pourquoi ces seigneurs pèlerins de Lucques nous avaient-ils découverts dans notre pauvre cabane, et pourquoi Fior d’Aliza les avait-elle éblouis, comme une étoile dans un ciel de nuit, sur nos montagnes, éblouit l’œil et fait rêver à mal le berger ! […] Nous nous flattions qu’on nous avait oubliés là-bas, dans ce coin de rocher, où nous ne faisions point d’autre mal que de respirer, de nous aimer et de vivre. […] CXIV Un jour que nous étions sans défiance, ma sœur auprès de sa quenouille sur le seuil de la cabane ; moi occupé à tresser des nattes de sparteria avec des joncs devant la porte, assis au soleil ; Hyeronimo à retourner les figues qui séchaient sur le toit ; Fior d’Aliza et le chien, à garder ses chèvres et ses chevreaux, bien loin derrière les châtaigniers, dans les bruyères qui touchent à notre ancien champ de maïs, sa chèvre entraîna par son exemple ses chevreaux à descendre du rocher dans le maïs et à brouter les mauvaises herbes entre les cannes déjà mûres ; cela ne faisait aucun mal, monsieur, car les feuilles des cannes étaient déjà jaunes et sèches, et les chevreaux ne les mordillaient seulement pas ; le petit chien Zampogna s’amusait innocemment à courir à travers les cannes après les alouettes, et à revenir tout joyeux vers Fior d’Aliza qui lui jetait des noisettes pour les lui faire rapporter dans son tablier. […] CXXX Ma tante et mon père étaient dehors de la porte à écouter les pas des sbires qui entraînaient Hyeronimo dans la nuit ; je m’habillai dans l’ombre, mais, quand je me vis à moitié habillée, avec mes cheveux longs et bouclés, mal retenus par l’aiguille à la pointe de clou au sommet de la tête, avec ma veste brodée de vert sur la poitrine, mes bras nus sortant de ma chemise, mes manches de drap tombant vides le long de mon corps, ma jupe courte, mes pieds nus dans mes sandales pailletées qui me couvraient à peine les ongles des doigts, j’eus peur, et je me dis : « Que vas-tu faire ? […] Quand il saura que sa sœur souffre avec lui, il souffrira la moitié moins, car une âme prend, dit-on, plus de la moitié des maux d’une autre âme sur la terre, comme dans le purgatoire.
C’est un lieu commun théologique, que le problème du mal est en corrélation avec le dogme de la Providence, qui en fournit la solution : J. de Maistre prend un malin plaisir à exagérer atrocement le règne du mal sur la terre. […] Hyacinthe, orateur emphatique, qui, n’ayant pas pu rester catholique, n’a su être ni protestant, ni philosophe, vaguement suspendu entre toutes les doctrines, de personnalité insuffisante pour subsister hors de l’orthodoxie708 : d’autres encore, élégants parleurs ou rhéteurs romantiques, politiques cléricaux, ou démocrates chrétiens, ou orthodoxes sans date et sans couleur, adversaires ou exploiteurs de la science, gens de beaucoup d’esprit parfois, de forte conviction toujours, d’idées souvent peu profondes ou mal assises. […] Il tenait l’idée de morceler et de détruire la France pour une idée absurde, et le fait, s’il se réalisait, pour un des plus grands maux qui pussent arriver à l’humanité. […] Des maux de l’Église, Épilogue (XII, 269).
L’aimable auteur du Mal et du bien qu’on a dit des femmes a voulu consoler ce dernier tiers, auquel se joint tout ce qu’il y a de lettré en France, et il a publié intégralement, en deux volumes, ses leçons du Collège de France sur le théâtre de Racine. […] Mal en a pris à Racine d’avoir eu des torts envers ceux à qui il ne faut pas toucher, d’avoir raillé Port-Royal et offensé Molière. […] Le phénomène moral qui consiste à céder à sa passion tandis qu’on l’observe et qu’on sait où elle vous conduit, la conscience parfaite et minutieuse dans le mal, dans le consentement à la passion funeste, n’est point rare chez les hommes extrêmement civilisés, à une époque où la sensibilité est plus fine, l’intelligence plus aiguisée et la volonté moins vigoureuse. […] Et, pour le dire en passant, qu’importe que nous concevions mal la force de cette tradition romaine à laquelle se soumettent Titus et Bérénice ? […] Baudelaire, Fleurs du mal.
