Il sait observer, combiner, déduire ; ses romans, ses drames, ses poèmes sont des constructions solides dont l’architecture pondérée plaît par la savante symétrie des courbes, toutes dirigées vers un dôme central où l’œil est sévèrement ramené. […] En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble… Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui… Qu’il est beau… Tu dois être puissant, car tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide… Comment ! […] Le mysticisme lui est entré plus avant dans l’œil que dans l’âme. […] Huysmans est un œil. […] L’imagerie qui ne se voit que les yeux clos … les rêves.
De ce fait étonnant, conclurons-nous que les Parnassiens avaient pour principe de rimer pour l’œil ? […] Il est vrai qu’ils donnent aussi quelquefois pour rime à hymen, cyclamen où bien amen, si le cœur leur en dit… Pour l’oreille ou pour l’œil ? […] Ses yeux disaient : « Comprenez-vous Pourquoi ne comprenez-vous pas ? […] Là échoueront toutes les lassitudes, là se cloront les yeux au souvenir des phénomènes fallacieux et les cœurs s’apaiseront des caresses, câlines aux promesses d’aurore. […] Elle se dédouble alors, contemplative et contemplée, l’œil et l’image.
Ses deux yeux, absolument indépendants l’un de l’autre, jouaient chacun un rôle différent. […] Pourquoi lui faire crever l’œil de cet enfant par un accident vulgaire ? […] Il n’a eu qu’à ouvrir les yeux pour rencontrer une réalité pittoresque et poétique. […] Qu’il regarde le monde de ses yeux d’observateur sans compter sur la double vue ! […] Ils sont là, les mains dans les mains, les yeux dans les yeux, cherchant à s’enfiévrer mutuellement et manœuvrant l’un du côté du temple, l’autre du côté de la chambre nuptiale.
Et Ahasver meurt en effet sous les yeux du poète. […] L’esprit lui sort des yeux, et ses yeux sont charmants. […] Un nez prodigieux, des yeux saillants, des joues creuses, une bouche tourmentée, vilaine, soulevée par les longues dents obliques ; point de menton : en somme, un nez entre deux yeux étincelants. […] L’auteur finit par prêter à ses personnages son œil grossissant. […] Je le surveillais, il poussait à vue d’œil, il me consternait par ses progrès rapides.
Méprises-tu ce cloître, et ce préau et ces fresques écaillées, de ce que tes yeux ne les ont pas seuls possédés ? […] On dit : avoir de l’oreille ; tous les yeux ne sont pas propres à goûter les délicatesses de la peinture. […] Elles ont de lourdes coiffures, avec des franges sur les yeux, et des rouleaux de boucles sur la nuque. […] Je n’écris ces lignes que pour le plaisir de tracer ce que vos yeux liront. […] L’atmosphère flotte partout sous nos yeux, mais derrière elle aucune ligne ne se dessine encore.
Je les regardai d’un œil courroucé lorsqu’ils entrèrent. […] Et, me regardant d’un œil satisfait, il m’invita à lui faire cette salière. […] Les ennemis politiques n’étaient à ses yeux que de féroces dupeurs. […] J’ôtai ma statue des yeux du public, pour y mettre ensuite la dernière main. […] Et ce bon vieillard me mit sous les yeux un plan du pays, fait de sa main, où il me fit voir la vérité de ce qu’il me disait.
. — Tout ce qu’il y avait de plus noble dans sa nature paraissait en mouvement ; les flammes les plus pures de la jeunesse semblaient s’être ranimées toutes brillantes en lui, tant il y avait d’énergie dans l’accent de sa voix, dans le feu de ses yeux. […] Mais, en regardant d’un œil attentif, il était impossible de ne pas apercevoir en lui une gêne semblable à celle d’une personne revenant dans une situation qui, par un concours de diverses circonstances, se trouve changée. […] Aucun œil humain ne peut le voir d’avance ; aucune force humaine ne pourrait rapprocher ce temps et faire naître cette occasion. […] Quand je me retirai enfin, mes yeux étaient remplis de larmes. […] puis-je en croire mes yeux ?
