Seulement, c’était une généreuse nature, capable de beaucoup agir et de beaucoup sentir ; son sang coulait abondant et chaud comme celui d’une antique déesse, d’une faunesse habitante des bois sacrés. […] Elle suivait la nature, comme on disait au siècle dernier, et sa faculté d’idéalisation lui fournissait des raisons de la suivre souvent. […] La première elle a senti ce qu’il y a de grandeur et de poésie dans sa simplicité, dans sa patience, dans sa communion avec la Terre ; elle a goûté les archaïsmes, les lenteurs, les images et la saveur du terroir de sa langue colorée ; elle a été frappée de la profondeur et de la ténacité tranquille de ses sentiments et de ses passions ; elle l’a montré amoureux du sol, âpre au travail et au gain, prudent, défiant, mais de sens droit, très épris de justice et ouvert au mystérieux… Ce que nous devons encore à George Sand, c’est presque un renouvellement (à force de sincérité) du sentiment de la nature. […] Au lieu que les autres, le plus souvent, voient la nature de haut, et l’arrangent, ou lui prêtent leurs propres sentiments, elle se livre, elle, aux charmes des choses et s’en laisse intimement pénétrer. Sans aucun doute, elle nous a appris à l’aimer avec une tendresse plus abandonnée, la Nature bienfaisante et divine qui apporte à ses fidèles l’apaisement, la sérénité et la bonté.
On appelle génie, l’aptitude qu’un homme a reçû de la nature, pour faire bien et facilement certaines choses, que les autres ne sçauroient faire que très-mal, même en prenant beaucoup de peine. […] La nature a voulu répartir ses talens entre les hommes, afin de les rendre nécessaires les uns aux autres, parce que les besoins des hommes sont le premier lien de la societé. La nature a donc choisi les uns pour leur distribuer l’aptitude à bien faire certaines choses impossibles à d’autres, et ces derniers ont pour des choses differentes une facilité qu’elle a refusée aux premiers. […] La nature a fait un partage inégal de ses biens entre ses enfans, mais elle n’a voulu deshériter personne, et l’homme entierement dépourvû de toute espece de talent, est aussi rare qu’un génie universel. […] De la difference des génies, naît la diversité des inclinations des hommes, que la nature a pris la précaution de porter aux emplois, pour lesquels elles les destine, avec plus ou moins d’impétuosité, suivant qu’ils doivent avoir plus ou moins d’obstacles à surmonter, pour se rendre capables de remplir cette vocation.
On ne sait pas bien l’époque de sa mort, mais il est certain qu’il vécut son âge de nature et qu’il ne mourut qu’âgé de plus de soixante ans et dans le xve siècle. […] On ne m’en doit point blâmer si à cela ma nature étoit encline ; car en plusieurs lieux il est reçu que toute joie et tout honneur viennent et d’armes et d’amours. […] Nature avant tout sociable, il ne pouvait demeurer seul un moment : « Trop malgré moi me trouvois seul », dit-il. […] Quoi qu’il en soit, il ne devait pas mourir de son mal, et, si sérieux qu’il nous l’ait peint dans ses vers, il était de nature à s’en vite consoler. […] Nous en savons déjà assez pour connaître ce qu’était Froissart, quelle nature légère, enjouée, musarde, curieuse.
La qualité qu’elle a de trop, c’est d’être une nature non pas seulement romanesque, mais qui a des besoins de cœur, d’intelligence et d’ambition, qui aspire vers une existence plus élevée, plus choisie, plus ornée que celle qui lui est échue. […] Bournisien, nature épaisse et vulgaire, qui est à cent lieues de deviner de quel mal moral il s’agit. […] Toutes ces bizarreries, ces inconséquences de la nature féminine sont d’une observation excellente. […] On aurait à noter bien des mots pris à même de la nature. […] Pourquoi ne pas avoir mis là un seul personnage qui soit de nature à consoler, à reposer le lecteur par un bon spectacle, ne pas lui avoir ménagé un seul ami ?
M. de Lisle (j’abrège ainsi son nom, il n’a pas à craindre qu’on le confonde avec l’ancien Delille), est de nos jours un talent à part, une nature très-particulière de poëte. […] Je me le figure comme une nature altière et saturée, qui est arrivée à l’ironie tranquille. […] C’est là son fin mot : il est le contraire de ces natures affamées de vivre et de renaître sans cesse, altérées d’immortalité, et dont Mme de Gasparin nous offre un type ardent et palpitant dans la fréquence et la récidive de ses éloquents écrits. […] On sent que ce poëte, qui veut devenir, lui aussi, un interprète et comme un nouveau prêtre de la nature, a beaucoup passé par le Louvre, et s’y est un peu trop arrêté. […] La nature, ô Léda !
