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1220. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Dans l’ambition, au contraire, tout est présent, tout est positif ; rien n’apparaît au-delà du terme, rien ne reste après le malheur, et c’est par l’inflexibilité du calcul, et le néant du passé qu’on doit estimer ses avantages et ses pertes. […] Passer de l’occupation de soi à celle de tout autre objet, est une sorte de régénération morale dont il existe bien peu d’exemples. […] Bientôt celle-là même s’efface, et la meilleure chance de bonheur pour cette situation, c’est la facilité qu’on trouve à se faire oublier : mais par une réunion cruelle, le monde qu’on voudrait occuper, ne se rappelle plus de votre existence passée, et ceux qui vous approchent ne peuvent en perdre le souvenir. […] Pour aimer et posséder la gloire, il faut des qualités tellement éminentes, que si leur plus grande action est au dehors de nous, cependant elles peuvent encore servir d’aliment à la pensée dans le silence de la retraite ; mais la passion de l’ambition, les moyens qu’il faut pour réussir dans ses désirs, sont nuls pour tout autre usage : c’est de l’impulsion plutôt que de la véritable force ; c’est une sorte d’ardeur qui ne peut se nourrir de ses propres ressources ; c’est le sentiment le plus ennemi du passé, de la réflexion, de tout ce qui retombe sur soi-même. […] On voit des vieillards traîner à la cour l’inquiétude qui les agite, bravant le ridicule et le mépris pour s’attacher à la dernière ombre du passé.

1221. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

L’administration civile de l’armée, les divers corps de service qui dépendaient de l’Intendance générale, passés en revue à Wilna par le maréchal Berthier, formaient déjà toute une armée qui, chargée de pourvoir à l’autre, ne savait où se pourvoir elle-même. […] Le 4e régiment était réduit à 900 hommes, de 2 800 qui avaient passé le Rhin. […] La veille de la retraite, 18 octobre, l’Empereur passa au Kremlin la revue du 3e corps, qui était celui de Ney. […] répondit l’officier. — Passer le Dniepr. — Où est le chemin ? […] Vers le milieu de la nuit, le Dniepr est franchi, mais seulement par les fantassins ; à peine quelques chevaux ont pu passer sur la glace trop peu solide.

1222. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre IV. Critique »

Jonas passe trois jours dans la baleine et Jésus passe trois jours dans le sépulcre, et la gueule du monstre avalant Jonas répond à la bouche de l’enfer engloutissant Jésus. […] L’homme passe, ce drame reste, ayant pour fond éternel la vie, le cœur, le monde, et pour surface le seizième siècle. […] Regardez passer Mamilius, Posthumus, Hermione, Perdita. […] De temps en temps passent sur cette surface, comme les rafales sur l’eau, des catastrophes, une guerre, une peste, une favorite, une famine.

1223. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

Le cerveau augmente de dimensions et se perfectionne quant à la structure à mesure que l’on passe des poissons aux oiseaux, des oiseaux aux mammifères, et que dans cette dernière classe on remonte la série des espèces dans l’ordre de leurs facultés intellectuelles. […] « Dans l’ordre intellectuel, dit Leuret, passer des insectes aux poissons, ce n’est pas monter, c’est descendre ; dans l’ordre organique, c’est suivre le perfectionnement du système nerveux. […] Dans l’ordre des rougeurs, qui a passé longtemps pour être presque entièrement dépourvu de circonvolutions, le cabiai a le cerveau plissé : or il n’est nullement supérieur en intelligence aux autres rongeurs ; mais il l’emporte sur eux par la taille. […] Si les dimensions d’un corps passent de 2 mètres à 3 mètres, la surface passe de 4 mètres carrés à 9 mètres carrés, le volume de 8 mètres cubes à 27 mètres cubes.

1224. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

De là, dit Plutarque, il arriva que la tragédie fut détournée de son but, et passa des honneurs rendus à Bacchus, à des fables et à des représentations passionnées. […] L’on me dira peut-être qu’il n’est pas croyable que toutes ces réflexions aient passé par l’esprit d’Homère et d’Eschyle quand ils se sont mis à composer, l’un son Iliade et l’autre ses tragédies ; que ces idées paraissent postiches et venues après coup ; qu’Aristote, charmé d’avoir démêlé dans leurs ouvrages de quoi fonder le but et l’art de l’épopée et de la tragédie, a mis sur le compte de ces auteurs des choses auxquelles, selon les apparences, ils n’ont pas songé ; qu’enfin je m’efforce vainement moi-même de leur prêter des vues qu’ils n’avaient pas. […] Que l’édifice soit plus ou moins grand, pourvu qu’il soit bien proportionné et qu’il ne passe pas la portée de l’œil, il n’importe. […] Il est donc naturel que la mesure de l’action ne passe pas de beaucoup celle de la représentation. […] Ainsi l’artifice, joint à la nature, justifie assez la conduite des premiers poètes tragiques, qui n’ont passé que de fort peu la durée de la représentation dans l’espace qu’ils ont donné à l’action de leurs tragédies.

