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1297. (1921) Esquisses critiques. Première série

Par deux précieuses qualités, que peu d’auteurs ont possédées au même degré que lui : une force comique d’une rare puissance, un art exceptionnel de créer et de marquer des types. […] Montfort comme en ses créations, on distingue d’abord une sorte de puissance qui déborde et qui se répand. […] Mais, de même que sa puissance nous a paru mélangée de tristesse, son esprit est caustique et mêlé d’amertume. […] On y retrouve en effet cette puissance et cette tristesse dont l’étrange union donne à tout ce qu’il imagine sa singulière couleur, car il semble au premier abord qu’il y ait une antinomie entre la puissance et la tristesse, puisque la tristesse est une diminution d’être. […] Là encore son tempérament se révèle dans son art ; à la puissance correspond une écriture massive, où la trouvaille étincelle parfois comme une brisure luisante dans un bloc de minerai.

1298. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Donque la mort face hardiment sur moy Ce qu’elle peult, j’aimeray constamment, Et vif et mort en vous tant seulement Vivra mon cœur, ma puissance et ma foy. […] On discute puissance, dignités, préséances ; et comme Amour lutte difficilement contre la faconde intarissable de Folie, il ne tarde point à mettre la main à son arc et à en faire voler une flèche. […] Il est clair qu’il était constamment en butte à ce que Gœthe appelle les puissances démoniaques. […] (Les puissances démoniaques aiment à rire.) […] Ne démènent qu’en feintes Les amoureux ébats ;            Entre elles plus Amour n’a de puissance, Et plus n’ont connaissance Des plaisirs de Vénus.

1299. (1888) Portraits de maîtres

Toujours par l’initiative et la volonté de Chateaubriand, la beauté poétique du Christianisme et sa puissance inspiratrice, complètement ignorées par nos aïeux, se sont imposées à tous les écrivains illustres de notre âge. […] Elles accompagnent la satire Ménippée, elles harcèlent la puissance de Mazarin, elles mènent le carnaval de la Régence, elles sonnent les premières fanfares de la Révolution. […] C’est par là que, malgré leurs défauts, ces leçons restent belles et durables et qu’elles font comprendre leur puissance et leur action sur la jeunesse. […] Il a décuplé la puissance du Lyrisme et donné à l’Ode l’envergure de l’Infini. […] Il consulte donc les sphynx, et les sphynx lui parlent pour lui dénoncer tour à tour la même vérité funèbre, le vide des conquêtes et de la puissance terrestre.

1300. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Ces belles apparitions de la nature, parmi ces laideurs et ces vulgarités de la misère romaine, attestaient encore, dans cette noble et forte race, la puissance éternelle de la sève qui produisit jadis tant de gloire et en qui germe toujours la beauté. […] L’impuissance d’admirer qui vient de l’impuissance de comprendre a une puissance de dénigrement dont Ronsard et le Tasse ont été longtemps les victimes parmi nous.

1301. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Bramante, Raphaël, Michel-Ange, les plus grands artistes furent prodigués aux plus grands pontifes pour concevoir et gouverner la construction de ce prodige de la puissance, de la richesse et du génie. […] De plus grands hommes dans tous les arts ne sont pas nés et ne renaîtront jamais : architectes, artistes, pontifes, poètes, tailleurs de marbre, peintres, sculpteurs, mosaïstes, ont été réunis en faisceau de foi, de puissance, de conception, de richesse, de génie, de volonté, d’inspiration, d’enthousiasme pour enfanter ce miracle !

1302. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Charlemagne, comme il était naturel, par son long règne, ses grandes guerres, son vaste génie, et la restauration prodigieuse de la puissance impériale, devint le héros favori et comme le centre de l’épopée. […] Enfin le héros, blâmé dans son orgueil, est grand dans la défaite et dans la mort : haute intuition d’avoir exalté le vaincu, et doublé la puissance de l’admiration de toute la tendresse de la pitié !

