Cette ambition, en tant qu’elle se proposait une forme un peu précise, se bornait sans doute à rêver un premier ministère à côté de la duchesse d’Orléans régente ; mais au moment décisif, avec cette divination de la pensée publique qu’ont les poètes et que n’eurent jamais les doctrinaires, il sentit que la duchesse d’Orléans devenait impossible, et il fut le premier à franchir le pas et à le faire franchir aux autres. » « — L’ambition de Lamartine était vaste et flottante comme toutes les grandes ambitions. » « — Lamartine, en 1829 et durant les premiers mois de 1830, sollicitait du prince de Polignac l’ambassade de Grèce, et je l’ai vu revenir enchanté de l’audience du prince. […] Si nous en valons la peine, on nous nomme, on nous caractérise en deux mots, et voilà la page de notre vie dans un siècle. » Dans les temps d’orage, au contraire, « dans ces drames désordonnés et sanglants qui se remuent à la chute ou à la régénération des empires, quand l’ordre ancien s’est écroulé et que l’ordre nouveau n’est pas encore enfanté, dans ces sublimes et affreux interrègnes de la raison et du droit,… tout change ; la scène est envahie, les hommes ne sont plus des acteurs, ils sont des hommes… Tout a son règne, son influence, son jour ; l’un tombe, parce qu’il porte l’autre ; nul n’est à sa place, ou du moins nul n’y demeure ; le même homme, soulevé par l’instabilité du flot populaire, aborde tour à tour les situations les plus diverses, les emplois les plus opposés ; la fortune se joue des talents comme des caractères ; il faut des harangues pour la place publique, des plans pour le Conseil, des hymnes pour les triomphes… On cherche un homme ! […] « Lamartine a bien mérité de la patrie à un moment décisif, et la critique littéraire ou celle du moraliste n’a plus guère rien à faire avec lui : l’acclamation publique la ferait taire.
La réunion publique, à la bonne heure ! […] Avec les optimistes qu’on en est venu à plus de simplicité sinon de sincérité ; — ou avec les pessimistes que, dans l’impossibilité d’imposer gravement des théories auxquelles on ne croit pas à un public qui y croirait peu, on a dépouillé tout dogmatisme, le bon comme le mauvais, et suivant une distinction de mots que nous emprunterons, petite pédanterie, Pascal, on n’ose plus essayer de convaincre et l’on se contente d’agréer. […] Une très légère couche du public parisien est contaminée.
Alexandre, César, ce roi philosophe dont je viens de vous parler, tous d’aussi bonne maison que ces messieurs, et à ce que je crois, un peu plus grands hommes, seraient d’un autre avis, plus juste et plus flatteur pour celui dont je parle ; et le public, plus fort que tous les gens à la mode, le dédommagera, par son suffrage, de ceux qu’il n’aurait pas le bonheur d’obtenir : ce public, un peu dur quelquefois, mais toujours respectable, prendrait la liberté de dire à ses frivoles censeurs : Rien n’est si ridicule que de vouloir attacher du ridicule aux talents, et de paraître dédaigner ce qu’on n’est pas en état de faire. […] Le duc de Nivernais devait terminer par la lecture de quelques-unes de ses fables, la séance publique où l’on se proposait de lire ce dialogue.
Quand nous la lûmes sous sa forme première et oratoire de Cours public, elle ne nous donna pas l’idée d’une vérité que nous ne demanderons jamais à la philosophie, mais pourtant elle nous donna celle d’une chose plus forte, d’une systématisation essayée et plus heureuse que ce qu’on avait l’habitude de rencontrer dans les œuvres de Cousin. […] Il parla de l’antagonisme fatal des idées, aussi bien dans l’histoire que dans la pensée, dans la conscience de l’homme que dans l’humanité ; enfin il amnistia la guerre, fit une théorie sur les grands hommes qui leur arrachait ce qu’il y a de plus beau en eux : leur libre individualité ; et, adroitement, se coulant de ces hauteurs où il s’était laissé enlever, au niveau abaissé de son auditoire, sentant bien qu’il avait affaire à un genre de public qui aurait donné toutes les spéculations métaphysiques pour une chanson de Béranger, il arriva en dernier ordre, par une subtilité de dialectique, à la Charte, cette chimère de l’époque d’alors, et posa comme l’idéal de sa philosophie la monarchie constitutionnelle, aux cris d’enthousiasme de tous ces Prudhommes de vingt ans ! […] Car l’auteur qui l’a revu et qui le prend à sa charge devant le public y a mis certainement toute sa force de tête, qu’il soit une vérité ou un mensonge, et si c’est un mensonge il en aura, certes !