Avec les yeux et avec l’esprit, répondrons-nous pour faire bref. Mais pour peu qu’on poursuive cette analyse et qu’on tienne à délimiter la part de l’œil et celle de l’esprit dans le mécanisme de la perception, on est tout de suite frappé de la prédominance de l’esprit sur l’œil et de son importance. […] Plotin parle quelque part de ceux qui voient les yeux formés, μύσαντα ὄψίν, c’est-à-dire avec les yeux de l’âme. […] Laisse ordonner le ciel à tes yeux, sans comprendre, et crée de ton silence la musique des nuits. […] je suis celle qui dans la nuit t’ouvre les yeux.
D’ordinaire, elle était à peu près immobile, l’air sombre, égaré, l’œil terne et fixe. En nous apercevant, cet œil mort s’animait. […] Elle ne nous dit jamais un seul mot, mais cet œil fauve et hagard nous frappait profondément, nous troublait. […] Repoussée, désespérée, la pauvre fille dépérissait, son œil s’égara, mais elle s’observait ; au fond personne ne voyait son secret, elle se rongeait intérieurement. « Quoi ! […] Seule, les yeux fixés sur son ouvrage, elle était d’un autre monde, se croyait sa femme dans la faible mesure du possible.
On apperçoit sans peine ses fautes relatives, quand on a sous les yeux en même-tems les objets qui n’ont pas entre eux le rapport qu’ils doivent avoir. […] Comme nous ne voïons que successivement un poëme dramatique ou un poëme épique, et comme il faut emploïer plusieurs jours à lire ce dernier, les défauts qui sont dans l’ordonnance et dans la distribution de ces poëmes ne viennent pas sauter aux yeux comme des défauts pareils qui sont dans un tableau.
Mais ici le développement se montre dans chaque lettre, abondant, naïf, continu ; on suit à vue d’œil l’âme, le talent, la raison, qui s’empressent d’éclore et de se former. […] A mesure qu’il se développe et se déploie davantage aux yeux des autres, il perd en lui-même ; quand tout le monde se met à l’apprécier, il est déjà moins ; quelquefois (chose horrible à dire !) […] Je conçois les difficultés et les scrupules lorsqu’on a en main d’aussi riches matériaux ; mais il importait, ce me semble, dans l’intérêt de la lecture, de conserver à la publication une sorte d’unité ; d’éviter ce qui traîne, ce qui n’est qu’intervalles, et surtout d’avoir toujours les Mémoires sous les yeux, pour abréger ce qui n’en est qu’une manière de duplicata. […] Le meilleur de Campistron touche au faible de Racine, le Raynal joue souvent à l’œil le Rousseau. […] Les volumes de Lettres de Mme Roland nous arrivent tout tachetés de ces mouillures qui sautent d’abord aux yeux ; ce sont les lieux-communs de son siècle ; il n’y a que plus de fraîcheur et de grâce dans les traits originaux sans nombre dont ils sont rachetés.
