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1107. (1902) Propos littéraires. Première série

Ceux-là sont absolument parfaits et combien vivants, et combien individuels ! […] Débarrassez l’homme de la religion chrétienne, il est parfait, ou à très peu près : voilà Voltaire. […] Molière était un parfait Gorgibus et un épais Chrysale, qui se moquait bêtement de Cathos et de Philaminte. […] Semblable en cela à la nature, elle crée des forces avec une parfaite indifférence à l’endroit du bien et du mal. […] Nous écoutons le dialogue du More et de Desdémone comme une chose parfaite ; mais sans pouvoir nous empêcher de songer à des choses plus profondes.

1108. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Il faisait preuve d’un tact parfait dans ses relations avec les hommes de lettres. […] On sait que ce parfait conteur, ce poète véritable, fut en 1870 capitaine de francs-tireurs et qu’il mena cent Provençaux à la guerre. […] Ernest Renan, a plusieurs fois présenté cet argument avec une parfaite netteté. […] Elle avait donc été parfaite sous les pins et les térébinthes des jardins du Tibre. […] Fait d’une ignorance absolue des lois universelles, son optimisme était inaltérable et parfait.

1109. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

L’harmonie non moins parfaite des langues et des climats confirme cette manière de voir. […] L’héroïne, miss Milner, se trouve mal quatre ou cinq fois par jour, et jouit d’ailleurs d’une santé parfaite. […] S’il était possible que le lecteur ne s’aperçût point qu’il y a des mots entre vos idées et lui, et ne vît que les idées, votre style serait parfait. […] Quelques excitations mentales, causées par des névropathies, auraient-elles donc plus de puissance et produiraient-elles des œuvres plus belles, que ne fait l’harmonie des facultés à l’état de santé parfaite ? […] A ce propos, il est permis de se demander si Mozart, qui a composé pour d’autres publics ces merveilles que l’on appelle les Noces de Figaro et Don Juan, n’aurait pas créé, s’il eût écrit une fois ou deux en vue du public français, quelque œuvre, je ne dis pas plus parfaite, mais autrement parfaite, et d’un genre de beauté différent.

1110. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Pendant qu’il parle ainsi sans discontinuer, d’une voix claire, les yeux baissés, une espèce de sourire vague à sa bouche (assez gracieux dans son dédain) annonce cette profonde et douce satisfaction, cette intime et parfaite certitude qu’il a de lui-même. […] mais il n’y a rien entre deux84. » Quel parfait jugement et qui caractérise Fleury ! […] Le bon Géruzez en effet n’a jamais eu, en fait de poésie contemporaine, que deux vues saillantes : l’une qu’on était à la veille d’une réhabilitation de Delille, l’autre que Turquety était le plus parfait et le seul vraiment élégant des poètes romantiques. […] Il a su concilier dans une mesure parfaite les élans de son patriotisme avec ces convenances dues au malheur ; il est resté citoyen de la nouvelle France, sans rougir des souvenirs de l’ancienne ; son cœur a pu être ému, mais sa raison n’a pas fléchi : « Mens immota manet, lacrymae volvuntur inanes. » Déjà, dans l’Ode à la colonne, M. 

1111. (1925) Dissociations

Il y en a d’ailleurs des exemples, comme il y a des exemples encore plus nombreux, étant plus faciles à réaliser, de bonheurs parfaits fondés sur une médiocrité horatienne. […] Il est même parfait qu’il n’ait jamais bu que de l’eau, ce qui prouve la vertu conservatrice de cet élément. […] On arrive à chaque âge avec une expérience parfaite. […] En somme, il a l’air d’un esprit faible, qui ne se sent en parfaite sécurité que sous la tutelle d’une discipline.

1112. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Je viens de me donner beaucoup de peine pour démontrer une seconde fois que Henri III n’est point une œuvre d’une unité parfaite ; mais est-ce à cause de cela que Henri III ne m’a pas entièrement séduit ? […] Or, outre ceux qui sont mes amis et qui m’ont jugé avec une sympathie que je leur rends, la plupart m’ont jugé avec une loyauté parfaite, et dans un esprit de justice qui fait honneur, il me semble, à notre corporation. […] Mais point : tout de suite il soufflette son père de son orgueilleuse probité, — lui qui a eu la vie aisée et qui n’a jamais pâti… Il s’en faut donc que ce parfait soldat soit un fils irréprochable. […] Et comme leur discrétion, leurs sentiments à fleur d’âme, leur tenue parfaite et leur ironie eussent paru plus amusants encore en opposition avec les vivacités équatoriales de Pepa et ses colères d’oiseau des îles, si Mlle Reichemberg eût joué le rôle autrement ! […] Or, Rolande a été accueillie par une partie de l’auditoire avec une parfaite hypocrisie, et par l’autre avec une bonne humeur très peu austère.

1113. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

La vigueur de l’esprit, la puissance de la pensée n’est donc pas nécessairement la résultante de la vigueur du corps et de la parfaite santé. […] Adoptant le roman comme la forme la plus vivante et la plus capable d’impressionner la masse du public, il veut en faire une source d’enseignement social ; avec lui rien n’est livré au hasard, et les événements qu’il narre sont en parfaite concordance avec les lois universelles. […] Ce dernier, faisant montre d’une vertu qu’il n’a pas, proteste, s’indigne contre la représentation de certains faits, de certaines actions qu’il commet tous les jours sans scrupule et dans une parfaite tranquillité de conscience. » « Ces mêmes spectateurs ne manquent pas d’applaudir avec frénésie aux traits de désintéressement, de dévouement, d’héroïsme qu’ils se garderaient bien d’accomplir eux-mêmes comme étant trop préjudiciables à leurs plaisirs et à leurs intérêts ; mais il leur semble avoir pleinement satisfait les besoins de leur conscience et être pour quelque chose dans le triomphe des gens de bien dès qu’ils ont donné, par leurs larmes et leurs bravos, un témoignage public de leur sympathie. » Ainsi raisonne M. 

