L’ouvrier en grève est pris entre son devoir envers sa famille et son devoir envers son syndicat. […] La discussion morale est un prétexte que prend l’instinct égoïste pour résister sournoisement à l’instinct social et pour ruser avec la règle. […] Il laissera à chacun sa souffrance grande ou petite, humble ou tragique, intolérable ou légère, durable ou fugitive ; car aucun des intérêts dont il a la garde n’est engagé dans la forme que peut prendre une douleur individuelle109. » Cette réserve faite en faveur du for intérieur de l’individu témoigne de l’esprit libéral de M. […] Bayet déclare en effet qu’en principe, dans tous les cas où il y a conflit entre l’intérêt du groupe et l’intérêt de l’individu, le premier peut être préféré comme étant l’intérêt de tous, même à certains égards de ceux qu’il lèse110. — Une fois ce principe admis, la vie intérieure elle-même, en tant qu’elle a des conséquences pour la vie sociale, risque fort de tomber tout entière sous les prises de la réglementation sociale ; et d’ailleurs, du moment que toute la conduite extérieure de l’individu est sujette à cette réglementation, n’est-ce pas une concession toute platonique, que celle qui consiste à lui laisser la liberté du for intérieur. […] Contre les visées sociocratiques des morales, la protestation de l’individu qui veut être lui-même, qui veut tirer de lui-même ses sentiments et ses raisons d’agir et non les demander à des croyances religieuses ou à des impératifs sociaux, la protestation de l’individualité peut prendre deux formes. — Il y a un individualisme négatif qui est l’immoralisme pur et simple, la négation de toute idée morale considérée comme un préjugé destiné à asservir l’individu.
Chose étrange, c’est à l’obscure île de Sardaigne, terre à peine italienne, qu’elle a pris un titre royal 1. […] Les discussions sur les races sont interminables, parce que le mot race est pris par les historiens philologues et par les anthropologistes physiologistes dans deux sens tout à fait différents 2. […] D’insignifiantes circonstances font que Philippe Auguste ne prend pas ces îles avec le reste de la Normandie. […] La race n’y est pas tout, comme chez les rongeurs ou les félins, et on n’a pas le droit d’aller par le monde tâter le crâne des gens, puis les prendre à la gorge en leur disant : « Tu es notre sang ; tu nous appartiens ! […] Prenons la tribu proto-aryenne ou proto-sémite ; il s’y trouvait des esclaves, qui parlaient la même langue que leurs maîtres ; or l’esclave était alors bien souvent d’une race différente de celle de son maître.
L’auteur commence par le plus grand ton… Un mal qui répand la terreur, etc… C’est qu’il veut remplir l’esprit du lecteur de l’importance de son sujet, et de plus il se prépare un contraste avec le ton qu’il va prendre dix vers plus bas. […] On sait que le mot précieuse se prenait d’abord en bonne part ; il voulait dire simplement des femmes distinguées par l’agrément de leur conversation et par leurs connaissances. […] Molière même, pour ne pas se brouiller avec un corps si dangereux, appela précieuses ridicules celles qu’il mit sur la scène ; depuis ce temps le mot précieuse se prit en mauvaise part, et c’est en ce sens que La Fontaine s’en sert dans cette petite historiette, qu’il lui plaît d’appeler une fable. […] Description charmante, qui a aussi l’avantage de contraster avec le ton grave que La Fontaine a pris dans les douze ou quinze vers précédens. […] Celui-ci connaît le monde et a bien pris son parti.