Mais puisque le mal est fait, il n’est pas mauvais que la postérité connaisse aussi le nom de celui qui récompensa par le plus lâche des abandons l’amour le plus pur et le plus désintéressé. […] … Et ne dites point : « Le gaillard était peut-être un inconnu, qui n’avait de talent qu’aux yeux de Marceline, ou dont le talent était ignoré des contemporains ; un obscur amateur dont l’histoire n’a pas gardé le souvenir. » Non, c’était un homme qui eut quelque notoriété en son temps, et dont le nom a été presque sûrement enregistré par les Bouillet, les Dezobry et les Vapereau ; témoin ces mauvais vers de sa triste maîtresse : Je le lisais partout, ce nom rempli de charmes… D’un éloge enchanteur toujours environné, À mes yeux éblouis il s’offrait couronné… … C’est bête, tout de même, de se donner tant de mal pour découvrir le mot d’une énigme qu’il importe si peu de débrouiller. […] Elle épouse un comédien sans talent et qui avait bien du mal à gagner son pain. […] Enfin, quand on n’a plus rien à attendre de bon, les plus humbles petits bonheurs, même les simples trêves qui surviennent dans une infortune à laquelle vous étiez accoutumé, acquièrent un prix que ne soupçonnent pas ces faux malheureux de pessimistes… Et je crois aussi que, très cruels au début, les embarras d’argent, quand ils sont devenus un mal chronique, mènent assez aisément à une sorte d’insouciance bohème… 25 mai 1896. […] À la vérité, je trouve que les loustics professionnels, les Vivier, les Sapeck, les Lemice-Terrieux, se sont souvent donné beaucoup de mal pour un fort petit effet.
Au théâtre, il n’y a qu’à voir et entendre ; on n’a pas une page à tourner, même pas cela ; et si l’on a mal compris, on n’est pas tenté de revenir en arrière. […] Mais quoi, dans le premier genre il y a aussi pas mal de pédants racornis et enfumés ! […] Il l’a mal fait, si vous voulez, mais il l’a fait, en se mettant au point de vue de la tranche du public la plus large possible. […] Que sont devenues, comment même s’appelaient, par exemple, toutes ces pièces à succès qui remplirent de leur triomphe la saison de 1857 — année de Mme Bovary et des Fleurs du mal — ou la saison 1881 — année de Sagesse — et ainsi de suite ? […] Ainsi, « que sont devenues, comment même s’appelaient toutes les pièces à succès qui remplirent de leur triomphe la saison de 1857 — année de Mme Bovary et des Fleurs du mal — ou la saison 1881 — année de Sagesse ?
C’est un enleveur de cœurs en littérature, et je suis persuadé qu’avec son livre de Jack il va les enlever encore, mais ce ne sera pas sans leur faire mal. […] Le sujet de son roman, il l’a pris à ses pieds, à son coude, sous sa main, partout, puisque, de partout, nous sommes entourés et pressés de cette vie affreuse de bohèmes, d’impuissants, de déclassés, de filles entretenues, qu’il nous a décrite jusqu’au mal de cœur. […] C’est le bouc émissaire des Ratés ; et je dis trop, c’en est le baudet : Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout le mal… et qui tondit du pré la largeur de sa langue , — et sa langue n’est pas large, allez ! Le mal de tout cela, c’est qu’il est impossible à l’imagination dégoûtée de s’intéresser à ce Jack imbécile, sentimental et raté… comme les autres, — pas plus intéressant, quoique plus à plaindre que les autres. […] Mais ce serait bien mal connaître le mystère et l’essence de la composition que de faire de cela une diminution dans le talent de l’auteur.
