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1091. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Argument » pp. 287-289

Trois sortes de natures, de mœurs, de droits naturels, de gouvernements. — § I. […] Nature divine, poétique ou créatrice, héroïque, humaine et intelligente.

1092. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Venons présentement à la nature des mots qu’on doit faire entrer dans un dictionnaire de langue. […] Elles font connaître la nature et l’analogie mutuelle des langues. […] Cicéron, qu’on regarde comme le modèle de la bonne latinité, a écrit différents ouvrages, dans lesquels, ni les expressions ni les tours n’ont dû être de la même nature et du même genre. […] L’expression du sentiment est dictée par la nature et par le génie ; c’est ensuite à l’oreille et à l’art à disposer les mots de la manière la plus harmonieuse. […] La convenance du style avec le sujet exige le choix et la propriété des termes ; elle dépend, outre cela, de la nature des idées que l’orateur emploie.

1093. (1898) La cité antique

Le feu du foyer est d’une tout autre nature. […] C’est vraiment le Dieu de la nature humaine. […] Cette propriété, par sa nature même, ne se partageait pas. […] L’acte religieux y était de même nature que dans lafamille. […] La religion des dieux de la nature était un cadre plus large.

1094. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Horace Vernet reste homme en voyageant ; il ne se fait pas plus féroce que nature. […] Plus on étudie et on approfondit une nature, et moins on est pressé de tirer la barre à son sujet. La nature déjoue, à tout moment, l’observation qui croyait en être quitte. […] Qu’est-ce que de la peinture et les grands maîtres, lorsqu’on traite directement avec la nature, et une nature toute divine, toute poétique ! […] quand je commence à faire des changements, je m’embarbouille et je ne sais plus comment en sortir. » Ne généralisons rien ; à chacun sa nature.

1095. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Aujourd’hui je le juge en lui-même dans son développement entier et continu, dans sa nature d’artiste complète. […] — Comme nous allions à cette nature si douce et si reposée, et comme nous nous harmonisions facilement avec elle ! […] Je signale l’excès ; mais la raison aussi, — j’entends la raison poétique, — la fantaisie, nourrice de l’art, y trouvaient leur compte ; et lorsqu’un des adeptes se détachait de cette société si parfaitement désintéressée et si vraiment innocente dans ses fureurs, pour entrer tout de bon dans la violence, dans la conspiration et la haine, quels vers aimables et doux Théophile Gautier lui adressait, en le rappelant cette fois à la nature non distincte de l’art ! […] Une jeune fille noble, de vingt ans environ, d’un esprit hardi, d’un caractère entreprenant, poussée aussi par le vague instinct d’une nature moins uniquement féminine chez elle qu’elle ne l’est d’ordinaire chez ses semblables, s’est souvent dit que les jeunes filles, les femmes du monde ne connaissaient pas les hommes et ne les voyaient qu’à l’état d’acteurs et de comédiens ; elle a désiré savoir ce qu’ils se disent quand ils sont entre eux et qu’ils ont jeté le masque. […] Il a en lui l’orgueil et les ambitions d’un Dieu : tantôt il voudrait faire rentrer dans sa propre nature et absorber en soi, sentir soi tout ce qu’il désire, et il se demande par moments si le monde n’est pas une ombre et si rien de ce qui n’est, pas lui existe ; tantôt il n’aspire, au contraire, qu’à sortir et à s’échapper de lui-même, à traverser les autres existences, à les revêtir et à les user par une suite d’incessantes métamorphoses.

1096. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Guttinguer, vraie nature délicate et poétique, a été jusqu’ici fort apprécié de ses amis ; et, quoique nous pensions depuis longtemps de lui ce que nous allons en écrire, nous ne l’aurions peut-être jamais exprimé publiquement sans l’occasion de ce roman d’Arthur, de peur d’un semblant de complaisance. […] Depuis le bon évêque de Belley, Camus, qui a fait tant et de si pauvres romans chrétiens, jusqu’à ceux qu’on renouvelle de nos jours, je sais que les auteurs ont cherché à éluder, à se déguiser l’inconvénient ; mais il est dans le fond et la nature des choses, et on peut au plus le dissimuler et le diminuer en s’avertissant. […] On sent une nature très-délicate et très-vite dégoûtée, qui a pris la fleur de mille choses et n’a pas appuyé. […] Dans les beaux jours, tout est bien ; mais on oublie souvent comment cela est venu ; le mot de nature semble exprimer tout ; mais, aux jours mêlés de l’automne, on voit avec reconnaissance et un intérêt qui améliore le cœur, ce qu’il en coûte à l’homme pour rendre la terre riante et féconde. […] Je verrai tout : déjà je sais et je devine, Je suis sous les berceaux sa démarche divine Et son pas agité ; Je l’imagine émue, en flottante ceinture, En blonds cheveux, plus belle au sein de la nature, O Reine, ô ma Beauté !

