Ces deux hommes se ressemblaient étonnamment de figure et de caractère ; tous les deux portaient sur une taille haute et mince une tête noble, pâle, gracieuse, pensive, loyale et fine, beaucoup plus grecque de contours et de traits que romaine ou vénitienne ; ils étaient du même âge à l’œil, de cet âge heureux pour les hommes d’État et pour les artistes, où le soleil de la vie n’éclaire plus que le sommet (le front) comme à cette heure de la soirée où le soleil du jour n’éclaire plus que les cimes. […] Recueillez-vous, comme je l’ai fait souvent tout un jour, dans la chapelle funéraire des Médicis, de San-Lorenzo ; contemplez d’abord l’admirable et sobre architecture de cette chapelle, cadre austère de quatre tombeaux portés et incrustés dans les murs, puis levez les yeux vers ces morts vivants ! […] De telles circonstances ne se sont rencontrées que deux fois dans l’histoire : la première fois, elles ont porté à la gloire les noms de Phidias, de Polyclète, de Praxitèle ; la seconde fois, elles ont élevé au-dessus de toutes les renommées contemporaines les noms de Léonard de Vinci, de Titien, de Raphaël et de Michel-Ange. […] XXXIX « Dans ces cités républicaines, et spécialement dans la plus démocratique, l’art exerçait une sorte de magistrature ; les images en bronze et en marbre des hommes illustres, en même temps qu’elles servaient de luxe sévère à la place publique, portaient dans tous les cœurs l’enthousiasme et l’émulation. […] D’énormes blocs de pierre noire, dont quelques-unes ont jusqu’à douze ou treize pieds cubes, reposent les uns sur les autres, et portaient la terrasse où le peuple se réunissait.
La critique moderne a révisé ce jugement porté dans la fièvre de la lutte ; elle a fouillé les archives et elle a découvert aux Romantiques des ancêtres authentiquement Gaulois et irréprochablement Moyen-Âge ; elle insinue même, l’audacieuse, des doutes sur la légitimité de la littérature classique ; elle la traite de variété accidentelle, particulière aux xviie et xviiie siècles et dans les goûts et les idées de ces temps aristocratiques. […] Leurs intérêts les portaient à la révolution, qui émancipait la classe cadette de la nation et qui ouvrait aux cadets des familles nobles la carrière des honneurs, autrefois fermée. […] L’adoration de soi-même est la vertu de René : en ces temps de révolution, il fallait resserrer ses affections dans le plus petit espace, les condenser dans sa peau, comme le philosophe grec portait sa fortune dans son crâne, afin de présenter au malheur la plus petite surface possible. […] Sainte-Beuve fait erreur, le monde de René était découvert avant Senancour et Chateaubriand, mais l’honneur de le marquer de son sceau revient à Chateaubriand ; il sut se servit de la langue, des images et des passions du jour, et personnifier ce monde sentimental et idéal que les contemporains portaient dans leur cœur et dans leur tête. […] Quelque temps avant l’apparition de René, on avait publié, pour la première fois, Jacques le fataliste : La Harpe le régent de la littérature, — devant son opinion tout le monde se taisait, — portait ce jugement sur cette œuvre de verve et d’esprit : « Rapsodie insipide, aussi scandaleuse qu’ennuyeuse, quoique impie, plate, quoique extravagante. » Le fanatisme ou la persécution, etc.
« Quant à ceux qui ont voulu assimiler ce drame à une simple pastorale, comme s’il s’agissait ici de bergeries et de moutons à la manière de Florian, nous conviendrons volontiers avec eux que le premier acte se rapproche en effet de ce genre, et qu’il nous offre un modèle de l’idylle aussi parfait qu’il ait été conçu par aucun des meilleurs poètes bucoliques de l’antiquité ; mais, pour le reste, nous leur demanderons dans quelle espèce de pastorale ils ont jamais vu le pathétique, la noblesse, l’élévation des sentiments portés au point où ils le sont généralement dans ce drame, le quatrième acte surtout, qui, sous ce point de vue, nous semble avoir atteint le comble de la perfection. […] Porté sur un char aussi rapide que l’est dans son vol Souparna, la célèbre monture de Vichnou s’enfonça bientôt sous des ombrages impénétrables à la lumière, séjour où tout inspirait une religieuse terreur. […] Ce ne sont plus les rugissements du lion, les cris du tigre qui viennent effrayer les voyageurs ; mais le bramement lointain du cerf, le chant des oiseaux, le bourdonnement de l’abeille, retentissant doucement à son oreille, portent dans les esprits un sentiment inexprimable de calme et de bonheur. […] N’aperçois-tu pas çà et là, épars au pied des arbres, ces grains de riz consacré, échappés du bec des jeunes perroquets encore dépourvus de plumes, au moment où leurs mères leur portent la becquée ? […] Depuis que mes yeux se sont portés sur cet étranger, j’éprouve une émotion tout à fait contraire au calme parfait que devrait seule inspirer cette sainte retraite !
