— La bataille de Borodino, l’immortelle Moscowa, est-elle perdue ou gagnée par les Russes ? […] « Peu de batailles se perdent physiquement, c’est presque toujours moralement qu’elles se perdent.
La graine n’en est jamais perdue en France. […] D’autres fois, pourtant, cette ironie se perd un peu en se prolongeant et n’est plus sensible qu’à bien peu de personnes. […] La France, qui est le premier et le plus sacré des principes, ne devrait jamais se perdre de vue.
Lisez tout haut le paragraphe qui suit, en le scandant comme une prose poétique, et vous serez frappé du ton et du nombre : « Souvent, au milieu du jour, le soleil perdait ses rayons tout à coup. […] Il songeait à la senteur des pâturages par les matins d’automne, à des flocons de neige, aux beuglements des aurochs perdus dans le brouillard, et, fermant ses paupières, il croyait apercevoir les feux des longues cabanes, couvertes de paille, trembler sur les marais, au fond des bois. » C’est la contrepartie et comme la revanche de ce beau passage des Martyrs ou l’on voit le Grec Eudore, dans le camp romain, à la lisière de la Gaule et de la Germanie, regretter les paysages éclatants de la Grèce et s’ennuyer sous « ce ciel sans lumière, qui semble vous écraser sous sa voûte abaissée. […] Car c’est dommage que de si beaux effets de talent (et il y en a en mainte et mainte page) soient comme perdus dans une œuvre ardue que toute cette application de détail ne saurait animer.
Est-ce un père, un aïeul qu’on puisse revendiquer, qu’on doive rechercher, avouer hautement, dont on doive mettre le portrait dans son cabinet comme on peut avoir son recueil (et je l’ai) sur quelque rayon perdu et poudreux, dans les combles de sa bibliothèque ? […] C’est un vilain jeu, et même en le jouant avec le plus grand sang-froid, Fréron perdit bien vite la partie. Il la perdit avec affront, avec avanie ; car, selon la remarque de Gœthe à son sujet, « le public, comme les dieux, aime à se ranger du côté des vainqueurs. » Fréron, dès le principe, n’estima pas assez son ennemi.
En donnant à tous la liberté de la presse, le gouvernement s’arrangera pour perdre le seul organe considérable qu’il ait et où il réunit sous le drapeau des noms honorables et des plumes estimées. […] » Et le 29 août : « Dalloz, en effet, me paraît avoir perdu la partie. On va faire plaisir à …, à M. …-…, et à M. de …-…, et à quelques autres subalternes qui y trouveront leur compte : je serais étonné que le gouvernement n’y perdit pas… Pour moi je sais bien une chose : c’est que mieux au fait que la plupart, de ces questions de presse et de Moniteur dès l’origine, personne n’a jamais daigné me demander un avis que j’eusse donné en homme honnête et de bon sens.
Il n’est pas Français de naissance et de nation, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue en le jugeant. […] L’auteur n’y perd jamais de vue cette maxime : « La théorie est le pied droit, et l’expérience est le pied gauche. » Les guerres de la Révolution lui fournissaient aussi des termes naturels de comparaison et des exemples ; il les empruntait le plus volontiers à la campagne d’Italie de 1796-1797 et à celle de 1800. […] Il complétait ainsi la stratégie du grand Frédéric (côté moindre du héros) en la rapprochant de celle de Bonaparte, et par là il sortait tout à fait des détails de tactique secondaire et des discussions stériles où s’était perdu Guibert, pour arriver à la conception réelle des grands mouvements militaires se dessinant avec netteté dans des applications lumineuses.