1225. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Le simple parallélisme des valeurs par lesquelles passent les deux phénomènes, pourvu qu’il ait été établi dans un nombre suffisant de cas suffisamment variés, est la preuve qu’il existe entre eux une relation. […] Mais, pour que cette constatation ait une valeur scientifique, il faut qu’elle ait été faite un très grand nombre de fois ; il faudrait presque être assuré que tous les faits ont été passés en revue. […] Au contraire, la vie sociale est une suite ininterrompue de transformations, parallèles à d’autres transformations dans les conditions de l’existence collective ; et nous n’avons pas seulement à notre disposition celles qui se rapportent à une époque récente, mais un grand nombre de celles par lesquelles ont passé les peuples disparus sont parvenues jusqu’à nous. […] Ainsi, les éléments nouveaux que nous avons introduits dans le droit domestique, le droit de propriété, la morale, depuis le commencement de notre histoire, sont relativement peu nombreux et peu importants, comparés à ceux que le passé nous a légués. […] Parfois, pour juger du sens dans lequel se développent les événements sociaux, il est arrivé qu’on a simplement comparé ce qui se passe au déclin de chaque espèce avec ce qui se produit au début de l’espèce suivante.

1226. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

D’ailleurs, il faut bien en convenir, on n’est pas libre de le passer sous silence. […] Il avait touché à cette baguette magique d’acier qui s’appelle une épée et qu’on ne touche jamais impunément, et il en avait gardé dans la pensée je ne sais quoi de militaire et, qu’on me passe le mot ! […] Esprit de demi-jour et même quelquefois de ténèbres, cet Excentrique prémédité passa dans la littérature, ou plutôt à côté de la littérature de son temps, « embossé » dans une cape hypocrite, ne montrant qu’un œil, à la façon des Péruviennes sous leur mantille, un seul œil noir, pénétrant, affilé, d’un rayon visuel qui, pour aller à fond, valait bien tous les stylets de l’Italie, mais qui avait, croyez-le bien ! […] Au moins Goethe avait été chrétien ; il avait été l’auteur du Faust et de l’Egmont, et, quand le Christianisme a passé par un génie, c’est comme l’amour quand il a passé par un cœur : il en reste toujours quelque chose.

1227. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

D’ailleurs, il faut bien en convenir, on n’est pas libre de le passer sous silence. […] C’était un homme d’action, fils d’une époque qui avait été l’action même, et qui portait la réverbération de Napoléon sur sa pensée ; il avait touché à cette baguette magique d’acier qui s’appelle une épée, et qu’on ne touche jamais impunément, et il avait gardé dans la pensée je ne sais quoi de militaire et, qu’on me passe le mot, de cravaté de noir, qui tranche bien sur le génie fastueux des littératures de décadence. […] Esprit de demi-jour et même quelquefois de ténèbres, cet Excentrique prémédité passa dans la littérature, ou plutôt à côté de la littérature de son temps, « embossé » dans une cape hypocrite, ne montrant qu’un œil, à la façon des Péruviennes sous leur mantille, un seul œil noir, pénétrant, affilé, d’un rayon visuel qui, pour aller à fond, valait bien tous les stylets de l’Italie, mais qui avait, croyez-le bien, la prétention d’être vu et même d’être trouvé beau. […] Au moins, Gœthe avait été chrétien ; il avait été l’auteur du Faust et du D’Egmont, et, quand le christianisme a passé par un génie, c’est comme l’amour quand il a à passer par un cœur : il en reste toujours quelque chose.