portait des vêtements de deuil et pleurait en silence ; les meilleurs de ses enfants étaient morts, la mère sanglotait comme la Niobé antique ; une grande désolation était répandue sur elle. […] Pour offrir un verre d’eau à quelqu’un, ils diraient volontiers : Le suc délicieux exprimé du roseau Qui fond, en un instant, dans le cristal de l’eau, Et qu’on mêle au parfum du fruit des Hespérides, Peut-il porter le baume à vos lèvres arides ? […] Par suite d’un incompréhensible malentendu, la révolution de 1830 les porta au pouvoir. […] Ils muselèrent la presse par des lois oppressives, ils arrêtèrent la représentation des pièces de théâtre, ils jetèrent bas de leur chaire des professeurs savants, sages et aimés. — Ceux-là, qui furent de petits journalistes parvenus, qui sortirent de je ne sais quel salon guindé où l’on avait applaudi leurs vaudevilles et leurs égrillardes chansonnettes, ceux-là qui, grimpant d’épaules en épaules et de méprises en méprises, en étaient arrivés à être tout-puissants sur les choses dramatiques, osèrent porter la main sur Balzac ; ils prirent le géant au collet, mirent son drame dans leur souricière, et, sans reconnaissance des gloires nationales, sans foi artistique, sans pudeur littéraire, ils ruinèrent et mirent à néant l’administrateur courageux qui avait le plus aidé à l’éclosion de toute une vaillante génération de poëtes. — D’autres ont fait pis encore. […] Le jour où un gouvernement décrétera la dissolution de cette fade compagnie de bavards qui n’a même pas la force de porter le poids de son Dictionnaire, il aura bien mérité de tout ce qui tient à cœur les gloires immortelles des arts et des lettres.
Un horloger célèbre du temps, Lepaute, lui contesta sa découverte ; Beaumarchais porta le procès devant l’Académie des sciences et le gagna. […] Il sonna du petit cor que les postillons allemands portent en bandoulière ; à ce bruit, tous les malfaiteurs prirent la fuite. […] Pourquoi, par exemple, la France porterait-elle envie à l’Allemagne ? […] il le portera éternellement. […] « Ces abominables gants blancs courts qu’elle portait hier sont à réformer complètement.
Dès le premier instant qu’il eut à commander à d’autres, dès qu’il eut à porter enseigne, dit-il, il voulut savoir ce qui est du devoir de celui qui commande, et se faire sage par l’exemple des fautes d’autrui : « Premièrement j’appris à me chasser du jeu, du vin et de l’avarice, connaissant bien que tous capitaines qui seraient de cette complexion n’étaient pas pour parvenir à être grands hommes. » Il développe ces trois chefs, et particulièrement, et avec une verve singulière, les inconvénients de l’avarice en un capitaine : « Car si vous vous laissez dominer à l’avarice, vous n’aurez jamais auprès de vous soldat qui vaille, car tous les bons hommes vous fuiront, disant que vous aimez plus un écu qu’un vaillant homme… » Il ne veut pas qu’un homme de guerre, pareil à un citadin ménager, songe toujours à l’avenir et à ce qu’il deviendra en cas de malheur ; le guerrier est enfant de l’État et du prince, et il pose en maxime « qu’à un homme de bien et vaillant, jamais rien ne manque. » — Après ces trois vices qui sont à éviter à tout prix, car ils sont ennemis de l’honneur, il en touche plus rapidement un quatrième dans lequel, sans raffiner sur les sentiments, il conseille du moins toute modération et sobriété : C’est l’amour des femmes : ne vous y engagez pas, cela est du tout contraire à un bon cœur. […] Il fait en cette occasion un retour sur lui-même et sur cette prétention, qui est la sienne, d’avoir toujours été un des plus heureux et des plus fortunés hommes entre tous ceux qui aient porté les armes, ce qui est bien aussi une manière de vanité : « Et si (et pourtant), dit-il, n’ai-je pas été exempt de grandes blessures et de grandes maladies ; car j’en ai autant eu qu’homme du monde saurait avoir sans mourir, m’ayant Dieu toujours voulu donner une bride pour me faire connaître que le bien et le mal dépend de lui, quand il lui plaît ; mais encore, ce nonobstant, ce méchant naturel, âpre, fâcheux et colère, qui sent un peu et par trop le terroir de Gascogne, m’a toujours fait faire quelque trait des miens, dont je ne suis pas à me repentir. […] Montluc s’en revient à pied pendant la plus grande partie du chemin, continuant de porter son bras en écharpe, « ayant plus de trente aunes de taffetas sur lui, parce qu’on lui liait le bras avec le corps, un coussin entre deux ; souhaitant la mort mille fois plus que la vie, car il avait perdu tous ses seigneurs et amis qui le connaissaient. » Il rentre en sa maison, est deux ou trois ans à s’y guérir, et plus tard, quand la guerre se réveille et qu’il reprend le service, il croit avoir tout à faire et à recommencer sa carrière comme le premier jour.