1114. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Ce poète a vécu dans une discordance qui était une parfaite harmonie : ses malheurs et ses fautes ne lui firent point transgresser la règle de l’Idéal. […] Celui, cependant, qui ne sait pas discerner que Corneille, malgré ses lacunes, et Racine, tout parfait, possèdent le seul art véritable depuis l’antiquité, mérite qu’on lui adresse l’apostrophe du chœur d’Œdipe à Colone : Hélas ! […] Ce repas fut parfait de tout point : gai, succulent, bien arrosé. […] Je me souviens qu’il y a dix-neuf ans, une jeune fille dont le visage était du plus parfait ovale, la bouche de carmin, et les yeux plus doux que les fleurs et les étoiles, m’avait donné rendez-vous à San Remo. […] La fable veut peut-être dire ceci : Notre berger était un de ces esprits ridicules qui confondent le naturel avec l’inculte ; la danse des Nymphes le choquait par son art parfait ; il la jugeait trop réfléchie.

1115. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Il règne, dans toutes les pages de cette histoire, un naturel si parfait, une simplicité si touchante, que l’auteur paraît transcrire ses souvenirs plutôt qu’inventer. […] Le style de Manon Lescaut, malgré ses incorrections, est d’un naturel constant, d’une clarté parfaite. […] S’il ne se recommande pas au lecteur par une parfaite unité, du moins il ne révèle pas la même indécision, la même hésitation intellectuelle que les Chants du crépuscule. […] Il y a dans ce personnage un tel amour de l’avilissement, une dégradation si ardemment acceptée, un si parfait mépris de toute dignité, que toute sympathie pour lui est impossible. […] Ce mélange de raillerie et de sincérité, d’ironie et d’émotion, donne au lecteur un plaisir singulier, difficile à caractériser, dont Mackenzie et Sterne semblent offrir le plus parfait modèle.

1116. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Vacquerie est faux, d’un bout à l’autre, d’idées et de style ; mais d’une fausseté si complète, si entière, si parfaite, qu’il en est amusant. […] On me dit que le mot Poète signifie », selon eux, organisation parfaite, cœur, esprit, imagination complète. […] Il n’y a ni bons ni mauvais poètes, il n’y a que des poètes ; toutefois, comme ils font des distinctions entre eux, il est bon de donner, d’après le Manuel du parfait Poète, le moyen de les distinguer, aux gens qui les voudraient fréquenter pour en tirer vanité. […] La seconde, poussée à un certain point de perfection, peut faire oublier un instant la première, et c’est ce qui arrive très souvent aujourd’hui, mais, sans leur accord parfait, l’émotion, qui est le seul résultat durable, ne sera pas produite. […] Vacquerie est faux, d’un bout à l’autre, d’idées et de style ; mais d’une fausseté si complète, si entière, si parfaite, qu’il en est amusant.

1117. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Le dimanche, par un temps brumeux, on se croirait dans un cimetière décent ; les adresses lisibles, parfaites, en cuivre, ressemblent à des inscriptions funéraires. […] C’est sur d’autres objets que se rejetteront la grande curiosité, les instincts sublimes de l’esprit, le besoin de l’universel et de l’infini, le désir des choses idéales et parfaites.

1118. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Si vous méritez de tenir quelque rang parmi les hommes, et de n’être pas rejetés dans la dernière classe, dites-le-moi, et alors je verserai dans votre sein ce projet dont l’exécution vous délivre de votre ennemi, vous fixe dans notre cœur et notre affection ; car nous ne pouvons avoir, tant qu’il vivra, qu’une santé languissante que sa mort rendra parfaite. […] Sans cela tout était parfait : j’étais entier comme le marbre, établi comme le roc, au large et libre de me répandre comme l’air qui m’environne ; mais maintenant je suis comprimé, resserré et emprisonné.

1119. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

C’est que nul n’a su mieux que lui reproduire, avec une parfaite originalité, l’effet de cette poésie Shakespearienne dont l’Allemagne et la France sont aujourd’hui plus enthousiastes que l’Angleterre elle-même. […] Et remarquez que ces deux grands poètes, mis en parallèle sous le rapport de leurs ressemblances comme sous celui de leurs contrastes, s’harmonisent admirablement, et forment entre eux un parfait accord : car ils ont tous deux, au plus haut degré, le même sentiment de la vie universelle, et, d’un autre côté, leurs génies sont tellement opposés qu’ils expriment cette Vie par les deux faces, l’un de l’unité, et l’autre de la variété.

1120. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Pour le tour, l’ordre et la suite des faits, le naturel du récit on n’y peut guère changer, même pour perfectionner, sans péril ; et le trait des gens du marquis, « qui commencèrent à laisser leur chef, quand ils virent qu’ils n’auroient nulle aide de lui », est une de ces vérités universelles qui trouvent même dans une langue au berceau des formes déjà parfaites, et qui ne changeront pas. […] Ses chroniques en sont l’image si fidèle, et son art suffit si complètement à sa matière, qu’il a fait de la chronique comme un genre parfait en soi, qui a devancé la venue de la littérature.

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