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38. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

… Dans ce fouillis de gloire qu’on appelle les Montmorency, il doit y avoir, si on fait l’histoire de chaque tombe, bien de hautes vertus, de fières et chastes physionomies de femmes, de destinées sublimes de grandeur et de simplicité, qu’on pourrait nommer aussi : Madame de Montmorency, comme l’héroïne de Renée, et qu’on ne distinguerait pas, à la première vue, sous ce nom collectif porté comme un pavois par soixante générations, et qui nous brouille tout de sa splendeur. Assurément, depuis Denise de Montmorency, qui sous Charles VI défendit si vaillamment le château de son mari contre les Anglais, jusqu’à cette vieille abbesse de Montmorency, qui mourut sur l’échafaud en 1794, après avoir béni, comme si elle avait été dans sa stalle de chœur et la crosse à la main, la religieuse qui portait sa croix et qui mourut après elle, on peut ranger bien des Montmorency, de nom ou d’alliance, qui eurent aussi, comme celle d’Amédée Renée, l’éclat dans la vie, la force de l’âme, le malheur, et le cloître pour dôme à tout cela, — le seul dôme qui aille bien à toutes nos poussières. […] Nous croyons, nous, qu’elle a gagné à ne pas porter ce reflet bleu du salon de Rambouillet sur la rougeur de sa joue chaste, et qu’on voit mieux ainsi la pureté divine de son type, bien au-dessus, par le calme et par la tendresse, des affectations de ce temps. […] Persécutée d’abord à cause du nom qu’elle portait, et des influences qu’on lui savait dans cette province du Languedoc que son mari avait gouvernée, elle ne sortit de prison, quand la persécution se détourna d’elle, que pour se retirer à Moulins, dans le couvent de Sainte-Marie, où elle garda pendant quelque temps sa maison. […] L’amie de madame de Chantai, qui l’avait remplacée, ne porta pas loin sa charge d’âmes !

39. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Émancipés aujourd’hui, fils de l’Occident, héritiers de tant d’œuvres, et comme portés sur les épaules de tant de générations, espérons mieux ; mais, si nous nous appelons philosophes, n’en venons jamais, par une sorte d’orgueil intellectuel, à oublier les origines si grossières et si humbles de toute société civile. […] Molé, alors président du Conseil des ministres, qui aimait et estimait fort M. de Tocqueville, le porta ou avait dessein de le porter comme candidat du gouvernement ; dès que M. de Tocqueville le sut, il s’empressa de repousser toute attache officielle, revendiquant non pas le droit d’attaquer le pouvoir, mais celui de ne l’appuyer que librement, dans la mesure de ses convictions. […] Le premier des devoirs est, à mes yeux, de lutter dans les élections comme ailleurs pour l’opinion qui m’a porté au pouvoir, que j’y défends et qui m’y prête son loyal appui. […] Mais je croirais manquer aux vues de la Providence sur moi, si je ne portais pas avec courage ma destinée. […] Je vous avais porté dans l’intérieur du cabinet comme au dehors jusqu’ici à outrance, il faut que je m’en confesse.

40. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

La procédure contre le « séducteur » (mésith), qui cherche à porter atteinte à la pureté de la religion, est expliquée dans le Talmud avec des détails dont la naïve impudence fait sourire. […] Hanan, bien qu’auteur véritable du meurtre juridique qui allait s’accomplir, n’avait pas de pouvoirs pour prononcer la sentence de Jésus ; il le renvoya à son gendre Kaïapha, qui portait le titre officiel. […] Quoique neutres en religion, les Romains sanctionnaient ainsi fort souvent des pénalités portées pour des délits religieux. […] Leur fanatisme étroit, leurs haines religieuses révoltaient ce large sentiment de justice et de gouvernement civil, que le Romain le plus médiocre portait partout avec lui. […] Par un singulier hasard, il s’appelait aussi Jésus 1137 et portait le surnom de Bar-Abba ou Bar-Rabban 1138.

41. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Enfin il n’y eut pas jusqu’à La Fontaine qui ne devînt courtisan ; et le fablier de madame de Bouillon porta des vers pour Louis XIV. […] On sait qu’il mourut l’année suivante ; et tandis que le peuple, toujours extrême, était loin de témoigner, pour sa cendre, le respect qu’il lui devait, et comme à son souverain, et comme à un homme qui avait fait de grandes choses pour la France, les orateurs sacrés et les gens de lettres portèrent leurs derniers hommages sur sa tombe. […] Longtemps on porta son culte jusqu’au fanatisme ; aujourd’hui peut-être on cherche trop à se venger de cette admiration. […] Il lui donna ce goût éternel de représentation, qu’il porta partout, même à la guerre, où cependant ses armées et ses victoires représentaient assez bien pour lui. […] Louis XIV, né à la tête d’une monarchie, où par la constitution de l’État il n’y a de rang que celui qui est marqué par les titres ; Louis XIV, porté par son caractère même une fierté de représentation qui augmentait encore les distances, en rapprochant de lui les hommes de génie, fit peut-être plus et pour leur gloire et pour la sienne.

42. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 20, de la difference des moeurs et des inclinations du même peuple en des siecles differens » pp. 313-319

Ce sont ceux où des hommes d’ailleurs très-polis et même lettrez se portent aux actions les plus dénaturées avec une facilité affreuse. […] Les coups leur furent portez par des hommes qui les reconnoissoient, et qui en vouloient à eux. […] Depuis un siecle les hommes se portent volontiers à l’étude comme à l’exercice des arts liberaux, quoique les encouragemens ne soient plus les mêmes qu’autrefois.

43. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

« Crésus porta pendant deux années le grand deuil. […] » « Le pâtre cessa de parler, et découvrit l’enfant qu’il portait. […] Il en a porté la peine. […] Ils portent des vêtements de toile de lin, toujours fraîchement lavés, et ont grand soin de ne les point tacher. […] Un courrier à cheval fut dépêché immédiatement pour porter cet ordre.

44. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Je lus et je me confirmai dans ma pensée ; c’était superbe, mais cela ne portait que sur l’imagination. […] L’idée ne me venait pas qu’un l’homme qui portait encore l’habit sacerdotal eût pu donner l’autorité de son génie, de ses principes et de son habit à des pages qui ne pouvaient produire que du sang. […] Le livre était resté dans les mains d’un éditeur qui n’a pas attendu mon retour, et j’ai été obligé de consentir à sa publication telle quelle. — Ainsi, lui répliquai-je avec un peu d’amertume, des convenances de librairie vont être la cause que la société aura reçu par votre génie un des coups les plus mortels que vous puissiez lui porter ! […] Quelques heures après, la république innocente était accomplie de nécessité, sans avoir porté à la France d’autres paroles que des paroles de paix. […] — Rien, me répondit-il en pleurant, excepté un pauvre jeune homme, le cadet de ses fils, à qui ma femme et moi nous donnons la soupe tous les soirs, et que nous vêtons de temps en temps pour lui donner le courage de porter son nom sous ses haillons dans les rues de Paris. — Et que fait-il ?

45. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 133-139

On a reproché à Rousseau de s'être trop livré, dans ses Epîtres, à un ton de misanthropie qui les dépare quelquefois, d'y ramener trop souvent ses ennemis, d'y établir des principes qui portent moins sur la vérité que sur les ressentimens qui l'aigrissoient. […] On sait qu'il est le créateur de l'Allégorie, genre de poésie que ni lui ni ses Imitateurs n'ont point encore porté au degré de perfection dont il est susceptible, mais qui n'en prouve pas moins la fécondité de son imagination. […] Ne seroit-il pas plus convenable à sa gloire, qu'il s'occupât à faire oublier ses Libelles injurieux contre tant d’Hommes de Lettres respectables, que de s’acharner à se faire un complice du plus grand de nos Poëtes, qui fut toujours très-éloigné des excès auxquels lui-même s’est porté ?

46. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Comment se fait-il que tout ce peuple offre ses bras en masse pour porter cette dépouille au tombeau plus près de son cœur ? […] On ne se résigne pas à la servitude chez soi, bien qu’on ait porté soi-même son omnipotence chez les autres ; de plus, la gloire humiliée se venge par la colère et par la menace. […] Ses chants doivent porter dans tous les temps et dans tous les lieux. […] Il est donc très naturel qu’à mon entrée dans la vie et dans les lettres, j’aie porté et signé le nom qui était légitimement celui de notre famille. […] soudain, aux yeux de cent peuples surpris, Les uns sont égorgés, les autres en partage Portent, au lieu de sceptre, un bâton de voyage.

47. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Celui-là n’avait porté son imagination que dans ses poèmes ; sa vie avait eu la médiocrité et la régularité du bon sens. […] Nos pleurs et notre sang sont l’huile de la lampe Que Dieu nous fait porter devant le genre humain ! […] Tels furent les instincts qui portèrent le Tasse à choisir pour gloire l’épopée, et pour sujet les croisades. […] Il aimait le linge blanc et fin, et il en faisait faire d’amples provisions ; mais il le portait sans lacet et sans broderie. […] L’isolement dans lequel le mariage de sa sœur laissa Léonora à la cour de Ferrare parut redoubler encore l’inclination qui la portait vers le Tasse.

48. (1772) Éloge de Racine pp. -

Un homme tel que toi ne pouvait être formé que par la nature ; ton excellente organisation fut entièrement son ouvrage, et portait un caractère original, indépendant de toute imitation. […] Son caractère ne l’y portait pas. […] Il en fut parmi nous le premier modèle, et le porta au dernier degré de perfection. […] Mais ici tout portait l’empreinte de la maturité, tout était mâle, tout était fini : c’était une conception forte et profonde, une exécution sûre et sans aucune tache. […] C’est qu’ils sont à peu près sûrs de ne pas écrire comme lui, parce que l’examen du style peut être porté à un certain degré d’évidence ; au lieu qu’ils n’ont pas renoncé au génie que chacun définit à sa manière, et auquel tout le monde a des prétentions.

49. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Toutes les plaisanteries qui portent sur les institutions civiles et politiques contraires à la raison naturelle, perdent leur effet dès qu’elles atteignent leur but, la réformation de l’ordre social. […] Le secret de la plaisanterie est, en général, de rabattre tous les genres d’essor, de porter des coups de bas en haut, et de déjouer la passion par le sang-froid. […] La confiance que peuvent avoir les femmes dans les sentiments qu’elles inspirent, peut être, avec raison, l’objet de la raillerie ; mais le talent se montrerait plus fort, le sujet serait pris de plus haut, si c’était au trompeur que s’attachât le ridicule, si l’on savait le faire porter sur l’oppresseur, et non sur la victime. […] Il y a donc nécessairement une profondeur de peine, un genre de vérité que l’expression poétique affaiblirait, et des situations simples dans la vie que la douleur rend terribles, mais que l’on ne peut soumettre à la rime, et revêtir des images qu’elle exige, sans y porter des idées étrangères à la suite naturelle des sentiments. […] À quelque perfection que l’on portât l’étude des ouvrages des anciens, on pourrait les imiter ; mais il serait impossible de créer comme eux dans leur genre.

50. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Tout cet échafaudage, tout ce patrimoine accumulé d’ambitions et de rêves portait désormais sur une seule tête. […] Comblé au début de toutes les faveurs et porté comme sur les bras de la Fortune, il n’est en rien enivré ni ébloui ; il n’y voit qu’une raison de plus de justifier son précoce avancement par son mérite. […] Le comte de Gisors y fit l’apprentissage de l’une et de l’autre ; et il semble que, s’il eût vécu davantage, c’est à cette seconde carrière, la diplomatie, que sa délicate santé comme ses goûts l’eussent définitivement porté. […] Pour en donner une faible idée, il suffira de dire que le comte de Gisors, un colonel exemplaire, a pour lui vingt-trois chevaux, sept de plus que ne portait l’ordonnance, et que le maréchal n’a pas moins de vingt-huit secrétaires, dont Grimm était un : qu’on juge parla du reste. […] C’est le comte de Gisors qui est chargé d’en porter la nouvelle à la Cour.

51. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Aucun élément de philosophie ne pouvait se développer en Espagne ; les invasions du Nord n’y avaient porté que l’esprit militaire, et les Arabes étaient ennemis de la philosophie. Le gouvernement absolu des orientaux, et leur religion fataliste, les portaient à détester les lumières philosophiques. […] L’Italie possédait les monuments anciens, et avait des rapports immédiats avec les Grecs de Constantinople ; elle tira de l’Espagne le genre oriental, que les Maures y avaient porté, et que négligeaient les Espagnols. […] L’esprit que ces derniers avaient porté dans la théologie, les Italiens l’introduisirent dans l’amour. […] Si la liberté s’établissait en Italie, il est hors de doute que tous les hommes qui indiquent actuellement des talents distingués, les porteraient beaucoup plus loin encore.

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