Si, pour les hommes véritablement ambitieux, le père Joseph du Tremblay est plus beau dans sa bure de capucin que le cardinal de Richelieu dans ses flots de pourpre, si la puissance sans titre, l’influence sans nom, mais effectives, sont plus que le costume, l’éclat et l’attitude du commandement, de quel sentiment ne devons-nous pas être pénétrés pour cette admirable vieille femme que Louis XIV appelait Sa Solidité et consultait en plein conseil de ministres, et qui, majestueuse et discrète, « toujours vêtue d’étamine noire ou feuille-morte », resta toute sa vie une humble chrétienne, avec des manières de femme du monde à tout relever ! […] Il y a du Sixte-Quint adouci dans cette robe feuille morte, qui a la retenue de son ambition, comme le Cordelier, plus ardent et plus noir, avait l’hypocrisie de la sienne.
Rêvé-je, Quel flot noir Va donc choir ? […] Du noir flanc !
Enfin Mme d’Aulnoy, qui suivit Louise d’Orléans en Espagne, nous a esquissé au crayon noir sur papier rose une vue des mœurs et de la cour de ce pays, qui restera comme une peinture d’histoire, plus sinistre, je crois, que le plus sombre des Goya… Plus tard, tout descendant et se rapetissant, on ne trouve plus, il est vrai, au dix-huitième siècle que l’insignifiante Mme de Haussez de chez la Pompadour. […] Il a attaché les deux siennes, dans toute leur longueur, au loup de velours noir qu’il a mis sur le visage de sa femme de chambre, pourtraite au frontispice de ce volume qui pue le faux ; et si on ne sait pas le sexe de ces deux oreilles, on en sait l’espèce, et cela suffit… L’auteur, quel qu’il soit, n’a pas même de talent littéraire… Du moins n’en a-t-il pas montré.
Jhouney, Alber (1860-1926) [Bibliographie] Les Lys noirs (1887). — Le Royaume de Dieu (1887). — Le Livre du Jugement (1889). — L’Étoile sainte (1890). — L’Ame de la foi (1890). — Ésotérisme et socialisme (1898).
Dans les féeries du silence, elles émergèrent, naïves, comme au premier jour, tandis que, démâtée, roule, au large, à travers les brisants noirs des nuages, la Lune. […] Les Flambeaux noirs éclairent sinistrement l’étrange magie de ces apparitions, de ces fantômes. […] Les Flambeaux noirs sont écrits en vers libres, — aussi libres, du moins ; qu’en écrira jamais Verhaeren. […] Ils ont jeté dans l’eau profonde leurs filets noirs sur le grouillement des mauvais sorts épars là, dans la vase. […] Des rocs, le carnage — du ressac bave noir.
Les particularités de cette scène pleine d’observations et de couleurs locales ne peuvent être appréciées qu’entre les buttes de Montmartre et les hauteurs de Montrouge, dans cette illustre vallée de plâtras incessamment près de tomber, et de ruisseaux noirs de boue ; vallée remplie de souffrances réelles, de joies souvent fausses, et si terriblement agitée, qu’il faut je ne sais quoi d’exorbitant pour y produire une sensation de quelque durée. […] Les deux appartements du second étaient occupés, l’un par un vieillard nommé Poiret ; l’autre, par un homme âgé d’environ quarante ans, qui portait une perruque noire, se teignait les favoris, se disait ancien négociant, et s’appelait monsieur Vautrin. […] Rappelez-vous le parfum chaste et sauvage de cette bruyère que nous avons cueillie en revenant de la villa Diodati, cette fleur dont vous avez tant loué le noir et le rose ; vous devinerez comment cette femme pouvait être élégante loin du monde, naturelle dans ses expressions, recherchée dans les choses qui devenaient siennes, à la fois rose et noire. […] Ce jour-là Mme de Mortsauf avait une robe rose à mille raies, une collerette à large ourlet, une ceinture noire et des brodequins de même couleur. […] Non, dans les noires dispositions où me mettait le malheur, j’aurais plié le genou, j’aurais baisé ses brodequins, j’y aurais laissé quelques larmes, et je serais allé me jeter dans l’Indre.