On perdait des batailles en Flandre ; on donnait droit de préséance aux bâtards légitimés sur les ducs ; on applaudissait Campistron. […] Que les faciles et soudains mouvements de cette âme se ralentissent et se perdent ; que ce jeu de physionomie devienne calculé et de pure convenance ; qu’on sourie, qu’on éclate, qu’on grimace, qu’on fasse la folle à tout propos, et voilà la Muse devenue une femme à la mode, sotte, minaudière, insupportable ; c’est à peu près ce qui arriva de l’art au xviiie siècle. […] Mêlé toute sa vie aux querelles littéraires, salué, comme Crébillon, du nom de grand par Des Fontaines, Le Franc et la faction anti-voltairienne, Rousseau avait perdu sa réputation à mesure que la gloire de son rival s’était affermie et que les principes philosophiques avaient triomphé ; il avait été même assez sévèrement apprécié par la Harpe et Le Brun.
Mais il suffit de comprendre par surnaturel l’inexplicable ; tout fait nouveau serait donc provisoirement miraculeux, puis perdrait son caractère de prodige dès l’explication scientifique trouvée. […] La foule n’y perdra rien, à tout bien considérer, puisqu’elle sera attirée et ennoblie par le voisinage de l’Élite, où chacun aura l’ambition de pénétrer, car la sélection ne sera pas selon le sang, mais selon l’intelligence. […] Seulement de trois hypothèses l’une : Ou la science (et la sociologie en est une des lointaines contrées, des plus tardivement connaissables) ne se fera pas ; ou elle ne se fera pas à temps (car la planète se refroidit, après tout), et tous les efforts de mise en train seront perdus ; ou elle sera faite, mais la majorité ne l’écoutera pas, et la brûlera.
Quand Marie Stuart perdit subitement son mari (5 décembre 1560), et que, veuve à dix-huit ans, il fut décidé qu’au lieu de rester en son douaire de Touraine, elle retournerait en son royaume d’Écosse pour y mettre ordre aux troubles civils qui s’y étaient élevés, ce fut un deuil universel en France dans le monde des jeunes seigneurs, des nobles dames et des poètes. […] Mais à dix-neuf ans et au moment de son départ de France, la jeune veuve avait tout son éclat de beauté, n’était une certaine vivacité de teint qu’elle perdit à la mort de son premier mari et qui fit place à plus de blancheur. […] Deux fois il fut trouvé caché sous le lit de la reine, et, à la seconde fois, elle perdit patience et le mit entre les mains de la justice du pays.
C’est le journal instructif d’un esprit supérieur qui prend intérêt avant tout aux choses de l’administration et de l’organisation sociale, et qui tient à les faire comprendre ; mais ces remarques positives et spéciales n’absorbent pas le voyageur, et le récit perd, en avançant, toute sécheresse. […] Ces questions politiques ont aujourd’hui perdu de l’intérêt actuel qui les rendait encore si vivantes il y a douze ans ; je ne fais que les indiquer en passant ; mais dans ces volumes du duc de Raguse, je voudrais citer pourtant, comme pages durables et dignes d’un moraliste social aussi judicieux que fin, l’appréciation qu’il fait de la race arabe, des Arabes du désert et des qualités essentielles qui les caractérisent : D’abord, dit-il, la patience qu’ils montrent en tout. […] L’Armée a été mon berceau, j’ai passé ma vie dans ses rangs, j’ai constamment partagé ses travaux, et plus d’une fois j’ai versé mon sang dans ces temps héroïques dont la mémoire ne se perdra jamais.
Cette maladie est celle du pouvoir perdu. […] Le nombre diminue de plus en plus, même parmi les gens de lettres, de ceux qui peuvent dire comme d’Alembert : « Je ne suis absolument propre, par mon caractère, qu’à l’étude, à la retraite, et à la société la plus bornée et la plus libre. » On a, ce me semble, la maladie suffisamment décrite ; ajoutez-y cependant, pour la situation d’aujourd’hui, une complication très grave, le mal de la parole perdue, ce qui est cuisant après un gouvernement d’orateurs. […] Il y a des années que je ne suis guère accoutumé à le flatter ; pourtant, depuis qu’il a perdu le pouvoir sans en avoir fait l’usage qu’il pouvait, et bien qu’il en gémisse tout bas peut-être, il n’en laisse rien percer dans ses écrits ; il produit avec l’abondance qu’on sait, mais sans amertume, sans y mêler de ressentiment personnel, et sans s’écrier à toute heure que les temps sont changés, que le monde va de mal en pis.