Qu’on mette en regard de cette lettre de Racine le moindre billet de ce brillant et libertin célibataire, si vif, si sensé, si occupé du genre humain, si dévoué aux intérêts de tous dans l’avenir, si guerroyant contre les préjugés, si infatigable jusqu’au dernier soupir, — Voltaire, — on aura une idée des deux natures d’hommes, des deux genres de vie, et aussi de deux siècles et de deux mondes. […] Racine, à la différence de Shakespeare, n’a fait autre chose, dans sa poésie et dans sa peinture des passions, que de choisir de la sorte et de supprimer le laid qui est dans la réalité et dans la nature, pour ne laisser subsister que le beau qui lui sied et qu’il aime. […] Cela ne l’empêche pas d’être plus naturel que Corneille qui prend ses beautés hors de la nature, au-dessus de la nature, tandis que Racine prend les siennes dans la nature et dans le cœur, mais en choisissant. Racine est naturel, si on le compare à Corneille, tandis qu’en face de Shakespeare, qui est la nature même, il ne paraît qu’élégant (eligit). […] La nature humaine est si faible d’ailleurs et si misérable, qu’il ne serait pas impossible que, dans ce besoin d’oubli et d’engourdissement à tout prix où on nous le montre, il y eût un coin de vérité.
En accouplant deux hommes si éloignés par le temps où ils ont vécu, si différents par le genre et la nature de leurs œuvres, nous ne nous soucions pas de tirer quelques étincelles plus ou moins vives, de faire jouer à l’œil quelques reflets de surface plus ou moins capricieux. […] Une voix pure, mélodieuse et savante, un front noble et triste, le génie rayonnant de jeunesse, et, parfois, l’œil voilé de pleurs ; la volupté dans toute sa fraîcheur et sa décence ; la nature dans ses fontaines et ses ombrages ; une flûte de buis, un archet d’or, une lyre d’ivoire ; le beau pur, en un mot, voilà André Chénier. […] Il aime la nature, il l’adore, et non-seulement dans ses variétés riantes, dans ses sentiers et ses buissons, mais dans sa majesté éternelle et sublime, aux Alpes, au Rhône, aux grèves de l’Océan. […] André de Chénier aima les femmes non moins vivement que Regnier, et d’un amour non moins sensuel, mais avec des différences qui tiennent à son siècle et à sa nature. […] Or chez les Grecs, on le sait, la division des genres existait, bien qu’avec moins de rigueur qu’on ne l’a voulu établir depuis : La nature dicta vingt genres opposés, D’un fil léger entre eux, chez les Grecs, divisés.
Il y a un certain nombre de sentiments ou émotions que nous appelons esthétiques ; quelle en est la nature ? […] « Depuis l’aurore de la spéculation philosophique, la nature du beau a été un sujet de discussions. […] On dit communément que le plaisant est causé par une disconvenance (incongruity) ; qu’il faut pour le produire au moins deux choses ou qualités ayant entre elles quelque opposition de nature. […] Toute société qui ne remplit pas ces conditions disparaît, se détruit par un vice inhérent à sa nature même. […] Comment en bien montrer la nature, sans en décrire résolution ?
Le Système de la Nature par Linnœus. […] Rien n’est simple dans la nature, la chimie analyse, compose, décompose ; c’est la rivale du grand ouvrier. […] Mais qu’est-ce que la belle nature ? […] Ici, la même nature est belle ; là, elle est laide. […] L’art imite les actions de l’homme, ses discours et les phénomènes de la nature.
Les figures symboliques des dieux revêtent une majesté calme qui semble avoir été inspirée aux artistes par le spectacle de la nature. […] Il était réservé à l’anthropomorphisme grec de rencontrer la beauté souveraine dans l’union étroite de la nature humaine avec l’idée divine. […] « L’art mêlait ses beautés à celles de la nature. […] L’action est fille de la pensée, mais les hommes, jaloux de toute prééminence, n’accordent jamais deux puissances à une même tête ; la nature est plus libérale ! […] Cette pensée n’a pas besoin de temples bâtis de main d’homme : la nature entière est le temple où elle adore.
Nature des émotions proprement dites. — II. […] L’étude des effets physiques va d’ailleurs nous éclairer ici sur la nature des causes. […] En tous cas, la nature l’ignore : la sincérité est la première loi de la nature comme elle est la première loi de la morale. Et il en est de même de la sympathie : la nature ne connaît pas l’isolement de l’idéal égoïsme ; elle rapproche, elle confond, elle unit. […] La nature humaine, dit Maudsley, contient et renferme la nature animale ; le cerveau d’une brute habite dans le cerveau humain, et chez quelques personnes les traits du visage trahissent l’espèce à laquelle appartient l’animal intérieur.
