Le monde en effet, en plus de sa réalité propre, est le produit de nos sens et aussi de notre intelligence. […] Le monde n’est plus regardé seulement à travers les objets, ces verres asymétriques qui déforment, il est perçu sans intermédiaire, irréfrangible. […] Sans savoir, après bien des zigzags, on est arrivé au cœur même de la citadelle d’où l’œil contemple éperdu l’immensité des mondes. […] * * * Enfin ils ont bien compris, les symbolistes, puisque la Vie se définit le continu, que l’expression de fini n’a pas plus de sens dans le monde moral que dans le monde sensible. […] Le monde est de l’esprit précipité et l’essence volatile s’en échappe incessamment à l’état de pensée libre.
Il y aurait puisé de grands modèles, et le monde ne lui a inspiré que la mode actuelle. […] Or rien n’est si à propos que de s’attirer dans le monde la même espèce de considération par où sa race est connue ; il y faut conserver les qualités comme le nom et les armes : d’où je conclus que nous sommes bien étrangers dans le monde par l’intrigue de Cour, et par ce machiavélisme italien qui réussit peu dans les grandes choses, ou y succède mal tôt ou tard. […] Un jour (mai 1741), il parla tout haut de lui avec humeur et conclut en ces mots : « Enfin, pour tout dire, c’est le digne ami de Voltaire, et Voltaire son digne ami. » En février 1741, M. d’Argenson succéda à son cadet dans la place de chancelier du duc d’Orléans, et cette succession peu expliquée parut singulière dans le monde. […] Si vous détruisez l’amour, Ἔρως (c’est lui qui met ce mot grec), le monde retombera dans le chaos. […] La politesse sans la sensibilité, voilà quelle était la définition du monde d’alors : Voici où nous en sommes, écrivait d’Argenson : un beau matin tout spectacle disparaît, et il ne reste plus que des sifflets qui sifflent.
Daudet a tenté aussi de grandes études historiques de mœurs contemporaines : le monde du second empire dans le Nabab, le monde des souverains en déplacement ou en disponibilité dans les Rois en exil, le monde de l’Institut dans l’Immortel. […] Son champ d’expériences s’étant agrandi, il a dit, dans Bel Ami, la lutte sans scrupules pour la vie, c’est-à-dire pour l’argent, le pouvoir et le plaisir, dans le monde de la presse et de la politique ; puis il a touché les choses du cœur, dans des milieux plus délicats (Fort comme la mort). […] A mesure qu’il vieillissait, il a marqué de traits plus forts, presque brutalement, la décomposition, la démoralisation de certain grand monde, exquis gentilshommes aux âmes vides ou dures, délicieuses jeunes filles aux propos cyniques. […] Sa carrière de marin lui a fourni le moyen de développer, d’achever son tempérament : elle l’a promené par le monde, à travers toutes les formes de la nature et de la vie ; elle a rendu plus aiguës ses perceptions et ses mélancolies. Sa vocation littéraire est née de l’idée que le livre seul pouvait fixer dans une réalité durable quelques parcelles de ce moi et de ce monde toujours en fuite.
Le monde, après cette dilatation, continuerait son train sans que rien vienne nous avertir d’un événement aussi considérable. En d’autres termes, deux mondes qui seraient semblables l’un à l’autre (en entendant le mot similitude au sens du 3e livre de géométrie) seraient absolument indiscernables. […] Je suppose d’autre part qu’à chaque objet du premier monde, corresponde dans le second un objet de même nature placé précisément au point correspondant. […] Nous n’aurions aucun moyen de discerner ces deux mondes l’un de l’autre. […] Si l’un de ces univers est notre monde euclidien, ce que ses habitants appelleront droite, ce sera notre droite euclidienne ; mais ce que les habitants du second monde appelleront droite, ce sera une courbe qui jouira des mêmes propriétés par rapport au monde qu’ils habitent et par rapport aux mouvements qu’ils appelleront mouvements sans déformation ; leur géométrie sera donc la géométrie euclidienne, mais leur droite ne sera pas notre droite euclidienne.
