/ 2118
1201. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

L’évêque, son successeur, nous a laissé, à la tête de ses éloges, une description charmante de ce lieu ; on y voit un homme enthousiaste des lettres et du repos, un historien qui a l’imagination d’un poète, un évêque nourri des doux mensonges de la mythologie païenne ; car il nous peint avec transport ses jardins baignés par les flots du lac, l’ombre et la fraîcheur de ses bois, ses coteaux, ses eaux jaillissantes, le silence profond et le calme de sa solitude ; une statue élevée dans ses jardins à la nature ; au-dedans, un salon où présidait Apollon avec sa lyre et les neuf Muses avec leurs attributs ; un autre où présidait Minerve ; sa bibliothèque, qui était sous la garde de Mercure ; ensuite l’appartement des trois Grâces, orné de colonnes doriques et de peintures les plus riantes ; au-dehors, l’étendue pure et transparente du lac, ses détours tortueux, ses rivages ornés d’oliviers et de lauriers ; et, dans l’éloignement, des villes, des promontoires, des coteaux en amphithéâtre, chargés de vignes ; et les hauteurs naissantes des Alpes, couvertes de bois et de pâturages, où l’œil voyait de loin errer des troupeaux.

1202. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Quelques vers d’Aristophane vous peindront cette sensualité si franche, si légère et si brillante. […] Des murs qu’un voleur peut percer, blanchis à la chaux, encore dépourvus de peintures au temps de Périclès ; un lit avec quelques couvertures, un coffre, quelques beaux vases peints, des armes suspendues, une lampe de structure toute primitive ; une toute petite maison qui n’a pas toujours de premier étage : cela suffît à un Athénien noble ; il vit au dehors, en plein air, sous les portiques, dans l’Agora, dans les gymnases, et les bâtiments publics qui abritent sa vie publique sont aussi peu garnis que sa maison privée. […] Nous n’avons pas besoin de nous forcer et de nous exalter pour retrouver en nous les sentiments qu’il exprime, ni pour imaginer le monde qu’il peint, combats, voyages, festins, discours publics, entretiens privés, toutes les scènes de la vie réelle, amitié, amour paternel et conjugal, besoin de gloire et d’action, colères, apaisements, goût, des fêtes, plaisir de vivre, toutes les émotions et toutes les passions de l’homme naturel. […] Les personnages s’asseyent, se lèvent, se regardent en disant des choses ordinaires, sans plus d’effort que les figurines peintes sur les murs de Pompéi. […] Rappelons-nous Delsarte ou Mme Viardot chantant un récitatif d’Iphigénie ou d’Orphée, Rouget de Lisle ou Mlle Rachel déclamant la Marseillaise, un chœur de l’Alceste de Gluck tel que nous le voyons au théâtre, avec un coryphée, un orchestre et des groupes qui s’entrelacent et se dénouent devant l’escalier d’un temple, non pas comme aujourd’hui sous la lumière de la rampe et devant des décors peints, mais sur la place publique et sous le vrai soleil ; nous aurons l’idée la moins inexacte de ces fêtes et de ces mœurs.

1203. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Lavedan, qui excelle à croquer nos mondains, n’a pas pris à tâche de peindre leurs vices, il ne s’occupe que de leurs côtés grotesques, ce qui est une assez belle besogne, et nous les montre sous toutes leurs faces. […] Gustave Toudouze excelle à peindre. […] Peints par eux-mêmes M.  […] Hervieu a peint, lui aussi, le monde qu’il connaît, qu’il aimé, et qu’il sait cependant impartialement juger. […] Mais, comme je l’ai dit bien des fois, il n’est telle appréciation qui vaille une preuve, et j’aime mieux montrer un peu de l’œuvre du poète que de m’efforcer de la peindre par des mots.

1204. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Il condamnait une littérature qui se contente de peindre ce qu’on voit. […] Ils peignent ou sculptent des animaux, avec une insignifiante habileté, ou maladroitement. […] Il dessine et il peint de petits tableaux de réalité, des « idylles ». […] Le vêtement qu’il peint est chaste, mais docile au corps, à sa forme, à ses mouvements. […] Et le peintre veut disparaître derrière l’ouvrage qu’il peint.

