L’esprit, quand il cherche à se montrer, devient un supplice pour un homme sensé ; & les pensées brillantes éblouissent & fatiguent plus qu’elles ne plaisent, quand elles sont indiscrétement prodiguées, & encore plus quand elles paroissent jetées toutes dans le même moule. […] Peu d’Ecrivains fournissent plus d’exemples de pensées fines & delicates. […] Bouhours ne se lasse point d’en citer dans son Recueil, connu sous le titre de Pensées ingénieuses.
Il se trouble à la pensée que ces fantômes humains ont leur substance ailleurs et répondront éternellement de leur court passage. […] Ainsi tout l’emploi de la pensée humaine est de reproduire des groupes. […] À de certains moments paraît une forme d’esprit originale, qui produit une philosophie, une littérature, un art, une science, et qui, ayant renouvelé la pensée de l’homme, renouvelle lentement, infailliblement, toutes ses pensées. […] Ce sont là, en effet, les deux vices qui ont corrompu la pensée allemande. […] La piété chevaleresque et poétique de la grande monarchie espagnole a vidé l’Espagne d’hommes et de pensées.
Ce qu’on a senti ou pensé, on peut l’exprimer avec une élégance égale dans toutes les langues ; et chaque langue vous fournira les expressions uniques pour caractériser quelque pensée, quelque sentiment que ce soit, et pour en fixer le degré de vivacité ou de noblesse. […] Ce sont, à vrai dire, des articles de revue, pas si gros qu’aujourd’hui, point massifs, mais assez solides, très fins, et où il y a toujours de la pensée. […] Ce qui n’est pas clair, n’est pas français ; ce qui n’est pas clair est encore anglais, italien, (allemand,) grec ou latin. » L’abbé de Pons n’admet point que les langues soient autre chose que des systèmes de signes arbitraires établis pour le commerce mutuel des pensées. […] Il continue de raisonner ainsi, dans l’hypothèse que nous sommes nés sourds, que nous ne notons la pensée que pour les yeux. […] Il n’y a, selon lui, aucun rapport entre les mots des langues et les pensées dont ces mots sont les signes.
Le présent a ses droits ; les pensées, les sentiments qui, chaque jour, se pressent dans une âme de poëte veulent et doivent être exprimés. […] Toutes les pensées étrangères sont éloignées, et toutes les aises même de la vie sont pour longtemps perdues. […] Pour les poésies en l’air, je n’en fais aucun cas. » Et je ne puis m’interdire ici une remarque à l’adresse de nous autres Français qui avons la manie de découper les pensées de Gœthe et de les détacher de ses conversations comme des axiomes. Faites bien attention que si Gœthe ne veut pas de poésies en l’air, il ne fait pas de pensées en l’air non plus. […] Mais je n’ai pu qu’effleurer aujourd’hui cette mine si riche de pensées et de jugements.
L’exécuteur, obéissant à sa dernière pensée, la ramassa dans le panier et la promena autour de l’échafaud. […] Sa dernière pensée fut un scrupule de pudeur. […] Les autres à côté de lui n’étaient que des démagogues ; ils n’avaient ni pensées justes ni pensées fausses, ils n’avaient que des fureurs brutales. […] C’était la pensée égalitaire devenue homme, l’incarnation d’une impossibilité à laquelle tend l’idéal, mais à laquelle la nature résiste, et qui n’est pas par conséquent le plan divin des sociétés. […] On est fier d’être d’une race d’hommes à qui la Providence a permis de concevoir de telles pensées, et d’être enfant d’un siècle qui a imprimé l’impulsion à de tels mouvements de l’esprit humain.
Une des pensées favorites de Montaigne, c’est que nous ne saurions avoir de connaissance certaine, puisque rien n’est immuable, ni les choses ni les intelligences, et que l’esprit et son objet sont emportés l’un et l’autre d’un branle perpétuel. […] Quand je cherche à être sincère, à n’exprimer que ce que j’ai éprouvé réellement, je suis épouvanté de voir combien mes impressions s’accordent peu, sur de très grands écrivains, avec les jugements traditionnels, et j’hésite à dire toute ma pensée. […] Mais cette ironie, n’étant en somme que la conscience toujours présente du mystère des choses et de la fragilité des destinées humaines, implique la bonté, la pitié, la tendresse — une tendresse pleine de pensée et d’autant plus profonde. […] Est-il possible de faire tenir plus de contemplation dans un regret, et plus de pensée dans un simple regard aux étoiles ? […] Mais je considérai que mon père, n’étant pas saint comme moi, ne partagerait pas avec moi la gloire des bienheureux, et cette pensée me fut une grande consolation.
