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275. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Sur quoi Marguerite et sa mère sollicitent l’autorisation d’abandonner tous leurs biens à une congrégation religieuse ; mais heureusement une vieille demoiselle fort riche meurt en léguant sa fortune à son cousin Maxime. […] Et, d’un autre côté, il est très vrai que la foi religieuse peut être un frein, que plus d’une femme qui allait à confesse avant d’avoir un amant n’y va plus après ; mais quelques-unes aussi continuent d’y aller. […] Il est certain que la foi religieuse apporte à certaines âmes un surcroît de force et de sécurité ; mais à quelles âmes et dans quelle mesure ? […] Feuillet affirme que, si Louis de Camors manque à l’honneur (c’est-à-dire au seul devoir qu’il reconnaisse), d’abord en trompant un homme qui doit lui être sacré, puis en épousant Mlle de Tècle sans quitter Mme de Campvallon, c’est que l’honneur n’est rien, est emporté par la passion comme une paille, quand il ne repose pas sur la morale, et sur la morale religieuse. […] Une femme qui peut faire de sa philosophie négative l’application qu’en fait Sabine est une « bête » que nul enseignement religieux n’eût pu dompter et qui d’ailleurs n’en eût accepté aucun.

276. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

La tragédie se ressentait moins de ce désir de plaire à la multitude ; elle faisait partie, comme je l’ai déjà dit, d’une fête religieuse. […] Le peuple athénien n’avait point cette moralité délicate qui peut suppléer au tact le plus fin de l’esprit ; il se livrait aux superstitions religieuses : mais il n’avait point d’idées fixes sur la vertu, et ne reconnaissait aucun principe, aucune borne, aucune pudeur dans les objets de ses amusements.

277. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Il compose une philosophie à l’usage des gens religieux, une religion à l’usage des philosophes. Il veut rendre la philosophie religieuse, et la religion philosophique. […] Partant la carrière est ouverte aux inventions religieuses. […] Par ce seul trait jugez des terreurs religieuses. […] Celle-ci disparaît elle-même ; alors il n’y a plus rien, absolument rien devant les yeux, et le religieux s’arrête.

278. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

On pourrait, à son exemple, indiquer aussi les caractères littéraires, politiques et religieux exclusivement propres aux nations du Nord. […] Le polythéisme scandinave et germanique, attaqué à la fois par l’épée, par la science, et par l’héroïsme jusqu’alors inconnu de la charité, ne put résister et fut vaincu ; avec le paganisme périt la poésie qui naissait de cet état politique et religieux. […] Tel fut l’état philosophique, religieux, littéraire et politique de cette seconde époque. […] Deux hommes commencèrent cette révolution, deux Allemands, deux hommes du Nord, dont l’un protesta avec une éloquence passionnée contre le despotisme religieux, et l’autre appuya cette protestation de son épée : je veux parler de Luther et de Gustave-Adolphe. […] La poésie, consacrée à chanter les croyances, les sentimens, les évènemens nés d’une forme religieuse et politique qui n’était plus, cessa d’être populaire ; et comme une révolution n’est pas une situation, et que la poésie vit de formes déterminées, cette absence de formes ne fit pas éclore de poètes, et c’en fut fait de la poésie allemande.

279. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Le voilà donc à dix ans tonsuré et abbé, ayant en commande un monastère où il y avait six religieux prêtres, plus un prieur. […] Cette abbaye de Villeloin était une abbaye bénédictine, au diocèse de Tours, d’un revenu d’environ 6000 livres : elle contenait onze religieux prêtres et trois novices, quatorze religieux en tout. […] Quant à la correction des mœurs de ses religieux, il n’estimait pas apparemment que son titre d’abbé commandataire lui conférât autorité suffisante pour cela, et, au lieu d’entrer en lutte avec ses moines, il avait mieux aimé patienter ; c’est à l’archevêque diocésain sous la juridiction duquel était placée l’abbaye, qu’il demanda enfin d’autoriser un rétablissement de règle devenu bien nécessaire.

280. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

A quoi il ajoute qu’il supplie très-humblement la Mère Abbesse et les Religieuses de vouloir bien lui accorder cet honneur, quoiqu’il s’en reconnaisse, dit-il, très-indigne et par les scandales de sa vie passée et par le peu d’usage qu’il a fait de l’excellente éducation qu’il a reçue autrefois dans cette maison, et des grands exemples de piété et de pénitence qu’il y a vus, et dont il avoue n’avoir été qu’un stérile admirateur ; mais que plus il a offensé Dieu, plus il a besoin des prières d’une si sainte Communauté, qu’il supplie aussi de vouloir bien accepter une somme de 800 livres qu’il a ordonné (par le même acte olographe du 10 octobre 1698) qu’on lui donnât après sa mort. […] Le contraste des deux caractères, sous des sentiments religieux communs, va se prononcer bien nettement. […] Quant à ce qui est de cette différence d’humeur et de procédé des deux illustres poëtes, également religieux, diversement pénitents, un moraliste comme Saint-Évremond ou La Rochefoucauld n’en serait certainement pas étonné et n’aurait pas grand’peine à l’expliquer. […] Racine ne put jamais s’y décider ; il se donnait pour excuse de conscience qu’en restant sur ce terrain glissant il pouvait mieux servir à l’occasion les religieuses de Port-Royal ; mais au fond il ne pouvait se résoudre à se sevrer de ces douceurs enchanteresses : il était atteint de la même-faiblesse que Bossuet qui, lui aussi, se montra aussi longtemps qu’il put à Versailles et qui, même à la fin, et à bout de force, s’y traînait ; il était affecté de la même faiblesse encore que M. de Pomponne, le plus aimable des Arnauld, mais un Arnauld amolli, qui, tout octogénaire et tout pieux qu’il était, ne pouvait se décider à résigner le ministère et qui, apprenant la retraite chrétienne de M. 

281. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

A y bien songer, on trouvera qu’il est convenable et juste que la gloire ainsi remonte, qu’il y ait réversibilité, que l’ancêtre (antecessor) profite de la célébrité du descendant, et que, par une sorte de culte religieux comme en Chine, les aïeux gagnent et croissent en honneur par les mérites mêmes de leurs petits-neveux. […] Les poètes en général, si l’on excepte le grand Lucrèce, ont considéré le spiritualisme et les idées religieuses comme la région naturelle où respire et se meut à l’aise la poésie. […] Quand leur raison essaye de la franchir, leur imagination et leur cœur les y ramènent ; leur sensibilité les y attache ; ils sont religieux par leur instinct le plus sincère : toute poésie croit en Dieu. » — Il y a bien du vrai dans cette remarque, et l’étape des poètes est bien trouvée. […] Esprit amer et coquet qui distillait douloureusement des vers érotiques ; qui, en politique, passait aisément à l’extrême ; qui combinait les lascivetés de boudoir avec la haine des rois, et insinuait à plaisir un coin de priapée dans le républicanisme, il n’était pas fait pour comprendre le sentiment libéral, sincère et modéré, le sentiment religieux, également sincère et philosophique, le talent simple, élevé, et toute l’âme morale de celui qu’il croyait avoir suffisamment accablé en l’appelant un doctrinaire, et en faisant une pointe digne de Brunnet sur son nom.

282. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Il fut prompt à les dissiper et à les oublier : ses affections bientôt allèrent toutes ailleurs ; il ne pensait qu’à Port-Royal, alors persécuté, et se complaisait délicieusement dans ses souvenirs d’enfance : « En effet, dit-il, il n’y avoit point de maison religieuse qui fût en meilleure odeur que Port-Royal. Tout ce qu’on en voyoit au dehors inspiroit de la piété ; on admiroit la manière grave et touchante dont les louanges de Dieu y étoient chantées, la simplicité et en même temps la propreté de leur église, la modestie des domestiques, la solitude des parloirs, le peu d’empressement des religieuses à y soutenir la conversation, leur peu de curiosité pour savoir les choses du monde et même les affaires de leurs proches ; en un mot, une entière indifférence pour tout ce qui ne regardoit point Dieu. […] Si maintenant l’on m’objecte que cette théorie conjecturale serait admissible peut-être si Racine n’avait pas fait Athalie, mais qu’Athalie seule répond victorieusement à tout et révèle dans le poëte un génie essentiellement dramatique, je répliquerai à mon tour qu’en admirant beaucoup Athalie, je ne lui reconnais point tant de portée ; que la quantité d’élévation, d’énergie et de sublime qui s’y trouve ne me paraît pas du tout dépasser ce qu’il en faut pour réussir dans le haut lyrique, dans la grande poésie religieuse, dans l’hymne, et qu’à mon gré cette magnifique tragédie atteste seulement chez Racine des qualités fortes et puissantes qui couronnaient dignement sa tendresse habituelle. […] Lope de Vega eut aussi une fille, et la plus chérie, qui se fit religieuse ; il composa sur cette prise de voile une pièce de vers fort touchante, où il décrit avec beaucoup d’exaltation les alternatives de ses émotions de père et de ses joies comme chrétien (Fauriel ; Vie de Lope de Vega).

283. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Boutet, on remarque un grand étalage de principes religieux, moraux, et un caractère anti-philosophique très-prononcé. […] Les événements extérieurs dégoûtaient par leur petitesse et leur pauvreté ; la guerre se faisait misérablement et même sans l’éclat des désastres ; les querelles religieuses étaient sottes, criardes, sans éloquence, quoique persécutrices ; les mœurs, infâmes et platement hideuses : c’était une société et un trône sourdement en proie aux vers et à la pourriture. […] Quelques-uns de ses vers religieux (en les supposant écrits depuis cette date fatale) semblent même s’inspirer du sentiment énergique qu’il a de sa propre innocence : « Mais de ces langues diffamantes Dieu saura venger l’innocent, etc. », et plusieurs semblables endroits. […] Marot et Saint-Gelais ne les ont point passées… S’ils ont badiné aux dépens des religieux, ils n’ont point ri aux dépens de la religion. » (Voir, si l’on veut s’édifier là-dessus, mon Tableau de la Poésie française au xvie  siècle, 1843, page 37.)

284. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

L’auteur conclut avec logique que toutes les aspirations idéalistes et religieuses nouvelles n’ont aucun sens si elles n’ont pas un sens chrétien. […] Le mysticisme étant la méthode d’un esprit curieux de savoir, mais tournant sa curiosité sur soi-même, y cherchant une interne et intuitive lumière, — pour un païen est plutôt plastique, artistique, philosophique, pour un chrétien théologique et religieux ; celui-là apparaît dans les civilisations décadentes, celui-ci aux âges naïfs. […] Puis, M. de Wyzewa croit-il l’esprit religieux si opposé à l’esprit socialiste ? […] Cette interversion est capitale ; elle nous déporte du terrain scientifique vers le moral et l’esthétique, et même (bien que le mot ne figure point au Narcisse) vers le religieux.

285. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Il est permis de penser qu’il en est des groupes sociaux comme des organismes animaux, en sorte que l’apparition d’une conception bovaryque assume parmi les collectivités humaines une signification opposée selon qu’elle se manifeste parmi une société en formation ou parmi une société ancienne, pourvue par une longue hérédité historique d’organes religieux, moraux et politiques que coordonnent entre eux les fibres d’une sensibilité homogène et invétérée, élaborée aux sources de l’ethnicité de la langue et de l’habitat communs. […] C’est ainsi que le frein religieux pourra peut-être sans danger être aboli, faisant place à une coutume morale convertie en instinct par une longue pratique héréditaire. La foi religieuse pourra disparaître, ne subsistant plus en effigie que dans l’extériorité de quelques pratiques, à l’état de beauté archéologique et de vestige d’un passé, sans lequel la réalité actuelle du groupe social n’eût pu se constituer ; mais elle ne pourra sans danger être remplacée par une autre. Non plus, la coutume morale issue de cette foi ancienne, accommodée au moyen de mille compromis ingénieux au tempérament de la race, ne pourra être remplacée par une coutume morale dérivée d’une forme religieuse différente et apprêtée par le tempérament d’une autre race.

286. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Si, au-dessus des divinités locales ou familiales, elle en imagine d’autres dont elle croit dépendre, c’est que les groupes locaux et familiaux dont elle est composée tendent à se concentrer et à s’unifier, et le degré d’unité que présente un panthéon religieux correspond au degré d’unité atteint au même moment par la société. […] Les mythes, les légendes populaires, les conceptions religieuses de toute sorte, les croyances morales, etc., expriment une autre réalité que la réalité individuelle ; mais il se pourrait que la manière dont elles s’attirent ou se repoussent, s’agrègent ou se désagrègent, soit indépendante de leur contenu et tienne uniquement à leur qualité générale de représentations. […] N’est-ce pas elle, en effet, qui nous fait paraître si étrange la manière si spéciale dont les conceptions religieuses (qui sont collectives au premier chef) se mêlent ou se séparent, se transforment les unes dans les autres, donnant naissance à des composés contradictoires qui contrastent avec les produits ordinaires de notre pensée privée. […] Il est nul ou très faible dans le cercle des phénomènes religieux et moraux ou la variation devient aisément un crime ; il est plus étendu pour tout ce qui concerne la vie économique.

287. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

L’on dit que les lumières et tout ce qui dérive d’elles, l’éloquence, la liberté politique, l’indépendance des opinions religieuses, troublent le repos et le bonheur de l’espèce humaine. […] comment l’indépendance religieuse ne conduirait-elle pas au libre examen de toutes les autorités de la terre ? […] Partout où il a existé quelques institutions sages, soit pour améliorer l’administration, soit pour garantir la liberté civile ou la tolérance religieuse, soit pour exciter le courage et la fierté nationale, les progrès des lumières se sont aussitôt signalés.

288. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

qu’il n’y en ait pas mis une autre… Henri IV a donc commis là bien évidemment une des plus grandes fautes que souverain pût commettre, même la question religieuse écartée, que l’Histoire cependant n’écartera pas, car, je le dis, en regardant bien en face les révolutions futures, ou du moins le chemin par lequel elles peuvent venir, les gouvernements doivent toujours venir à bout, quand ils le voudront, eux qui sont la force organisée, de la force qui ne l’est pas… Segretain a par des exemples nombreux et frappants fait toucher du doigt dans son histoire la bévue des gouvernements du xvie  siècle qui précédèrent celui de Henri IV, lequel paracheva et fixa les conséquences de cette énorme faute, en la commettant à son tour ; et on se demande vraiment pourquoi, en lisant Segretain, qui nous met en lumière une chose qu’avant lui on n’avait pas assez vue, ce qui prouve son extrême bonne foi et son désir de justice : c’est qu’à toutes les époques de sa vie Henri IV, quelles qu’aient été ses apostasies, avait toujours été au fond de sa pensée plus catholique que protestant ! […] Cela déconcerte un peu les idées reçues, mais voyez si avec la nature de Henri, cette nature indifférente aux idées religieuses pour elles-mêmes, son bon sens qui touchait au génie, son ardeur de cœur et de sens, son esprit politique, pratique et si bien fait pour le commandement, voyez si le catholicisme, cette religion de l’unité et de l’ordre et qui était encore la force dans le pays, ne devait pas être préférée à l’anarchie des doctrines protestantes, scindées déjà de son temps par plusieurs communions. […] L’Hôpital lui-même n’était allé que jusqu’à un simple édit de tolérance : or, l’Édit de Nantes reconnaissait un droit… Enfin, il y a plus encore : les idées modernes existaient si peu sur l’égalité des cultes et la liberté religieuse, que ces idées, maintenant en possession de tous les esprits, sans l’Édit de Nantes n’auraient peut-être jamais existé.

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