Voilà les raconteurs de la vie publique de Calvin, — de ce dur commissaire de police religieuse, dont je n’ai pas de mal à dire, car j’aime les commissaires de police, et qui tint Genève sous sa griffe pendant des années, mais dont l’action énergique, le croira-t-on jamais ? […] La vie privée s’adosse à, la vie publique, et il n’est pas permis à l’historien de les séparer. […] Effrayante alternative pour Guizot, qui n’a même guères abordé que par la main des autres la vie publique de Calvin et son gouvernement spirituel, mais qui, pour le reste, pour cet abîme de la moralité d’un homme, qu’il faut pénétrer et sonder dans tout homme, quand on se charge de son histoire, a fait ce qu’on fit à la mort de Calvin, dont on s’empressa de clouer vite dans le cercueil le cadavre, qui aurait parlé, et de le jeter dans la tombe… Prudence terrible, qui dit même plus qu’on n’ose penser.
L’attention publique qu’il avait frappée au début, cette attention qui n’est jamais ni profonde ni durable en France, se détourna de l’homme qui, coup sur coup, publiait Les Colifichets, L’Enfer et Paris, trois chefs-d’œuvre qui auraient dû la lui ramener. Mais l’attention publique a la tête petite. […] C’est cette main sur la nuque de l’attention publique que n’eût jamais Amédée Pommier, et qu’il ne réclama jamais de ceux qui pouvaient l’y mettre pour lui.
Seulement, quand c’est elle, la vie privée, qui abat le mur et passe par la brèche ; quand c’est elle, elle que le législateur voulait préserver et défendre, qui déborde dans la vie publique, et fastueusement ou méchamment s’y étale, je ne vois plus ce qu’on lui doit, si ce n’est peut-être le châtiment de l’y suivre et de la montrer. […] et de distiller, si on dit vrai, sa goutte de poison homicide, — nous venons de le lire avec soin, et nous pouvons bien affirmer que sans la célébrité et l’intimité trop publique de madame George Sand et d’Alfred de Musset, qui donnent à tout des significations terribles, et qui auraient dû — en fierté, en délicatesse et en pitié, puisqu’elle s’en targue, de pitié ! […] IV Voilà le roman d’Elle et Lui, dans lequel on a voulu voir tant de choses piquantes, tant d’allusions, de confidences… au public, de dépositions contre un mort, tout un infini de sentiments ou de ressentiments qui n’y sont peut-être pas.
Je sais bien cependant qu’on a dit, et c’est même un axiome qui a force de bon sens et force de loi, que la vie privée doit être murée ; seulement, quand c’est elle, la vie privée, qui abat le mur et passe par la brèche ; quand c’est elle, elle que le législateur voulait préserver et défendre, qui déborde dans la vie publique, et fastueusement ou méchamment s’y étale, je ne vois plus ce qu’on lui doit, si ce n’est peut-être le châtiment de l’y suivre et de la montrer. […] et de distiller, si on dit vrai, sa goutte de poison homicide, — nous venons de le lire avec soin, et nous pouvons bien affirmer que sans la célébrité et l’intimité trop publique de Mme George Sand et d’Alfred de Musset, qui donnent à tout des significations terribles et qui auraient dû, en fierté, en délicatesse et en pitié, puisqu’elle s’en targue, de pitié, l’empêcher d’écrire ce livre d’Elle et Lui dont elle croit orner son déclin, il n’y aurait ici qu’un roman triste, en soi, ni meilleur, ni pire, ni plus nouveau en talent et en morale, que les autres productions de l’auteur d’Indiana, de Jacques et de Leone Leoni 24 ! […] IV Voilà le roman d’Elle et Lui, dans lequel on a voulu voir tant de choses piquantes, tant d’allusions, de confidences… au public, de dépositions contre un mort, tout un infini de sentiments ou de ressentiments qui n’y sont peut-être pas !