Ainsi armé et s’enhardissant sous le casque et le bouclier d’autrui, il dit tout sur son compte ; il s’y confesse résolûment et sans pitié sur sa sauvagerie, sa misanthropie ou sa promptitude à s’effaroucher, sa fuite du monde, sa rétivité, son goût absolu de l’indépendance, sa délicatesse extrême qui le rendait plus sensible encore au mal qu’au bien, et qui lui faisait dire avec Bernardin de Saint-Pierre : « Une seule épine me fait plus de mal que l’odeur de cent roses ne me fait de plaisir. » C’est aussi avec des phrases d’auteurs célèbres qu’il répondait tout bas à ceux qui lui reprochaient de prendre pour texte de sa critique d’aussi minces et aussi ingrats sujets que ceux qu’il semblait affectionner : « L’explication de ce qu’on appelle ma modestie est, disait-il, dans ce vers de Plaute (Amphitryon, acte premier, scène première) : « Facit ille… Il fait là ce que ne font pas ordinairement les hommes, il se rend justice. » « — Pourquoi ne rien faire de plus important ? […] Parmi les auteurs grecs dont il fit choix de bonne heure pour s’en occuper, il en est un qui est bien moins méprisable que les autres : c’est Aristénète, auteur peu connu, dont le nom même n’est pas certain, mais dont on a des Lettres galantes qui ne ressemblent pas mal à ce que pourrait être un tel recueil de la main de Dorât ou plutôt de Crébillon fils : il en est vraiment de charmantes dans le nombre, et toutes sont curieuses sur l’article des mœurs dans l’Antiquité. […] De son côté, Wyttenbach se montra bon prince ; il n’eut rien de plus pressé que de tranquilliser Boissonade, de l’assurer qu’on l’avait mal informé ; il lui envoya ses notes pour les insérer dans son Eunape.
Par sa naissance, par son éducation et sa première vie dans une province la plus fidèle de toutes à la tradition et à l’ordre ancien, par le genre de ses relations ecclésiastiques et royalistes dans le monde lorsqu’il s’y lança, par la nature de son scepticisme lorsqu’il fut atteint de ce mal, par la forme soumise et régulière de son retour à la foi, par tout ce qui constitue enfin les mœurs, l’habitude pratique, l’union de la personne et de la pensée, l’allure intérieure ou apparente, la qualité saine du langage et l’accent même de la voix, M. de La Mennais, à aucune époque, n’a trempé dans le siècle récent, ne s’y est fondu en aucun point ; il a demeuré jusqu’en ses écarts sur des portions plus éloignées du centre et moins entamées ; dans toute sa période de formation et de jeunesse pieuse ou rebelle, il a fait le grand tour, pour ainsi dire, de notre Babylone éphémère, et si plus tard il est entré dans l’enceinte, ç’a été avec un cri d’assaut, muni d’armes sacrées, se hâtant aux régions d’avenir et perçant ce qui s’offrait à l’encontre au fil de son inflexible esprit. Et qu’on ne dise pas qu’il doit mal connaître notre foyer actuel de civilisation, pour l’avoir traversé sur une ligne si droite, dans une irruption si rapide ! […] Et certes, il la connaît mieux cette cité de transition qu’il a laissée en arrière, et qu’il ne voit aujourd’hui que comme un amas de tentes mal dressées, il la connaît mieux que nos myopes turbulents qui, logés dans quelque pli, s’y cramponnent et s’y agitent ; qui, du sein des coteries intestines de leurs petits hôtels, s’imaginent qu’ils administrent ou qu’ils observent, savent le nom de chaque rue, l’étiquette de chaque coin, font chaque soir aux lumières une multitude de bruits contradictoires, et avec l’infinie quantité de leurs infiniment petits mouvements n’arriveront jamais à introduire la moindre résultante appréciable dans la loi des destinées sociales et humaines. […] Il ne dit pas le moins du monde, comme le suppose l’auteur d’ailleurs si impartial et si sagace d’une Histoire de la philosophie française contemporaine : « Voilà des personnes dignes de foi, croyez-les ; cependant n’oubliez pas que ni vous ni ces personnes n’avez la faculté de savoir certainement quoi que ce soit. » Mais il dit : « En vous isolant comme Descartes l’a voulu faire, en vous dépouillant, par une supposition chimérique, de toutes vos connaissances acquises pour les reconstruire ensuite plus certainement à l’aide d’un reploiement solitaire sur vous-même, vous vous abusez ; vous vous privez de légitimes et naturels secours ; vous rompez avec la société dont vous êtes membre, avec la tradition dont vous êtes nourri ; vous voulez éluder l’acte de foi qui se retrouve invinciblement à l’origine de la plus simple pensée, vous demandez à votre raison sa propre raison qu’elle ne sait pas ; vous lui demandez de se démontrer elle-même à elle-même, tandis qu’il ne s’agirait que d’y croire préalablement, de la laisser jouer en liberté, de l’appliquer avec toutes ses ressources et son expansion native aux vérités qui la sollicitent, et dans lesquelles, bon gré, mal gré, elle s’inquiète, pour s’y appuyer, du témoignage des autres, de telle sorte qu’il n’y a de véritable repos pour elle et de certitude suprême que lorsque sa propre opinion s’est unie au sentiment universel. » Or, ce sentiment universel, en dehors duquel il n’y a de tout à fait logique que le pyrrhonisme, et de sensé que l’empirisme, existe-t-il, et que dit-il ?
