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882. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Ce petit pays, qui n’est pas un démembrement du nôtre, a tenu dès lors un rôle très-important par la parole ; il a eu son français un peu à part, original, soigneusement nourri, adapté à des habitudes et à des mœurs très-fortes ; il ne l’a pas appris de nous, et nous venons lui dire désagréablement, si quelque écho parfois nous en arrive : Votre français est mauvais ; et à chaque mot, à chaque accent qui diffère, nous haussons les épaules en grands seigneurs que nous nous croyons. […] L’œuvre d’Hogarth, qui lui tombait sous la main, lui déroulait l’histoire du bon et du mauvais apprenti, et les expressions de crime et de vertu, que ce moraliste-peintre a si énergiquement burinées sur le front de ses personnages, lui causaient, dit-il, cet attrait mêlé de trouble qu’un enfant préfère à tout. […] Ratin, lequel a sur le nez une certaine verrue très-singulière ; cette verrue nous est racontée au long et décrite avec ses poils follets, ainsi que la lutte fréquente du bon pédant avec la mouche mauvaise qui s’obstine à s’y poser. […] Un certain Champin, portier de la maison où demeure Charles, renoue avec Reybaz qu’il a connu autrefois, et devient bientôt le mauvais génie du roman.

883. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Rien n’est plus pathétique qu’un grand homme tel que Scipion accusé, Marius proscrit, Napoléon vaincu à Sainte-Hélène, aux prises avec la mauvaise fortune, et résumant sa vie soit en une résignation muette, soit en un satanique gémissement. […] Tardo non furon mai grazie divine  ; « Les grâces du ciel ne se font jamais attendre. » « Je parle ainsi parce qu’il me semblait avoir non pas perdu, mais égaré vos bonnes grâces, car vous avez tant tardé à m’écrire que je ne pouvais interpréter la cause de ce silence… J’ai craint qu’on ne vous eût prévenu contre moi en vous disant que j’étais un mauvais économe… J’ai été tout réconforté par votre dernière lettre du 23 du mois passé ; j’y ai vu avec bien du plaisir que vous ne vous occupiez plus qu’à votre aise des affaires d’État. […] Il en sortit enfin seul capable de donner les conseils de l’ambition pratique aux bons ou aux mauvais desseins et d’écrire ce livre du Prince, manuel du bien et du mal pour les ambitieux. […] Il prit en apparence le succès pour un dogme ; il oublia que la moralité est la première condition des actes publics ; il crut aux deux morales, la petite et la grande ; comme Mirabeau, son élève et son égal, il matérialise la politique en la réduisant à l’habileté, au lieu de la spiritualiser en l’élevant à la dignité de vertu : mais, à cette faute près, faute punie par la mauvaise odeur de son nom, il fut honnête homme ; il fut même chrétien dans sa foi et dans ses œuvres ; il fut en même temps le plus parfait artiste en ambition que le monde moderne ait jamais eu à étudier pour connaître les hommes et les choses ; son malheur fut d’être artiste, et de donner dans le même style et avec le même visage des leçons de tyrannie et des leçons de liberté.

884. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

« Molière est aussi mauvais écrivain qu’on peut être. » (Schérer.) […] Nombre de phrases mauvaises, longues, confuses, qu’on trouve chez lui à la lecture, s’organisent spontanément dans la bouche du comédien : ce sont des phrases pour les oreilles, non pour les yeux. […] On a reconnu dans Alceste M. de Montausier, qui ressemble autant à Oronte : mais on y a reconnu aussi Molière ; et Boileau s’est nommé enfin comme l’original du critique des mauvais sonnets. […] Regnard n’a jamais songé à peindre les mœurs : s’il est le témoin, malgré tout, des mauvaises mœurs de la fin du grand siècle et du commencement de cette joyeuse corruption à laquelle la Régence attachera son nom, c’est sans le vouloir, parce que sa fantaisie est bien forcée d’aller prendre des matériaux dans la réalité.

885. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Enfin, sa mauvaise santé y servit. […] Les habiles gens s’entendront mieux avec Descartes écrivant que « les poils blancs qui commencent à lui venir l’avertissent qu’il ne doit plus étudier, en physique, à autre chose qu’au moyen de les retarder. » Et ailleurs : « Qu’il n’a jamais eu tant de soin de se conserver que maintenant. » Et plus loin : « Qu’il fait un abrégé de médecine, dont il espère pouvoir se servir par provision pour obtenir quelque délai de la nature. » Ceux qui souffrent, et c’est le grand nombre, ceux qui ont la mauvaise part dans la distribution des biens de fortune, d’opinion ou de santé, ceux pour qui en particulier le Christ est venu, aimeront mieux Pascal disant dans cette sublime prière que j’ai citée : « Je ne trouve en moi, Seigneur, rien qui vous puisse agréer ; je ne vois rien que mes seules douleurs, qui ont quelque ressemblance avec les vôtres. […] Arnauld, qui n’était pas jaloux de louanges, leur dit : Je vois bien que vous trouvez cet écrit mauvais, et je crois que vous avez raison. […] L’un d’eux, le père Noël, le fit prier de ne s’en point donner la fatigue, à cause de sa santé, qui était fort mauvaise ; un entretien, disait-il, dissiperait les difficultés qui les séparaient.

886. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Mais, au fond, les deux sont identiques. « Fais cela, je te l’ordonne… si tu désobéis, la prison… si tu es sage les emplois, la fortune, les honneurs, … si tu n’obéis pas, tu es un mauvais citoyen…, il faut obéir à la loi parce que c’est la loi. » Elle est dans son rôle et dans son droit. […] Mais si on veut rattacher les obligations qu’on lui impose à quelque être supérieur, dieu ou société, qui l’a créé pour le servir, alors il faut dire que si l’homme ne remplit pas spontanément son office, c’est qu’il y est mal adapté, et que s’il y est mal adapté il est mauvais sans doute, mais que cela prouve surtout que celui qui l’a créé n’a pas été bon ouvrier. Lorsqu’un horloger fait une montre, si la montre fonctionne mal, on la déclare mauvaise, mais on juge l’ouvrier maladroit. […] Si la casuistique a gardé un mauvais renom, ce n’est sans doute pas seulement parce que les casuistes ont offert, pour certains cas de conscience, des solutions peu recommandables, mais c’est peut-être surtout parce qu’ils en ont examiné.

887. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

En face d’une action, je me demande plutôt si elle est belle ou laide, que bonne ou mauvaise, et je crois avoir là un bon critérium ; car avec la simple morale qui fait l’honnête homme, on peut encore mener une assez mesquine vie. […] De même que le plus mauvais jargon populaire est plus propre à initier à la linguistique qu’une langue artificielle et travaillée de main d’homme comme le français ; de même on pourrait posséder à fond des littératures comme la littérature française, anglaise, allemande, italienne, sans avoir même aperçu le grand problème. […] De là l’aversion ou la défiance qu’il est de bon goût de professer en France contre les littératures de l’Orient, aversion qui tient sans doute à la mauvaise critique avec laquelle on a trop souvent traité ces littératures, mais plus encore à nos façons trop exclusivement littéraires et trop peu scientifiques. « On a beau faire, dit M.  […] Dugald Stewart, dans sa Philosophie de l’esprit humain (1827), croit encore que le sanscrit est un mauvais jargon composé à plaisir de grec et de latin.

888. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Quoi, nous avons entendu parler parmi nous les hardis novateurs qui préparent l’avenir, nous avons écouté Saint-Simon, Fourier, Owen et les autres ; nous regardons avec anxiété vers les choses futures ; nous vivons au milieu de ces problèmes sociaux dont l’éclosion va changer la face du monde ; nous voyons la religion qui se lézarde et qui s’étaye sur des dogmes nouveaux pour ne pas s’écrouler comme une ruine ; tous les principes, tous les droits, tous les espoirs sont discutés et remis en question ; nous voyons la jeune Amérique qui fait la part belle à la civilisation prochaine ; nous voyons l’Australie qui se prépare à recevoir l’héritage de l’Amérique ; et nous commentons de mauvaises traductions de Platon, et nous faisons des tragédies sur Ulysse, et nous rimaillons des épîtres à Clio, et nous évoquons dans nos vers tous les dieux morts des Olympes détruits ; cela est insensé ! […] Il y avait là-bas un mauvais garnement qui faisait du bruit et troublait par son tapage le repos et le travail des honnêtes gens ; on a envoyé quatre hommes et un caporal pour l’empoigner ; seulement le drôle est robuste et il résiste à la force armée. […] Ceux-là ont sagement quitté la palette, pour prendre la chambre noire, ils ont abandonné le vermillon et le brun de Madère pour l’azotate d’argent et l’hyposulfite de soude ; je n’y vois pas grand mal ; de mauvais peintres qu’ils étaient, ils sont devenus de bons photographes ; tout le monde y a gagné. […] on s’égare dans la recherche, on entre dans la nuit, on suit de fausses routes, et l’on se bat en partisan avec la mauvaise devise : « Chacun pour soi et Dieu pour tous. » Tiraillée par vingt côtés différents, la pauvre Vérité se sauve à toutes jambes et rentre dans son puits ; et tous, nous pleurons son absence !

889. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Considère donc attentivement cet antique et sévère maintien, et confesse que cette figure seule t’oblige encore à demeurer en respect, tant elle semble toujours impatiente de quelque mauvaise action. […] Villeroi, ligueur malgré lui comme Jeannin, est de cœur ou du moins d’esprit avec Henri IV ; il ne se considère engagé avec le mauvais parti qu’à bonne fin et en vue de ménager une négociation entre le roi et le duc.

890. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il avoue ses opiniâtretés, ses colères, qui sentent le cheval de sang et de race : « Il ne me fallait guère piquer pour me faire partir de la main. » Quelquefois aussi, chez lui, c’était méthode et tactique ; on le verra user de sa réputation terrible pour obtenir de prompts et merveilleux résultats : ainsi, à Casal, ville presque ouverte, où il se jette (1552) pour la défendre, et où il lui fallut improviser des fortifications et de grands travaux de terrassement en peu de jours, il donnera ordre à tout son monde, tant capitaines, soldats, pionniers, qu’hommes et femmes de la ville, d’avoir dès le point du jour la main à l’ouvrage « sous peine de la vie » ; et, pour mieux les persuader, il fit dresser des potences (dont sans doute cette fois on n’eut pas à se servir) : « J’avais, dit-il, et ai toujours eu un peu mauvais bruit de faire jouer de la corde, tellement qu’il n’y avait homme petit ni grand, qui ne craignît mes complexions et mes humeurs de Gascogne. » Et en revanche, sans se fier plus qu’il ne faut à l’intimidation, il allait lui-même, sur tous les points, faisant sa ronde jour et nuit, reconnaissant les lieux, « encourageant cependant tout le monde au travail, caressant petits et grands. » Ces jours-là, où il était maître de lui-même, il savait donc gouverner les esprits autant par les bons procédés que par la crainte, et il s’entendait à caresser non moins qu’à menacer. Aussi, tant qu’il fut à l’étranger et qu’il ne fit la guerre qu’aux ennemis de la France, il résulta de sa méthode et de son humeur autant et plus de bons effets que de mauvais ; les vaincus mêmes préféraient en lui un chef et gouverneur sévère, mais obéi des siens, et qui les maintenait dans la discipline ; les villes prises l’envoyaient demander au général pour y tenir garnison et les protéger : « Car, en Piémont, dit-il quelque part, j’avais acquis une réputation d’être bon politique pour le soldat et empêcher le désordre. » Tel était Montluc dans son bon temps.

891. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Cette mauvaise fortune, et cette extrême délicatesse morale qu’il y conserve, le rendent un peu susceptible dans ses rapports avec Saint-Vincens ; et lorsque celui-ci, qui paraît encore plus aimé de Vauvenargues qu’il ne l’aime, et qui est assez irrégulier dans ses lettres, tarde un peu trop à lui répondre, Vauvenargues s’alarme, il suppose que le souvenir de l’argent prêté entre pour quelque chose dans ce ralentissement, que son ami en a besoin peut-être et n’ose le lui dire ; il se plaint, il offre de s’acquitter, et il a ensuite à se justifier envers son ami qui a cru voir de l’aigreur dans la chaleur de ses reproches : Je te supplie, du moins, de croire qu’en t’offrant, comme j’ai fait, de m’acquitter avec toi, je n’ai jamais été fâché un seul moment de te devoir. […] Ce Vauvenargues plus intime et plus essentiel que l’autre éclate dans une de ses dernières lettres à Saint-Vincens, lorsque, apprenant l’invasion de la Provence par les Autrichiens et les Piémontais dans l’automne de 1746, il s’écrie : J’ai besoin de votre amitié, mon cher Saint-Vincens : toute la Provence est armée, et je suis ici bien tranquillement au coin de mon feu ; le mauvais état de mes yeux et de ma santé ne me justifient point assez, et je devrais être où sont tous les gentilshommes de la province.

892. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Je les aime quand elles sont bonnes, et je ne suis pas bien sûr de les détester quand elles sont mauvaises. […] Je suis comme ces pauvres gens qui, s’étant réduits à ne vivre que de pommes de terre, meurent de faim sans miséricorde dans les mauvaises années.

893. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

« J’espère bien, disait un jour Sancho à son maître, en voyant les histoires d’Hélène et de Paris, d’Énée et de Didon, représentées sur de mauvaises tapisseries d’auberge, j’espère bien et je parierais qu’avant peu de temps d’ici il n’y aura pas de cabaret, d’hôtellerie, de boutique de barbier, où l’on ne trouve en peinture l’histoire de nos prouesses ; mais je voudrais qu’elles fussent dessinées de meilleure main… » Si Sancho, dans son prosaïsme, pensait ainsi, que dirait Don Quichotte ? […] Mais enfin le mauvais sort, au moins pour quelque temps, allait être conjuré, et la première partie de Don Quichotte, menée à bien et terminée au milieu de ces traverses et de ces empêchements de mille sortes, paraissait au jour en 16055.

894. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Il représente dans toute sa force le mal que peut faire un mauvais ordre social à un esprit énergique ; il se rencontre plus souvent en Allemagne que partout ailleurs. […] Werther a produit plus de mauvais imitateurs qu’aucun autre chef-d’œuvre de littérature : et le manque de naturel est plus révoltant dans les écrits où l’auteur veut mettre de l’exaltation, que dans tous les autres.

895. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Si peut-être ils ont quelquefois des doutes et soupçonnent le mal qu’ils font, cette impression doit passer vite ; les extrêmes conséquences des paroles mauvaises qu’ils écrivent sont si lointaines et si aléatoires ! […] Mais voudriez-vous que ce gentilhomme fût révolutionnaire à la façon d’un pilier de club, d’un ouvrier mécanicien grisé de mauvaises brochures socialistes ?

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