Toute la matière de la pensée est renouvelée. […] Des pensées plus avancées que poétiques sur la tolérance religieuse lui attirèrent les censures de la Sorbonne, et le fameux Béda y déféra son Miroir de l’âme pécheresse. […] Après trois siècles, notre langue n’aurait pas d’autres mots pour les mêmes pensées, et, sauf quelques passages indifférents, nous entendons l’aimable auteur comme l’entendaient ses contemporains. […] C’est le commerce d’esprit entre Marot et Marguerite, et la part que dut avoir l’aimable princesse dans le tour poli et délicat des pensées du poète. […] L’esprit n’est pas une faculté distincte comme la sensibilité, l’imagination et la raison, auxquelles correspondent des modes différents de notre pensée, qui forment comme le domaine séparé de chacune.
Mais, en même temps, M. de Broglie est un des esprits les plus originaux de notre époque, un des esprits les plus curieux, les plus compliqués dans leur formation et dans leur mode de pensée. […] Il est le premier de sa race qui ait marqué dans l’ordre de la pensée. […] Il parle avec clarté, avec déduction et suite, et, mieux que cela, avec élégance, avec une élégance qui ne serait pas naturelle chez un autre, qui chez lui ne semble pas cherchée, et qui est la forme précise de sa pensée. […] Sa pensée lui naît toute rédigée, dans cette forme rare, savante et assez imprévue, qui est la sienne. […] Je trouve maint beau mot, mainte belle pensée chez M. de Broglie, mais on n’a pas toujours l’espace et la place pour les regarder.
Il lui avait suggéré quelques sentiments et pensées, dont elle a voulu faire, dit-il, des pierres précieuses et des « diamants à facettes ». […] On trouve chez Mme de Lambert quelques pensées qu’on croirait qu’elle a d’avance empruntées aux moralistes qui l’ont suivie. […] Elle ressemble en ceci au vieux moraliste Charron qui se contente de bien exprimer les pensées et de les joindre ensemble, de quelque part qu’elles lui viennent, pourvu qu’il les trouve justes et à son gré. […] Et tant d’autres pensées pour lesquelles Mme de Lambert mériterait d’être nommée le La Bruyère des femmes. […] Quelque affectation de précieux s’y mêle ; mais que de belles pensées, que de sentiments délicats !
La vie, en effet, est en quelque sorte le nœud du problème que nous présente l’univers, car la vie tient d’une part à la matière en général, et de l’autre elle tient à la sensibilité et à la pensée. […] Si l’on convient de cette loi, signalée plus haut, que dans la nature l’inférieur est la condition du supérieur, on ne s’étonnera pas de voir la vie liée à des conditions mécaniques sans se réduire à un pur mécanisme, de même que la pensée est liée à des faits physiologiques et organiques sans être en elle-même et dans son essence un fait organique et physiologique. […] Nous concevons comme possible que la vie ne soit que le résultat de l’organisation, mais nous ne concevons pas comme possible qu’il en soit de même de la pensée. […] Vous pouvez voir et toucher mon cerveau, vous ne pouvez pas voir et toucher ma pensée. Ne dites pas qu’il en est de même des fonctions physiologiques, dont le comment échappe à nos sens : je répondrais que le comment de la pensée nous échappe également, mais que le phénomène de la pensée nous est parfaitement connu et qu’il ne nous est connu qu’intérieurement ; bien plus, qu’il ne peut être en aucune façon représenté sous une forme objective.
