L’amitié distinguée dont ce Prince l’a honoré, devoit lui attirer des envieux ; mais M. de Maupertuis n’a eu que des Adversaires qui se sont déshonorés, en voulant porter atteinte à sa gloire.
Les artistes sont tellement aux beautés techniques, qu’ils négligent toutes ces impertinences-là dans le jugement qu’ils portent d’une production.
Je voulais échauffer l’imagination de mes parents et de mes maîtres ; je voulais qu’ils me lâchassent au service : je m’y regardais déjà un peu, puisque de vieux dragons du brave régiment de mon oncle me portaient sur leurs bras et qu’ils me racontaient Clausen, Dettingen et Bonef. […] Dans cette guerre, il fut successivement capitaine, lieutenant-colonel, puis colonel dans le régiment wallon qui portait son nom et qui appartenait à son père. […] À propos de je ne sais quelle position avantageuse aux Prussiens : « Le roi l’occupa parfaitement bien, dit le prince de Ligne ; il jouit de son plaisir ordinaire, qui était de nous tenir en suspens. » À la fin de la campagne de 1759, le prince de Ligne est choisi pour aller porter au roi de France à Versailles la nouvelle de l’affaire de Maxen ; il a raconté sa première apparition dans cette Athènes dont il était déjà, et il l’a fait avec piquant et un peu de cliquetis.
Poussé par sa vocation d’historien et cherchant encore son sujet, il entreprend avec son ami Deyverdun une Histoire générale de la république des Suisses (ce même thème héroïque que Jean de Müller traitera bientôt), et Gibbon avait déjà composé l’introduction en français : il fallut que l’illustre historien David Hume le rappelât à l’idiome national, en lui disant comme Horace aux Romains qui écrivaient leurs livres en grec : « Pourquoi portez-vous le bois à la forêt ? […] Tout le monde connaît sa silhouette, son profil découpé qui est en tête des Mémoires, et où il est représenté triturant sa prise de tabac, ce corps volumineux et rond porté sur deux jambes fluettes, ce petit visage comme perdu entre un front haut et un menton à double étage, ce petit nez presque effacé par la proéminence des joues. […] Le pressentiment de sa vocation se décèle lorsqu’il dit en parlant d’Auguste et regrettant que la variété de ses sujets l’empêche de l’étudier à fond : « Que ne me permet-elle (cette variété) de faire connaître ce gouvernement raffiné, ces chaînes qu’on portait sans les sentir, ce prince confondu parmi les citoyens, ce Sénat respecté par son maître !
Il sent bien que ce qui a porté l’autorité royale au point où il la voit élevée, ça été précisément l’abaissement qu’elle avait souffert au siècle précédent et le souvenir laissé par les guerres civiles : et s’il y a eu sous Louis XIV cette recrudescence d’effort et de zèle monarchique, ça été au ressentiment récent de la Fronde qu’on le doit. […] » Demandez plutôt à La Fare mourant si cette paresse à laquelle il se fiait ne l’a pas trompé ; lui qui se plaignait de l’esprit de servitude de son temps, et qui regrettait le xvie siècle parce qu’on y portait le cœur fier et haut, demandez-lui si c’est là qu’il en voulait venir ? […] regarde de quel côté tu penches vivant. » La morale prochaine et directe de cet article sur La Fare, c’est qu’il ne faut pas se faire exprès toute sa doctrine et la porter du côté où l’on penche ; il faut qu’elle nous soit un contrepoids en effet, non un poids de plus ajouté à celui de notre tempérament, de nos sens et de nos secrètes faiblesses, comme si nous avions peur de ne pas tomber assez tôt.
Ces jugements exprimés en dix endroits, et qui ressemblent à des contrevérités sur tous les points, sont aujourd’hui un peu compromettants pour celui qui les a portés : dans la poésie élevée, ou sérieuse avec âme, Voltaire n’a pas eu le vrai style, et il est à craindre qu’il n’ait pas même toujours eu le vrai goût. […] — Dieu vous a formé dans un dessein plus sage, non pour porter des chaînes, mais pour subjuguer ; il vous appelle à lutter contre vos ennemis, et tout d’abord vous impose un combat contre vous-même, le plus rude de tous. […] Le marchand qui va à deux pas de la capitale respirer la poussière de la grande route, et qui se croit dans une Tempé ; les belles qui chaque année courent aux eaux, aux bains de mer, et y portent avec elles leur frivole tourbillon, passent et posent devant lui tour à tour.