Je passe rapidement sur tous les discours, pour venir à celui qui a, et qui mérite en effet le plus de réputation ; c’est l’éloge funèbre de Turenne, de cet homme si célèbre, si regretté par nos aïeux, et dont nous ne prononçons pas encore le nom sans respect ; qui, dans le siècle le plus fécond en grands hommes, n’eut point de supérieur, et ne compta qu’un rival ; qui fut aussi simple qu’il était grand, aussi estimé pour sa probité que pour ses victoires ; à qui on pardonna ses fautes, parce qu’il n’eut jamais ni l’affectation de ses vertus, ni celle de ses talents ; qui, en servant Louis XIV et la France, eut souvent à combattre le ministre de Louis XIV, et fut haï de Louvois comme admiré de l’Europe ; le seul homme, depuis Henri IV, dont la mort ait été regardée comme une calamité publique par le peuple ; le seul, depuis Du Guesclin, dont la cendre ait été jugée digne d’être mêlée à la cendre des rois, et dont le mausolée attire plus nos regards que celui de beaucoup de souverains dont il est entouré, parce que la renommée suit les vertus et non les rangs, et que l’idée de la gloire est toujours supérieure à celle de la puissance. Ici Fléchier, comme on l’a dit souvent, paraît au-dessus de lui-même ; il semble que la douleur publique ait donné plus de mouvement et d’activité à son âme ; son style s’échauffe, son imagination s’élève, ses images prennent une teinte de grandeur ; partout son caractère devient imposant. […] C’est lui qui est aussi l’auteur d’une oraison funèbre de M. le Dauphin, où le public a trouvé les plus grandes beautés.
C’est alors en effet que, de toutes parts, dans ces chambres hautes où ils s’assemblaient, dans ces catacombes où ils se cachaient, dans ces mines qu’ils étaient condamnés à fouiller, des hommes chantaient un hymne à Dieu et se fortifiaient de la maxime de l’Évangile : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortie de la bouche de Dieu. » C’est-à-dire que, rejetant pour eux-mêmes le partage d’un grossier bien-être acheté par le silence et la servitude, ils aspiraient à tous les biens de l’âme, à la profession publique de leur culte, au soulagement de leurs frères, à la flétrissure du vice et de l’oppression, à la réforme, à la conquête morale du monde. […] Loin d’avoir abandonné le monde, l’enthousiasme, l’ardeur de l’âme, autrefois dispersés sur les intérêts nombreux de la vie publique et souvent corrompus par les mauvaises passions qui s’y mêlent, s’étaient épurés, et brillaient d’une flamme plus vive dans le foyer caché du sanctuaire. […] Qu’avec la culture élevée des sciences et sous leurs auspices, les applications puissantes des arts, les vertus civiles et les notions généreuses qui en sont la source s’étendent à l’orient de l’Europe ; que le droit public chrétien y soit la règle de la force, que la servitude domestique, que la captivité et la vente de l’homme n’y soient plus souffertes sur aucun point du territoire ; que la civilisation européenne, portée si loin par nos vaisseaux, rayonne autour de son foyer et gagne les riches contrées qui l’entourent, à la distance d’un détroit de quelques lieues : et l’Europe n’aura rien à craindre de ces millions d’hommes multipliés si vite dans l’Amérique du Nord, et qui vont s’étendant de déserts en déserts sur celle du Midi.
D’abord, ce sont des bienfaiteurs publics. […] Mais qu’importe au public ! […] La moralité publique a tant fait de progrès ! […] Le public sent le besoin d’autre chose. […] Ohnet, et au gros public le charme léger des fantaisies ailées de Musset.
Chez un ancien peuple, il y avait une loi qui ordonnait de graver sur un monument public, toutes les grandes actions que faisait le prince ; on élevait une colonne dans le temple, on la montrait au prince le premier jour de son règne, et on lui disait : « Voici le marbre où l’on doit graver le bien que tu feras ; voilà le burin dont on doit se servir ; que la postérité vienne lire ici ton bonheur et le nôtre. » D’abord on n’y grava rien que de vrai ; un prince eut le malheur de ne faire aucun bien à ses peuples, il mourut sans qu’un seul caractère fût tracé. […] Au reste, ces éloges se prononçaient dans le sénat, dans les temples, dans les places publiques, et jusque sur le théâtre.
Mais ne voit-on pas que tout cela dérive de la même cause, de cette funeste habitude de s’enivrer en public ? […] Il s’agit d’une place vacante de professeur dans une école publique. […] Mais tout office public l’épouvantait, et il n’aspirait qu’au repos. […] Et le public s’est éloigné de lui, et ceux mêmes qui le lisent encore gardent à son endroit une invincible méfiance. […] Schuré, Henri Albert, et maints autres, ont initié le public français aux particularités de son œuvre et de son caractère.
Cela veut dire que le public, sans lire tout cela, cependant en lit une bonne partie, est très curieux de théories et de commentaires, devient un public de vieux étudiants, et, par parenthèse, je n’en suis pas autrement ravi. […] Je voudrais que le public français eût quelque chose des goûts du public italien. […] Mauvais public. […] Enfin ils ont des trésors, dont ils ont voulu, en bons camarades, faire profiter le public. […] Le public n’a rien à voir de plus.