Elle parcourut avec lui le monde des formes et des images. […] C’était dans son souverain pouvoir de créer un monde imaginaire que Villiers prenait le droit de mépriser le monde réel. […] Pour Villiers, l’homme se choisit lui-même son illusion, et le monde n’est que la forme extérieure et visible de ses idées. […] Cette vérité, c’est le principe de l’idéalité du monde. […] Autrement dit, le monde est ma représentation.
Voici des fabliaux moqueurs qui choisissent pour victimes les curés et les nonnes et qui parlent de l’autre monde en termes fort peu révérencieux. […] Tartufe attirait autant de monde que les sermons de Bourdaloue. […] Ainsi avec les jésuites, si nous les considérons surtout au dix-septième et au dix-huitième siècles, domine une piété fleurie, qui ne déteste ni les plaisirs du monde ni les agréments du style. […] Le style janséniste (exception faite pour Pascal qui, étant un militant, recourt aux moyens du monde, afin de gagner le monde) est en général sain, judicieux, exact, correct ; mais il manque de brillant, de vigueur, de sobriété aussi. […] Elle a quelque chose de raide et d’impérieux ; elle se contente aisément de pratiques conventionnelles qui n’entraînent pas une conduite conforme aux préceptes de l’Évangile, d’un culte pompeux qui admet bien des accommodements avec le monde.
Quels étaient leur langue, leur style, leur situation sociale, leur pays d’origine, leur conception du monde, leur tempérament, etc., etc. ? […] Un équilibre s’établit entre la libre imitation des Grecs et des Latins et l’observation du monde environnant. […] » D’autre part, le monde est pour Descartes une machine admirable, un assemblage merveilleux de rouages et de ressorts, une combinaison savante de mouvements aussi compliqués que réguliers. […] Mais tous, en s’inspirant du monde environnant, s’efforcent de s’élever au-dessus ; ils ne se bornent pas à constater des faits particuliers ; ils veulent arriver à « des vérités qui soient vraies demain comme elles l’étaient hier. […] Ou bien de vastes généralisations comme celle qu’a essayée Bossuet, une vue à vol d’oiseau, à vol d’aigle, si l’on veut, des grandes révolutions qui se sont succédé dans le monde, rapide coup.
Le monde politique est aussi réglé que le monde physique ; mais, comme la liberté de l’homme y joue un certain rôle, nous finissons par croire qu’elle y fait tout. […] En vain le monde croule, Dieu nous garde d’une idée imprévue ! […] C’est ainsi, au milieu de cette contemplation vigilante et de ce soliloque infatigable, que ses portefeuilles russes se remplissaient, et qu’il en est sorti plus tard et successivement tant d’écrits qui ont attiré l’attention du monde. […] Je me prosterne devant celui dont on peut dire : Pertransivit benefaciendo ; celui qui a pu instruire, consoler, soulager ses semblables ; celui qui a fait de grands sacrifices à la bienfaisance ; ces héros de la charité silencieuse qui se cachent et n’attendent rien dans ce monde […] et combien y en a-t-il sur mille qui puissent se demander sans terreur : Qu’est-ce que j’ai fait en ce monde ?
Les apôtres avaient à peine commencé de prêcher l’Évangile au monde, qu’on vit naître la poésie descriptive. […] Cette découverte fit changer de face à la création : par sa partie intellectuelle, c’est-à-dire par cette pensée de Dieu que la nature montre de toutes parts, l’âme reçut abondance de nourriture ; et par la partie matérielle du monde, le corps s’aperçut que tout avait été formé pour lui. […] On aura beau placer l’amante de Tithon sur un char, et la couvrir de fleurs et de rosée ; rien ne peut empêcher qu’elle ne paraisse disproportionnée, en promenant sa faible lumière dans ces cieux infinis que le christianisme a déroulés : qu’elle laisse donc le soin d’éclairer le monde à celui qui l’a fait. […] Il est le maître de placer des anges à la garde des forêts, aux cataractes de l’abîme, ou de leur confier les soleils et les mondes.
Je demande au ciel et au monde : Dites, dites, qui l’a réduite ainsi ? […] Brutus meurt le dernier des Anciens, et il crie au monde qu’il s’est trompé dans sa noble espérance. […] Oberman, étranger à toute ivresse, promène sur le monde son lent regard gris et désolé. […] Tout est paix et silence, et le monde aujourd’hui Ne s’informe plus d’eux qu’à ses moments d’ennui. […] Le monde en rit, n’y voit que démence ou faiblesse, Le monde à qui le ciel fasse paix et vieillesse !