M. d’Argenson porta très peu d’idéal dans cette liaison ou intrigue amoureuse qui ne mérite pas le nom de passion, et qui dura une année ; tout en parlant convenablement de la dame devenue veuve après la rupture, et remariée depuis, il ajoute en terminant cet article : « Je lui souhaite longue vie et bonheur : pour moi, j’ai à présent de toutes façons bien mieux qu’elle. » — Dans ce genre de relations que j’abrège et qui revient en plus d’un endroit sous sa plume, M. d’Argenson n’est point fat, mais il est très peu chevaleresque ; on ne saurait même l’être moins, il est honnête homme en tout ; mais, comme les honnêtes gens parmi les Latins ou parmi les Gaulois, il ne craint pas de braver l’honnêteté dans les mots : ou plutôt il ne prend pas garde, et il ne paraît pas même soupçonner ce genre de scrupule. […] Il était là dans son centre, avec le degré de sérieux et de laisser-aller qui lui convenait ; et s’il n’y avait eu que des politiques comme lui, rassis et prudents, et plus à la hollandaise qu’à la française, la société aurait pu durer longtemps sans porter ombrage. […] Parlant quelque part d’un homme d’un esprit étroit et faux qui mettait son orgueil à déplaire, et qui méprisait par principe la bonté et la douceur des gens véritablement grands : « Il n’admire du fer, dit-il, que la rouille. » Parlant du caractère des Français qu’il a si bien connus, qui sont portés à entreprendre et à se décourager, à passer de l’extrême désir et du trop d’entrainement au dégoût, il dit : « La lassitude du soir se ressent de l’ardeur du matin. » Enfin, voulant appeler et fixer l’attention sur les misères du peuple des campagnes dont on est touché quand on vit dans les provinces, et qu’on oublie trop à Paris et à Versailles, il a dit cette parole admirable et qui mériterait d’être écrite en lettres d’or : « Il nous faut des âmes fermes et des cœurs tendres pour persévérer dans une pitié dont l’objet est absent. » Si ce n’est pas un écrivain, ce n’est donc pas non plus le contraire que d’Argenson : sa parole, livrée à elle-même et allant au courant de la plume, a des hasards naturels et des richesses de sens qui valent la peine qu’on s’y arrête et qu’on les recueille.
Cela fait le tissu le plus singulier, et cette bigarrure, qu’il portait jusque dans ses autres écrits, lui a été reprochée dans le temps même : elle est faite pour nous étonner bien plus encore aujourd’hui· Elle n’a d’ailleurs d’effrayant que le premier aspect ; avec un peu d’habitude des langues anciennes, on en vient bientôt à bout, sauf quelques mots qu’on peut négliger. […] Dans la lecture de Sénèque, ce passage surtout m’a souri (épître xii) : Pacuvius, qui s’appropria la Syrie à titre de prescription, célébrait tous les soirs ses obsèques par des flots de vin et des repas funéraires : de la salle du festin ses compagnons de débauche le portaient en pompe dans sa chambre, et un chœur de mille voix chantait autour de lui : Il a vécu, il a vécu ! […] Le second jour qu’il le vit, l’entretien tomba sur Tacite, Plutarque et Commynes : Le roi ayant dit que c’est se tromper que de faire de Tacite le maître unique de la prudence civile, l’historien politique par excellence, je m’empressai de remarquer (c’est Casaubon qui parle) qu’il n’y avait pas un an que j’avais porté le même jugement dans ma préface du Polybe ; et le docte monarque me témoigna qu’il était charmé de cette rencontre de sentiments.
En repassant l’autre jour en idée les abdications forcées ou volontaires de rois et d’empereurs, j’ai été naturellement amené à penser à Charles-Quint, le plus mémorable exemple que l’histoire nous offre antérieurement à notre temps, et un simple coup d’œil m’a fait apercevoir à quel degré de précision et d’intérêt les travaux récents ont porté l’examen et l’exposé de ce curieux épisode. […] On l’aurait porté à la bataille comme le vieux doge Dandolo, ou comme à Rocroy le comte de Fuentès, Il ne fut pas mis à l’épreuve, et tous les serments d’achever sa vie dans la retraite, tous les vœux envers le Ciel furent respectés et observés. […] Il mourut occupé jusqu’à la fin et des intérêts de la monarchie et du soin de son propre salut, entouré de prélats et de religieux qui l’exhortaient, de moines qui priaient, d’amis qui pleuraient, mettant sa confiance dans le Crucifix, — ce même Crucifix que l’impératrice avait tenu en mourant, qu’il avait réservé à son tour pour l’heure suprême, et qu’il porta à sa bouche, puis serra deux fois sur sa poitrine (21 septembre 1558).
