/ 2619
343. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Il est trop pur. […] Qui de nous est assez pur pour jeter la première pierre ? […] Ce n’est pas un pur roman naturaliste. […] Lui, robuste et violent quand il lui plaît, s’est montré ici harmonieux et pur. […] Voici maintenant la gloire la plus pure et la plus consolante.

344. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

A l’état de notion pure, le mot représenterait une idée ; qu’est-ce qu’une idée ? […] Saint-Simon, extraordinaire artiste de style, est pur de toute rhétorique. […] Victor Hugo, au contraire, représente le type visuel presque pur. […] La philosophie, qui passe vulgairement pour le domaine des idées pures (ces chimères !) […] Est-ce faire un éloge que d’écrire : « Anatole France a souvent des pages qui sont du pur Renan ?  

345. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Et il est venu m’attaquer dans mon petit bois, au bord de mon onde pure. […] Il ne voit plus que le profil jeune, les formes graciles et pures de Norette. […] N’accusons jamais d’impiété la pensée pure. […] L’amour était, pour Barthélémy, un sentiment très vague et très pur. […] L’esprit du conteur est un peu étroit, mais si pur !

346. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

On aime à savoir où ce grand écrivain et ce grand esprit s’est trompé et a décidé trop à la légère avant de bien savoir ; où il a été épigrammatique et injuste envers des prédécesseurs illustres et considérables ; où il a donné dans l’hypothèse pure et hasardée ; où il a deviné juste par étendue d’esprit et par aperçu de génie ; on aime à saisir avec précision sa marche progressive, à mesurer sa prise de possession graduelle de son sujet, à noter l’endroit certain où il devient complètement naturaliste, de physicien qu’il était en commençant. […] « Buffon, disait Linné vers la fin de sa vie, n’a point recalé les bornes de la science, mais il sut la faire aimer ; et c’est aussi la servir utilement. » Cet éloge ne dit point assez sans doute : voyons-y du moins une sorte de réparation accordée par le prince des botanistes, par le naturaliste qui l’était de naissance et de pur génie, à celui qui l’était devenu par volonté et qui régna, lui aussi, du droit du génie et de la puissance. […] J’ai vu des savants positifs, des observateurs de mérite, mais d’un horizon un peu restreint et rabaissé, qui, lorsqu’ils étaient interrogés sur Buffon, répondaient à peine ; et l’un d’eux me dit un jour : « Il y a encore Bernardin de Saint-Pierre qui a fait de beaux tableaux dans ce genre-là. » Évidemment ces savants de métier, ne trouvant pas chez Buffon le détail précis d’observation qu’ils prisent avant tout, y voyant du général ou du vague (ce qu’ils confondent), y ayant noté des erreurs, n’appréciant point d’ailleurs l’élévation et la nouveauté première de quelques-unes de ses conceptions lumineuses et de ses perspectives, lui rendent le dédain qu’il a eu pour leurs devanciers de même race ; ils exercent sur lui la revanche du naturaliste positif, de l’anatomiste, de l’observateur au microscope, sur l’homme de talent qui les a trop tenus à distance ; ils sont fiers d’être aujourd’hui plus avancés que lui, et, en le rapprochant si fort de Bernardin de Saint-Pierre qu’ils lisent très peu, ils le relèguent parmi les littérateurs purs, oubliant que Buffon a été un génie scientifiquement éducable, ce que Bernardin de Saint-Pierre ne fut jamais. […] À part quelques mots de pure forme et de déférence, l’idée seule de la nature, c’est-à-dire des lois immuables et nécessaires limitant et enveloppant de toutes parts la force de l’homme, est ce qui règne chez Buffon.

347. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M.  […] Certes, je suis loin de méconnaître les progrès que l’art musical a faits depuis les couvents, j’ai admiré plus que tout autre le Requiem de Mozart et les messes de Cherubini, et, pour qui se tient au point de vue de l’art pur, nul doute que les vastes proportions, la richesse d’harmonie, les grands effets d’instrumentation des compositions modernes n’offusquent singulièrement la simplicité, la nudité du chant grégorien ; sous ce rapport, il n’y a pas de comparaison à établir : mais voulez-vous sentir où gît la supériorité réelle du simple chant d’église ? […] Le Saint-Simonisme, en tous ceux qu’il a touchés, a tué la foi au libéralisme pur, et tout en ne repoussant rien de ce que la liberté a de bon, d’utile et de pratique, le nom de liberté désormais, pour tous ceux qui ont compris le sens et le bienfait aussi de ce qui n’est pas elle, qui ont conçu, ne fût-ce qu’une fois, le regret ou l’espoir d’une haute direction sociale, a perdu de sa vertu merveilleuse et de sa magie. […] Les gouvernements de liberté pure ne sont pas nécessairement les plus agissants.

348. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Ce qui irritait surtout contre eux, ce qui exaspérait l’opinion bordelaise royaliste d’alors, rien qu’à prononcer leurs noms, c’est que les frères Faucher étaient moins des bonapartistes purs que des girondins, ou même, en remontant plus haut, de ci-devant royalistes considérés comme renégats et apostats, parce que le mouvement des Cent-Jours les avait pris par le côté patriotique et les avait ralliés in extremis à Napoléon ainsi que les Carnot, les Lecourbe. […] Mais c’est infâme, c’est révoltant, c’est le renversement de tous les sentiments naturels ; c’est du parricide pur ! […] On voyait en première ligne, en tête de ces partisans des rigueurs salutaires, un Bonald, à l’air respectable et doux, métaphysicien inflexible et qui prenait volontiers son point d’appui, non pas dans l’ancienne monarchie trop voisine encore à son gré, mais par-delà jusque dans la politique sacrée et dans la législation de Moïse : oracle du parti, tout ce qu’il proférait était chose sacro-sainte, et quiconque l’avait une fois contredit était rejeté à l’instant, répudié à jamais par les purs ; — un La Bourdonnaie, l’homme d’action et d’exécution, caractère absolu, dominateur, un peu le rival de Bonald en influence, mais non moins dur, et qui avec du talent, un tour d’indépendance, avec le goût et jusqu’à un certain point la pratique des principes parlementaires, a eu le malheur d’attacher à son nom l’inséparable souvenir de mesures acerbes et de classifications cruelles ; — un Salaberry, non moins ardent, et plus encore, s’il se pouvait ; pamphlétaire de plume comme de parole, d’un blanc écarlate ; — un Duplessis-Grenedan, celui même qui se faisait le champion de la potence et de la pendaison, atroce de langage dans ses motions de député, équitable ailleurs, par une de ces contradictions qui ne sont pas rares, et même assez éclairé, dit-on, comme magistrat sur son siège de justice ; — M. de Bouville, qui eut cela de particulier, entre tous, de se montrer le plus inconsolable de l’évasion de M. de Lavalette ; qui alla de sa personne en vérifier toutes les circonstances sur les lieux mêmes, et qui, au retour, dans sa fièvre de soupçon, cherchait de l’œil des complices en face de lui jusque sur le banc des ministres ; — et pour changer de gamme, tout à côté des précédents, cet onctueux et larmoyant Marcellus, toujours en deuil du trône et de l’autel, d’un ridicule ineffable, dont quelque chose a rejailli jusqu’à  la fin sur son estimable fils ; — et un Piet, avocat pitoyable, qui, proposant anodinement la peine de mort pour remplacer celle de la déportation, disait, dans sa naïveté, qu’entre les deux la différence, après tout, se réduisait à bien peu de chose ; ce qui mettait l’Assemblée en belle humeur et n’empêchait pas le triste sire de devenir bientôt, par son salon commode, le centre et l’hôte avoué de tous les bien pensants ; — et un Laborie que j’ai bien connu, toujours en quête, en chuchotage, en petits billets illisibles, courtier de tout le monde, trottant de Talleyrand ou de Beugnot à Daunou, mêlé et tripotant dans les journaux, pas méchant, serviable même, mais trop l’agent d’un parti pour ne pas être inquiétant et parfois nuisible. […] Mais se peut-il, comme je l’entends dire, que l’exemple de tant de fautes, de tant de folies avérées auxquelles vainement ils résistèrent, soit en pure perte et inutile ?

349. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Quand on parcourt, comme je viens de le faire, les deux premiers volumes des Questions de mon temps, on est frappé de l’à-propos et de la justesse de son feu et de son tir contre les journaux, organes des divers partis : — quelques-uns, les journaux de l’opposition pure, attaquant le ministère Guizot à outrance sans trop voir ce qu’ils ébranlent avec lui ; d’autres, le Journal des Débats, le défendant à outrance sans voir ce qu’ils compromettent avec lui ; Le National enfin, d’accord avec les organes légitimistes dans la détestable doctrine du Tant pis, tant mieux, désirant que le ministère résiste jusqu’au bout et tienne bon opiniâtrement, afin de renverser du même coup ministère et système, cabinet et dynastie. […] M. de Girardin se prononça bientôt contre les demandes de toute sorte qui se succédaient en procession à l’Hôtel de Ville, contre l’augmentation des salaires, contre l’idée de guerre ; il s’éleva très-courageusement surtout contre le parti des démocrates purs, des républicains de la veille, de ceux qui auraient voulu faire de la République si fortuitement conquise une secte à leur dévotion, un régime à leur profit, doctrinaires d’un nouveau genre et qui prêchaient à leur tour l’exclusion, l’épuration. […] Cabarrus ; à huit heures sonnantes, je sortirai seul avec lui. » On insista ; on craignait un malheur qui aurait souillé la Révolution, pure jusque-là de toute effusion de sang. […] J’indiquerai ici, ne pouvant discuter le détail, ce qui me semble vrai, plausible, acceptable, dans l’ensemble des vues de M. de Girardin, et ce qui me paraît n’être encore que de la pure algèbre, de la mécanique sociale toute rationnelle.

350. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Guizot a recueilli et reconquis, on le sent, toute cette piété filiale et maternelle avec les années ; mais de plus, et en dehors du sentiment pur, sa raison et sa prudence interviennent à tout instant pour compléter son principe de foi, pour l’appuyer et le corroborer par de puissantes considérations politiques et sociales : « Y a-t-on bien pensé ? […] Guizot, le portrait d’un philosophe pur, d’un savant et d’un critique de bonne foi qui ne recule devant aucun problème, devant aucune solution, devant aucune absence de solution. […] Dans ses relations au dehors et pendant les intervalles de la science pure, il ne se contente pas de ne faire tort à personne ; s’il le peut, il fait le bien. […] Il n’est ni pour la grande Église catholique hiérarchique, ni pour l’émancipation absolue et l’Église libre universelle, de même qu’en politique il n’était ni pour la forme monarchique ou aristocratique pure, ni pour la liberté démocratique et le suffrage universel.

351. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Si l’on relit ses mélanges extraits du Conservateur et du Mémorial catholique, ses beaux pamphlets, de la Religion considérée dans ses rapports avec l’Ordre politique et civil (1826), des Progrès de la Révolution(1829), ses deux Lettres à l’Archevêque de Paris (mars et avril 1829), on l’y voit ne jamais séparer dans son anathème les doctrines libérales ou démocratiques d’avec les doctrines hérétiques et impies, subordonner le prince au Pape, l’épiscopat à Rome, soutenir en tout et partout l’intervention et la prédominance légitime du pur catholicisme. […] Il fallait ou en sortir et tomber à la démocratie pure et à un christianisme librement interprété, ou bientôt être réduit à se taire en vertu de défense supérieure. […] Il importe que ces germes, en se hâtant trop, ne se mêlent pas avec d’autres moins purs et qui font partout ivraie ; et d’ailleurs le bon blé ne reste-t-il pas assoupi tout un hiver dans son sillon ?  […] Sa manière de philosophiser le christianisme est-elle tout simplement, avec plus de ferveur et d’impulsion, un pur déisme avec morale évangélique, comme par exemple la religion de MM.

352. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Sa philosophie a été celle déjà de Jean de Meung, sera celle de Molière et de Voltaire : celle, remarquons-le, des plus purs représentants de la race, et en effet elle exprime une des plus permanentes dispositions de la race, l’inaptitude métaphysique : une autre encore, la confiance en la vie, la joie invincible de vivre. […] Toute l’animalité s’y peint, dans ses fonctions les plus grossières, comme on y trouve les plus pures opérations de la vie intellectuelle. […] Et par là Rabelais est en plein dans la pure tradition du génie français, qui jusqu’au milieu du xviie  siècle ne connaît guère la femme et cette vie tout affective dont elle nous semble être essentiellement source et sujet. […] Jamais réalisme plus pur, plus puissant, plus triomphant ne s’est vu.

353. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Les sensations sont donc intransmissibles, ou plutôt tout ce qui est qualité pure en elles est intransmissible et à jamais impénétrable. […] À ce point de vue, tout ce qui est objectif est dépourvu de toute qualité et n’est que relation pure. Je n’irai certes pas jusqu’à dire que l’objectivité ne soit que quantité pure (ce serait trop particulariser la nature des relations en question), mais on comprend que je ne sais plus qui se soit laissé entraîner à dire que le monde n’est qu’une équation différentielle. […] Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant ; puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées ; dire qu’il y a autre chose que la pensée, c’est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens.

354. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

C’étaient les deux comtes de Stolberg, nourris de la fleur grecque et de l’esprit chrétien, philosophes et littérateurs éminents ; Jacobi, philosophe aimable, d’un sentiment délicat et pur ; d’autres encore moins connus ici, enfin une société douce mais grave : « Nous avons rencontré, écrivait-il à Mallet du Pan en avril 1798, de l’instruction et des vertus. » Dans une autre lettre à ce même ami alors réfugié à Londres, il a peint lui-même l’état calme et reposé de son âme en ces années d’attente, de conversation nourrie et de réflexion communicative : Il n’y a rien de nouveau en France, lui écrivait-il (24 juin 1798.) […] Dans l’esprit de retour et de réveil religieux auquel il appartient, il reste pur de toute réaction, il est également éloigné de tout extrême. […] Il avait poussé la chicane jusqu’à reprocher aux rédacteurs du Code d’avoir dit dans une phrase : « Le bon sens, la raison, le bien public ne permettent pas, etc. », comme si c’était une pure redondance ; à quoi Portalis répliquait : Nous ne nous engagerons pas dans la question, si la langue française admet ou n’admet pas des mots synonymes ; mais nous dirons que le bon sens et la raison diffèrent, en ce que le propre de la raison est de découvrir les principes, et que le propre du bon sens est de ne jamais les isoler des convenances. […] Certes, dans ses relations avec le souverain pontife et avec les chefs de l’Église, Napoléon ne pouvait faire choix d’un organe ni d’un conseiller plus savant, plus pieux, plus pur, plus ferme en de certains cas, et plus doux dans le mode de résistance que ne l’était Portalis.

355. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Ses douces nuées, à lui, ne renferment pas d’orage, et, en s’écartant, elles ont laissé voir un fond de ciel serein, à peine voilé par places, mais pur et délicieux. […] Dans un certain nombre de niches sépulcrales qui ont été ouvertes à diverses époques, on peut suivre, en quelque sorte pas à pas, les formes successives, de plus en plus éloignées de la vie, par lesquelles ce qui est là arrive à toucher d’aussi près qu’il est possible au pur néant. […] Regardez enfin dans cette autre niche : là, il n’y a décidément plus rien que de la pure poussière, dont la couleur même est un peu douteuse, à raison d’une légère teinte de rousseur. […] Dans cette vie déjà longue où pas une mauvaise pensée ne s’est glissée, et qui a échappé à toute passion troublante, il a gardé la joie première d’une belle âme pure.

356. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Tous, ou presque tous, une fois au moins, ont cherché, dans cette source pure le secret du langage qu’ils allaient parler, depuis Aristote, qui a écrit deux poésies qui le classent parmi les grands poètes, jusqu’à Schelling, qui a publié un recueil de vers fort curieux sous le nom de Bonaventure. […] Éloa, cette sublimité dans le délicat et le pur, avait eu le succès qui convenait, — un succès chaste, comme elle, plus profond que sonore ; mais trois ans après, jour pour jour, Vigny, qui voulait mettre une fleur de prose à côté de cette fleur de poésie qui était sortie de sa pensée, calice de parfum et de blancheur, comme le nénuphar sort d’une eau limpide, Vigny publia Cinq-Mars, un roman historique bien plus inspiré, selon moi, par Walter Scott, alors régnant, qu’il n’est produit par une fantaisie vraiment libre ou une combinaison irréfléchie. Les femmes, et toutes les âmes charmantes quel que soit leur sexe, pour lesquelles Éloa avait été écrite, durent prendre secrètement le deuil en voyant cette infidélité du plus pur des poètes à la plus pure des Muses, qui ne lui avait rien refusé… Est-ce pour cela qu’il était infidèle ?

/ 2619