Il admit la doctrine suivant laquelle la Volonté, substance intime de l’Univers, devenait, en l’homme, la volonté, funeste, de vivre, et supposait le monde sensible, le monde de la Représentation, formé d’individus isolés, avec la lutte pour loi. […] L’œuvre d’art idéale fondée sur l’esprit allemand, s’adresse d’abord aux Allemands, puis au monde entier. […] Or la civilisation française ne peut être imposée au monde, parce qu’elle n’est point le développement de la conscience populaire. […] Il peut venir au monde, si le monde s’en veut rendre digne, par la compassion à tout être vivant, par la tempérance, et par la charité, sur qui doit se fonder le socialisme, raisonnable et chrétien. […] Le Monde (20 mars) : X….
Quand on a bien raisonné sur les accidents, qu’on a essayé de les rattacher à leurs causes et de parcourir toute la série des phénomènes en les faisant rentrer les uns dans les autres, il se trouve qu’il y a encore plus de mystère et d’inconnu dans la conception générale à laquelle on arrive que dans l’humble sensation de laquelle on était parti ; et ainsi la rêverie est à la fin de la contemplation de ce monde, comme elle était au commencement. […] Principaux signes caractéristiques : race sanguine, rosbif, gin, thé, orgueil insulaire, sport, canotage, lawn-tennis, la plus puissante aristocratie du monde, keepseakes, home, parlementarisme, loyalisme, politique féroce, respect du passé, esthètes, sentiment religieux, bible, armée du salut, dimanche anglais, hypocrisie anglaise, etc. […] C’est, pour moi, le plus beau paysage du monde, car je l’aime et il me connaît. […] Je vois que c’est le peuple le plus rapace et le plus égoïste du monde ; celui où le partage des biens est le plus effroyablement inégal, et dont l’état social est le plus éloigné de l’esprit de l’Évangile, de cet Évangile qu’il professe si haut ; celui chez qui l’abîme est le plus profond entre la foi et les actes ; le peuple protestant par excellence, c’est-à-dire le plus entêté de ce mensonge de mettre de la raison dans les choses qui n’en comportent pas… Nous sommes, certes, un peuple bien malade ; mais, tout compte fait, nous avons infiniment moins d’hypocrisie dans notre catholicisme ou dans notre incroyance, dans nos mœurs, dans nos institutions, même dans notre cabotinage ou dans nos folies révolutionnaires. […] Nous aimerons tous les peuples dans un monde meilleur.
On se plaint souvent que la force devienne l’unique reine du monde. […] Sans parler de l’antiquité, le XVIe, le XVIIe et le XVIIe siècles virent se constituer une Europe maîtresse du monde, au nom d’une civilisation supérieure. […] Jouffroy adressait aux élèves du lycée Charlemagne ces sévères paroles : « C’est notre rôle à nous, à qui l’expérience a révélé la vraie vérité sur les choses de ce monde, de vous la dire. […] Entre toutes les fleurs, et Dieu sait s’il en est de belles (quel monde admirable que celui de la fleur !) […] Croyez à une loi suprême de raison et d’amour qui embrasse ce monde et l’explique.