Nisard traite fort mal, sans aucun adoucissement, et à propos de qui il fait une description spirituelle et chargée de la Pléiade romaine, satire directe de feu ce pauvre Cénacle d’ici, il y a, à la fin de la Thébaïde, un cri, un vœu à la fois modeste et touchant du poëte sur son livre, au moment où il l’achève : Vive, precor : nec tu divinam Eneïda tenta ; Sed longe sequere, et vestigia semper adora ! […] Mon ami, qui est sagace et quinteux, et plus porté à saisir le mal que le bien, a couvert les marges de son exemplaire de petites notes pareilles sur les faux sens, les traductions infidèles et onéreuses au pauvre auteur traduit : Un silence âcre (silentium acre), un royaume bien portant (regnum salubre), etc., etc. ; méthode d’avocat pour faire rire aux dépens de la partie adverse. […] si Perse avait vécu, s’il avait songé à critiquer les auteurs plutôt qu’à être stoïcien, comme il aurait noté, dans sa vengeance, d’un vers un peu obscur mais pressant, le critique de sa connaissance, Papirius Enisus, qui, après avoir quelque temps écouté, chez Labéon ou autre, les lectures de vers d’après Accius et Pacuvius, et s’être efforcé tant bien que mal de les célébrer, s’aperçoit un matin que toutes les places sont prises, qu’il n’aura jamais de ce côté celle qui lui est due, que cette Rome turbulente et volage veut tout à l’heure autre chose, que surtout les rhéteurs de cour, les arbitres du goût officiel, ne favorisent pas ce genre-là, et qui… ? […] André Chénier, à qui il accorde le miel de l’Hymette, n’est pour lui qu’un jeune poëte, auquel on a fait le tort de le mal admirer ; répétition encore (en diminutif) du rôle de M. de Buffon, de l’homme de la prose, qui s’applaudit de pouvoir dire : Cela est beau comme de la belle prose !
Avant d’aller plus loin l’on demanderait, peut-être, une définition du bonheur ; le bonheur, tel qu’on le souhaite, est la réunion de tous les contraires, c’est pour les individus, l’espoir sans la crainte, l’activité sans l’inquiétude, la gloire sans la calomnie, l’amour sans l’inconstance, l’imagination qui embellirait à nos yeux ce qu’on possède, et flétrirait le souvenir de ce qu’on aurait perdu ; enfin, l’inverse de la nature morale, le bien de tous les états, de tous les talents, de tous les plaisirs, séparé du mal qui les accompagne ; le bonheur des nations serait aussi de concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies, l’émulation des talents et le silence des factions, l’esprit militaire au-dehors et le respect des lois au-dedans : le bonheur, tel que l’homme le conçoit, c’est ce qui est impossible en tout genre ; et le bonheur, tel qu’on peut l’obtenir, le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l’homme peuvent agir, ne s’acquiert que par l’étude de tous les moyens les plus sûrs pour éviter les grandes peines. […] Indépendamment de tous les crimes particuliers qui ont été commis, l’ordre social a été menacé de sa destruction pendant cette révolution par le système politique même qu’on avait adopté : les mœurs barbares sont plus près des institutions simples mal entendues, que des institutions compliquées ; mais il n’en est pas moins vrai que l’ordre social, comme toutes les sciences, se perfectionne à mesure qu’on diminue les moyens, sans affaiblir le résultat. […] Aucun gouvernement monarchique ne renferme assez d’abus, maintenant, pour qu’un jour de révolution n’arrache plus de larmes que tous les maux qu’on voudrait réparer par elle. […] Vos paroles, votre voix, vos accents, l’air qui vous environne, tout vous semble empreint de ce que vous êtes réellement, et l’on ne croit pas à la possibilité d’être longtemps mal jugé ; c’est avec ce sentiment de confiance qu’on vogue à pleine voile dans la vie ; tout ce qu’on a su, tout ce qu’on vous a dit de la mauvaise nature d’un grand nombre d’hommes, s’est classé dans votre tête comme l’histoire, comme tout ce qu’on apprend en morale sans l’avoir éprouvé.
