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634. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Il est probable que si Henri IV avait montré plus de fermeté, s’il avait refusé l’abjuration, et surtout si le parti qui l’aida à conquérir le pouvoir avait été plus fort, l’avenir religieux de la France aurait alors changé brusquement. […] Dans le droit, dans les sciences, dans la philosophie, dans les lettres et les arts, ils se montraient partout les plus ardents à l’étude, à la recherche de la vérité sous toutes ses formes. […] C’est d’eux qu’aurait pu et qu’aurait du dater l’histoire de la France moderne, de ces affranchis héroïques, de ces vigoureux croyants « hérétiques », qui surent alors montrer, en dépit des persécutions et des massacres, ce que signifiait la Réforme pour la grandeur des États. […] Depuis saint Bernard, on n’avait pas eu d’exemple d’une influence aussi prépondérante75. » Il est de plus le chef de l’Église Gallicane, qui « voulait être plus catholique que le pape », et dont les membres se montraient les plus acharnés parmi les adversaires de « l’hérésie ». […] On a vu là des sectaires obstinés, j’y vois des gens d’honneur qui par toute la terre ont montré ce qu’était l’élite de la France.

635. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Ballanche a pu retrancher le livre du Sentiment de son œuvre complète sans se montrer trop sévère. […] » Le Journal des Débats montra moins d’indulgence3 ; ce journal, dans son premier brillant, avec son état-major critique au complet, était alors en tête de la réaction classique, et contribuait à réduire à l’ordre le mouvement d’insurrection littéraire qui s’essayait à la suite des révolutions politiques. […] La douleur seule compte dans la vie, et il n’y a de réel que les larmes. » Et ailleurs : « Montrez-moi celui qui a pu arriver à trente ans sans être détrompé. […] Il montra avec M. de Bonald et les catholiques que la parole n’a pu être inventée primordialement, qu’elle a été nécessaire et préexistante à la pensée, qu’elle a été donnée par Dieu à l’homme naturellement social ; mais, en arrivant aux temps de la parole écrite et imprimée, il montrait avec les autres philosophes la pensée humaine s’affranchissant peu à peu du joug de cette parole devenue plus matérielle et plus pesante, brisant l’enveloppe, acquérant des ailes, et dès lors s’élançant librement à de nouvelles croyances sociales, à de nouvelles interprétations religieuses. […] A la montée d’une côte aux environs de Rosny, comme nous devisions en cheminant, il me montra ce doux pays d’alentour, ces beaux ombrages historiques, et me dit, en figurant par son geste un baiser d’adieu : « Et voilà pourtant, monsieur, ce dont les Bourbons n’ont plus voulu ! 

636. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Il entrait dans sa nature de chercher à montrer que rien ne lui était impossible, et qu’il réussissait là où le plus habile aurait inévitablement échoué. […] « Herzan se montra convaincu de la vérité et de la justesse de ces réflexions, et tout disposé à concourir. […] Peut-être n’auraient-ils pas montré de semblables répulsions, si le sujet choisi eût été de qualité proportionnée à la leur. […] « Il n’y eut qu’un seul cardinal de ce parti qui, tout en rendant justice au mérite personnel de Chiaramonti, montra plus de résistance que tout autre à passer sur les obstacles extérieurs. […] Mais leurs efforts furent vains : ils abandonnèrent leur projet ; puis, comme les autres, ils se montrèrent favorables à l’élection.

637. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Comme l’a montré Darwin, dans la nature organique il ne peut se développer, en moyenne, que des organes utiles de fait à l’individu et à l’espèce. […] Spencer a bien vu l’action du dehors sur l’être vivant ; il n’a pas montré la réaction de ce dernier et sa part active dans l’évolution. […] A vrai dire, Spencer et Taine ont montré qu’il y a dans toutes les sensations un élément quantitatif et un élément dynamique, mais ils n’ont nullement montré que les sensations soient une même qualité diversement développée. […] Vous pouvez réduire à l’unité de composition les conditions extérieures de la sensation, c’est-à-dire les mouvements, abstraction faite de ce qui se passe à l’intérieur des particules mouvantes, et encore n’obtenez-vous ainsi qu’une unité de lois, c’est-à-dire de rapports de temps, d’espace, de durée, d’intensité et de quantité ; mais vous ne pouvez pas obtenir, dans la conscience, une unité véritable de composition qualitative ; car vous seriez alors obligé de montrer que les différences de qualités n’existent pas dans la conscience même, qu’en sentant du rouge, nous sommes affectés de la même manière qu’en sentant la faim ou la soif, le chaud ou le froid. […] Expliquer les différences mêmes des qualités sensorielles en les ramenant à l’identité serait contradictoire ; on ne peut que montrer, ci côté des différences, des identités.

638. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Celui-ci a montré par de nombreux exemples que, tout le long de la série animale, le mouvement est la qualité par laquelle les animaux attirent le plus aisément l’attention d’autres animaux. […] Schneider a montré que l’ombre en mouvement peut être remarquée même quand elle a une intensité dix fois moindre que l’intensité qui lui serait nécessaire pour être vue au repos. […] Quelques instants après avoir ôté ce bandeau, l’interne avait montré à Marie V… sa main. « L’enfant, naturellement, n’avait pas pu la reconnaître, mais, l’ayant touchée, elle avait dit : « C’est une main » ; et depuis, toutes les fois qu’on lui montrait une main, elle la reconnaissait tout de suite sans le secours du tact. […] La localisation n’est, comme l’a bien montré Ward, qu’une représentation plus complexe formée par l’addition de nouveaux éléments, sans aucune représentation d’un nouvel objet, ni d’un cadre ou d’un casier.

639. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Supposez un plan vertical qui coupe par leur milieu la rotonde et le port, les deux portions qui seront de droite et de gauche de ce plan montreront les mêmes objets répétés. […] Du bas de cette porte je vois que cet endroit est quarré, et que pour en montrer l’intérieur on a abattu le mur de la gauche. […] Que ce buste poudreux que vous me montrez à demi-enfoncé dans la terre, parmi des ronces ait un grand caractère, soit l’image d’un personnage fameux. […] Montrez-moi tous les genres d’architecture et toutes les sortes d’édifices ; mais avec quelques caractères qui spécifient les lieux, les mœurs, les temps, les usages et les personnes ; qu’en ce sens vos ruines soient encore savantes. […] Mais s’il ose faire survenir la mère et lui montrer son fils prêt à tomber et à se briser à ses pieds, qu’il le fasse.

640. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Nous ne montrerons pas ce frondeur frondant si singulièrement la Fronde. […] Nous le laisserons retourner l’histoire entre ses mains, costume montré par la doublure. […] Michelet a bien compté sur elles lorsque, de son pinceau perfide, il nous a éteint ce grand cardinal de Richelieu, et l’a montré (ou caché plutôt) dans une pénombre artificielle, moitié monstre et moitié fantôme. […] Quand il faut enfin serrer son idée et se prendre à une réalité, même la religion de Chaumette, le culte de la Raison, pour lequel, on le sait, il avait incliné d’abord et montré une respectueuse tendresse, est abandonné, et il revient à cet athéisme plus franc, qui ne voit de Dieu que dans la Révolution, dont « la France, dit-il, est le prêtre armé dans l’Europe, et qui doit évoquer du tombeau tous les peuples ensevelis ». […] et ce fut ainsi que se réalisa une fois de plus le beau mot de Balzac l’ancien sur la France : « La France est un vaisseau qui a pour pilote la tempête. » Évidemment, en présence de ces événements et de ces immensités, l’écrivain peut se tenir dispensé du maigre travail des biographies, ou, s’il lui plaît d’en faire encore, ce ne doit pas être pour mesurer la grandeur des hommes, mais pour montrer leur petitesse, et la montrer avec l’implacable exactitude d’un niveau.

641. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Mérimée, parmi nous, dans ses cadres restreints, s’est montré irréprochable sur ce point de la réalité : sa peinture serrée et fidèle, toute confinée à l’objet qu’elle exprime, laisserait percer plutôt une aversion, une méfiance trop contraires à ce qui est un faible chez M. de Vigny. […] Comme je n’ai en ce moment à cœur que de montrer l’inexactitude du mot de De Vigny m’accusant d’avoir, en 1835, parlé de lui à la légère et d’avoir porté l’analyse dans les procédés de son talent, en le connaissant à peine, je lui laisserai le soin de prouver jusqu’où allait notre connaissance et notre presque intimité (le mot n’est pas trop fort) depuis plusieurs années déjà. […] Et, en effet, dussé-je me montrer encore une fois sacrilége et au risque de profaner le fruit d’or en voulant y chercher l’amande, je dirai que, si la pensée de M. de Vigny est souvent élevée et grande, son développement est presque toujours précieux, à tel point que plusieurs des pièces esquissées dans ses albums sont certainement plus belles à l’état de projet qu’elles ne l’eussent été après exécution ; elles laissent d’elles une plus grande idée. — Je reviens à la lettre interrompue : je saute des lignes, des phrases élogieuses, et le donne ce qui revient à mon propos, lequel est encore une fois de montrer qu’en me permettant d’essayer de juger M. de Vigny et sa manière, je n’étais point tout à fait sans le connaître (autant du moins qu’il pouvait être connu) et sans avoir été initié et introduit de longue main par lui-même au sanctuaire de sa pensée, si riche en dédales et en mystères. […] On lit dans l’Histoire de l’Académie des Inscriptions que Boivin l’aîné, savant original, disputeur et processif, avait dans sa jeunesse la fureur des vers français ; il en montra un jour à Chapelain, qui, de meilleur goùt dans ses jugements que dans ses œuvres, lui conseilla de les mettre au cabinet.

642. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Il était à craindre que le public ou les critiques d’une génération renouvelée ne se montrassent volontiers ingrats, légers (c’est si facile), en raison même de l’écho fameux, contre l’œuvre déjà ancienne d’un auteur très-vivant, et arrivé par les voies les plus honorables aux dignités littéraires et sociales. […] Talma se montrait particulièrement admirable par son jeu muet dans la grande scène du troisième acte entre les deux reines. […] Le poëte, rassemblant toutes ses ardeurs et ses enthousiasmes du premier âge, ne craignait pas de s’y montrer plus napoléonien qu’on ne se le permettait généralement alors dans cette fraction du parti libéral qui confinait aux opinions doctrinaires. […] Et quelquefois même il arrive que le char va tout lentement et presque au pas, comme pour mieux montrer chaque diamant. — Gloire pourtant et merveille ! […] Plus semblables à mon idole, Vous me montrez celle qui vole.

643. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Ce jeune homme de dix-huit ans, élancé de taille, et dont la tête penchait volontiers comme légèrement lassée, blond, rougissant, se montrait d’une timidité extrême ; après une visite où il avait écouté longtemps, parlé peu, il vous écrivait des lettres pleines de naturel et d’abandon : plume en main, il triomphait de sa rougeur. […] Autrefois il existait deux sortes de notices littéraires : l’une toute sèche et positive, sans aucun effort de rhétorique et sans étincelle de talent, la notice à la façon de Goujet et de Niceron, aussi peu agréable que possible et purement utile ; elle gisait reléguée dans les répertoires, tout au fond des bibliothèques : et puis il y avait sur le devant de la scène et à l’usage du beau monde la notice élégante, académique et fleurie, l’éloge  ; ici les renseignements positifs étaient rares et discrets, les détails matériels se faisaient vagues et s’ennoblissaient à qui mieux mieux, les dates surtout osaient se montrer à peine : on aurait cru déroger. […] Il ne se bornait pas aux simples faits principaux ni à l’analyse des ouvrages, ni même à la peinture de la physionomie et du caractère ; il voulait tout savoir, renouer tous les rapports du personnage avec ses contemporains, le montrer en action, dans ses amitiés, dans ses rivalités, dans ses querelles ; il visait surtout à ajouter par quelque page inédite de l’auteur à ce qu’on en possédait auparavant. […] Pour montrer cependant à quel point dans son esprit tout cela se rapportait à des cadres élevés, et quel ensemble il en serait résulté avec le temps, je veux donner ici, tel qu’on le trouve dans ses papiers, le plan d’un ouvrage en deux volumes, où seraient entrés, moyennant corrections, plusieurs des morceaux déjà publiés. […] Ceux-ci savent tout du premier jour, ils ne reconnaissent personne, ils sont à eux-mêmes leur propre autorité : statim sapiunt, statim sciunt omnia, … ipsi sibi exempla sunt ; tel n’était point Avitus… » Nous pourrions continuer ainsi avec les paroles du plus ingénieux des anciens bien mieux qu’avec les nôtres, montrer cette ambition honorable que poursuivait notre ami, non point l’édilit comme Julius Avitus, mais la pure gloire littéraire qu’il avait tout fait pour mériter, et dont il était sur le point d’être investi… et honor quem meruit tantum.

644. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

À part de rares exceptions, le théâtre est uniquement digestif : on va là pour s’amuser, après dîner et avant de souper, et pour se montrer. […] Et c’est elle qui montrera au monde par son mysticisme sans religion, par son goût de l’inexploré, par son avidité des vérités sauvages, de ce Vrai inconnu de la femme et de l’homme, que le théâtre et que le livre, quand ils sont créateurs, sont un. […] Faire vrai, de nos jours, c’est nous représenter une chaufferie de navire ou nous montrer une femme gigotant dans son lit. […] Il entre beaucoup de choses dans la passion du théâtre : j’y découvre la passion de l’entr’acte et des potins de couloirs ; la passion des messieurs pour les jolies actrices ; la passion des spectatrices pour les acteurs élégants et séduisants ; la passion des dames « qui n’ont rien à se mettre » pour les modèles inédits exhibés sur la scène ; la curiosité cruelle de certains amateurs qui regardent vieillir nos gloires théâtrales ; le goût de montrer une robe nouvelle, un riche collier, des bagues somptueuses ou un habit bien coupé ; la satisfaction d’occuper une bonne place, tandis que le pauv’ peuple s’entasse au poulailler ; le désir de tuer le temps, entre le dîner et le souper, etc. […] Il est, en effet, un prodigieux théâtre : c’est celui que nous édifions à notre goût en pensée, où nous nous représentons à nous-mêmes, sur un idéal décor, les pièces qui nous émeuvent ou nous charment le plus, celles que ne jouent pas toujours des acteurs, que le public ignore, que les lustres ne contribuent pas à montrer rayonnantes.

645. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

On a cité des exemples naïfs de sa crédulité, et qui montrent qu’en fait de critique il n’est pas supérieur aux gens d’esprit de son temps. […] Et quand l’écuyer a tout dit, et la soumission inattendue des quatre rois, et leurs façons étranges, et la peine qu’il eut, lui Henri Crystède, qui savait leur langue et avait été attaché à leurs personnes, à leur enseigner les belles manières et les bienséances indispensables ; quand il les a montrés apprivoisés peu à peu et amenés à se laisser faire chevaliers de la main du roi Richard en l’église cathédrale de Dublin, puis dînant ce jour-là avec le roi ; et après qu’il a ajouté que c’était chose très intéressante et qui eût été pour Froissart tout à fait neuve à regarder : « Henri, répond Froissart, à qui l’eau est venue à la bouche d’un tel récit, je le crois bien et voudrois qu’il m’eût coûté du mien et que j’eusse été là. » C’est absolument comme quand Saint-Simon, à une certaine scène de cour (le mariage de Mlle d’Orléans avec le duc de Berry), en un moment où toutes les intrigues et les cabales étaient en jeu, nous dit : « Je n’ai point su ce qui se passa chez elle (la duchesse de Bourbon, une des ennemies) dans ces étranges moments, où j’aurais acheté cher une cache derrière la tapisserie. » Pour Froissart, qui est d’une curiosité moins compliquée et moins dévorante, ce n’est jamais derrière la tapisserie qu’il désirerait se cacher, mais bien être dans quelque coin d’où il pût voir à l’aise le devant du spectacle et de la cérémonie. […] Et toujours servoit le prince au-devant de la table du roi, et par toutes les autres tables, le plus humblement qu’il pouvoit ; et il ne se voulut asseoir à la table du roi pour prière que le roi lui en pût faire, mais disoit toujours qu’il n’étoit pas encore de telle valeur qu’il lui appartînt de s’asseoir à la table d’un si haut prince et d’un si vaillant homme comme étoit la personne du roi et comme il l’avoit montré en cette journée. […] Quand on l’aurait présenté comme le narrateur le plus varié et le plus piquant des entreprises d’armes et de toutes les chevaleries d’alors, il y aurait à se garder encore de le trop circonscrire et de lui refuser l’intelligence du reste ; car, s’il entend par excellence le fait des chevaliers et gentilshommes, il a montré dans ses récits des affaires et des troubles de Flandre qu’il n’entendait pas moins bien le tribun du peuple, le factieux de la bourgeoisie et de la commune, le chef des chaperons blancs, c’est-à-dire des bonnets rouges de ce temps-là.

646. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Si nous le voyions paraître tout à coup et entrer en personne, je me le figure (comme nous l’a montré un critique ingénieux)73 noble et humain de visage, n’ayant rien du taureau, du sanglier ni même du lion, portant dans sa physionomie, comme Molière, les plus nobles traits de l’espèce et ceux qui parlent le plus à l’âme et à l’esprit modéré, sensé de propos, et le plus souvent (pitié ou indulgence) souriant et doux ; car il a créé aussi des êtres ravissants de pureté et de douceur, et il habite au centre de la nature humaine. […] Le professeur est obligé à moins, ou plutôt à autre chose ; il est tenu à plus de réserve et de dignité, il doit peu s’écarter des lieux consacrés qu’il a charge de montrer et de desservir. […] Quand je parlerai de Boileau, je ne louerai que modérément la poésie ou la pensée de ses satires, et même la pensée de ses épîtres ; nous verrons pourtant bien au net sa qualité rare, à titre de poète, dans quelques épîtres et dans Le Lutrin ; mais surtout je vous le montrerai tout plein de sens, de jugement, de probité, de mots sains et piquants et dits à propos, souvent avec courage, — caractère armé de raison et revêtu d’honneur, et méritant par là, autant que par le talent toute l’autorité qu’il exerça, même à deux pas de Louis XIV. […] [NdA] Je choisis, entre mes leçons à l’École normale où j’ai eu l’honneur d’être maître de conférences pendant quatre années (1857-1861), celle dont le sujet est le plus général, et qui est la plus propre, en effet, à montrer comment j’entendais mon devoir de professeur, très distinct du rôle de critique ; le critique s’inquiétant avant tout, comme je l’ai dit, de chercher le nouveau et de découvrir le talent, le professeur de maintenir la tradition et de conserver le goût.

647. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Son Gouvernement le lui avait dit : il avait fait en son nom des menaces ; et dès que ces menaces imprudentes et folles avaient amené le danger, ce même Gouvernement, ce même prince, qui s’étaient montrés si susceptibles et si fiers, déclaraient qu’il fallait reculer. […] Montaigne qui a passé sa vie à faire son portrait ne s’est pas montré à nous plus à nu, et ne s’est pas livré surtout avec une plus entière bonne foi : il n’y a pas ici ombre de coquetterie comme chez Montaigne. […] Montesquieu, qui savait l’histoire et qui a si fortement parlé de la République romaine, n’avait pas cette horreur des Trajan ; il a sur eux, à la rencontre, d’humaines et de magnifiques paroles, et il s’est montré en cela un parfait philosophe. […] Gustave de Beaumont, qui me serviront peut-être d’excuse, et qui montreront que les meilleurs amis de Tocqueville ont bien voulu, en définitive, n’être point tout à fait mécontents de ce qu’eux-mêmes ils avaient désiré et presque exigé de moi.

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