Si les questions qui tiennent à l’existence de la société sont des questions religieuses avant d’être des questions politiques ; si ces principes s’épuisent en passant d’une sphère dans l’autre, c’est que l’homme, qui prend un intérêt très vif à ce qu’il y a d’immuable dans ses destinées, en prend beaucoup moins à ce qu’elles ont de passager. […] L’infini est toujours au fond de son cœur : sitôt qu’une idée a pris, pour ainsi dire, un corps ; sitôt qu’elle est devenue sensible par une transformation matérielle, cette idée a épuisé son énergie. […] Les mœurs sont restées religieuses ; les opinions, au contraire, ont pris une direction sinon antireligieuse, du moins indépendante des opinions religieuses. […] Nous voyons à présent s’avancer cette autre génération dont l’esprit militaire fut la proie d’un homme nouveau qui voulut abolir l’ancienne patrie : celle-là prend aussi successivement sa place parmi les pères de famille.
Le nom d’un homme jurait là-dessus…, mais quand on prend du masque, on n’en saurait trop prendre. […] Ce sont les événements qui y prennent tout et les événements y sont communs et incohérents, particulièrement incohérents ! […] Elle invente des situations, singulières, inattendues, excitantes, mais elle se prend elle-même dans le lacet de ces situations. […] Je ne crois pas que Mme Gustave Haller soit Anglaise cependant : mais elle a dû aller et séjourner en Angleterre et elle s’y est faite Anglaise, avec la facilité et la souplesse alcibiadesques qu’ont les femmes à prendre une individualité et à la mettre à la place de celle qu’elles n’ont pas… La vertu même de sa Vertu est une vertu anglaise.
… La renommée a pris son temps avec celui-là. […] l’opinion n’y prit seulement pas garde. […] L’âme avait-elle eu pudeur d’en prendre davantage ? Elle n’en avait pris juste que ce qu’il lui en fallait pour s’abriter. […] Il leur suffît d’être finies. » Lyre toujours montée, Sibylle toujours prête, mais sans l’emportement des Sibylles, il écrivait sur de petits morceaux de papier, pris partout, ce qui lui venait partout… Et ce qui lui venait, ce n’était ni des éclairs, ni des étincelles, c’étaient des rayons.
L’hôtel de Rambouillet, cette caserne du bel esprit que Molière fit crouler, Jéricho ridicule, sous le son vif de son sifflet, était de fondation féminine ; et la Fronde, cette bataille de dames, cette guerre où les femmes tiraient le canon comme on l’a vu tirer à des serins et à des colombes, était une guerre enrubannée et galante où les villes se prenaient pour les beaux yeux des belles, comme disait le maréchal d’Hocquincourt. […] D’ailleurs, ce grand faucheur, qui avait pris au sérieux la méthode de Tarquin, n’abattit point de fleurs innocentes ; toutes, plus ou moins, étaient empoisonnées, et si « les successeurs de Richelieu — nous dit Renée dans un dernier trait — n’eurent pas besoin de cette politique de sang pour réussir », c’est que la besogne avait été bien faite. Ils n’eurent à recueillir que l’héritage du sang, sans le sang par lequel il avait fructifié, et que Richelieu, lui, n’a pas craint de prendre à sa charge, devant les hommes et devant Dieu ! […] C’est que le monde se prend surtout par les contrastes. […] Entre les femmes célèbres par le dévouement et l’amour, il n’y en a pas de plus grande que la veuve de Montmorency, mais sa vertu n’a pas eu d’ombre, et s’est ensevelie dans sa perfection. » Telles sont les pénétrantes paroles par lesquelles finit un volume qui nous prend l’âme avec une main tout à la fois puissante et douce, et dont on sent autour de son cœur l’empreinte longtemps.