1303. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Il avait une rare puissance de raisonnement, une clarté et une précision de termes qui rappelaient les maîtres du xviie  siècle, une plénitude de développement qui saisissait les esprits ; et parfois son austère parole était illuminée de sobres images. […] Il n’a pas eu la puissance d’esprit qu’il aurait fallu pour le rôle qu’il prenait.

1304. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Il est impossible, après avoir lu ces lettres, de croire que Latouche ait jamais été pour Marceline autre chose qu’un ami, à moins de prêter à cette noble femme une puissance diabolique de dissimulation. […] J’ai rappris en une heure la puissance du génie.

1305. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

Alors ne fut du désir, de l’aspiration, des joies et du malheur d’amour aucune fin ; monde, puissance, gloire, splendeur, honneur, chevalerie, fidélité, amitié, tout, comme un insubstantiel rêve, en poussière s’éparpilla ; seule une chose vivante encore, — le désir, le désir, l’inapaisable, l’éternellement réenfantée aspiration, le languissement et la soif ; une unique rédemption, — mourir, finir, se perdre, ne plus se réveiller ! […] Ce n’est plus le printemps c’est Walther, le printemps individualisé avec son désir et sa puissance.

1306. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

J’espère que cette digression sera pardonnée au besoin de prouver une des puissances de la conversation et de revendiquer pour elle un droit qui n’a été reconnu qu’aux lettres. […] Et n’y aurait-il pas eu autant d’inhumanité que d’insolence, et surtout de sottise, à diriger en plein théâtre des traits de satire contre une octogénaire qui, ne disposant plus de la puissance de la vogue et de la mode, n’avait point à répondre de leurs écarts ?

1307. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

Quels que soient les immenses services rendus à l’industrie par les théories scientifiques, quoique, suivant l’énergique expression de Bacon, la puissance soit nécessairement proportionnée à la connaissance, nous ne devons pas oublier que les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental qu’éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes. […] Si la puissance prépondérante de notre organisation ne corrigeait, même involontairement, dans l’esprit des savants, ce qu’il y a sous ce rapport d’incomplet et d’étroit dans la tendance générale de notre époque, l’intelligence humaine, réduite à ne s’occuper que de recherches susceptibles d’une utilité pratique immédiate, se trouverait par cela seul, comme l’a très justement remarqué Condorcet, tout à fait arrêtée dans ses progrès, même à l’égard de ces applications auxquelles on aurait imprudemment sacrifié les travaux purement spéculatifs ; car les applications les plus importantes dérivent constamment de théories formées dans une simple intention scientifique, et qui souvent ont été cultivées pendant plusieurs siècles sans produire aucun résultat pratique.

1308. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Car cette puissance contraignante témoigne qu’ils expriment une nature différente de la nôtre puisqu’ils ne pénètrent en nous que de force ou, tout au moins, en pesant sur nous d’un poids plus ou moins lourd. […] Mais il est clair que ce n’est ni des uns ni des autres que peut venir l’impulsion qui détermine les transformations sociales ; car ils ne recèlent aucune puissance motrice.

1309. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Ils ne furent pour rien dans l’élection du Pape, créé par l’Espagne toute seule, qui, du moins, avait la puissance et la science du mal qu’elle voulait. […] On sent bien qu’elle a de la puissance, puisqu’elle a des passions ; mais les passions sont la force la moins noble, la plus animale de notre être.

1310. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Phraséologue comme Victor Hugo, mais sans la puissance de l’énorme Verbe de ce grand et magnifique poète creux, Flaubert, voué à toutes les superstitions de la phrase, brosseur et ratisseur de mots, qui a peut-être entassé plus de ratures que de phrases pour parvenir à faire celles dont il avait l’ambition, Flaubert n’eut jamais, en dehors de la grammaire, de la rhétorique et de la description matérielle, rien d’humain, rien de vivant, rien de passionné, de battant sous sa mamelle gauche, sinon la haine et le mépris du bourgeois, — du bourgeois tel que l’a fait le monde moderne, ce joli monde sorti de la Révolution Française ! […] Mais dans Bouvard et Pécuchet, c’est le coup à fond, c’est le coup de la haine et du mépris élevés à la plus haute puissance, et dont la bourgeoisie du xixe  siècle doit mourir.

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