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417. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

L’Homme rouge que j’ai sous les yeux, satire hebdomadaire en vers, qui parut à Lyon du 2 avril au 25 août 1833, n’est qu’une imitation exagérée et grossière de la Némésis, sans aucun des traits malins qui, chez nos deux satiriques émérites de Paris, allaient atteindre au défaut de la cuirasse quelques-uns des hommes du juste-milieu. […] Jeté à vingt ans, seul, sans appui et sans guide, dans la société la plus remuante, la plus passionnée et la plus corrompue de l’Europe, j’ai partagé ses égarements ; mes yeux se sont éblouis à ses fausses lumières, et mon cœur s’est laissé séduire à ses sophismes religieux. […] Mon cœur se serrait, et, me voyant isolé, sans une âme où répandre le débordement de la mienne, sans qu’une espérance m’eût suivi jusque-là, je levais les yeux vers les hauteurs pour y chercher quelques traces chéries, des aspects connus, quelques images enfin à l’aide desquelles je pusse remonter mes souvenirs jusqu’aux heureuses journées de ma vie si tôt écoulées et rappelées en vain dans ma détresse. […] Là, comme un prisonnier qui ne doit plus sortir, Il fut pris dans son cœur d’un amer repentir ; L’éternelle patrie, à ses yeux pleins de larmes, Apparaissait alors belle de tous ses charmes ; Son ami le cherchait, en pleurant, dans les airs, Et sa place était vide aux célestes concerts ! […] Les larmes lui vinrent aux yeux.

418. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Mélancolique et la tête penchée, était la jeune fille, avec sa douleur, et les larmes de ses yeux perlaient sur l’herbe de la prairie. […] Amarante, fleur éclatante Comme un panache de guerrier, Rivale, en ta rougeur constante, Du vert feuillage du laurier ; Toi dont le velours magnifique, Toi dont la pourpre honorifique Proclame aux yeux la royauté, Ô fleur de mémoire durable, Signe de gloire inaltérable, Symbole d’immortalité, Tout sentiment vrai qui défie L’effort du malheur ou des ans, Dans ta fleur se personnifie, Pour échapper aux jours présents : Pour parer leur pieuse enceinte, L’amour pur et l’amitié sainte Disent par toi : — Fidélité ! […] — Je sens mes yeux en pleurs. […] Aniel, l’œil de larmes humide : Sois sans crainte, l’onde saura Redevenir bientôt limpide, Et le ciel s’y reflétera. […] Je nommais tes yeux gris mes petites colombes, Tu nommais mes yeux noirs tes deux petits corbeaux… 64.

419. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

La vision des plus grises réalités est impitoyablement nette ; la force graphique du style en fait saillir aux yeux les ternes linéaments, — et à cette évidence se joint un sentiment du mystérieux, du spectral et de l’hallucinatoire, qui par un merveilleux alliage, infuse, au vrai, tout le noir effroi du rêve. […] Dans ces décors éclairés, semble-t-il, d’une lumière, grise ou rousse, de bruine ou d’orage, errent de troubles personnages, un juge d’instruction déduisant de sinueux et vrillants interrogatoires au cours d’un va-et-vient de bêles en cage, de louches ivrognes, des sadiques au sourire aigu, une petite fille fuyante et frêle, un vieillard dont les yeux, tout ouverts, sont morts et braqués sur l’invisible, l’insidieux et triste et réjoui bourgeois dont tout l’être lugubrement impudent est l’indice de crimes demeurés ensevelis. […] Enfin celle qui personnifie la mère douloureuse et voilée de ces drames, la créature souillée et candide qui répand sa douleur en pitié, on sait sa physionomie, le détail de sa chambre, les pièces de son costume ; celle qui restaura la paix dans l’âme défaite du criminel et lui rendit, par quelques paroles tremblantes, la joie de posséder des frères, est une pâle petite fille à la figure menue, dont les yeux, sous des cheveux blonds de lin, sont purs. […] Le lent et sourd accroissement de l’angoisse morale de Raskolnikoff, le vertige et l’oppression de son projet, qu’il apercevait vague et cependant fatal dans le délabrement de ses forces, son sourd malaise une fois le sang versé, et l’étrange sensation de retranchement qui le prend, le lâche et le tient quand il revoit sa mère et sa sœur, la cruauté de se sentir interdit à leurs caresses et de ne pouvoir leur parler que les yeux détournés vers l’ombre ; puis la terreur croissante et une sorte d’ironique rudesse s’installant dans son âme, qui l’introduisent à revisiter le lieu du crime, et à machiner de singulières mystifications qui le terrifient tout à coup lui-même — ces choses lacèrent son âme et rompent sa volonté ; ainsi abattu et ulcéré, il est amené d’instinct à visiter Sonia, et à s’entretenir avec elle en phrases dures, qu’arrête tout à coup le sanglot de sa pitié pour elle, pour lui et pour tous, en une crise où il sent à la fois l’effondrement de son orgueil et la douceur de n’être plus hostile ; des retours de dureté, la sombre rage de ses premières années de bague, l’angoisse amère d’un cœur vide et murmurant, conduisent à la fin de ce sombre livre, jusqu’à ce qu’en une matinée de printemps, au bord des eaux passantes d’un fleuve, que continue au loin la fuite indécise de la steppe, il sente, avec la force d’eaux jaillissantes, l’amour sourdre en lui, et l’abattre aux pieds de celle qui l’avait soulagé du faix de sa haine. […] Des colères vésaniques le saisissent, dans lesquelles il crie, insulte, serre les poings et grince des dents avec des grondements de dogue ; puis il s’affaisse et se considère ; la misère de tout son pauvre être lui apparaît et il geint encore comme une bête domestique, et cherche avec des yeux lourds une main qui le flatte.

420. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

Tout à fait du même côté, ses yeux hagards tournés sur la justice, son loup au-dessous d’elle, un poignard à la main, la cruauté est étendue sur des nuages qui la dérobent en partie. […] L’effet général de ce tableau blesse les yeux, c’est un exemple de l’art de papilloter en grand. […] Je donnerais tout ce fatras pour le seul incident du tableau d’un peintre ancien où l’on voyait la calomnie, les yeux hagards, s’avançant, une torche ardente à la main, et traînant par les cheveux l’innocence sous la figure d’un jeune enfant éploré, qui portait ses regards et ses mains vers le ciel. […] Où avait-il ses yeux ce jour-là ? […] Le premier enfant est sérieux, attentif, il a les yeux baissés, attachés sur quelque chose ; il vit, il pense ; et puis il faut voir comme ses cheveux sont arrangés et torchés.

421. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Mais c’est la politique surtout qui doit vivre, les yeux sur un tel atlas. […] En parcourant d’un œil attentif toutes ces belles cartes réunies par un lien historique, dans cet atlas si admirablement groupé pour mettre l’univers en relief sous vos mains comme dans une exposition plastique du monde à toutes ses grandes époques, où tout ce qui est essentiellement mobile dans la configuration des empires parut un moment définitif, on sait tout de l’homme et tout de la terre politique ; on marche à travers les lieux et les temps avec un interprète qui sait lui-même toutes les langues et tous les chemins. Des écailles tombent de vos yeux à chaque nouvelle mappemonde dessinée par le compas des grands géographes. […] Tout cela passe successivement sous vos yeux comme un panorama parlant du globe, qui vous dit la biographie complète du globe, des temps, des races, des idées, des religions, des empires, par où l’humanité a passé, passe et passera avant de tarir, en faisant ce petit bruit que les historiens profanes appellent gloire, civilisation, puissance, et que les philosophes appellent néant ! […] Voilà la géographie de l’âme, qui donne seule de l’importance à cette géographie terrestre, et qui fait suivre d’un œil curieux les routes, les stations, les progrès, les bornes, les catastrophes des empires, conduisant par des voies visibles l’humanité au but invisible, mais ascendant, non de sa grandeur ici-bas, mais de sa grandeur ailleurs, c’est-à-dire de sa moralité !

422. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

L’œil du poète plonge en des cercles infernaux encore inexplorés, et ce qu’il y voit et ce qu’il y entend ne rappelle en aucune façon les romances à la mode. […] Le choix et l’agencement des mots, le mouvement général et le style, tout concorde à l’effet produit, laissant à la fois dans l’esprit la vision de choses effrayantes et mystérieuses, dans l’oreille exercée comme une vibration multiple et savamment combinée de métaux sonores et précieux, et dans les yeux de splendides couleurs. […] Le démon qui parfois transparaît dans ses yeux, Au secret des rameaux dormant pareils entre eux. […] Et, les seins dans les mains, devant lui qui sourit, Se touchent, rose essor et chair de son esprit Remords voluptueux qui tord ses yeux impies. […] Ton regard clair toucha leurs pauvres yeux fermés Et rénova leur âme en ces closes ténèbres.

423. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Un spectre parut devant mes yeux, et j’entendis une voix comme un petit souffle108. » Il y a là beaucoup moins de sang, de ténèbres, de larves que dans Homère ; mais ce visage inconnu et ce petit souffle sont en effet beaucoup plus terribles. […] « Ulysse, prenant dans sa forte main un pan de son superbe manteau de pourpre, le tirait sur sa tête pour cacher son noble visage, et pour dérober aux Phéaciens les pleurs qui lui tombaient des yeux. […] » Joseph, levant les yeux, vit Benjamin, son frère, fils de Rachel, sa mère, et il leur dit : Est-ce là le plus jeune de vos frères, dont vous m’aviez parlé ? […] Joseph, pleurant à la vue de ses frères ingrats, et du jeune et innocent Benjamin, cette manière de demander des nouvelles d’un père, cette adorable simplicité, ce mélange d’amertume et de douceur, sont des choses ineffables ; les larmes en viennent aux yeux, et l’on se sent prêt à pleurer comme Joseph. […] » Alors les larmes lui tombant des yeux, il éleva fortement sa voix, qui fut entendue des Égyptiens et de toute la maison de Pharaon.

424. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Œil épanoui, Je peins, ébloui Ou triste, Le ciel radieux, Et, mélodieux Artiste, Près du fleuve grec Murmurant avec Les cygnes Fiers de leur candeur, Je dis la splendeur Des lignes. […] Voulez-vous savoir à quel point un poète très loin, et avec raison, de l’école du bon sens et des idées bourgeoises dans les arts, peut devenir vulgaire aux yeux des lettrés et des illettrés, et même nul ? […] Les larmes que les yeux de l’homme ont pleurées gardent la chaleur du cœur qui les répandit, et quand ce sont les yeux d’un homme de génie, elles se réchauffent encore, pendant des siècles, à la chaleur généreuse de celles qu’elles font verser ! […] Qui dominas du front cette Grèce ta mère, Et qui, roulant tout bas, spectre pâle et hagard, Ta lèvre sans sourire et tes yeux sans regard, Laissas couler un jour de ta main gigantesque Toute l’Antiquité, comme une grande fresque !

425. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

On ne peut pas dire qu’il ait déchiré d’un seul coup cette nuée impatientante, ce je ne sais quoi d’importun et d’opaque qui sépare parfois, pendant si longtemps, les plus grands talents de la gloire ; car son nom se dégageait déjà de l’obscurité et montait, sans lutte, dans la lumière, à mesure que les chapitres de son livre, imprimés d’abord dans une Revue, passaient sous les yeux du public. […] Il avait ses deux yeux et même on pouvait les trouver beaux, quoiqu’ils fussent moins beaux que sévères, et que l’imagination — cette faculté — il faut le rappeler à M.  […] Flaubert a établi sa madame Bovary dans une bourgade de Normandie, au beau milieu d’une société de petit endroit, composée du pharmacien, du curé, du notaire et du receveur des contributions, et il a bâti sous ses yeux, dans la perspective, le château voisin de toute bourgade, où expirent présentement les vieilles races dans le dernier lambeau de fortune qu’elles ont sauvé des révolutions. […] Avant cette scène, nous avions les prodromes du roman, mais il faut le dater réelle ment de ce bal, où l’œil commence de corrompre l’âme et où le monde extérieur entre dans le cœur de madame Bovary pour n’en plus sortir. […] Son style a, comme son observation, le sentiment le plus étonnant du détail, mais de ce détail menu, imperceptible, que tout le monde oublie, et qu’il aperçoit, lui, par une singulière conformation microscopique de son œil.

426. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

La farce est l’insipide exagération, ou l’imitation grossiere d’une nature indigne d’être présentée aux yeux des honnêtes gens. […] Une voix ingrate, des yeux muets & des traits inanimés, ne laissent aucun espoir au talent intérieur de se manifester au-dehors. […] Tous les objets que la nature peut offrir aux yeux des bergers, sont du genre de l’églogue. […] Ici elle étend des plaines, où l’oeil demande des collines ; là elle resserre l’horison par des montagnes, où l’oeil aimeroit à s’égarer dans le lointain. […] Seigneur, voyez ses yeux.

427. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Vers ce même temps, et non plus dans l’ordre de l’action, mais dans celui du sentiment, de la méditation et du rêve, il y avait deux génies, alors naissants, et longuement depuis combattus et refoulés, admirateurs à la fois et adversaires de ce développement gigantesque qu’ils avaient sous les yeux ; sentant aussi en eux l’infini, mais par des aspects tout différents du premier, le sentant dans la poésie, dans l’histoire, dans les beautés des arts ou de la nature, dans le culte ressuscité du passé, dans les aspirations sympathiques vers l’avenir ; nobles et vagues puissances, lumineux précurseurs, représentants des idées, des enthousiasmes, des réminiscences illusoires ou des espérances prophétiques qui devaient triompher de l’Empire et régner durant les quinze années qui succédèrent ; il y avait Corinne et René, Mais, vers ce temps, il y eut aussi, sans qu’on le sût, ni durant tout l’Empire, ni durant les quinze années suivantes, il y eut un autre type, non moins profond, non moins admirable et sacré, de la sensation de l’infini en nous, de l’infinienvisagé et senti hors de l’action, hors de l’histoire, hors des religions du passé ou des vues progressives, de l’infini en lui-même face à face avec nous-même. […] Ampère, Albert Stapfer ; dans une correspondance curieuse et touchante que j’ai sous les yeux, et qui, entre les mains de l’ami qui me la confie, pourra devenir un jour la matière d’un beau livre de souvenirs, je lis d’autres noms encore de cette jeune intimité ; j’en lis un que j’efface, parce que l’oubli lui vaut mieux ; j’en lis deux inséparables, qui me sont chers comme si je les avais connus, parce qu’un grand charme de pureté les enveloppe, Edmond et Lydia, amants et fiancés. […] Sautelet aussi vivait alors dans ces idées : inquiet, mélancolique et fervent, il hésitait entre l’action et la contemplation ; je lis dans une lettre de lui que j’ai sous les yeux : « On ne peut guère faire une vie double, agir et contempler ; je sens, comme je te le disais cet été, que l’homme est placé sur la terre pour l’action, et je ne puis cependant laisser l’autre. […] (Voir le Semeur du 10 juillet 1834.) — Un ami qui voyageait aux bords du Léman m’écrivait en un style figuré, mais plein de sentiment : « N’est-ce pas que c’est d’Oberman que l’on rêve le plus le long du lac tout bleu et les yeux tournés vers le Môle ?

428. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Sur le devant, une autre danseuse qui tient son enfant par la main ; l’enfant danse aussi, mais il a les yeux attachés sur l’horrible tête, et son action est mêlée de terreur et de joie. […] Cochin, plus adroit, m’a écrit que chacun jugeait par ses yeux, et que l’ouvrage qu’il avait couronné lui montrait plus de talent. […] Ce jeune homme était pâle, défait comme après une longue maladie, il avait les yeux rouges et gonflés, et il me disait d’un ton à me déchirer : " ah ! […] Ces enfans-là ont des yeux, et ce serait la première fois qu’ils se seraient trompés. à peine les prix sont-ils exposés, qu’ils sont jugés et bien jugés par les élèves, ils disent : voilà le meilleur ; et c’est le meilleur.

429. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Et la preuve de tout ceci déborde du volume de Poésies que nous avons sous les yeux. […] Ce n’est point un pacha, c’est un klephte à l’œil noir Qui l’a prise et qui n’a rien donné pour l’avoir,        Car la pauvreté l’accompagne, etc. […] Le rayon, qui fait mal aux faibles yeux, il le tamise, et les faibles yeux sont reconnaissants.

430. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Appendice. Note concernant M. Laurent-Pichat, et Hégésippe Moreau. (Se rapporte à la page 395.) » pp. 541-544

« Il a, s’écrie-t-il, l’auréole immortelle, et je vais la faire briller à vos yeux. » J’ai eu le malheur alors, pour la notice très simple et des plus modestes que j’ai écrite sur Hégésippe Moreau, et qu’on a pu lire au tome IV de ces Causeries, j’ai eu, dis-je, le malheur de me présenter à la pensée de M.  […] À ma réclamation, ils répondirent qu’il sautait aux yeux que mes confrères étaient beaucoup plus forts que moi. Je répliquai ce qui me sautait aux yeux à moi, c’est qu’ils étaient des imbéciles.

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