Il avait dans sa défroque un habillement complet de galant, du temps qu’il était en garnison et amoureux ; car les jours où l’on n’a rien à faire, on les peut donner aux dames : « En ce temps-là, je portais gris et blanc pour l’amour d’une dame de qui j’étais serviteur lorsque j’avais le loisir ; et avais encore un chapeau de soie grise, fait à l’allemande, avec un grand cordon d’argent et des plumes d’aigrette bien argentées. » Il nous décrit toute sa toilette à l’avenant, chausses de velours cramoisi, couvertes de passement d’or, pourpoint de même, chemise ouvrée de soie cramoisie et de filet d’or, casaquin de velours gris, garni de petites tresses d’argent à deux petits doigts l’une de l’autre, etc. […] Ce fut par toute la France comme un feu généreux qui se retourna contre lui-même et qui se porta tout d’un coup sur les entrailles. […] Lieutenant de roi en Guyenne et révoqué par Charles IX, il se vit remplacé dans le temps même où il envoyait sa démission, ayant reçu au siège de Rabastens (1570) sa dernière et horrible blessure, un coup d’arquebuse qui lui perça les os de la face ou du nez et le força à porter le reste de ses jours un masque au visage.
Toujours à l’avant-garde de Masséna, le 23 et le 24, il s’est porté en dernier lieu, avec une poignée d’hommes, les meilleurs marcheurs de sa troupe harassée, au point le plus avancé des crêtes sur les derrières de l’ennemi, et par son audace il l’a étonné, épouvanté, forcé d’abandonner dans les gorges chariots et pièces. […] J’ai été porté plus haut contre mon gré. […] Je me risquerai donc, à propos de cette singulière modestie de Joubert, à rappeler la pensée d’un moraliste de l’école de La Rochefoucauld : Une modestie obstinée et permanente est un signe d’incapacité pour les premiers rôles, car c’est déjà une partie bien essentielle de la capacité que de porter hardiment et tête haute le poids de la responsabilité ; mais de plus cette modestie est d’ordinaire l’indice naturel et le symptôme de quelque défaut, de quelque manque secret ; non pas que l’homme modeste ne puisse faire de grandes choses à un moment donné, mais les faire constamment, mais recommencer toujours, mais être dans cet état supérieur et permanent, il ne le peut, il le sent, et de là sa modestie qui est une précaution à l’avance et une sorte de prenez-y-garde.
Ainsi, par exemple : « Le 30 mai 1670, fête du Saint-Sacrement, j’ai porté le dais à la procession de la paroisse de Saint-Eustache. […] Lui-même était un de ces persécuteurs et des plus aveuglés, de ceux qui portent témoignage contre eux-mêmes sans s’en apercevoir. […] les enfants seront portés, d’urgence, à l’église catholique, pour y être baptisés.