1097. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

MADAME DE PONTIVY248 Non, il n’est pas vrai que l’amour n’ait qu’un temps plus ou moins limité à régner dans les cœurs ; qu’après une saison d’éclat et d’ivresse, son déclin soit inévitable ; que cinq années, comme on l’a dit, soit le terme le plus long assigné par la nature à la passion que rien n’entrave et qui meurt ensuite d’elle-même. […] On l’eût crue indifférente de nature, quand seulement elle était indifférente aux riens, et qu’elle attendait. […] Cette espèce d’opposition s’est depuis rencontrée souvent, mais jamais, je crois, dans une nature d’âme plus noblement composée et mieux conciliante en ses contrastes que celle de M. de Murçay. […] Il lui répliquait là-dessus avec toutes sortes de développements : « Mon amie, la passion, croyez-le, est chez moi comme en vous, mais avec ses différences de nature qu’il faut bien accepter. […] Cette nature sensible, à côté de l’autre nature plus passionnée mais lassée, lui rendait en ce moment tous les rayons pleins de chaleur qu’il en avait longtemps reçus, et elle le regardait avec larmes : « Eh bien !

1098. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Je ne le comparais à aucun autre écrivain de son temps ; c’était la nature qui l’avait fait ce qu’il était, et les misérables écrivains du métier, à l’exception d’un petit nombre qu’on appelait les écrivains ou les poëtes de l’empire, avaient beau s’insurger et bourdonner leur ironie contre lui comme des mouches malfaisantes, il ne daignait point les écraser de son courroux. […] Il n’y a pas besoin de critique pour admirer, la nature sait tout et dit tout. […] Ce n’est pas ainsi que la simple nature écrit et parle. […] « Je ne sais, disait-il, si le public goûtera cette histoire qui sort de toutes les routes connues, et qui présente une nature et des mœurs tout à fait étrangères à l’Europe. […] Ce n’était que le chef-d’œuvre de l’art, Virginie était le chef-d’œuvre de la nature.

1099. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

D’abord parce que, comme disaient les Grecs, ἀρχή δείξει ἄνδρα, « la puissance révèle l’homme », en l’affranchissant des entraves légales, pécuniaires, morales même de la condition privée ; et c’est dans ceux qui peuvent tout, dans les rois et les héros, qu’on doit expérimenter la vraie nature des passions. […] La nature que peint Racine est plus vraie pour nous : ne pourrait-on pas dire que cette vérité date précisément de Racine ? […] Corneille est d’un autre temps, il a et il exprime une nature plus rude et plus forte, qui a longtemps été la nature française, une nature intellectuelle et volontaire, consciente et active. […] De là cette si vraie et originale composition d’Horace et de Camille : le frère et la sœur, natures pareilles, également brutales, féroces et fanatiques, mais appliquant différemment leurs amours identiques d’essence ; l’homme idolâtre de sa patrie, la femme idolâtre d’un homme ; et de cette différence, profondement vraie, va sortir le choc des deux âmes, dont le meurtre de Camille sera la résultante nécessaire.

1100. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Ces esprits-là sont, par volonté ou par nature, des miroirs moins changeants que les autres et, si l’on veut, moins inventifs, où les mêmes œuvres se reflètent toujours à peu près de la même façon. […] Je ne parle point de la puissance d’invention qu’un caprice de la nature a évidemment accordée avec plus de libéralité à quelques écrivains de notre temps. […] J’y trouve une vive intelligence de l’histoire, une sympathie abondante, une forme digne d’André Chénier ; et je doute qu’on ait jamais mieux exprimé la sécurité enfantine des âmes éprises de vie terrestre et qui se sentent à l’aise dans la nature divinisée, ni, d’autre part, l’inquiétude mystique d’où est née la religion nouvelle. […] En même temps il connut, dans la compagnie de ces fous, de ces détraqués, de ces visionnaires qu’on rencontre surtout à Paris, combien l’homme peut être bizarre et quelles combinaisons inattendues la nature, aidée de la civilisation, peut réaliser dans une âme et dans une figure humaine. […] L’embarras est grand : ce que je citerai me laissera le remords de paraître négliger ce que je ne cite point : Tout dans l’immortelle nature Est miracle aux petits enfants.

