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903. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Il s’ensuivit des plaintes dans les journaux du lieu, des brochures ; l’orage grossit ; on se parlait de ce pâté à l’oreille, de Rome à Paris, dans ce grand silence, un moment pacifique, de l’Empire ; et Courier jugea à propos de répondre par une Lettre publique (1810) adressée à M.  […] Courier se défendait fort de l’être : Si j’entends bien ce mot, qui, je vous l’avoue, m’est nouveau, vous dites un helléniste comme on dit un dentiste, un droguiste, un ébéniste ; et, suivant cette analogie, un helléniste serait un homme qui étale du grec, qui en vit, qui en vend au public, aux libraires, au gouvernement. […] Je crois, pour vous dire ma pensée, que ni moi ni autre aujourd’hui ne saurait faire œuvre qui dure ; non qu’il n’y ait d’excellents esprits, mais les grands sujets qui pourraient intéresser le public et animer un écrivain, lui sont interdits. Il n’est pas même sûr que le public s’intéresse à rien.

904. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

En allant visiter les îles Borromées, il nous parle du saint si vénéré, de Charles Borromée, ce grand personnage, bienfaiteur du pays, et qui a partout laissé sa trace : « Il est singulier qu’un homme qui a si peu vécu ait pu faire tant de choses de différents genres, toutes exécutées dans le grand, et marquant de hautes vues pour le bien public. » Il traite assez lestement ce petit faquin de lac Majeur qui s’avise de singer l’Océan et d’avoir des tempêtes : Les bords du lac, dit-il, sont garnis de montagnes fort couvertes de bois, de treilles disposées en amphithéâtre, avec quelques villages et maisons de campagne, qui forment un aspect assez amusant. […] La profusion des mets doit toujours être au triple de ce qu’il en faut pour les convives… Un Italien ne fait rien de tout cela : sa manière de paraître, après avoir amassé par une vie frugale un grand argent comptant, est de le dépenser à la construction de quelque grand édifice public, qui serve à la décoration ou à l’utilité de sa patrie, et qui fasse passer à la postérité d’une manière durable son nom, sa magnificence et son goût. […] De Brosses, on le voit, abondait en projets de toutes sortes pour l’utilité publique, comme nous en avons vu faire à Perrault, le commis de Colbert ; mais il y portait plus de science et un plus grand goût que Perrault. […] Et bientôt, voyant Turgot à l’œuvre, il trouvait dans sa politique et dans ses édits « plus d’Encyclopédie que de ministère » ; de même, au reste, que dans les discours et remontrances opposés, il trouvait « plus d’envie de contredire que de bien public ».

905. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Lui-même, après une éducation toute religieuse, grave, studieux, muni de convictions fortes, éprouvé par la proscription, formé pour gouverner les hommes sans les contraindre, et préparé à la politique par la morale, il entrait dans les affaires publiques, lorsque l’anarchie du Directoire et le despotisme de l’Empire lui fermèrent la carrière pour laquelle il était né et il était prêt. […] Qu’il ait des opinions, une conduite, des chapeaux et des gants comme le public : cela regarde le public. L’autre homme, à qui je permets l’accès de la philosophie, ne sait pas que ce public existe.

906. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

À part tout ce que le temps nous a ravi des premiers siècles de Rome, à part cette suite d’orateurs, cette voix publique de Rome, dont le souvenir s’est comme enseveli sous la ruine des Institutions qu’elle avait animées, Lucrèce et Cicéron, l’ami de Memmius et l’immortelle victime d’Antoine, demeurent sur les confins de la république à l’empire, comme ces débris de quelque admirable portique, ces colonnes impérissables qui précèdent et dominent les constructions belles encore, mais plus timides, des siècles suivants. […] Que cependant l’âme de Lucrèce, que sa vive impression des spectacles de la nature et des souffrances glorieuses de Rome, que son effroi de la vie publique, son amour de la retraite et de la contemplation solitaire lui aient inspiré d’admirables accents, on ne peut le méconnaître. […] Car nous, durant les maux de la patrie, nous ne pouvons achever notre œuvre avec un esprit assez libre ; et l’illustre descendant de Memmius ne pourrait non plus, pour être attentif à pareille chose, manquer au salut public. » Mais ce magnifique essor du poëte, à l’ouverture de ses chants, est à la fois son premier salut et son adieu à l’enthousiasme lyrique. […] En sera-t-il de même, quand Catulle voudra rendre quelques-uns des sentiments publics que Rome affectait encore, mais qui n’avaient plus racine dans les âmes, et surtout dans celle du poëte licencieux et voyageur ?

907. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Si l’abbé avait été un homme de lettres déjà connu par des ouvrages imprimés et publics, il aurait eu maille à partir avec l’Académie dès le jour de son entrée, à cause de son orthographe. […] La première parut innocente et fit sourire le petit nombre de ceux qui la remarquèrent ; la seconde amena un furieux éclat dans un certain public et au sein de l’Académie. […] Dans ces mêmes pages (il faut être juste), Voltaire lui attribue pourtant l’honneur d’avoir fait substituer, à force d’avertissements, la taille tarifée à la taille arbitraire ; il revient encore ailleurs sur ce bienfait public dû aux travaux de l’abbé et sur le résultat qu’il obtint en cette seule matière.

908. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Son intervention surtout au sein de la littérature du jour redevint manifeste et hautement avouée ; des hommes instruits, des écrivains élégants, et un bon nombre des plus distingués dans ce journal même98, reprirent en main la cause des maîtres au point où La Harpe l’avait laissée, et, la poussant plus avant, remirent en circulation auprès du public et du monde les noms et les exemples des Anciens dont ils s’étaient longtemps nourris. […] Faut-il s’en remettre absolument et tout imputer au public, même au public d’alors, à la majorité des rhapsodes, ou du moins à ce que j’ai appelé la Commission de Pisistrate ?

909. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

L’ouvrage de M. de Chateaubriand a ramené la curiosité publique sur ce grand et saint personnage ; la publication de M.  […] On serait très-aisément disposé ainsi de nos jours ; on irait faire volontiers un pèlerinage dont on parlerait longtemps ensuite, et dont on raconterait au public les moindres circonstances et les impressions ; mais il y a dans l’idée de durée attachée à une telle vie quelque chose qui effraie, qui glace et qui rebute ; or ce quelque chose, on le ressent inévitablement à chaque page des lettres du réformateur de la Trappe. […] Ayant fait un voyage à la Trappe dans le printemps de 1687, l’abbé Nicaise n’eut rien de plus pressé que d’en dresser une Relation pour la donner au public.

910. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Avertissement sur la seconde édition. » pp. 23-54

Mais, pour plaire à certains Esprits, devions nous manquer au Public & à l’équité ? […] Il n’est pas jusque dans leurs murmures publics, où l’envie de nous nuire ne les ait compromis avec l’évidence & le bon sens. […] Attaquer les préjugés des vivans, venger les morts, affronter l’enthousiasme & la folle crédulité d’un Public prévenu, sont-ce donc là des moyens d’être payé autrement que par l’ingratitude, les inimitiés, la persécution ?

911. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Ils étaient donc très-attachés à un système de garanties publiques et constitutionnelles, mais ils ajoutaient que les institutions ne sont pas tout, qu’elles ne sont que des moyens et non pas des fins, et que le principal n’est pas de savoir qui gouvernera, mais comment on gouvernera. […] La première est radicalement hostile au Comité de salut public et au régime de 93. […] Cette commission sera superposée au conseil des ministres. » Ainsi, une sorte de comité de salut public industriel, composé des principaux fabricants, commerçants, financiers, voilà quel a été le premier rêve de l’école saint-simonienne : c’était une ploutocratie.

912. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Plusieurs des collaborateurs de la Revue bleue ont précédemment signalé l’évolution profonde qui se produit actuellement en poésie, et dont les manifestations ont déjà retenu l’attention du public et des lettrés. […] Sans vouloir déclarer qu’elles furent vaines, nous devons cependant constater — toute déférence gardée vis-à-vis des esprits sérieux qui crurent devoir s’y attacher — que toutes ces discussions sans fin n’ont pas été sans contribuer pour une large part à déterminer et à propager cette indifférence que le public témoigne aujourd’hui à l’égard de la Poésie. — Eh ! […] Il sera de plus en plus difficile de faire voir monts et merveilles au public dans un vers idiot. « Mais vous n’avez pas le sens anagogique, ma chère ! 

913. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Il n’y entretient pas le public de ses succès de propagande ou du détail de ses travaux apostoliques. […] Comme ils le font tous, quand il le faut, ces admirables possesseurs d’eux-mêmes et de la lumière, il y tait ses contemplations intérieures, et la critique est d’autant plus à l’aise vis-à-vis de lui qu’il n’a voulu faire qu’un livre de voyage et d’histoire, et qu’il a traité le public français comme il avait traité le public chinois, quand il ne craignit pas de revêtir la magnificence orientale et quand ces humbles pieds, dont il est dit dans nos livres saints : « Qu’ils sont blancs et beaux, les pieds des envoyés du Seigneur ! 

914. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Tous les brillants écrivains de la première heure se brouillèrent successivement avec Buloz et s’en allèrent, les uns après les autres ; les uns à travers des éclats publics, les autres discrètement, en gens fiers blessés qui avaient la fierté pudique. […] Ils jugeaient l’esprit de leur temps par le leur, et voilà pourquoi ils se trompèrent… Le public de ce temps-ci est très indifférent au talent. […] Demandez-vous plutôt combien de jeunes talents, qui comptaient trouver dans cette Revue une porte ouverte vers le public, ont été révoltés, dégoûtés, démoralisés.

915. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Mais il vient d’être réédité en 1878, à peu près au moment où le sculpteur Falguière finissait sa statue, et l’éditeur, qui fait son métier, envoie le livre à la Critique, pour qu’elle le mette en lumière au moment même où cette statue se dresse sur la place publique de Mâcon, et attire les regards de tous ceux qui lisent les journaux et ne voient, de près ou de loin, que par cette lorgnette. […] Il n’y avait peut-être, au commencement du siècle, que Le Génie du Christianisme qui se fût emparé de l’admiration publique avec cette puissance, mais le succès du Génie du Christianisme avait un autre caractère et une autre explication que celui des Méditations. […] » Pour un pareil mot, il aurait mérité que Lamartine lui eût renversé un second encrier sur la tête… Quant à moi, je ne conserverai pas ces effluves du génie et de l’encrier de M. de Lacretelle qui font le livre d’aujourd’hui, et je m’imagine que le public ne les conservera pas plus que moi.

916. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

De la même plume dont il traçait les Lettres dont nous parlerons tout à l’heure, et dont les mots poignants ont été autant de pièges pour ceux qui devraient connaître le piège des mots, il se posait devant le public, comme il se posait devant Charlotte et Kestner, dans sa correspondance. […] Cette publication illustrée n’avait besoin ni du luxe d’impression, ni des beaux dessins de Kaulbach, ni de tout l’éclat extérieur dont les éditeurs l’ont ornée, pour être un livre de haute et vaste prise sur le public. […] Paul de Saint-Victor a cet avantage pour le public d’avoir sur Goethe les opinions admises en Europe, et son livre est plus qu’un jugement littéraire sur le talent ou le génie de Goethe.

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