Si les mots suivants ont la même vertu, le style est comme un flambeau qui, promené successivement devant toutes les parties d’une grande toile, fait passer devant nos yeux une suite de figures lumineuses, chacune accompagnée par le groupe vague des formes qui l’entourent et sur lesquelles la clarté principale a égaré quelques rayons. […] C’est Progné « qui caracole, frisant l’air et les eaux », c’est Perrette qui « d’un oeil marri quitte sa fortune à terre répandue », c’est le souper du croyant « qui s’envole » avec la colombe. […] On l’a réservé pour la bouche des dieux. » Son corps est en « merveilleux état. » « Il affriande. » Le corbeau en devient « gaillard. » Il « le couve des yeux. » Et la peinture achevée, le poëte ne s’est pas encore débarrassé de l’impression qui l’obsède ; les idées de graisse et d’inertie béate le poursuivent et reparaissent en phrases homériques qui achèvent de peindre « l’animal bêlant, la moutonnière créature, la toison empêtrée comme la barbe de Polyphème. » C’est par cette puissance de recevoir l’illusion qu’on fait illusion. […] Et la mort, à mes yeux dérobant sa clarté, Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté. […] Son sujet le mène, comme un courant d’eau conduit et meut une feuille qui tournoie ; les mots viennent d’eux-mêmes, et les phrases aussi avec leur ordre, leur ton, leur longueur, capables de s’enfler, de s’abaisser, d’être tonnantes ou humbles, d’imiter par la majesté ou la nonchalance de leur mouvement toutes les faces et tous les accidents du spectacle qui se déroule en ce moment sous ses yeux.
Le futur désastre de Russie était là, sous ses yeux, en abrégé, dans une prophétique perspective. […] Je ne sais pas de spectacle plus philosophique, plus fécond en réflexions de tout genre, que celui de ces deux hommes accoudés durant des heures à une table, une carte déployée sous leurs yeux, et se partageant à eux deux le monde. […] Toutefois, je lui rends justice : si elle ne voit pas, elle sent, et, dans les occasions fort rares où il faut fermer les yeux et obéir à son cœur, elle est, non pas un conseiller à écouter, mais un torrent à suivre. […] Le duc de Saint-Simon, pour prendre un exemple moderne, à force de saisir au vif ses originaux, et de les faire saillir aux yeux, en a pu malmener et outrager quelques-uns. […] Tout le monde aborde et lit cette histoire, mais il n’y a qu’une manière de la lire comme il faut, en détail, les cartes sous les yeux, sans rien passer, sans rien brusquer ; ce n’est pas là un de ces livres dont on prenne idée en le parcourant.
Des plumes incarnates et des rubans de la même couleur achevaient sa parure ; mais les beaux traits de son visage, la douceur de ses yeux jointe à leur gravité, la blancheur et la vivacité de son teint, avec ses cheveux qui alors étaient fort blonds, le paraient encore davantage que son habit. […] Il était grave, et dans ses yeux on voyait un air sérieux, qui marquait sa dignité. […] Mazarin mort, il n’y a plus pour Louis XIV aucun motif de différer : Je commençai donc à jeter les yeux sur toutes les diverses parties de l’État, et non pas des yeux indifférents, mais des yeux de maître, sensiblement touché de n’en voir pas une qui ne m’invitât et ne me pressât d’y porter la main, mais observant avec soin ce que le temps et la disposition des choses me pouvaient permettre. […] Ce discours nous livre à nu Louis XIV jeune, dans son premier appareil d’ambition : « Il me semble, dit-il, qu’on m’ôte de ma gloire quand on en peut avoir sans moi. » Ce mot de gloire revient à chaque instant dans sa bouche, et il finit lui-même par s’en apercevoir : « Mais il me siérait mal de parler plus longtemps de ma gloire devant ceux qui en sont témoins. » Dans cette exaltation et ce commencement d’apothéose où on le surprend, on le trouve pourtant meilleur et valant mieux que plus tard : il a quelques mots de sympathie pour les amis, pour les serviteurs qui s’exposent et se dévouent sous ses yeux : « Il n’y a point de roi, dit-il, pour peu qu’il ait le cœur bien fait, qui voie tant de braves gens faire litière de leur vie pour son service, et qui puisse demeurer les bras croisés. » C’est pourquoi il s’est décidé à sortir de la tranchée et à rester exposé au feu à découvert : dans une occasion surtout, dit-il, « où toutes les apparences sont que l’on verra quelque belle action, et où ma présence fait tout, j’ai cru que je devais faire voir en plein jour quelque chose de plus qu’une vaillance enterrée ».