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896. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Il travaille dix heures par jour, mais il est un grand perdeur de temps, s’oubliant en lectures et faisant, à tout moment, des écoles buissonnières autour de son livre. […] À tout moment il se lève, agitant derrière son dos, ses deux grosses mains de Goliath. […] * * * — La séduction d’une œuvre d’art est presque toujours en nous-même et comme dans l’humeur du moment de notre œil. […] Moi je n’ai peur que de ce passage du moment, où mon moi entrera dans la nuit, où je perdrai la conscience d’avoir été… — Il y a cependant un grand horloger, balbutie timidement Claudin. — Ah ! […] Oui, il y a comme cela des moments durs… mais si nous recevions tous les phtisiques… Paris est une ville qui use tant… nous n’aurions plus de place pour les autres ! 

897. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Il y a eu dans sa vie un moment critique où ce penchant et cette vocation particulière qu’il se sentait pour la direction intérieure et pour les mystères délicats de la piété l’ont abusé et légèrement enivré. […] Passons l’éponge sur ce moment d’illusion et d’oubli dans lequel nous ne pourrions d’ailleurs faire un seul pas sans obscurité ou sans éblouissement. […] Revenue plus tard en France à titre de comtesse de Grammont, femme de la Cour des plus en vue, hautaine, brillante, galante même, mais respectée et considérée jusque dans ses dissipations, elle garda en vieillissant des restes de beauté, se fit agréer en tout temps de Louis XIV, et au point de donner par moments de l’ombrage à Mme de Maintenon. […] Qu’on veuille un moment y penser !

898. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Dès ce moment (à quoi tiennent les directions des esprits ?) […] Ce n’est pas en ce moment le lieu de revenir sur Théophile dont on annonce une réédition prochaine, et je m’en tiendrai à Saint-Amant. […] Et le moment d’après, il se représente avec son luth allant porter, son harmonie au creux de cette grotte « fraîche », où l’Amour se pourrait « geler » et où Écho ne cesse de « brûler », combinant de la sorte tous les genres de pointe et de mauvais goûtr : il réussit très médiocrement, malgré ses accords soi-disant célestes, à nous rendre attrayante par sa fraîcheur une grotte où il dit qu’on gèle et où il vient de nous montrer des crapauds. […] On était loin sans doute alors de ce grand moment de renaissance pittoresque et historique où Chateaubriand devait écrire ses admirables pages sur Rome et la campagne romaine : mais Poussin n’était-il pas là, qui à cette heure y traçait tant de graves et doux tableaux, ce même Poussin, parent en génie de Corneille, et qui, ayant reçu Le Typhon ou la gigantomachie, poème burlesque de Sçarron, écrivait : « J’ai reçu du maître de la poste de France un livre ridicule des facéties de M. 

899. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

On publie en ce moment deux éditions nouvelles des chroniques les plus particulières de ce temps-là. […] Parlant tout d’abord de M. de Candale, l’un des beaux les plus à la mode en son moment, Bussy le définissait de la sorte : « Le génie en était médiocre ; mais, dans ses premiers amours, il était tombé entre les mains d’une dame qui avait infiniment de l’esprit, et comme ils s’étaient fort aimés, elle avait pris tant de soin de le dresser, et lui de plaire à cette belle, que l’art avait passé la nature, et qu’il était bien plus honnête homme que mille gens qui avaient bien plus d’esprit que lui. » — Mme de Châtillon, accueillant avec une faveur marquée la déclaration de M. de Nemours et lui laissant voir qu’elle a bonne opinion de son mérite, s’attire cette réponse : « Ah ! […] La vanité dans l’amour, et comme principe de l’amour, c’était bien la marque du moment, et qui est celle en général de la galanterie française, où la passion, à l’origine, entre pour peu. […] Si la conversation de Mme Cornuel et de Mme Olonne est de lui, il n’a pas échappé à l’un des inconvénients et des défauts de son moment, au pédantisme et au dogmatique dans la galanterie.

900. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Il est manifeste qu’en les écrivant (à part un petit nombre de cas solennels qui tranchent sur le sans-gêne ordinaire), il n’avait aucune arrière-pensée de publicité non plus qu’aucune recherche d’agrément : il croyait n’écrire que pour l’ami à qui il s’adressait, sur ce qui l’occupait dans le moment, sur ses affaires, ses intérêts, ses affections. […] Buffon ne commence à devenir celui que l’on connaît et que nous admirons que du moment qu’il est placé à la direction du Jardin et du Cabinet du roi : jusque-là c’était un génie expectant, et à qui manquait son objet. La correspondance nous montre bien ce moment décisif de son entrée et de sa pleine installation dans la grande voie qu’il a ouverte et illustrée. […] Voltaire est jugé à trois moments : d’abord comme « un très grand homme, et aussi un homme très aimable » ; puis, pendant la brouille, comme un diseur de sottises qu’on doit éviter de lire, un atrabilaire qui vise à tort et à travers à l’universalité.

901. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Si l’on pouvait un moment avoir raison de la passion et du système qui s’identifient dans les intelligences élevées avec une idée exagérée de dignité et d’honneur, je ne demanderais qu’une chose aux esprits restés politiques ou destinés à le devenir : ne retombons pas dans la même faute qu’ont faite, sous la Restauration et sous le régime des dix-huit ans, les générations obstinées et excessives ; ne soyons pas, de parti pris, et au nom d’un principe, irréconciliables. […] Ceux qui ont parcouru ces époques et qui croient les juger sans amour et sans haine ne laissent pas d’être étonnés de cet enthousiasme un peu vague, de cette admiration un peu confuse et indistincte de la part d’un esprit aussi juste : car enfin toutes ces années, déjà anciennes, ne se ressemblaient pas ; ces régimes, à les prendre dans le détail et à les vivre jour par jour, étaient fort différents entre eux, et il y a eu bien des moments. […] à quel moment ? car il s’agit du moment.

902. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Je montrais un grand respect à ma mère, une obéissance sans bornes à l’Impératrice, la considération la plus profonde au grand-duc, et je cherchais avec la plus profonde étude l’affection du public. » Et encore « Je m’attachais plus que jamais à gagner l’affection de tout le monde en général : grands et petits, personne n’était négligé de ma part, et je me fis une règle de croire que j’avais besoin de tout le monde, et d’agir en conséquence pour m’acquérir la bienveillance ; en quoi je réussis. » Elle rencontra, à ce moment difficile et décisif, un conseiller excellent : c’était un Suédois de beaucoup d’esprit, qui n’était plus jeune, le comte Gyllenbourg. […] J’avais au fond de mon cœur un je ne sais quoi qui ne m’a jamais laissé douter un seul moment que tôt ou tard je parviendrais à devenir Impératrice souveraine de Russie, de mon chef. » Elle aimait plus tard à le répéter, et son orgueil se vengeait et, pour ainsi dire, se justifiait ainsi de tant de longues humiliations subies et dévorées en silence : « En entrant en Russie, je m’étais dit : Je régnerai seule ici. […] Pendant que le grand-duc joue avec ses valets, les exerce, change d’uniforme vingt fois par jour, dresse à grands coups de fouet une meute dans son vestibule, envoie à ses maîtresses en manière de cadeau des bonnets de grenadier ou des bandoulières comme le Cyclope amoureux offrait des oursins à Galathée, elle lit ; elle lit dans sa chambre, elle emporte même un livre dans ses parties de cheval, et, dès qu’elle a un moment à elle, elle en profite. […] Au moment que j’entrai, je vis aisément que je fixais tous les yeux.

903. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « M. de Pontmartin. Les Jeudis de Madame Charbonneau » pp. 35-55

Lentement donc, et après tous les autres, je viens pourtant en parler ; je ne crains pas toujours de parler des livres du moment, qui font du bruit. […] Nous savons tous que Gustave Planche, dans les derniers temps et en ses moments les plus tristes, trouvait affection et asile au foyer de M.  […] — « Non, dit le comte après y avoir pensé un moment, je ne trahirai jamais les gens avec qui j’ai dîné. » M. de Pontmartin n’a pas même cette excuse d’être ruiné, puisqu’il a, bon an mal an, il nous le répète assez, de douze à quinze mille livres de revenu et une superbe allée de marronniers. […] Que M. de Pontmartin ait montré de l’esprit dans divers portraits qu’il a tracés, ce n’est pas la question en ce moment.

904. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Si le raisonnement, en tout ceci, était aussi serré et aussi rigoureux que la peinture veut l’être, il y aurait à se demander comment et pourquoi les Carthaginois ont massacré ces trois cents Baléares ; pourquoi, après cette extermination dont la nouvelle peut d’un moment à l’autre arriver au camp, Hannon va se mettre de lui-même à la merci de cette armée et dans la gueule du lion ; comment enfin, au milieu de cette fureur d’une soldatesque déchaînée contre lui et que dirigent des habiles, il parvient à s’échapper sur un âne. […] Salammbô, en ces moments, envoie chercher le grand-prêtre de Tanit, Schahabarim, celui qui l’a élevée et qui est comme son directeur. […] On entre à ce moment dans un dédale d’avenues, de portiques, de cours, de corridors, de chambres ; cela n’en finit pas. […] Hamilcar, le grand homme d’État, le père d’Hannibal, ne gagne pas à cette visite où il est présenté comme un violent et un cupide, ne se possédant pas, à tout moment hors de lui-même.

905. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Or, il est arrivé ce qui s’est vu en bien des cas : c’est que ce qu’on avait tant réclamé, du moment qu’on l’obtenait, est devenu moins agréable à quelques-uns ; au lieu de remercier, ou du moins d’attendre et d’écouter, on s’est remis à discuter de plus belle. […] Viollet-Le-Duc ne perdit pas un moment. […] Et je remarquerai d’abord qu’il arrivait au moment le plus favorable pour tout préciser et coordonner. […] En architecture (puisque c’est de cela qu’il s’agit en ce moment), le Romain, qu’on ne prétend nullement déprécier parce qu’on essaye de le définir, est grand bâtisseur, et il l’est en vue surtout de l’utilité publique comme de la majesté de l’Empire ; il porte dans les monuments qu’il élève une structure puissante, logique, sensée, uniforme, qui affecte l’éternité et va de soi à la grandeur.

906. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

C’est le plus bas moment. […] Il avait montré comment une bonne armée se crée et s’organise, il nous montre aujourd’hui comment elle se fond et se défait ; on sait mieux, après l’avoir lu, ce qu’il faut entendre par ces mots de corruption et de décadence ; on s’en fait une trop juste idée, en même temps qu’on sait aussi faire la part des exceptions, de la valeur, du désintéressement et de l’intégrité, qui se personnifient en quelques nobles figures, même aux plus tristes moments de cette monarchique histoire. […] Je ne l’ai pas quitté d’un moment et lui ai rendu mes derniers devoirs. […] Il a été pleuré à l’armée des ennemis comme dans la noire. » Dans le premier moment, un sentiment de regret unanime s’associa comme une trop faible consolation et un bien juste hommage à l’immense douleur du maréchal de Belle-Isle ; mais la malignité qui se glisse partout, et qui est si prompte à se venger d’un premier mouvement de sympathie, trouva bientôt mauvais qu’il n’eût point résigné le ministère tout aussitôt après la mort de son fils.

907. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Mais, lorsqu’à l’un des dimanches suivants les deux amis retournèrent pour lui rendre visite et pour jouir de sa conversation, tout en restant très-poli, il leur fit comprendre que d’autres intérêts et d’autres soins le réclamaient pour le moment. […] Si l’on retranche certains cris violents et passionnés qui échappèrent à sa muse dans les premiers moments, de courts accès de la fièvre universelle qui atteignait en sens divers les meilleurs esprits, il était fait évidemment pour traiter de ces questions à l’ordre du jour, et pour en disserter en toute prudence et connaissance de cause. […] Le moment où Charles Loyson faisait entendre ce cri d’une sensibilité si vraie, ces accents d’une gravité attendrie, était précisément celui où Lamartine préparait ses premières Méditations, qui ne parurent que l’année suivante (1820). […] Il y a dans l’âge de l’homme et de l’enfant un certain moment de transition qu’on appelle l’âge bête.

908. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Je sais ce qu’on peut dire juridiquement sur ce traité ; mais à mes yeux il compte ; le traité, à son moment, a été un excellent procédé à mon égard, et il faudrait des circonstances extrêmes pour dégager ma délicatesse. […] Elle fait aujourd’hui partie de ses Mémoires, et je considère comme un devoir de la reproduire ici : il a été trop attaqué dans le moment même pour n’avoir pas un jour le droit de répondre et de se défendre à haute et intelligible voix, fût-ce après sa mort : « Depuis quelques jours, des démarches pressantes ont été faites auprès de M. […] Il en aurait peut-être écrit, lui-même, à un moment donné, le récit dans un de ses livres. […] Orléaniste était encore, à l’heure dont je parle, un de ces termes vagues à l’usage des esprits politiques qui ne trouvent pas mieux dans le moment.

909. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

si, les yeux mouillés encore, Ressaisissant son luth dormant, Il n’a pas dit, à voix sonore, Ce qu’il sentait en ce moment ; S’il n’a pas raconté, poëte, Son âme pudique et discrète, Son holocauste et ses combats, Le Maître qui tient la balance N’a compris que mieux son silence : Ô mortels, ne le blâmez pas ! […] C’est quelque chose de simple, de familier, de vif, d’entrecoupé, qui se déploie et se brise, qui monte et redescend, qui change sans effort en passant d’un personnage à l’autre, et varie dans le même personnage selon les moments de la passion. […] La douleur est superstitieuse ; l’âme, en ses moments extrêmes, a de singuliers retours ; elle semble, avant de quitter cette vie, s’y rattacher à plaisir par les fils les plus déliés et les plus fragiles. […] On remarquera que dans ses tours il conserve par moments des traces légères d’une langue antérieure à la sienne, et je trouve pour mon compte un charme infini à ces idiotismes trop peu nombreux qui lui ont valu d’être souligné quelquefois par les critiques du dernier siècle.

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