1101. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Et vu leur nature même, essentiellement empirique, il est impossible que l’on soit nouveau, dans l’acception pleine du moi, et autrement qu’en imprimant à ce que l’on s’est assimilé sa marque personnelle qui, pour l’écrivain, est son mode de sentir. […] Bourget, le mérite d’y avoir réellement grandi, qu’il l’eût assumée toute, dans cette complexité inextricable et déroutante, qui est à l’ordre rationnel ce que l’ordre de la nature est à notre idée d’harmonie, c’est-à-dire aussi fermée à notre intime pénétration qu’est déconcertant, pour une oreille vulgaire, le faste musical d’une symphonie de Mendelssohn. […] Bourget s’est longtemps complu à emprisonner les formes de la nature et de la vie. […] France doit de nous avoir charmés, nous est-il permis de rechercher en quelque sorte la nature du secours qu’en reçoit son intellectualisme même, c’est-à-dire cette pensée dont l’audace nous déconcerte, en lui, en proportion du petit effort qu’il semble faire pour l’habiller irréprochablement. […] De quelle manière éloquente, il faudrait s’en douter au même instant, pour s’éprendre de la nature, à la folie, comme Rousseau.

1102. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Rousseau pourtant a trouvé moyen d’être injuste envers ce doux pays, en même temps qu’il le peignait comme un cadre de paradis terrestre : Je dirais volontiers, a-t-il écrit dans une page célèbre des Confessions, à ceux qui ont du goût et qui sont sensibles : Allez à Vevey, visitez le pays, examinez les sites, promenez-vous sur le lac, et dites si la nature n’a pas fait ce beau pays pour une Julie, pour une Claire et pour un Saint-Preux ; mais ne les y cherchez pas. […] Un peu plus loin, je lis cette autre pensée : Je connais quelques esprits métaphysiques auxquels je ne parlerai jamais des beautés de la nature ; ils ont franchi depuis longtemps les idées intermédiaires qui lient les sensations avec les pensées, et leur esprit s’occupe trop d’abstractions pour qu’on puisse leur faire partager les jouissances qui supposent toujours les rapports de l’âme avec des objets réels et extérieurs. […] Mme Necker se propose dans cet écrit, qu’elle traçait d’une main déjà défaillante, de combattre la loi française du divorce et d’en montrer les contradictions avec les principales fins de la nature en société et de la morale. […] La nature, qui devient ainsi le garant et l’interprète de l’amour conjugal, se plaît à consacrer de son inimitable pinceau les chastes sentiments d’une femme fidèle ; et tous les regards que jette un père attendri sur des fils qui lui ressemblent, retombent sur leur mère avec une nouvelle douceur. Ce sont là de ravissantes pensées et rendues d’après nature.

1103. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Les Français alors n’étaient pas assez instruits pour embrasser d’un coup d’œil la nature, et comparer tous les signes de leur langage à l’univers réel, que ces signes devaient représenter. […] Non, l’orateur républicain n’est pas un vain discoureur chargé de cadencer des mots ; ce n’est pas l’amusement d’une société ou d’un cercle ; c’est un homme à qui la nature a remis un empire inévitable ; c’est le défenseur d’une nation, c’est un souverain, c’est un maître ; c’est lui qui fait trembler les ennemis de sa patrie. […] On peut demander pourquoi les peuples sauvages, dans la sorte d’éloquence qu’on leur remarque quelquefois, n’ont jamais de mauvais goût, tandis que les peuples civilisés y sont sujets ; c’est sans doute parce que les premiers ne suivent que les mouvements impétueux de leur âme, et qu’aucune convention étrangère ne se mêle chez eux aux cris de la nature. […] L’homme qui est né avec de la vigueur n’étant plus arrêté par des conventions, marche où le sentiment de sa vigueur l’entraîne ; l’esprit, dans sa marche fière, ose se porter de tous les côtés, ose fixer tous les objets ; l’énergie de l’âme passe aux idées, et il se forme un ensemble d’esprit et de caractère propre à concevoir et à produire un jour de grandes choses ; celui même qui par sa nature est incapable d’avoir un mouvement, s’attache à ceux qui ont une activité dominante et propre à entraîner : alors sa faiblesse même, jointe à une force étrangère, s’élève et devient partie de la force générale. […] L’imagination a levé le plan de la nature ; la poésie l’offre en relief, ou le met en couleurs.

1104. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Beaucoup de ces hymnes ne sont que de tendres et mélodieuses prières, où les couleurs de la nature, les enchantements de la poésie, viennent prêter leur charme à l’expression d’une foi paisible et soumise. […] Ne craignez pas que le murmure De tous ces astres à la fois, Ces mille voix de la nature, Étouffent votre faible voix ! […] Le spectacle de la nature et des montagnes dans les tempêtes, les miracles de la végétation, et en particulier le chêne qui en est le roi, enfin l’humanité et la femme, ce chef-d’œuvre de la création, y sont tour à tour célébrés comme racontant le nom et la gloire du Créateur.

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