En Espagne, vous trouverez Ferdinand-le-Catholique, qui chassa et vainquit les rois Maures, et trompa tous les rois chrétiens ; Charles-Quint, heureux et tout-puissant, politique par lui-même, grand par ses généraux, et cette foule de héros dans tous les genres qui servaient alors l’Espagne ; Christophe Colomb, qui lui créa un nouveau monde ; Fernand Cortez qui, avec cinq cents hommes, lui soumit un empire de six cents lieues ; Antoine de Lève qui, de simple soldat, parvint à être duc et prince, et plus que cela grand homme de guerre ; Pierre de Navarre, autre soldat de fortune, célèbre par ses talents, et parce que le premier il inventa les mines ; Gonzalve de Cordoue, surnommé le grand Capitaine, mais qui put compter plus de victoires que de vertus ; le fameux duc d’Albe, qui servit Charles-Quint à Pavie, à Tunis, en Allemagne, gagna contre les protestants la bataille de Mulberg, conquit le Portugal sous Philippe II, mais qui se déshonora dans les Pays-Bas, par les dix-huit mille hommes qu’il se vantait d’avoir fait passer par la main du bourreau ; enfin, le jeune marquis Pescaire, aimable et brillant, qui contribua au gain de plusieurs batailles, fut à la fois capitaine et homme de lettres, épousa une femme célèbre par son esprit comme par sa beauté, et mourut à trente-deux ans d’une maladie très courte, peu de temps après que Charles-Quint eut été instruit que le pape lui avait proposé de se faire roi de Naples. […] Si vous portez vos regards plus loin, vous trouverez en Hongrie ce fameux Jean Hunniade qui combattit les Turcs, et simple général d’un peuple libre, fut plus absolu que vingt rois ; et ce Mathias Corvin son fils, le seul exemple peut-être d’un grand homme fils d’un grand homme ; en Épire, Scanderberg, grand prince dans un petit État ; et parmi les Orientaux, ce Saladin, aussi poli que fier, ennemi généreux et conquérant humain ; Tamerlan, un de ces Tartares qui ont bouleversé le monde ; Bajazet qui commença comme Alexandre, et finit comme Darius : d’abord le plus terrible des hommes, et ensuite le plus malheureux ; Amurat II, le seul prince turc qui ait été philosophe, qui abdiqua deux fois le trône, et y remonta deux fois pour vaincre ; Mahomet II, qui conquit avec tant de rapidité, et récompensa les arts avec tant de magnificence ; Sélim, qui subjugua l’Égypte et détruisit cette aristocratie guerrière établie depuis trois cents ans aux bords du Nil, par des soldats tartares ; Soliman, vainqueur de l’Euphrate au Danube, qui prit Babylone et assiégea Vienne ; le fameux Barberousse Chérédin, son amiral, qui de pirate devint roi ; et cet Ismaël Sophi, qui au commencement du seizième siècle, prêcha les armes à la main, et en dogmatisant conquit la Perse, comme Mahomet avait conquis l’Arabie. À la suite de tous ces noms de guerriers ou de princes rassemblés des trois parties du monde, c’est un spectacle curieux de retrouver les noms du Dante, de Pétrarque, de Boccace, de l’Arioste, du cardinal Bibiéna, auteur de la comédie de la Calandre, jouée au Vatican sous Léon X, et du célèbre Machiavel ; sans compter cette foule innombrable de savants, presque tous Grecs ou Italiens, qui dénués, il est vrai, de ce mérite rare du génie, contribuèrent, cependant, par leurs travaux, au rétablissement des lettres, en faisant revivre les langues qui ne s’étaient conservées que chez les chrétiens de Constantinople, et la philosophie ancienne qui, depuis la chute de l’empire, n’avait été cultivée que par les musulmans arabes. […] Enfin, pour connaître l’esprit de ce temps-là, il ne sera pas inutile d’observer que Paul Jove loue avec transport ce Pic de La Mirandole, l’homme de l’Europe, et peut-être du monde, qui à son âge eût entassé dans sa tête le plus de mots et le moins d’idées ; qu’il n’ose point blâmer ouvertement ce Jérôme Savonarole, enthousiaste et fourbe, qui déclamant en chaire contre les Médicis, faisait des prophéties et des cabales, et voulait, dans Florence, jouer à la fois le rôle de Brutus et d’un homme inspiré ; qu’enfin il loue Machiavel de très bonne foi, et ne pense pas même à s’étonner de ses principes : car le machiavélisme qui n’existe plus sans doute, et qu’une politique éclairée et sage a dû bannir pour jamais, né dans ces siècles orageux, du choc de mille intérêts et de l’excès de toutes les ambitions joint à la faiblesse de chaque pouvoir, fait uniquement pour des âmes qui suppléaient à la force par la ruse, et aux talents par les crimes, était, pendant quelque temps, devenu en Europe la maladie des meilleurs esprits, à peu près comme certaines pestes qui, nées dans un climat, ont fait le tour du monde, et n’ont disparu qu’après avoir ravagé le globe.