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970. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

Il ne s’agit pas de contester l’usage (l’usage est comme l’âme et la vie des mots, dit encore Vaugelas), ni de donner de pernicieux conseils : l’Anonyme a toujours raison ; il s’agit seulement de montrer que la déformation est beaucoup moins capricieuse que ne le croient les professeurs d’orthographe. […] Quant à la logique des féminins attribués aux mots en eur, il suffit de citer cantatrice, enchanteresse et chanteuse pour montrer que, dans cet ordre de finales, la langue se permet toutes ses fantaisies. […] J’ai seulement voulu montrer que la déformation n’est pas du tout cahotique  ; que le mauvais français du peuple est toujours du français et parfois du meilleur français que celui des grammairiens. […] Au tome II de son Origine et formation de la langue française, Chevallet a montré la permanence des lois linguistiques qui ont formé le français.

971. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Pindare, dont on peut comprendre la lettre, mais dont l’esprit évaporé sous le souffle des siècles rend la gloire incompréhensible, est presque un sujet vierge en littérature Longin et Boileau l’ont touché, mais le peu qu’ils en ont dit, ces porte-respects formidables, a suffi pour empêcher la petite critique familière de l’approcher ; et il est resté, ce fameux Pindare, sans traduction intégrale ou convenable, sous le balustre de son texte : mystérieux, fermé, mais n’ayant plus la vie, — absolument comme un tombeau, Certes, pour qui y voit la vie encore, il n’est rien de plus attirant que ce sépulcre fermé de Pindare, qu’il s’agit d’ouvrir pour nous montrer qu’il est plein de choses immortelles et que la Gloire n’a pas menti ! […] Ces six cents pages ne sont pas même le tour de force sur le vent que nous attendions d’un si grand artiste en vide que Villemain ; car, au bout de quelques haleines, il clôt, épuisé, la dissertation sur Pindare, et se met à pourchasser la poésie lyrique partout où elle s’est montrée dans la littérature des peuples, afin de nous prouver (dit-il) qu’elle fut toujours en harmonie avec l’élévation morale et religieuse des nations ! […] C’était là une bonne occasion pourtant de prouver qu’elle avait de l’encre dans les veines… Élevée probablement pour être un bas-bleu, elle ne nous a pas montré le moindre bout de l’odieuse chaussette, et elle s’est contentée de nous dire ce qu’est le livre de son père, avec la simplicité de monsieur Jourdain demandant à Nicole ses pantoufles… À rigoureusement parler, ce livre de la Tribune moderne n’est pas un livre, mais le projet d’un livre interrompu et dont on a réuni les fragments qui ont été achevés. […] Sait-il le montrer ?

972. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Zola lui a donné la foi pour mieux montrer à quel degré de rachitisme intellectuel l’idée religieuse fait descendre la créature humaine, — aurait dû résister longtemps avant de tomber, et, s’il fût tombé, le flambeau de la foi, qui n’est pas toujours éteint par la chute, aurait pu allumer en lui le feu des remords. […] Il ne fallait ni tant de beauté, ni tant de poésie… Son abbé Mouret n’eût plus ôté alors ce petit prêtre nerveux, ce chétif enfant qu’il fallait montrer imbécillisé par le séminaire, halluciné par l’oraison, et préparé à la faute de l’amour d’une femme par l’amour de la Vierge divine trop contemplée sur son autel… Il fallait que sa faute, à lui, fût facile et rapidement faite, pour humilier davantage la grandeur surnaturelle du sacerdoce devant les réclamations animales de la chair et les tyrannies de la nature Il fallait enfin que le prêtre, malade hier, et guéri aujourd’hui, s’enivrât assez à la première vue des cheveux et de la peau d’une fillette pour glisser dans ses bras, tout naturellement, un jour de sa convalescence… Est-ce assez misérable, tout cela ? […] Et, d’ailleurs, ni les fleurs peintes, ni les phrases de son églogue, dans lesquelles il s’efforce de se montrer poétique, ne font un poète de M.  […] Il n’en faut pas trop… Lui qui avait montré dans ses autres romans de l’invention et du langage (plus de langage que d’invention, il est vrai), n’est plus, dans celui-ci, comme inventeur, qu’une espèce de Paul de Kock, et, comme écrivain, qu’un Père Duchesne.

973. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Feydeau avait à montrer. […] Il eût été plus beau, et d’une vérité bien autrement fière, de montrer qu’on ne se démarie pas, et que le mariage est d’essence indissoluble, et plus fort que toutes les révoltes du cœur et ses imbéciles divorces ! […] Il devait montrer que le libertinage est au mariage ce que la métempsychose est à l’immortalité, et conclure bravement que, dans ce monde, qui n’a pas été bâti pour le bonheur, ainsi que le croient des moralistes pusillanimes, enfer pour enfer, l’enfer du devoir est encore le plus doux ! […] L’auteur de Fanny avait été accusé naguère d’appartenir au réalisme, non pas au réalisme du fond de la tonne, mais de la surface et des bords, et probablement humilié (et on le conçoit) d’être la fleur d’un pareil panier, il a voulu montrer comment il entendait l’idéalisme dans la forme et la poésie dans la prose.

974. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tiercelin, Louis (1849-1915) »

Il a donné ensuite deux autres recueils : L’Oasis (1880) où il s’est montré profondément tendre et humain, et les Anniversaires (1887), qui révèlent une réelle puissance poétique et une grande souplesse de rythme.

975. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — I »

Le phénomène bovaryque s’y est en effet montré d’une application universelle.

976. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre premier. Caractères naturels »

Car si elle est aussi belle que le polythéisme dans le merveilleux, ou dans les rapports des choses surnaturelles, comme nous essaierons de le montrer dans la suite, elle a de plus une partie dramatique et morale, que le polythéisme n’avait pas.

977. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Lavallée dans un second ouvrage intitulé l’Histoire militaire de Saint-Cyr ; il n’était pas inutile de montrer dès l’abord le rapport et le lien. […] La morale que Mme de Maintenon tira des représentations d’Esther et de l’invasion des profanes fut dorénavant de dire et de redire sans cesse à ses Dames : « Cachez vos filles et ne les montrez pas. » Du passage de Racine et de celui de Fénelon à Saint-Cyr, il résulta (toujours au point de vue de la fondation et du but) plusieurs inconvénients au milieu des grâces. […] Elle voulait que les Dames parlaient hardiment à leurs élèves de l’état de mariage, et leur montrassent le monde et ses conditions diverses telles qu’elles sont : « La plupart des religieuses, disait-elle, n’osent pas prononcer le nom de mariage ; saint Paul n’avait pas cette fausse délicatesse, car il en parle très ouvertement. » Et elle était la première à en parler comme d’un état honnête, nécessaire, hasardeux : Quand vos demoiselles auront passé par le mariage, elles verront qu’il n’y a pas de quoi rire.

978. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Rohan, qui était d’accord de tout avec lui, mais qui n’avait pas voulu prendre les armes jusque-là, et qui même s’était prêté à un semblant de négociation avec la Cour, commence à se déclarer, « contraint de le faire, dit-il, pour montrer que ce n’était son impuissance, comme on se figurait, qui l’en avait empêché, mais bien le désir de pacifier toutes choses. » Il avait déjà parcouru bien des villes, accompagné d’un grand nombre de ministres, haranguant, disant des prières, faisant porter une Bible devant lui, fidèle à son double rôle de capitaine et de serviteur des Églises. […] Le plus souvent il n’avait qu’à se montrer pour donner courage à ses alliés du dedans, aux bons habitants qui entraînaient les autres : les consuls et échevins, plus circonspects d’ordinaire et gens déjà de juste milieu, ont besoin pour se rendre que la rue s’en mêle et qu’on leur force la main. […] Richelieu tout le premier montra qu’au fond il jugeait mieux de Rohan lorsqu’il lui confia ensuite le corps d’armée destiné à entrer dans la Valteline, et que, dans une lettre de lui adressée à ce général victorieux, il lui dit « qu’il sera toujours très volontiers sa caution envers le roi que lui, Rohan, saura conserver les avantages acquis et ne perdra aucune occasion de les augmenter. » Mais, en ce moment de la guerre civile, ce sont deux génies, deux âmes rivales et antagonistes qui sont aux prises, et tous les défauts, toutes les complications et enchevêtrements de la conduite et du rôle de Rohan lui apparaissent : il les impute à son caractère, et il les exprime avec excès, avec injustice sans nul doute, mais avec discernement du point faible et en des termes qui ne s’oublient pas.

979. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Son grand intérêt dans la vie, et plus tard son amertume profonde et sa plaie secrète, fut ce fils auquel elle sacrifia tout et qui, en devenant un homme assez distingué, du moins à la surface, se montra des plus indifférents et des plus méconnaissants envers sa mère. […] Née et vivant dans la haute société, elle s’y fit de bonne heure son coin de retraite à elle ; elle ne fut, en aucun temps, mondaine, et dans sa vieillesse, jetant un regard en arrière, elle pouvait dire : « Le temps d’être dans le monde n’est jamais venu pour moi, mais en revanche celui de m’y montrer est absolument passé. » Sérieuse, instruite, ayant du temps à donner à la lecture, Mme de Créqui encore jeune désira voir les littérateurs célèbres de son temps et se former dans leur familiarité. […] Les Lettres de Pougens nous la montrent à cet égard, et dans ses relations avec eux, sous son vrai jour.

980. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Eugène seul et Villars restèrent en présence, et, comme l’a dit le vieux Crébillon en des vers dont ce trait rachète l’incorrection, Villars montra qu’avec un foudre de moins Eugène pouvait être vaincu. […] Il montra, en la leur disputant et en la leur arrachant à son jour, que cette foudre de combat et de victoire, cette usurpation du tonnerre n’appartient sans réserve à aucun mortel. […] Mignet, à qui il a dû l’idée et en partie les éléments de son travail, s’est inscrit en faux contre le mot de Napoléon en l’honneur de Villars, et s’est appliqué à montrer que du moment que la paix se faisait avec l’Angleterre, il n’y avait plus de danger réel pour la France.

981. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Cette réponse montrée par Vauvenargues au duc de Durfort et à d’autres officiers, à un dîner d’auberge à Besançon, paraît bonne et dans le caractère de celui qui l’écrit : « Mais nous plaignîmes, ajoute Vauvenargues, une pauvre fille, qui a de l’esprit et qui vous aime. » Sur ce chapitre essentiel et délicat, la différence des deux natures se prononce. […] Ce sont mes inclinations qui m’ont rendu philosophe ou qui m’en ont acquis le titre : si ce titre les gênait, il leur deviendrait odieux ; je ne m’en suis jamais caché, toute ma philosophie a sa source dans mon cœur… Mirabeau insiste et le secoue : il prétend lui montrer qu’avec ses talents, il serait impardonnable de se laisser aller à l’accablement, à la nonchalance. […] lui qui croit sentir mieux que Mirabeau ce que c’est que l’ambition et la grande, ce que c’est qu’être acteur tout de bon dans ce monde ; qui ne ferait pas fi de cette scène de la Cour s’il y était ; qui ne verrait dans ce Versailles même qu’un vaste champ ouvert à ses talents de toute sorte, y compris l’insinuation et le manège (l’honnête manège, comme il l’entend et dont il se pique avec un reste d’ingénuité), il éclate et tire le rideau de devant son cœur, par une admirable lettre, qui sera suivie de plusieurs autres pareilles ; de sorte que Mirabeau, arrivé en cela à ses fins, a raison de s’écrier : « Ne vous lassez pas de m’en écrire… Je vous aurai par morceaux, mon cher Vauvenargues, et quelque jour je vous montrerai tout entier à vous-même. » Ces lettres, en effet, qui sont mieux que des pages d’écrivain, manifestent l’âme même de l’homme, l’âme virile dans sa richesse première et à l’heure de son entrée en maturité.

982. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

Chapelain était fort savant, d’une science solide, et il se montra judicieux, bien qu’avec pesanteur, tant qu’il n’eut affaire qu’à des auteurs et à des ouvrages qui se rapportaient aux habitudes de toute sa vie et qui dépendaient de l’école littéraire où avait été nourrie sa jeunesse. […] Il faut l’entendre parler de cette source de curiosité aimable : « J’ai parfaitement aimé ces choses-là, dit-il, et je les aime encore… Ceux qui ont été une fois touchés de cette sorte d’affection ne la sauraient presque abandonner, tant elle a de charmes par son admirable variété. » Il avait la mémoire présente de tout ce qu’il possédait en ce genre : on pouvait lui montrer une pièce quelconque ou antique ou moderne, il disait à l’instant s’il l’avait ou non parmi les siennes, et, dans ce dernier cas, il indiquait l’endroit juste où elle était classée : « Ce serait peut-être malaisé à croire d’un nombre aussi prodigieux que l’est celui des estampes que j’ai assemblées, si je ne l’avais éprouvé plusieurs fois. […] Causant donc un jour avec Marolles et dans son cabinet, il le mit sur son sujet favori, et, lui parlant de sa collection que l’heureux possesseur prétendait aussi complète que possible, il éleva un doute, et, ayant excité l’étonnement du bonhomme, il en vint par degrés à lui conter l’histoire : « Je suis bien sûr, concluait-il, que vous n’avez pas cette estampe des Scieux de long 32. » — « Je suis bien vieux, lui répondit Marolles après un court moment de réflexion, et je ne puis guère bouger de mon fauteuil ; mais soyez assez bon pour monter sur ce petit gradin et pour prendre là-haut sur cette tablette (la première ou la seconde) ce grand in-folio que voilà. » Jean Rou fit ce qu’il lui disait, et Marolles n’eut pas plutôt le volume entre les mains qu’il lui montra, à la troisième ou quatrième ouverture de feuillet, la petite estampe si mystérieuse et si désirée dont lui, le petit-fils de Toutin, avait toujours ouï parler sans la voir· — Si vous concevez chez un homme de quatre-vingts ans une plus vive et plus délicieuse satisfaction que celle que Marolles dut éprouver à ce moment, dites-le-moi.

983. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Son rôle principal à la Convention fut d’être envoyé aux armées ; son bonheur fut, en échappant aux cruelles mesures du dedans et aux luttes fratricides qui se réglaient à coups d’échafaud, d’être, pendant ce temps-là, à combattre l’ennemi du dehors, sur le Rhin, à Mayence, ou le royalisme en Vendée, et de montrer partout, avec un courage intrépide, le tact, le coup d’œil et les talents d’un homme de guerre improvisé. […] Il évitait ce dernier autant que possible et se montrait extrêmement juste et humain. » Ce dom Colignon qui, on le voit, dépassait de beaucoup le Vicaire savoyard, était tout à fait un curé comme Rabelais pouvait l’être au xvie  siècle, comme bien d’autres l’étaient au xviiie , un curé à la Marmontel, un curé de Mélanie, mais plus franc et d’une touche originale. […] S’il appartient au xixe  siècle d’être plus heureux, et de la ressusciter par un suprême effort, ce n’est point ici ce qui m’occupe ; j’ai seulement à montrer ce qu’était devenue une Chartreuse à la fin du xviiie  siècle, bien différente de celle que Fontanes célébrait vers le même temps en des vers mélancoliques, pour l’avoir vue vaguement du côté du jardin et au clair de lune.

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