1228. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Il passait devant la Sorbonne vers 1824, et un jeune étudiant de sa connaissance, qui sortait d’un cours célèbre, l’arrêtait, le prenait par le bouton de la redingote, et lui parlait ainsi : « Bonjour, cher monsieur, comment vous portez-vous ? […] Mais adieu ; trois de mes amis m’attendent ; nous devons discuter aujourd’hui la manière dont l’intelligence passe du moi au non-moi, et du subjectif à l’objectif. » Le pauvre disciple de Laromiguière, un peu confus et inquiet, monta à la bibliothèque de la Sorbonne, et pour se rassurer ouvrit le premier volume de son professeur. « Serait-il bien possible, disait-il, que la doctrine de mon cher maître renfermât de si étranges conséquences ?  […] Cette probabilité, d’elle-même, deviendra certitude, et les pauvres gens, tout honteux de leur réputation nouvelle, baisseront le dos, laisseront passer l’orage et se tiendront cois, silencieux dans leur cachette, espérant que, dans cinquante ans peut-être, la doctrine des esprits les plus lucides, les plus méthodiques et les plus français qui aient honoré la France, cessera de passer pour une philosophie de niais ou d’hommes suspects. » Voilà le raisonnement que se fit mon vieux sensualiste. […] J’aurais quelque intérêt sans doute à vous entretenir dans une pareille opinion ; elle me servirait d’excuse, et pour le passé et pour l’avenir ; mais tous les prétextes que je pourrais alléguer ne seraient que de vains prétextes, et je dois faire l’aveu que, s’il m’arrive de laisser paraître de l’hésitation ou de l’embarras, ce sera toujours ma faute, et non celle des matières que je traiterai. […] On a dit que le propre de l’esprit français est d’éclaircir, de développer, de publier les vérités générales ; que les faits découverts en Angleterre et les théories inventées en Allemagne ont besoin de passer par nos livres pour recevoir en Europe le droit de cité ; que nos écrivains seuls savent réduire la science en notions populaires, conduire les esprits pas à pas et sans qu’ils s’en doutent vers un but lointain, aplanir le chemin, supprimer l’ennui et l’effort, et changer le laborieux voyage en une promenade de plaisir.

1229. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Elle passa inaperçue en France. […] Sérieusement, je ne passerai jamais cela à M.  […] Cela passe vite, mais cela brûle et crie. […] La vie s’y passe à vivoter. […] Tout cela doit passer par des âmes individuelles.

1230. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Préface »

Cette passion malheureuse a ameuté contre ma personne, tant de haines, de colères, et donné lieu à des interprétations si calomnieuses de ma prose, qu’à l’heure qu’il est, où je suis vieux, maladif, désireux de la tranquillité d’esprit, — je passe la main pour la dire, cette vérité, — je passe la main aux jeunes, ayant la richesse du sang et des jarrets qui ploient encore.

1231. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Je crus être en paradis cette année entière que je passai à Pise, où il ne me vint jamais en fantaisie d’en jouer une seule fois. […] J’allai ensuite m’acquitter de mes devoirs chrétiens, et, les fêtes passées, je retournai auprès du pape. […] Ils poussèrent des cris qui me réveillèrent, et m’avertirent de ce qui venait de se passer. […] La peur n’était pas encore passée ; et ces messieurs, qui restaient en arrière, me prièrent de marcher à côté de leur dame. […] C’était le jour de la Fête-Dieu que cela se passait.

1232. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Quoique cette cérémonie ne passât pas à leurs yeux pour une marque d’idolâtrie, elle n’était pas moins étrangère aux mœurs des Macédoniens, et devait nécessairement leur paraître un acte humiliant et digne de vils esclaves. […] Ainsi, soit que le peuple d’Athènes l’emportât, soit que l’armée en retraite passât l’Hellespont et rentrât à Athènes, Aristote se trouvait également compromis. […] « C’est, dit-il, l’habitant susceptible d’être élevé au pouvoir civil. » Il passe de là à l’État lui-même et aux différentes formes de constitution : monarchie, oligarchie, aristocratie, démagogie. […] Il est certainement préférable que la cité, grâce aux institutions primitives du législateur, puisse se passer de ce remède ; mais, si le législateur reçoit de seconde main le gouvernail de l’État, il peut, dans le besoin, recourir à ce moyen de réforme. […] On peut demander encore pourquoi la parfaite république de Socrate passe en se changeant au système lacédémonien.

1233. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Il y passa neuf ans, dans une grotte de corail, occupé à fabriquer des joyaux pour les Néréides. […] » — Mot profond qui, rapproché de la nature cosmique du Titan, semble opposer aux dieux qui passent la pérennité de la nature qui demeure. […] Il plonge dans le passé et il domine l’avenir. […] Il passe, comme un dieu de l’Inde, à travers un monde de métamorphoses douloureuses. […] Des siècles avaient passé sur ce recommencement de supplice, mais déjà une certaine détente adoucissait sa rigueur.

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