Cervantes, quoique malade de la fièvre, insista pour combattre et fut placé au poste le plus périlleux avec douze soldats d’élite ; il y déploya un grand courage dont il porta les marques jusqu’à la mort ; car, sans compter deux coups d’arquebuse dans la poitrine, il en reçut un autre qui l’estropia et le priva de l’usage de la main gauche pour le reste de sa vie. […] Certes, quand nous nous apitoyons sur ces premières années de campagnes comiques et de caravanes de Molière, parcourant le midi de la France avec sa troupe, et de temps en temps chassé d’une ville, molesté par le magistrat et obligé de porter ailleurs ses tréteaux, il n’est pas de comparaison à faire entre ce genre de tracasserie et de souffrance (si souffrance il y a) et les épreuves auxquelles fut soumise la jeunesse de Cervantes, cet autre inimitable rieur, et un rieur sans amertume. […] Enfin l’heure libératrice arriva ; son frère, délivré bien avant lui, avait porté de ses nouvelles à sa famille ; si pauvre qu’elle fût, elle se saigna pour la délivrance de ce dernier fils ; de bon religieux, les Pères de la Rédemption, y aidèrent et ajoutèrent à la rançon un complément indispensable pour atteindre le chiffre exigé (19 septembre 1580).
Ainsi dans une lettre du 17 septembre 1746 : « Je vois, Monsieur le maréchal, par la copie de la lettre que vous écrivez à M. d’Argenson, aussi bien que par tout ce qui s’est passé jusqu’à présent, que vous ne pouvez mieux faire que de vous porter en personne à Villers-Saint-Siméon. […] Duclos, le courtisan bourru, qui avait été sondé à l’avance et consulté par quelque émissaire de Berny, se mit à la tête de ceux qui portaient le prince : il jouissait de faire pièce à son bon ennemi d’Olivet. […] Il dit encore, en recevant son jeton comme les autres membres présents, qu’il s’en tenait si honoré, qu’il aurait envie de le faire percer pour le porter à sa boutonnière ; il ajouta que ce serait « sa croix de Saint-Louis d’académicien », et autres agréables fadaises.
Je distinguerai dans les ouvrages de tout grand auteur ceux qu’il a faits selon son goût propre et son faible, et ceux dans lesquels le travail et l’effort l’ont porté à un idéal supérieur. […] On raconte que Boileau, apprenant que Racine s’était engagé à traiter ce sujet sur la demande de la duchesse d’Orléans, s’écria : « Si je m’y étais trouvé, je l’aurais bien empêché de donner sa parole. » Mais on assure aussi que Racine aimait mieux cette pièce que ses autres tragédies, qu’il avait pour elle cette prédilection que Corneille portait à son Attila. […] Ainsi de La Fontaine, qu’il fallut tirer de ses dizains et de ses contes où il se complaisait si aisément, pour l’appliquer à ses fables et lui faire porter ses plus beaux fruits.
En même temps que l’activité industrielle et l’invention scientifique se portent en avant dans toutes les voies vers le nouveau et vers l’inconnu, l’activité intellectuelle, qui ne trouve pas son aliment suffisant dans les œuvres ni dans les pensées présentes, et qui est souvent en danger de tourner sur elle-même, se rejette en arrière pour se donner un objet, et se reprend en tous sens aux choses d’autrefois, à celles d’il y a quatre mille ans ou à celles d’hier : peu nous importe, pourvu qu’on s’y occupe, qu’on s’y intéresse, que l’esprit et la curiosité s’y logent, ne fût-ce qu’en passant. […] Qu’opposer à des femmes dont les unes ont porté jusque dans le cloître des âmes plus hautes que celles des héroïnes de Corneille, et dont les autres, après toutes les vicissitudes et les tempêtes humaines, ont eu l’heur insigne d’être célébrées et proclamées par Bossuet ? […] Mais de quelque utilité que cette personne d’esprit ait pu être dans un autre temps à l’abbé de Chaulieu plus que septuagénaire, ce n’est pas sur ce genre d’aveu que je fais porter le plus ou moins de sincérité d’un auteur femme dans les Mémoires qu’elle, écrit.
Mais enfin, si nous voulons porter avec les couronnes l’hommage de notre admiration, il ne serait rien de la dire sans l’expliquer, fût-ce en deux mots. […] Un moraliste sagace établissait naguère que l’action d’une œuvre est d’autant plus forte qu’elle est moins répandue : le petit nombre à qui l’œuvre est familière est porté à exagérer sa signification, à la prôner d’un culte exclusif, farouche, de propriétaire. […] Or quelques sonnets de son recueil portent le titre L’Orient et les Tropiques.