Thomas, malade de la poitrine, était allé prolonger sa vie aux rayons du soleil de Provence ; Ducis, pendant ce temps, et au lendemain du succès du Roi Léar, était cruellement frappé dans son bonheur domestique : il perdait ses deux filles, il avait perdu sa première femme ; il ne lui restait plus que sa mère, et il remarquait à ce sujet, en faisant un retour sur lui-même et en se comparant à son ami Thomas, soigné par sa sœur : Il y a une espèce d’hymen tout fait entre les sœurs qui ne se marient pas et les frères libres et poètes, un recommencement de maternité et d’enfance entre les mères veuves et leurs fils poètes, sans engagements. […] Et resongeant à son passé, à tout ce qu’il avait perdu, cela le menait à dire : Que voulez-vous, mon ami ?
Ceux qui vinrent furent les Parnassiens : qui, avec une tranquillité extraordinaire se désistant de doute et de n’importe quel rêve suivi, s’appliquèrent, disciples de Gautier et de Banville, à n’être que de très corrects formistes, en même temps — et c’est leur nécessité heureuse — qu’ils faisaient perdre aux mots ce que de criard, de hasardeux, leur demeurait encore — et avec la patience et l’art subtil parfois avec lesquels ils surent les ménager au vers, leur communiquaient ces adoucis et nets éclats de pierreries aux lointaines vibrations, ces orients. […] Mais avec l’école parnassienne se perdaient le mouvement et la force de la phrase romantique, si profonds — pour de sculpturales attitudes de périodes ou de murmurantes et trop lâches fluidités. […] Ces choses dites rapidement, qu’il me soit permis de montrer que cette forme nouvelle de l’expression de l’idée, l’Instrumentation poétique, enferme et perd en elle tous les modes d’art : Elle est l’éloquence, évidemment : plastique pour la variété la plus ordonnée des rythmes : picturale, parce que (nous avons négligé de le dire au long) le moins de hasard a été établi aussi pour la coloration à attribuer aux voyelles, que la généralité des vues maintenant, c’est un fait scientifique, distingue nettement de telle ou telle couleur : musicale parce qu’elle est le sens enfin trouvé du langage, qui, scientifiquement, est musique, et qu’elle est l’immatérialité des instruments de la musique proprement dite : Elle est, au gré de la pensée qui la conduit et la mesure, la plus complète et intime possibilité de mouvement intellectuellement exprimé.
Car le romancier russe ne tend pas non plus au but puéril de terrifier et de maintenir douloureusement suspendue la curiosité d’une foule ; quand on relit ses œuvres, le fantastique qui surprenait d’abord perd toute importance et sans doute Dostoïewski devait ignorer quelle singulière et théâtrale déformation il fait subir à la réalité. […] Lui et les autres, si libres et perdus de leurs actes, sentent tous le besoin de se confesser à quelqu’un d’aimant en d’explicites aveux. […] Elle aperçoit et rend la vie à la façon d’une vision lointaine, vaguement inexplicable et confuse sur l’horreur de laquelle elle se penche et s’apitoie ; elle médite en des hallucinations extériorisées l’infini labyrinthe du raisonnement humain, et perçoit en elle la sourde agitation des instincts, des douleurs, des passions et des rages, de tout ce qui est des nerfs et du sang ; elle est imbue de pitié, débordante d’amour pour tous ces êtres faits de péché et de souffrance, et prise alors entre son épouvante et son amour, il fallait que par un effort et une sorte de folie, pareil au coup de poing d’un exaspéré joueur d’échecs près de perdre, elle brouillât et tranchât tout dans une étrange aberration qui la fait s’incliner devant l’être même que cet acte de foi constitue l’auteur des maux dont il devient le recours.