1205. (1922) Gustave Flaubert

Flaubert, sous le nom de Léonce, y est peint sans indulgence. […] Le monde que peint Madame Bovary est un monde qui se défait, et où Flaubert a systématiquement supprimé la volonté, c’est-à-dire la valeur masculine. […] Ce n’est pas comme dans la vie ordinaire où ils finissent par vous rendre féroces. » Évidemment, Flaubert n’a pas peint Homais avec férocité. […] Si Flaubert s’est proposé de peindre dans Homais un imbécile, encore faut-il s’entendre. […] Flaubert ayant voulu peindre des personnages qui ne sont pas intéressants, la majeure partie de la critique a trouvé qu’il n’était pas intéressant.

1206. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Ce n’est pas ici le lieu de le peindre dans sa famille, où il déploya les plus belles vertus domestiques. […] Volontairement ou non, il s’est peint dans un des personnages de son dernier roman. […] Je voudrais vous peindre ce noir regard d’arabe sur son pâle visage aux traits accentués, qui porte les traces d’une extrême délicatesse de tempérament. […] Renan a peints sur nature, ne manquent ni de richesse ni d’éclat. […] Je pense que, pour beaucoup de raisons, Molière n’a pas songé à peindre les jésuites dans son Tartufe.

1207. (1893) Alfred de Musset

Nous savons également par son frère qu’il s’est peint lui-même dans le portrait de Valentin par où débutent les Deux Maîtresses. […] Ses graves défauts de caractère, ses torts dès le début, y sont peints avec une sorte de fureur. […] Il lui peint une fois de plus son amour avec l’ardeur de passion qui fait de ces lettres des Nuits en prose. […] L’épithète de Musset peint à la fois l’apparence extérieure de l’objet et sa signification poétique. […] Au travers de ces agitations, que Musset a peintes avec beaucoup de couleur, une sombre tragédie se déroule dans une âme éperdue, qu’elle remplit d’horreur et de désespoir.

1208. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Les travers, les vices, les passions que peint la comédie, sont des erreurs du jugement, choquent la raison, et ainsi sont justiciables du rire. […] Regnard n’a jamais songé à peindre les mœurs : s’il est le témoin, malgré tout, des mauvaises mœurs de la fin du grand siècle et du commencement de cette joyeuse corruption à laquelle la Régence attachera son nom, c’est sans le vouloir, parce que sa fantaisie est bien forcée d’aller prendre des matériaux dans la réalité. […] Rafle qui aide Turcaret à faire une usure effrontée et le plus impitoyable brigandage, voilà les originaux que Lesage nous présente, peints d’après nature, parfois même plus vrais que nature.

1209. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Jocelyn : comment il peint la nature. — 3. […] Ici Lamartine a voulu peindre : il a prodigué les couleurs, et ses descriptions pourtant ne sortent pas. […] Gautier ne fait plus de tableaux ici : il peint sur émail, il grave en pierres fines ; le travail est minutieux et large ; chaque pièce est d’un fini qui étonne.

1210. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Le secret de ces misères infinies, qu’il devait peindre avec tant de vérité, il le connut par ses propres maux. […] » Dans cette solitude de Port-Royal, au sein de fortes études théologiques et littéraires, il concentra toutes ses pensées sur ce sujet vivant, l’homme, dont il portait en lui toutes les grandeurs et toutes les misères : non pas l’homme tel que Montaigne le peint, arrivant par le doute universel à ne croire qu’à lui-même ; ni l’homme selon Descartes, qui se contente de savoir qu’il y a un Dieu, qu’il existe une âme distincte du corps, et qui s’arrange dans ce monde de façon à y vivre le plus agréablement et le plus longtemps possible ; mais l’homme tel que le christianisme l’a expliqué, l’homme dont Montaigne n’avait pas vu toute la grandeur, ni Descartes toute la petitesse. […] Pascal a les grands mouvements, la tendresse, l’ironie poignante ou la profonde pitié, une logique qui, pour convaincre la raison ou la forcer d’abdiquer, s’aide de la faiblesse même de l’imagination, qu’elle épouvante par ses dilemmes45 ; des nuances ou se peignent les divers états de son âme, tantôt calme et sereine, quand la foi la possède, tantôt troublée et exaltée par le doute qui la ressaisit ; jamais médiocrement touchée.