Son père, gentillâtre campagnard, de nature bourrue, était « la terreur des domestiques, sa mère, le fléau2 ». […] Le naturalisme moderne, cette queue du romantisme, n’a pu encore rencontrer dans la nature et dans la vie sociale ni esprit, ni gaieté, ni raillerie sceptique. […] Senancour, qui vécut quelque soixante-seize ans triste et solitaire, avait une nature délicate, morbide, terne ; il épanchait mélancoliquement son ennui. […] Mais la nature qu’on avait sous la main, qu’on voyait tous les jours, n’était pas la vraie, la belle nature qui transportait les âmes ; il fallait pour cela une nature nouvelle, inconnue. […] Mais sa nature gauloise se rebella, et, ainsi que la Rosine de Beaumarchais, elle ouvrit au séducteur son cœur à deux battants, elle se laissa vaincre sans résistance.
On y sentait non seulement l’observateur déjà éprouvé et mûr, mais une nature passionnée, avide d’action, par moments une manière d’ambitieux pour qui l’histoire s’offrait comme une suite de rôles qu’il eût aimé à transporter et à réaliser dans le présent. […] Il avait mis d’ailleurs dans tout son jour et en pleine lumière le côté tendre, affectueux, de Vauvenargues, ce côté le plus connu, la beauté de sa nature morale, et avait parfaitement marqué le trait dominant de son caractère, la sérénité dans la douleur ; et il concluait en disant que l’espèce de gloire réservée à Vauvenargues était celle qui peut sembler le plus désirable aux natures d’élite, l’amitié des bons esprits et des bons cœurs. […] Le service du roi était coûteux ; Vauvenargues, capitaine au régiment du roi, ne recevait que peu de secours de sa famille, et il était obligé à bien des dépenses par position, en même temps qu’il était libéral et généreux par nature. […] Autant pour tous ceux qui sont de l’espèce de Figaro, de Gil Blas et de Panurge, de ce Panurge « sujet de nature à une maladie qu’on appeloit en ce temps là faute d’argent, c’est douleur sans pareille (et toutefois, dit Rabelais, il avoit soixante et trois manières d’en trouver toujours à son besoin, dont la plus honorable et la plus commune étoit par façon de larcin furtivement fait) » ; — autant pour cette bande intrigante et peu scrupuleuse, la question d’argent est à la fois importante et légère, objet avoué de poursuite et de raillerie, un jeu et une occupation continuelle, et à toute heure sur le tapis, autant c’est un point sensible et douloureux pour ces natures pudiques et fières, timides et hautes, qui n’aiment ni à s’engager envers autrui ni à manquer à personne, qui ont souci de la dignité et de l’indépendance autant que les autres de l’intérêt. […] Pour certaines natures sensibles et fières, la condition d’homme de lettres a cela de triste qu’elle est la seule chance d’être exposé à de certaines railleries publiques, à de certaines insultes contre lesquelles tout citoyen, autrement, est garanti et se sait inviolable.
Le monde extérieur n’était pour nous qu’un objet intelligible : et quand notre intelligence trop faible encore ne s’y appliquait pas pour en tirer des concepts, notre volonté en faisait le champ de son action : nous ne voyions dans la nature que nous-mêmes, l’objet qu’elle présentait et l’obstacle qu’elle opposait à nos ambitions. […] Mais la chanson n’est pas devenue une ode : ni le sentiment de la nature et la communication sympathique avec la vie universelle, ni la profonde et frémissante intuition des conditions éternelles de l’humaine souffrance, ni enfin l’intime intensité de la passion, et l’absorption de tout l’être en une affection, ne venaient élargir le couplet de danse en strophe lyrique. […] Il se forma d’autres genres selon la forme choisie, et selon la nature des accessoires employés pour particulariser le thème général : la séparation des amants, avertis du lever du jour par l’alouette, et plus tard parle veilleur, constitua l’aube, la rencontre d’un chevalier et d’une bergère, qui souvent le refuse et parfois l’accepte, forma la pastourelle, dont les rythmes furent particulièrement vifs et gracieux. […] Nul sentiment aussi et nul amour de la nature : point de vision ni d’expression pittoresque des formes sensibles. […] La nécessité à laquelle la poésie ne peut se soustraire d’être forme et mouvement, projette dans le désert de cette poésie où ni la nature ni la vie ne pénètrent, tout un peuple d’abstractions qui ont charge d’imiter les formes de la nature et le mouvement de la vie : Prix, Soulas, Franchise, Merci, Doux-Semblant, Orgueil viennent s’ébattre et combattre sur le terrain où jadis les Catulle et les Properce se montraient eux-mêmes, jetant les cris de leurs âmes blessées et montraient leurs Lesbia et leurs Cintia, non des idées de femmes, mais de vrais cœurs et de vrais tempéraments de femmes.