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249. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Le personnage du comte de Grandmont était pris sur le vif, emporté de verve, et touché avec assez de finesse pour n’avoir pas déplu, dit-on, à ceux-là mêmes qui s’y sont le mieux reconnus. […] Le caractère des personnages principaux est fortement tracé, éclairé en plein tout d’abord, et soutenu jusqu’au bout ; le comte de Goyck, et surtout son vieux père impénitent et goutteux, sont d’une vérité à faire peur. […] La scène qui se passe dans le cabinet du procureur du roi à Bruxelles, et où sont réunis pour y être confrontés les principaux personnages, est d’un dramatique terrible sous sa forme judiciaire contenue. […] Feydeau ne ressemble pas à ce général de la guerre de Sept Ans qui, lorsqu’il avait ses corps d’armée réunis, ne savait qu’en faire et se hâtait de les disperser, apparemment pour être plus sûr d’être battu ; il ne craint pas d’assembler ses personnages, et, quand il les tient sous sa main, il les fait s’entrechoquer et ne les lâche plus qu’ils ne se soient dit l’un à l’autre ce qu’ils avaient sur le cœur.

250. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

En vous voyant sourire, j’ai eu envie de vous tuer. » Mais je ne vous ai point dit encore quels sont les personnages de ce roman. […] N’alléguez point que les personnages de Racine, par exemple, expriment en discours harmonieux et fins des passions sauvages d’êtres primitifs. […] Ce qui me met en garde, c’est qu’il me semble que Thérèse et Jacques vivent moins que les personnages épisodiques du roman, ils sont, en quelque manière, moins vivants que leurs actes. […] Les personnages secondaires sont peut-être, je l’ai indiqué, plus vivants que les protagonistes.

251. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

La pastorale de Daphnis et Chloé fixa sa destinée ; elle lui valut la protection d’un des premiers personnages de l’État, que l’Académie française s’honore d’avoir compté parmi ses membres. […] Oui, Messieurs, sous le pinceau de ce grand homme, la comédie s’est tout à fait associée à l’histoire ; il semble que les personnages de l’une soient des témoins qui restent pour déposer en faveur de l’autre devant la postérité. […] L’auteur comique peut donc reproduire d’anciens personnages sous d’autres couleurs, et peindre une seconde fois des figures qui ne sont plus les mêmes. […] Nous l’avons vue choisir ses personnages parmi les individus de conditions différentes, qui tendaient sans cesse à se confondre ; ne peut-elle pas aujourd’hui se diriger vers le but opposé, et les hommes forcés de reprendre leur rang sont-ils moins dignes de ses pinceaux, que les hommes tourmentés du désir de quitter leur place ?

252. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Les personnages nécessaires et importants de ce long récit ne seraient pas nombreux, si, dans cette mêlée historique et panthéistique, tous les êtres ne devenaient pas personnages ; si tous les peuples de la terre, les oiseaux des airs, les fleurs des champs, ne parlaient pas et ne jouaient pas leur bout de rôle, au gré du poète. […] Les autres personnages humains, et non abstraits, comme les quelques femmes, par exemple, pour lesquelles le bon Merlin est infidèle à Viviane, Isoline, Marina, Dolorès, etc., sont épisodiques et de passage, pures enluminures extérieures, sans vie intime et même distincte. […] … l’action entre ces quatre personnages sans individualité et même sans humanité, l’action a-t-elle une individualité davantage ?

253. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Arsène Houssaye » pp. 271-286

On mettait en relief un ou deux personnages. […] Non pas qu’avant Balzac, il est vrai, les mœurs de l’époque à laquelle appartenaient les personnages d’un roman ne s’aperçussent bien à travers ces personnages. […] il procéda par masses, comme, sur les champs de bataille, Napoléon avait procédé… Ce sont véritablement des masses napoléoniennes que ces armées de personnages qui se tassent dans La Comédie humaine, où, sans la mort à jamais lamentable de l’homme qui les faisait vivre et se mouvoir, tiendrait tout entier le xixe  siècle !

254. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

L’auteur est plus un curieux, qui se regarde en se retournant, qu’un pathétique romancier qui épouse ardemment et les personnages et les événements de son histoire. […] C’est dans la conception du personnage de Chambornay, le père adoptif de Christian. Que Francis Wey me permette de le lui dire : ce personnage embarrasse plus la composition de son roman qu’il ne l’éclaire ! En vain l’a-t-il fait aussi, comme Christian, victime de l’absence d’éducation morale, cette plaie du siècle, et le ramène-t-il à l’ordre et à la vraie destinée par le sentiment paternel, comme il y a ramené Christian par l’amour ; en vain la scène du verre de champagne accepté, qui l’introduit dans le roman, est-elle charmante et attendrie, ce personnage de Chambornay nuit plus qu’il ne sert au développement du livre, et, avec le talent mâle, sobre et qui se ménage si peu de l’auteur, avec ce talent qui sait revenir si courageusement sur lui-même pour s’opérer de ses propres mains, on est étonné qu’il n’ait pas sacrifié et remplacé cette figure selon nous malvenue à travers toutes les autres qui le sontsi bien.

255. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Deux des personnages sont incontestablement authentiques, Charles et Roland. […] Un seul est attesté comme personnage historique : c’est l’archevêque de Reims, Turpin. […] Il est certain qu’avant lui il n’est fait nulle part mention de ce personnage et de son histoire. […] Morpurgo les a retrouvés dans des actes, ainsi que presque tous les personnages que mentionne Antonio. […] D’ailleurs il parle de personnages d’autres nations qui avaient aussi pénétré dans le paradis.

256. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

Tous les personnages qu’il emploie sont historiques ; c’était une loi, une nécessité, et même on pourrait croire un bonheur de son sujet. […] Rien d’étonnant donc qu’il ait mis ainsi un masque par trop enluminé à ses personnages, puisqu’il ne les a vus qu’à distance. […] Les personnages aussi lui ont paru plus voisins qu’ils ne l’ont réellement été, et, par de légers anachronismes, il est venu à bout de les grouper sans vraisemblance.

257. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

  On reproche à son œuvre le romanesque ; et le fait est qu’il y en a beaucoup, et de deux sortes : celui de l’action et des personnages  et celui des idées. […] Quant aux personnages, je sais bien qu’on rencontre, dans ses premiers romans, un peu trop de Renés en jupons, de petits-fils de Saint-Preux, d’ouvriers poètes et philosophes, de grandes dames amoureuses de paysans  et que tout ce monde-là déclame ferme. […] Puis, à mesure que le temps passe, ces personnages deviennent moins déplaisants.

258. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

C’est que leurs noms prononcés évoquent dans la mémoire certains personnages dramatiques, c’est-à-dire, en somme, autre chose qu’eux-mêmes. […] Car, au temps où ils étaient vivants, où ils apparaissaient en chair et en os aux regards de la foule idolâtre, ce n’était pas eux, du moins ce n’était pas eux seuls qu’on voyait, mais les personnages historiques ou imaginaires qu’ils étaient chargés de représenter. Et, si quelque peintre les a fixés sur la toile, ce n’est donc point leur vrai visage qu’il nous a transmis, mais un visage arrangé par eux pour nous donner l’idée de tel ou tel personnage de théâtre… Il est de toute évidence que la tête de M. 

259. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 30, objection tirée des bons ouvrages que le public a paru désapprouver, comme des mauvais qu’il a loüez, et réponse à cette objection » pp. 409-421

Il vous dira dans le lieu même, qu’il met une difference immense entre ces pieces et le Misantrope, et qu’il n’y vient que pour voir un acteur qui réussit dans quelque personnage bizarre, ou bien une scéne qui aura du rapport avec une avanture récente et dont il est parlé dans le monde. […] Le monde ne connoissoit gueres alors le genre de comique noble qui commet ensemble des caracteres vrais, mais differens, de maniere qu’il en resulte des incidens divertissans, sans que les personnages aïent songé à être plaisans. […] Ainsi le public accoutumé depuis long-temps à un comique grossier ou gigantesque, qui l’entretenoit d’avantures basses ou romanesques, et qui ne faisoit paroître sur la scéne que des plaisans barboüillez et grotesques, fut surpris d’y voir une muse, qui sans mettre de masque à grimace sur le visage de ses acteurs, ne laissoit pas d’en faire des personnages de comédie excellens.

260. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

N’oublions pas non plus que de tous les personnages du Faust Marguerite est le seul inventé et qui soit bien à Gœthe. […] Ajoutez que tous ces personnages sont d’ailleurs bien plus des marionnettes que des caractères. […] Aussi les personnages de ses drames sont-ils de la vérité la plus historique et en même temps la plus intense. […] Excepté Claire, sur laquelle on va tout à l’heure revenir, aucun personnage n’est de Gœthe, à proprement parler, dans cette tragédie en prose qui n’est qu’une défilade de personnages et d’événements connus, rien de plus qu’une tapisserie historique. Ces personnages même n’y ont pas tous leur grandeur naturelle.

261. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Mais son objet n’est plus de ressusciter de grands personnages, de nous faire pénétrer dans leur intimité, ni de nous montrer comment des êtres fictifs et individuels ont pu se comporter sous l’influence réelle d’un milieu exactement reconstitué. […] Quelle maîtrise n’y a-t-il pas dans le développement simultané des épisodes qui composent ce roman, dans son observation directe et puissante, dans le fourmillement des personnages ? […] Paul Bourget a opéré, soit dans la conception des personnages mis en scène au cours de ces romans, soit dans la description de certains organismes étudiés, soit enfin dans la composition de ses tableaux, une synthèse, saisissante d’exactitude, des théories nouvelles qui cherchent à s’emparer de notre société. […] Mais si les détails du décor et de l’action sont réduits au strict nécessaire, si les scènes sont étrangement sobres de mouvement, les caractères des personnages y apparaissent fouillés par le scalpel d’un maître. […] « L’amour, a-t-il dit dans une étude sur les Personnages de roman, n’est que l’épisode sur le terrain de la vie, tantôt le feu d’artifice, tantôt la lampe sage qui veille.

262. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Ce personnage de la nourrice était un reste de la comédie ancienne. […] Chez lui, ce personnage, faute d’espace et d’air, est un peu monotone, quoique les sentiments en soient généreux et touchants. […] L’emphase, qui dans la vie réelle serait choquante, ne déplaît pas dans la gamme héroïque, surtout entre personnages espagnols. […] Chacun des deux personnages, sans rien ménager, ne songe qu’à accomplir son rigoureux sacrifice. […] Elle est ultra-idéaliste : toute l’action se passe dans l’âme des personnages.

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