On est porté aujourd’hui à précipiter tous les mouvements ; lui, savait s’arrêter et arrêter les autres. » Ce Saurin, dont on n’a gardé qu’un bien faible souvenir, s’il avait cette faculté-là, nous manque bien aujourd’hui. […] Turgot est au pouvoir, la vertu respire ; « les gens de bien, cette graine timide qui n’ose se montrer, peuvent maintenant sortir de terre, prendre racine et porter des fruits. » Toute cette école vertueuse et cordiale, les Sedaine, les Thomas, les Ducis, les de Belloy, se croient presque sur leur terrain à Versailles : on les voit d’ici se réjouir et se féliciter. […] Après une vie assez errante à l’étranger où il fut attaché d’abord à l’ambassade devienne, puis à l’éducation du duc de Parme, revenu à Paris et très mêlé aux Encyclopédistes, il portait dans cette société si tranchée d’opinion et si mordante d’accent une âme timide, craintive, rongée de scrupules.
Ces erreurs si répandues et si accréditées, qui portent sur des points matériels, ne sont que l’image de celles, bien plus subtiles, qui se glissent dans les récits des faits et événements, et qu’il est si difficile de démêler après deux siècles. […] Un honnête homme, dont le nom s’est conservé, Léonard Aubry, paveur des bâtiments du roi, se porta caution en sa faveur pour la somme de trois cent vingt livres et hâta l’heure de la délivrance. […] Moland est, en effet, le contraire de ces critiques dédaigneux qui incorporent et s’approprient sur le sujet qu’ils traitent tout ce qu’ils rencontrent et évitent de nommer leurs devanciers ; qui affectent d’être de tout temps investis d’une science infuse et plénière, ne reconnaissant la devoir à personne ; qui ont l’air de savoir de toute éternité ce qu’ils viennent d’apprendre au moment même, et, dont le premier soin est de lever après eux l’échelle par laquelle ils sont montés : ces critiques-là se piquent d’être nés tout portés et installés à la hauteur qu’ils occupent.
Je puis paraître porter bien loin la susceptibilité littéraire, mais j’aimerais mieux, si j’étais jeune, et par respect même pour la littérature, un tout autre emploi que celui-là de mon temps et d’un si bel âge ; la jeunesse offre tant d’autres distractions ! […] Il s’agit de la marquise de Sablé elle-même et du jugement que j’ai porté sur elle : « M. […] L’historien de Port-Royal, qui élève fort haut la valeur de tous les habitants de l’abbaye, me paraît en cette circonstance peu « logique, car il dément constamment le jugement porté par les pieuses amies de Mme de Sablé, et qui doivent cependant ici éclairer l’opinion et la former.
Il eut le déboire, il est vrai, de perdre Bouchain presque sous ses yeux, sans pouvoir le secourir ; désagréable échec, et même assez grave en ce qu’il livrait passage à l’ennemi entre l’Escaut et la Sambre, et lui permettait désormais de porter la guerre sur une partie de la frontière moins susceptible de défense. […] Cependant le prince Eugène, n’ayant pu déterminer le duc d’Ormond à un engagement général, se résolut à faire un siège ; il assiégea d’abord Le Quesnoi qui se rendit le 3 juillet après douze jours de tranchée ouverte et d’une défense jugée insuffisante ; puis il porta ses vues sur Landrecies qu’il investit avec le gros de ses forces, et dont la prise lui eût ouvert le Soissonnais : il se passait ainsi d’Arras et de Cambrai, et forçait par une autre clef le cœur de la France. […] Je suis persuadé que les ennemis ne manqueront pas de profiter du temps que vous leur donnez, et la chose demande une détermination plus prompte. » Villars, en effet, d’ordinaire si porté à l’offensive, reculait devant une action générale engagée avec le prince Eugène dans ces conditions-là, c’est-à-dire dans un pays boisé où il aurait affaire à toute l’infanterie ennemie, appuyée à des lignes.
Il est impossible, au moment où la mort de Louis XV les porta un peu prématurément au trône, d’avoir une plus grande envie de faire le bien, un plus haut sentiment de la responsabilité que ne l’avaient Marie-Antoinette et Louis XVI. […] Or, les hommes sont ainsi faits qu’ils se sentent portés à mépriser jusqu’à la bonté en personne chez un supérieur, s’il est faible. […] Mon sort est de porter malheur ; et si des machinations infernales le font encore manquer ou qu’il fasse reculer l’autorité du roi, on m’en détestera davantage. » D’un autre côté, le roi en subissant le choix de M.