Gœthe, ce poseur simple (mademoiselle Mars, en jouant la comédie, n’était-elle pas arrivée au simple, que les sots prennent pour le naturel ?), Gœthe posait devant Eckermann, qu’il prenait pour la postérité, sachant qu’il en était le sténographe et le photographe de bonne volonté. […] Par conséquent, si elles ratent, ce n’est ni à Eckermann, ni à ceci ni à cela, qu’il faut s’en prendre, mais au métal même de l’esprit de Gœthe, qui a fait vent par la culasse et auquel il faut le reprocher. […] Mais prenez à côté, je le veux bien, toutes celles que fait M. […] Prenez les jugements de celui qu’il appelle le plus grand des critiques sur lord Byron, Molière, Voltaire, Shakespeare, Diderot, etc., tous ces esprits éclairés de tant de côtés à la fois par leur propre gloire, et sur lesquels on est tenu, pour être un grand elle plus grand critique, de dire un mot qui n’a pas été dit, démontrer une qualité ou un défaut qu’on n’avait pas vu jusque-là, et demandez-vous si toutes ces gloses de Gœthe au bon Eckermann ne sont pas faites avec des idées qui sont dans la circulation, ou qui, si elles n’y étaient pas, pourraient y être mises par la première plume moyenne venue, la première plume honnête et modérée.
Wallon n’est pas, comme celle de Joinville, une biographie, et qu’elle n’a point à prendre la vie de Saint Louis dans son détail le plus familier, le plus souriant, le plus intime et le plus tendre ; mais l’objection n’a pas d’assise : Saint Louis ne se dédouble pas. […] Wallon nous les dit toutes les deux de front, allant de l’une à l’autre, un peu troublé, dans son sens moderne, de ce qu’il voit dans l’une, à côté de son admiration pour l’autre… Infirmité qu’on appellera du nom qu’on voudra, mais qui invalide une histoire dans laquelle il n’y avait aucune précaution à prendre, et pas autre chose que des admirations intégrales et sans aucune réserve à fièrement et chaleureusement affirmer ! […] Cet imberbe, cet enfant d’hier, prit tranquillement le globe bleu de Charlemagne dans une de ses mains et dans l’autre sa Main de justice, et ce fut le ROI ! […] La Royauté, même, prenez-y bien garde ! […] S’il avait vu davantage le Saint dans le grand homme, son histoire aurait pris un bien autre aspect. — Mais la plume de M.
Il croyait qu’un livre trouve toujours sa place, dans un temps donné, sans qu’on prenne tant de peine pour la lui faire, et que — sans être un Moïse et la Critique une fille de Pharaon pour le ramasser — le livre, exposé sur le fleuve de la publicité, aborde toujours là où il devait aborder. […] Pour avoir vécu avec eux, il avait pris un peu de la sagesse des derviches, qu’il appelle des sages, et même de l’art des derviches tourneurs, qu’il appelle de grands artistes ; car s’il y a un homme qui ait jamais tourné dans ce monde qui tourne, c’est lui, le comte de Gobineau, diplomate toute sa vie : en Perse, en Suède, au Brésil, partout, et montrant partout, sans cesser de tourner, — ce brillant valseur diplomatique ! […] Mais ce n’est pas de l’histoire décrite et jugée par un historien qui vient derrière les faits, qui en prend la mesure, les interprète, les glorifie ou les flétrit. […] Ce sont des historiens non plus de derrière les faits, mais du fond des faits ; des historiens qui osent faire penser et écrire l’Histoire par ceux mêmes qui l’ont faite ; qui, par une merveilleuse intuition rétrospective, la prennent à la source humaine dont elle est sortie, — dans la conscience révélée de ceux qui l’ont créée ; qui se mettent enfin, sans façon, sur les épaules, la tête de Sylla ou de Richard III, et parlent par leur bouche comme ils auraient parlé eux-mêmes, s’ils avaient voulu se faire comprendre et expliquer leurs actes à la Postérité… Ah ! […] Cette question des Borgia, qu’on n’agite si fort que parce que, en l’agitant, on croit compromettre l’Église, a été reprise dernièrement dans les deux sens où l’on peut la prendre.