1211. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

On lui apporte le portrait de Sacountala, peinte au milieu de ses compagnes dans les jardins de l’ermitage. […] … Quelle douce résignation se peint dans tous ses traits ! […] Tel un miroir dont la surface est ternie ne peut recevoir l’image d’un objet qui s’y peint ensuite avec la plus grande fidélité, dès qu’on lui a rendu son premier poli.

1212. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Bulwer a voulu peindre, j’avais lu son livre comme distraction et comme étude, pour compléter mes renseignements sur l’état présent de la littérature anglaise, mais sans y attacher aucune importance sociale. […] Mais, pour peindre ces trois types, il eût fallu les contempler plus de huit jours, et surtout ne pas se hâter de dessiner. […] Il fait bon marché lui-même de ses souvenirs, de ses impressions et de ses paysages ; il consent de bonne grâce à demeurer au-dessous de tous les voyageurs qui l’ont précédé ; il se résigne à descendre au-dessous de lui-même, à mêler confusément les couleurs que jusqu’ici il avait si habilement ordonnées, à peindre avec nonchalance et gaucherie les larges horizons qu’il peignait si bien autrefois. […] Le portrait de Diane, et surtout ses yeux, me semblent peints d’après nature. […] Un homme n’aurait jamais consenti à peindre impitoyablement l’égoïsme de Raymond, ni à écrire cet aphorisme brutal : La femme est imbécile par nature.

1213. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Madame Beecher-Stowe, dans l’excès de son zèle, a méconnu cette vérité quand elle nous a peint ses anges d’ébène. […] Sa confession, qui est toujours un plaidoyer, même quand il s’avoue coupable, si elle ne fait pas connaître l’individu, peint l’époque. […] A-t-il voulu peindre des mœurs, des caractères ou des passions ? […] Il ne le peint qu’en le mettant en action. […] Quand il peint M. de Cavour sous le nom du Subalpin, c’est bien pis.

1214. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Cette mère n’avait que vous pour passé, pour présent, pour avenir ; j’aime à me la retracer dans ce petit jardinet de la rue Notre-Dame des Champs, où je causais souvent avec elle en attendant que vous fussiez rentré quand j’allais vous voir ; sa modestie, sa grâce naturelle, sa bonté maternelle, son sourire fin et attendri, le timbre enchanteur de sa voix émue en causant de vous, me rappelaient cette Monique, mère d’Augustin, si bien peinte par Scheffer, quand, dans son geste double, elle presse ici-bas des deux mains les mains de son fils, tandis que ses deux beaux yeux levés au ciel et tournés à Dieu ont déjà oublié la terre et enlèvent l’âme de son enfant dans un regard. […] Ces longs murs noirs, ennuyeux à l’œil, ceinture sinistre du vaste cimetière qu’on appelle une grande ville ; ces haies mal closes laissant voir, par des trouées, l’ignoble verdure des jardins potagers ; ces tristes allées monotones, ces ormes gris de poussière, et, au-dessous, quelque vieille accroupie avec des enfants au bord d’un fossé ; quelque invalide attardé regagnant d’un pied chancelant la caserne ; parfois, de l’autre côté du chemin, les éclats joyeux d’une noce d’artisans, cela suffisait, durant la semaine, aux consolations chétives de notre ami ; depuis, il nous a peint lui-même ses soirées du dimanche dans la pièce des Rayons jaunes. […] Ainsi je rêvais à quinze ans ; Aux derniers reflets de l’enfance, À l’aube de l’adolescence, Se peignaient mes jours séduisants. […] Ou bien, si d’un pinceau la légère finesse Sur l’ovale d’ivoire avait peint ses attraits, Le velours de sa joue, et sa fleur de jeunesse, Et ses grands sourcils noirs couronnant tous ses traits : Ah !

/ 2118