. — Les Noces noires, drame en vers (1880). — Poésies complètes (1882)
Il demande pardon à ses lecteurs de les entretenir de détails si peu importants ; mais il a cru que le petit nombre de personnes qui aiment à classer par rang de taille et par ordre de naissance les œuvres d’un poëte, si obscur qu’il soit, ne lui sauraient pas mauvais gré de leur donner l’âge de Bug-Jargal ; et, quant à lui, comme ces voyageurs qui se retournent au milieu de leur chemin et cherchent à découvrir encore dans les plis brumeux de l’horizon le lieu d’où ils sont partis, il a voulu donner ici un souvenir à cette époque de sérénité, d’audace et de confiance, où il abordait de front un si immense sujet, la révolte des noirs de Saint-Domingue en 1791, lutte de géants, trois mondes intéressés dans la question, l’Europe et l’Afrique pour combattants, l’Amérique pour champ de bataille.
Son Hercule sur le bûcher et son Milon de Crotone sont peints d’hier, mais jaunes, noirs, enfumés ; on les prendrait pour des morceaux du siècle passé.
Victor Jacquemont, habillé de noir de la tête aux pieds, et dans la plus grande tenue, saute sur le rivage, se jette dans un palanquin avec un énorme paquet de lettres de recommandation, crie aux porteurs : « Pirsonn sahèbka ghœurmé ! […] Je tins mon sérieux superbement devant cette farce impériale, attendu qu’il n’y avait point de glace dans la salle du trône, et que je ne voyais de ma mascarade que mes grandes jambes en pantalon noir sortant de dessous ma robe de chambre turque. […] Il n’avait jamais vu de Français, et parut faire infiniment d’attention à la burlesque figure qui résultait de mes cinq pieds huit pouces, sans beaucoup d’épaisseur, de mes grands cheveux, de mes lunettes et de mon ajustement oriental par-dessus mes habits noirs. […] Ne rêve donc jamais en noir de moi. » C’est ainsi que Jacquemont joue avec l’idée de la mort. […] Mais il avait de très beaux yeux, la main blanche, des dents blanches et des cheveux noirs.
Théodore de Banville Ce titan en habit noir dit-il quelque chose en effet, lorsque, plus bruyant et plus terrible que ses collègues Brontès et Stéropès, il fabrique et débite ses foudres dans la célèbre armoire aux paroles, à côté du verre d’eau sucrée ?
Trois pourtant des sept cavaliers, les mieux montés, lui dirent adieu et, donnant de l’éperon, lui échappèrent ; les quatre autres le suivirent, non sans lui avoir mis en main la cornette blanche semée des croix noires de Lorraine, l’étendard principal de l’armée ennemie ; il n’était pas de force à la tenir longtemps, et il fut bientôt obligé de la confier à un page du roi qu’il rencontra. […] Il était suivi du valet de chambre monté sur une haquenée anglaise, lequel portait sur lui la casaque de son maître, casaque de velours orangé à clinquant d’argent, et, en la main droite, des tronçons d’épées, de pistolets et armes diverses, et des lambeaux de panaches, de son maître également, le tout lié en faisceau et formant trophée : Après cela, disent les secrétaires s’adressant à Rosny, vous veniez dans votre brancard (brancard fait à la hâte de branches d’arbres, surmonté de cercles de tonneaux), couvert d’un linceul seulement ; mais par-dessus, pour parade des plus magnifiques, vos gens avaient fait étendre les quatre casaques de vos prisonniers, qui étaient de velours ras noir, toutes parsemées de croix de Lorraine sans nombre en broderie d’argent ; sur le haut d’icelles les quatre casques de vos prisonniers avec leurs grands panaches blancs et noirs, tout brisés et dépenaillés de coups ; et contre les côtés des cercles étaient pendus leurs épées et pistolets, aucuns brisés et fracassés ; après lequel brancard marchaient vos trois prisonniers, montés sur des bidets, dont l’un, à savoir le sieur d’Aufreville, était fort blessé, lesquels discouraient entre eux de leurs fortunes… Après les prisonniers venaient le surplus des domestiques, puis la compagnie des gens d’armes et les deux compagnies d’arquebusiers, ou du moins ce qui en restait, non sans plus d’un brancard encore pour les blessés, et sans bien des têtes bandées ou des bras en écharpe : toute une ambulance victorieuse.
