage enjoué et fleuri, chargé sur la fin de sa vie de tout l’embonpoint qu’il reprochait aux moines, un Démocrite riant de son propre rire ; l’autre, une sorte de stoïcien chrétien, petit et maigre de corps, au visage pâle, exténué, où la vie ne se révélait que dans le regard, représentant l’esprit de discipline jusqu’au point où il devient tyrannie, de même que Rabelais représente l’esprit de liberté jusqu’au point où il devient licence. […] Le plus maigre des buveurs représentait Calvin. […] Un des plus habiles dans la chaire, à cette époque, Menot, représentait l’Enfant prodigue dépensant tout son argent à acheter des toques de Florence.

676. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

On peut se représenter ici deux lignes, prenant naissance en un même point idéal, la personne humaine : l’une figurant tout ce qu’il y a dans un être de réel et de virtuel à la fois, tout ce qui est en lui tendance héréditaire, disposition naturelle, don, tout ce qui fixe nativement la direction d’une énergie, l’autre figurant l’image que, sous l’empire du milieu et des circonstances extérieures : exemple, éducation contrainte, le même être se forme de lui-même, de ce qu’il doit devenir, de ce qu’il veut devenir. […] L’homme est vide absolument : mais, soutenu par l’instinct de conservation qui lui interdit de se prendre, en mépris, il parvient à représenter son personnage de penseur et de politique avec une économie de moyens qui touche au génie. […] Les personnages qu’il représente ont pris place dans le vide de sa personne.

677. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Dans le premier ne figurent que des habitudes motrices, dont on peut dire que ce sont des associations jouées ou vécues plutôt que représentées : ici, ressemblance et contiguïté sont fondues ensemble, car des situations extérieures analogues, en se répétant, ont fini par lier certains mouvements de notre corps entre eux, et dès lors la même réaction automatique dans laquelle nous déroulerons ces mouvements contigus extraira aussi de la situation qui les occasionne sa ressemblance avec les situations antérieures. […] Supposez en effet que les qualités des choses se réduisent à des sensations inextensives affectant une conscience, en sorte que ces qualités représentent seulement, comme autant de symboles, des changements homogènes et calculables s’accomplissant dans l’espace, vous devrez imaginer entre ces sensations et ces changements une incompréhensible correspondance. […] La nécessité absolue serait représentée par une équivalence parfaite des moments successifs de la durée les uns aux autres.

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