À son propos quand on a parlé de l’influence nietzschéenne, il a fait remarquer très justement que Nietzsche n’aurait pas eu tant de succès, si sa pensée n’avait été pensée par des esprits orientés déjà comme le sien, si Zarathoustra n’avait été la traduction de la pensée d’une génération… L’anarchisme souriant, la logique rigoureuse, le bon goût sceptique de M. […] L’intérêt de l’homme qui pense peut être d’avoir beaucoup d’or, mais l’intérêt de la pensée est de se rattacher à une patrie libre, telle que la peut seule maintenir l’héréditaire vertu du sang. Dans cette patrie libre, la pensée réclame pareillement de l’ordre, celui que le sang peut fonder et maintenir. […] Sa conférence sur La mission du Drame atteint une réelle hauteur de pensée — malgré quelques concessions aux erreurs de l’art démocratique. […] Ce n’est pas lui qui chassera les poètes de la cité future, car il les goûte avec discernement et tient compte de leur pensée, sans pour cela que sa méthode ou son érudition puissent être mises en défaut.
Et d’abord, pour procéder régulièrement à l’immolation définitive du préjugé révolutionnaire, Cassagnac commence son histoire par se demander si la Révolution a été la conséquence nécessaire de principes existant bien longtemps avant elle dans la pensée de l’humanité. […] Il n’en avait point trouvé la pensée au-dessous, mais au-dessus de lui, dans les conseils du roi antérieurs à son ministère. […] Dans ces causes, on trouve tout le contraire de ce que la pensée avait l’habitude d’y discerner. […] Des esprits qui ont peur de tout, même de l’ombre d’une pensée qu’ils n’ont pas, ont traité cette Histoire des Causes de paradoxe. […] Il ne faut rien de plus que la main d’un enfant idiot ou pervers pour mettre le feu à une ville, rien de plus que la pensée d’un sophiste pour mettre le feu à une société.
Ces échantillons suffisent pour montrer combien sérieuse est souvent la pensée de Daumier, et comme il attaque vivement son sujet. […] Il fait deviner la couleur comme la pensée ; or c’est le signe d’un art supérieur, et que tous les artistes intelligents ont clairement vu dans ses ouvrages. […] il reste une chose vague dans la pensée, malgré la précision pointue du crayon. […] Grâce à l’hypocrisie charmante de sa pensée et à la puissante tactique des demi-mots, il ose tout. D’autres fois, quand sa pensée cynique se dévoile franchement, elle endosse un vêtement gracieux, elle caresse les préjugés et fait du monde son complice.
Il y a dans les libertins, dans ceux qui s’enivrent, dans les joueurs, dans les avares, les deux espèces de mouvement qui font les ambitieux en tout genre, le besoin d’émotion et la personnalité : mais dans les passions morales, on ne peut être ému que par les sentiments de l’âme, et ce qu’on a d’égoïsme n’est satisfait que par le rapport des autres avec soi, tandis que le seul avantage de ces passions physiques c’est l’agitation qui suspend le sentiment et la pensée ; elles donnent une sorte de personnalité matérielle, qui part de soi pour revenir à soi, et fait triompher ce qu’il y a d’animal dans l’homme sur le reste de sa nature. […] Si l’on parvenait à rallier la nature morale à la nature physique, l’univers entier à une seule pensée, on aurait presque dérobé le secret de la Divinité. […] quel homme peut se choisir pour l’objet de sa pensée, sans admettre d’intermédiaire entre sa passion et lui-même ! […] Les passions qui dégradent l’homme, en resserrant son égoïsme dans ses sensations, ne produisent pas, sans doute, ces bouleversements de l’âme où l’homme éprouve toutes les douleurs que ses facultés lui permettent de ressentir ; mais il ne reste aux peines, causées par des penchants méprisables, aucun genre de consolation ; le dégoût qu’elles inspirent aux autres, passe jusqu’à celui qui les éprouve ; il n’y a rien de plus amer dans l’adversité que de ne pas pouvoir s’intéresser à soi : l’on est malheureux sans trouver même de l’attendrissement dans son âme ; il y a quelque chose de desséché dans tout votre être, un sentiment d’isolement si profond, qu’aucune idée ne peut se joindre à l’impression de la douleur ; il n’y a rien dans le passé, il n’y a rien dans l’avenir, il n’y a rien autour de soi, on souffre à sa place, mais sans pouvoir s’aider de sa pensée, sans oser méditer sur les différentes causes de son infortune, sans se relever par de grands souvenirs où la douleur puisse s’attacher.