Le Rouge et le noir, intitulé ainsi on ne sait trop pourquoi, et par un emblème qu’il faut deviner, devait paraître en 1830, et ne fut publié que l’année suivante ; c’est du moins un roman qui a de l’action. […] Dans le cas présent, dans Le Rouge et le noir, Julien, avec les deux ou trois idées fixes que lui a données l’auteur, ne paraît plus bientôt qu’un petit monstre odieux, impossible, un scélérat qui ressemble à un Robespierre jeté dans la vie civile et dans l’intrigue domestique : il finit en effet par l’échafaud. […] Pendant son séjour dans l’État romain, tout en faisant des fouilles et en déterrant des vases noirs « qui ont 2700 ans, à ce qu’ils disent » (je doute là, comme ailleurs, ajoutait-il), il avait mis ses économies à acheter le droit de faire des copies dans des archives de famille gardées avec une jalousie extrême, et d’autant plus grande que les possesseurs ne savaient pas lire : J’ai donc, disait-il, huit volumes in-folio (mais la page écrite d’un seul côté) parfaitement vrais, écrits par les contemporains en demi-jargon.
Il nous le dit lui-même, à cet âge de cinquante ans passés, il paraissait un peu moins que son âge ; il avait gardé de ses airs vifs de jeune homme ; il avait moins grisonné encore qu’il n’était devenu chauve, mais une mèche (comme cela s’appelle), une mèche bien placée réparait le vide et faisait boucle à son oreille, l’après midi, quand il était coiffé, avec sa bourse et son ruban noir, il pouvait paraître tout à fait galant. […] Le poète suit les divers degrés de perfectionnement et montre à plaisir la tapisserie dont bientôt on revêtit le bois des sièges dans les anciens jours, tapisserie à l’étroit tissu, richement brodée, « où l’on pouvait voir s’étaler la large pivoine, la rose en fleur tout épanouie, le berger à côté de sa bergère, sans oublier le petit chien et le petit agneau avec leurs yeux noirs tout fixes et tout ronds, et des perroquets tenant une double cerise dans leur bec. » — Tous ces riens sont agréablement déduits et relevés de couleurs, comme le ferait au besoin l’abbé Delille ou comme un spirituel jésuite n’y manquerait pas non plus dans des vers latins. […] car j’ai aimé les promenades rurales à travers les chemins creux d’un vert sombre, que tond de près la dent grapilleuse des brebis, et que borde un épais entrelacement de branches épineuses ; j’ai aimé la promenade rurale sur les collines, à travers les vallées et le long des rivières, depuis le temps où, enfant vagabond, je franchissais mes limites pour faire une école buissonnière sur les bords de la Tamise ; et toujours je me souviens, non sans regretter ces heures que le chagrin, depuis, m’a rendues bien plus chères, combien il m’arriva souvent, ma provision de poche épuisée, mais affamé encore, sans argent et loin de la maison, d’apaiser ma faim avec des baies d’églantier sauvage et avec le fruit pierreux de l’aubépine, ou de petites pommes rouges, ou la mûre noire comme le jais qui garnit la ronce, ou l’âcre petite prune qui se cueille dans la haie !