Accordez-lui de la logique, — mais de la logique d’un point faux à un autre point faux, ce qui charme les sots, du reste, toujours pris à ce filet que tricotent les aveugles aussi bien que ceux qui voient clair.. […] Au contraire, cela est doux, apprivoisé, vulgaire, pris au chenil des idées communes qui trottent par le chemin et s’arrêtent aux bornes, et, pour continuer notre juste image, assez malpropre de moralité. […] Pour peu qu’il eût pris son café, Turcaret, écrivant une comédie, ne l’écrirait pas de cette morte plume. […] Il faut montrer avec quels vieux centons ramassés partout un garde-notes perpétuel a pu s’arranger ces trois actes insignifiants, avec lesquels il a cru prendre patente d’homme de lettres, après avoir, comme journaliste, vendu son fonds. […] Il prend à Scott, ou plutôt à tout le monde, ce moyen usé de faire rire : la répétition de la même chose passée à l’état de tic.
Ils auront beau prendre, en effet, leur aplomb et leurs airs vainqueurs en parlant de cette évolution philosophique, on sera toujours en droit de leur dire, comme à, M. […] Quant à nous, qui ne croyons pas qu’une telle justification est possible, nous laisserons l’apostat à l’Histoire, qui saura bien comment le prendre et le traiter, et nous ne parlerons ici que du Lamennais découvert en lisant ses lettres. […] Eh bien, le visage que l’on peut voir maintenant, le visage qu’il y avait sous ce masque altier, désolé, sourcilleux, dantesque, et que nous prenions pour la figure de Lamennais, était précisément le contraire de ce masque impérieux, amer et tragique ! […] Le 24 mai 1826, écrivant à la comtesse de Seult, un de ces anges d’amitié comme il en passa plusieurs dans sa vie, il se définissait sans regret, sans amertume et même sans tristesse : « un homme pauvre, sans nom, sans place, sans position, à qui bien prenait de ne rien demander aux hommes et de ne vouloir absolument rien d’eux » ; et excepté le sans nom, car la gloire, à cette heure-là, faisait du sien le plus beau qu’il y eût alors en Europe, tout était vrai dans cette définition qu’il donna de lui-même et qui resta vraie, même quand il eut abandonné Dieu pour les hommes. […] Voilà donc ce qu’il fut et continua d’être, ce grand ambitieux trompé et offensé dont on a dit qu’en lui tendant ses lacs de pourpre Rome pouvait le prendre, ce lion superbe !
Prenons le philosophe, et on l’a pris. […] Et si vous y joignez cette autre variété florissante, les jugeurs, les solennels, les hommes-tribunaux, les Perrins-Dandins, presque aussi communs que les Georges, pris assez subtilement à la petite trappe de l’impartialité, vous avez l’opinion tout entière, ou au moins ses forces les plus vives, et c’est le cas présent pour M. […] Comte le philosophe, n’étant, à bien le prendre tout entier, qu’un physicien ! […] V Jusqu’ici nous n’avons rien trouvé encore dans toute cette philosophie positive dont il ne reste rien positivement, quand on veut la toucher et la prendre avec les mains de son esprit.
Prenez-les tous, et voyez si, dans l’histoire, un seul manqua jamais à cette loi organique de l’homme ! […] Comme le prédicateur dirait lui-même, avec ces images prises à la Bible dont il s’est abreuvé : le discours, c’est la citerne tarie, mais le livre, c’est le puits d’eau de source où la doctrine et la science doivent être éternellement puisées par ceux que tourmentent de si nobles soifs ! […] Du reste, il est aisé de prendre la mesure, en quelques traits, du monument (je ne retirerai pas le mot) qu’a élevé le Père Lacordaire à la gloire et au triomphe de la vérité chrétienne. […] Puis, pénétrant plus avant, il arrive aux effets de la doctrine catholique sur l’esprit, sur l’âme et sur la société, ce qui implique toute une philosophie, toute une morale, toute une politique ; et alors, se repliant devant toutes ces choses, développées et dévoilées avec un détail qui n’omet rien, il se demande ce qu’a dû être le fondateur d’une religion qui a pris ainsi dans ses bras la création toute entière, et la vie de N. […] Il faut prendre l’homme par quelque endroit de son esprit ou de son cœur, pour l’arracher à la terre et l’élever vers Dieu.