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419. (1930) Le roman français pp. 1-197

C’est la morale nouvelle issue des sports qui nous a enseigné ceci. […] Il moralise sur ce qui n’est pas moral selon l’ancienne morale. […] Et je viens vous enseigner une morale d’amour. » La morale d’amour ne suffit pas. […] Mais de la morale courante, et de la décence du vocabulaire, elle n’avait aucun souci. […] Elle n’avait pas d’épine dorsale morale, ainsi s’explique cet abominable aboutissement.

420. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Si Tristan et Isolde sont les interprètes de la morale de Schopenhauer, ils le sont à rebours, on le voit ; il est plus simple et plus vrai d’avouer qu’ils ne le sont point du tout. […] Même si Wagner avait étudié Schopenhauer pendant dix ans avant d’écrire le Ring, je me serais refusé à y voir une illustration de théories métaphysiques, et j’aurais facilement démontré qu’on peut en déduire une morale différente de celle que professe le philosophe. […] Ensuite, comme le dit Wagner, « quelle épouvantable bizarrerie de voir qu’on considère comme décourageants les résultats d’une philosophie qui est basée sur la morale la plus parfaite » (X, 329). Enfin, ce n’est pas la théorie philosophique en tant qu’explication abstraite du monde et basée sur ces déductions logiques, qui « gagna » Wagner, mais la théorie de l’art, notamment celle de la musique, ainsi que la morale (comme on vient de le voir par la phrase citée). […] En troisième lieu, ce fut la morale de Schopenhauer, qui devait être autrement sympathique à Wagner que l’impératif catégorique de Kant ou que le panthéisme inanimé de Hegel.

421. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Il avait reçu de la nature, sous des formes agréables et jolies, une certaine énergie ardente qui constitue à un haut degré le tempérament littéraire et qui pousse au talent : Cette énergie, a-t-il remarqué, condamne d’ordinaire ceux qui la possèdent au malheur non pas d’être sans morale et de n’avoir pas de très beaux mouvements, mais de se livrer fréquemment à des écarts qui supposeraient l’absence de toute morale. […] Son exemple est un des plus curieux et des plus nets en ce genre de maladie morale, son existence est une de celles qui caractérisent le mieux l’homme de lettres de la fin du xviiie  siècle. […] Certain quaker, personnage non moins essentiel de la pièce, venait compléter cette morale naturelle de Betty et empêcher à temps l’ingrat Belton de la sacrifier, ce qu’il était bien près de faire. […] « Oui, dans la crainte d’avoir un fils qui, étant pauvre comme moi, ne sache ni mentir, ni flatter, ni ramper, et ait à subir les mêmes épreuves que moi. » Ce que j’en conclus seulement, c’est que sa morale est celle d’un célibataire usé et aigri, d’un homme qui a érigé son propre malheur en ironie et en système. […] » — Pour en revenir à Chamfort qui a servi de prétexte et de point de départ à la querelle qui m’est faite, je le goûte certes, et je fais le plus grand cas de son esprit et du tour qu’il y donne ; mais j’ai parlé de son âcreté, de son acrimonie et de son cynisme final comme en ont parlé presque tous ceux qui l’ont connu : mon étude a été une étude morale et non politique.

422. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

J’affirme au contraire : 1° que, si les limites du monde fini sont celles de la science humaine, elles ne sont pas celles de la réalité ; 2° que l’homme porte en lui-même non-seulement des désirs et des ambitions, mais des instincts et des notions qui lui révèlent des réalités au-delà du monde fini, et que, si l’homme ne peut pas avoir la science de ces réalités, il en a la perspective ; 3° que, sous l’impulsion et le légitime empire de cette perspective, l’homme poursuit dans sa vie intellectuelle la connaissance de ces réalités, qu’il ne peut que reconnaître, comme il poursuit dans sa vie pratique la perfection morale, qu’il ne peut atteindre. […] C’est ici qu’il faut admirer avec quelle facilité les esprits les plus vigoureux et les plus solides arrivent à abonder dans leur propre sens, lorsqu’une fois ils ont pris un parti, et combien il est facile en logique, aussi bien qu’en morale, de voir la paille dans l’œil de son voisin sans voir la poutre qui est dans le sien. […] C’est de part et d’autre remplacer la responsabilité morale par la responsabilité physique ; c’est de part et d’autre le règne de la fatalité. […] Une morale qui rend les enfants responsables des fautes de leur père est une morale que l’on peut appeler barbare ; une théologie qui encore aujourd’hui considère les Juifs comme responsables du péché de leurs ancêtres, une théologie qui enseigne un Dieu poursuivant les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération est une théologie farouche dont l’atrocité primitive est recouverte par les prodiges de charité qui plus tard ont fleuri sur cette racine amère. […] Si l’on dit qu’il y a une justice pour Dieu autre que pour les hommes, on ruine par la base les principes de toute croyance, soit morale, soit philosophique, car qui m’assurera qu’il n’y a pas aussi une vérité pour Dieu et une vérité pour les hommes ?

423. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

— De la comédie et de ses plaisirs profanes, de ses licences et de sa joie, on a voulu faire un cours de bonne et pratique morale ; on a prétendu que rien ne résistait à ses enseignements… elle s’est toujours ressentie et toujours elle se ressentira de son origine errante. En vain Ménandre, en vain Térence et Molière ont apporté à cette œuvre brutale, les élégances de leur génie et la politesse de leur esprit, l’œuvre en elle-même est restée une œuvre un peu au-dessous de la philosophie et de la morale la plus facile, c’est-à-dire une œuvre ouverte aux plus violentes et aux plus irrésistibles passions. […] Encore une fois, c’est un mensonge, cette morale en pleine bouffonnerie, en pleine licence, en plein exercice de l’amour, de la colère, de la tromperie, de la gourmandise et des plus mauvais instincts du cœur humain. […] Comptez aussi, et pour beaucoup, pour ces mauvais résultats (en bonne comédie et en bonne morale) de l’art dramatique, l’intervention directe de la comédienne et du comédien, dans ces fables et dans ces histoires qui enseignent à pécher10. […] » Tels sont les obstacles, voilà les objections, et il nous eût semblé que nous trahissions un devoir en acceptant ces définitions complaisantes qui font de la comédie un utile enseignement, une leçon éclairée, une morale abondante, en dépit de ses origines : le vice, l’insolence, la violence et le besoin de nuire !

424. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Leurs écrivains ont une conscience littéraire qui leur donne presque autant le besoin de l’exactitude historique et de la vraisemblance morale que celui des applaudissements du public. […] Il y a de la vérité dans ces deux manières de voir ; mais suivant qu’on adopte l’une ou l’autre, l’amour doit occuper, dans la poésie comme dans la morale, une place différente. […] Par-là même, son sentiment l’affranchit de toutes les convenances que prescrit la morale que nous sommes habitués à voir sur la scène. […] La morale du théâtre en France est beaucoup plus rigoureuse que celle du théâtre en Allemagne. Cela tient à ce que les Allemands prennent le sentiment pour base de la morale, tandis que pour nous cette base est la raison.

425. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Ils mirent la morale en action, & choisirent communément des animaux pour acteurs. […] Venons à un Roman où la Féerie n’entre pour rien, & qui réunit assez complettement la vraisemblance physique & morale. […] Il joint au mérite de la narration celui d’une morale assaisonnée, & d’un style qui dit beaucoup plus qu’il ne semble dire : c’est un de ces écrits qu’on ne doit point lire trop rapidement. […] Ce n’est pas, il est vrai, choquer la vraisemblance physique ; mais la gradation morale est-elle bien observée ? […] La morale est toujours triste lorsqu’elle s’annonce à découvert : il faut un peu la déguiser pour la rendre plus agréable.

426. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Pleins d’un amour sincère pour la patrie, ils sont prêts à faire pour elle de grands sacrifices : cependant la civilisation trouve souvent en eux des adversaires ; ils confondent ses abus avec ses bienfaits, et dans leur esprit l’idée du mal est indissolublement unie à celle du nouveau. » Cette absence de lien entre les opinions et les goûts, entre les actes et les sentiments, entre l’énergie des désirs et la justesse des vues, ce divorce trop habituel entre les convictions chrétiennes restantes et les sympathies de l’avenir, toute cette confusion morale attriste le jeune philosophe et lui semble un symptôme presque unique dans l’histoire. […] S’il devait arriver en France que la monarchie ou la république (peu importe), en s’armant de ce mot de centralisation mal entendu, fissent prévaloir, constamment la régularité administrative, soit douce, soit rigoureuse, sur la vie réelle, morale, animée de chaque point du pays ; si l’on ne parvenait enfin à introduire et à fonder parmi nous les institutions démocratiques en ce qu’elles ont d’essentiel, d’élémentaire et de vivace, c’est-à-dire l’existence communale, M. de Tocqueville paraît craindre qu’une des chances naturelles de cette égalité croissante ne fût un jour, tôt ou tard, l’assujettissement de tous par un seul, du moment qu’on n’aurait plus à espérer le gouvernement de tous par eux-mêmes. […] Je ne puis m’empêcher de croire qu’il existe pour nous beaucoup de points de contact et qu’une sorte d’intimité intellectuelle et morale ne tarderait pas à régner entre vous et moi, si nous avions l’occasion de nous mieux connaître.

427. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Je crois qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour être morale dans ces récits… mais cette moralité est bien fragile. […] Ses romans vertueux, car elle les veut vertueux, s’adressant à une société qui ne prend plus la vertu à sa seule source, qui est la religion, la morale de ses romans n’est plus que celle des gens bien élevés et qui se lavent les mains à la pâte d’amandes… C’est de l’honneur humain et de l’élégance. […] Elle n’a pas le regard qu’on rabat du ciel sur les choses de la vie et qui, tombant de si haut, va au fond… C’est une femme du monde, qui peint une société dont les surfaces l’attirent, bien plus qu’un romancier moraliste qui prend les passions et les jauge partout où elles sont… Mais, si elle n’est pas, si elle ne peut pas être le moraliste à la façon des grands romanciers qui savent l’ordre le cœur humain pour tirer la morale du sang, des larmes et de la fange qu’ils en font sortir, elle est toujours et partout la plume pure que j’ai dit qu’elle était.

428. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Edgar Poe » pp. 339-351

Seulement, pour cela, il lui eût fallu le bénéfice et le soutien d’une éducation morale quelconque, et l’on se demande avec pitié ce que fut la sienne, à lui, le fils d’une actrice et de l’aventure, dans une société qui a trouvé, un beau matin, les Mormons, au fond de ses mœurs ! […] Le biographe d’Edgar Poe ne le dit pas et peut-être ne s’en soucie guère ; mais le silence de sa notice sur l’éducation morale, nécessaire même au génie pour qu’il soit vraiment le génie, genre d’éducation qui manqua sans doute à Edgar Poe ; et d’un autre côté, le peu de place que tiennent le cœur humain et ses sentiments dans l’ensemble des œuvres de ce singulier poëte et de ce singulier conteur, renseignent suffisamment, — n’est-il pas vrai ? […] A nos yeux, à nous qui ne croyons pas que l’Art soit le but principal de la vie et que l’esthétique doive un jour gouverner le monde, ce n’est pas là une si grande perte qu’un homme de génie ; mais nul n’est dispensé d’être une créature morale et bienfaisante, un homme du devoir social ; c’est là une perte qu’on ne rachète point !

429. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

On croirait d’abord que les arts n’étant que la représentation de la nature ou morale, ou passionnée, ou physique, leur champ doit être aussi vaste que celui de la nature même, et qu’ainsi il ne doit y avoir, dans chaque genre, d’autres bornes que celle du talent. […] La Rue, moins célèbre que lui pour les discours de morale, mais né avec un esprit plus souple et une âme plus sensible, réussit mieux dans le genre des éloges funèbres ; il était en même temps poète et orateur ; il avait, comme Fléchier, le mérite d’écrire en vers dans la langue d’Horace et de Virgile, mais il n’avait pas négligé pour cela la langue des Bossuet et des Corneille. […] La morale même qui est le principal mérite de l’ouvrage, y paraît rétrécie ; quelquefois elle a plus l’air de la finesse que de la grandeur ; d’autres fois elle couvre et éclipse le sujet.

430. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

D’ailleurs, quoiqu’une action fournisse une réflexion morale, ce n’est pas une conséquence que l’auteur ait eu dessein de l’y mettre. […] Peut-être que la vie entiere d’un héros, maniée avec art, et ornée des beautés poëtiques, en seroit une matiere raisonnable. à quel titre condamneroit-on un ouvrage qui seroit le modele de toute la vie, la morale de tous les âges et de toutes les fortunes ? […] Il faut donc que le poëte représente la vertu et le vice sous des traits qui justifient notre goût et notre aversion ; et ne fût-ce que pour l’intérêt de plaire, il doit être presque aussi fidéle à la bonne morale, que s’il n’avoit dessein que d’instruire. […] Mais pourquoi, m’objectera-t-on peut-être, l’iliade a-t-elle plû, si la morale y est aussi violée, que vous le dites ? […] Ce qui regarde les dieux y est absurde ; ce qui regarde les héros y est souvent grossier ; les idées de morale y sont confuses ; il est vrai que l’action du poeme est grande et pathétique ; mais elle est noyée dans la quantité et dans la longueur des épisodes.

431. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Les deux Frances s’épouseront, et c’est la morale de l’histoire. […] La morale en est d’une rigueur toute stoïcienne. […] Il pratique avec dignité une bonne petite morale courante. […] Ce sujet met aux prises, comme dans presque tout le théâtre de Dumas fils, l’intérêt social et la justice ou la charité, la morale mondaine et la morale de l’Évangile. […] Aucun des deux ne va donc jusqu’au bout de sa morale ni de sa thèse.

432. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Belle cérémonie et morale ! […] Les peintres voyagèrent pour imiter la couleur locale, et étudièrent pour reproduire la couleur morale. […] Ils font de lui un instrument d’enquête, d’éducation et de morale. […] La vie morale dans la vie vulgaire, voilà son objet, l’objet de ses préférences. […] Puisque la seule chose importante est la vie morale, attachons-nous uniquement à l’entretenir.

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