Le Procureur général, en 1542, ne les maltraitait pas moins comme mauvais acteurs de pièces mal faites que comme offensant la morale et la religion. […] On pourra, si l’on veut, lire dans les ouvrages spéciaux les analyses ou les textes de l’Assomption, de Mundus, Caro, Daemonia, de Bien advisé et Mal advisé, des Enfants de maintenant, de la Condamnation de Banquet, et autres moralités mystiques, morales, pédagogiques, qui sont toutes également traitées en lourdes allégories. […] On ne lui en fait guère accroire : il se connaît, et tels que lui-même, il estime les autres : il soupçonne le mal volontiers, et se défie de tout le monde. […] Dans la Cornette, un vieux mari cajolé, berné, prévenu par sa femme, n’entend pas le mal que ses neveux viennent lui en dire, et, grâce à un stratagème de la rusée coquine, prend pour railleries sur sa cornette toutes les vérités qu’ils lui content de sa moitié ; dans le Cuvier, un faible mari, opprimé par sa femme et sa belle-mère, a accepté de faire le ménage, la lessive, balayer, cuire le pain, soigner le marmot, etc. ; mais une bonne occasion s’offre de s’insurger sans péril, et de redevenir maître chez lui du consentement de sa femme.
Montaigne a fui le travail de la composition ; il n’a pas voulu se donner de mal. […] Nous apprenons ainsi (je vous fais grâce de ses ascendants) qu’il était né à onze mois, fut mis en nourrice au village, apprit le latin avant le français, était éveillé en son enfance au son des instruments, reçut les verges deux fois, joua des comédies latines au collège de Guyenne ; qu’il était de taille au-dessus de la moyenne, assez peu porté aux exercices du corps et à tous les jeux qui demandent de l’application physique, qu’il avait la voix haute et forte, un bon estomac, de bonnes dents, dont il perdit une passé cinquante ans, qu’il aimait le poisson, les viandes salées, le rôti peu cuit, le vin rouge ou blanc indifféremment, et trempé d’eau ; qu’il était sujet au mal de mer, et ne pouvait aller ni en voiture, ni en litière sans être malade, mais en revanche faisait de longues traites à cheval, même en pleine crise de coliques néphrétiques ; qu’il ne prenait pas de remèdes, sauf des eaux minérales, et qu’il gémissait sans brailler, quand la gravelle le tenait. […] Y renonçant, nous ne renonçons à rien d’assuré qu’à des maux. […] Surtout il n’est pas chrétien, et la décence de son adhésion à la religion établie dissimule mal en lui la négation de l’essence même du christianisme : ainsi le courant d’esprit antichrétien, ou simplement non chrétien, qui se laisse distinguer dans le siècle classique, et qui passe par Molière ou par Descartes pour arriver à Voltaire, prend sa source en lui ; le rationalisme, épicurien ou cartésien, est impliqué dans les Essais.
Dieu même, si tant est qu’il est juge, ne peut le faire que selon sa nature, et préférer le bien au mal, n’est-ce pas déjà de la partialité ? — Le critique est un homme, il a des goûts, des passions, un tempérament, des préjugés, voire des maux d’estomac, et tout cela, qu’il le sache ou non, constitue son esthétique. […] Mais dans les journaux à gros tirage, il n’y a rien, ou si peu et si mal que c’est le néant. […] La Société sera mal organisée, tant qu’elle ne permettra pas de vivre, tant qu’elle ne donnera pas automatiquement de quoi vivre aux hommes, dont les recherches intellectuelles sont importantes.
Les vieilles divinités du Nord sont des êtres fort mal définis, faute de poètes qui les aient chantées, d’artistes qui les aient peintes. […] Ne donnez jamais quelques qualités aimables à un héros qui pèche contre les dix commandements ; on dira que vous sapez les bases de la société : Plutarque n’a fait déjà que trop de mal avec ses soi-disant grands hommes. […] Après avoir été quelque temps le roi de la mode, il prend en pitié ses faciles succès ; le monde l’ennuie, et, blasé avant trente ans, il va vivre à la campagne, fort mal vu de ses voisins, qu’offense sa supériorité. […] Il pourrait bien la mettre à mal : mais il est honnête homme au fond, et il éprouve quelque plaisir à se trouver dans une situation contraire à celle où il a été toute sa vie.