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534. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Puis le récit court, léger, malicieux, aimable, jetant sur chaque objet une vive lueur, sans jamais s’arrêter ni insister : la pâmoison de dame Pinte, le rugissement du roi justicier, dont messire Couart le lièvre prend la fièvre, le service funèbre de dame Copée, et les miracles qui se font sur sa tombe, la guérison de messire Couart, Ysengrin faisant mine de se coucher sur la pierre du sépulcre, et se disant guéri d’un prétendu mal d’oreille, pour empirer l’affaire de Renart, meurtrier de la sainte miraculeuse. […] Ici, au contraire, on maudit le traître du bout des lèvres, comme de faibles parents cachent mal sous des mots sévères le ravissement où les jette la précoce malignité d’un garnement d’enfant. […] Quand les deux compères, maintes fois, se mettent en route ensemble pour chercher fortune, c’est-à-dire une dupe et une proie, il me semble voir Robert Macaire avec Bertrand : le bandit rusé s’amuse aux dépens du bandit naïf, et c’est une tentation trop forte pour lui que celle de mal faire, fût-ce à son associé, surtout à lui : car la confiance légitime de la dupe, la trahison de l’amitié ou de la foi jurée, ce sont ragoûts délicats pour un raffiné trompeur. […] L’ouvrage est devenu ainsi de jour en jour davantage quelque chose de plus que l’épopée de Renart, l’apothéose de renardie : et renardie, c’est l’esprit au service de l’égoïsme, c’est pis encore, c’est l’esprit faisant de la « malfaisance » un art, et se faisant gloire de n’être jamais court d’invention pour procurer le mal d’autrui. […] Il y aura pourtant quelque chose pour le moraliste : nous lisons en effet qu’en France au xiiie  siècle il y avait des hommes, des femmes, des prêtres qui vivaient mal.

535. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Octave Feuillet 1 Je ne pourrai jamais dire beaucoup de mal des romans de M.  […] Si mal que j’aie su distinguer la poésie et le romanesque, on a pu voir que le romanesque doit être principalement la poésie des créatures sentimentales, de celles qui connaissent peu la vie, qui n’éprouvent pas un grand besoin de vérité et pour qui l’art ne consiste pas avant tout dans l’expression : c’est-à-dire la poésie des enfants, des vierges et des jeunes femmes. […] Étranges, capricieuses, se connaissant mal elles-mêmes, elles vont, d’une marche inégale et folle, jusqu’au bout de leur passion. […] Octave Feuillet — des hystériques, dirait quelque mal appris. […] Il y a des croyants qui agissent mal en dépit de leurs croyances, et des incroyants qui agissent bien malgré leur incrédulité ; et cette remarque assurément n’a rien de rare.

536. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Ce Condé enfant, ce Condé adolescent, je les vois mal et je suis un peu déçu. […] Vous n’y trouverez ni art ni politesse ; mais vous les lirez avec indulgence, parce qu’ils sont d’un apprenti, et peut-être avec plaisir, parce qu’ils sont de votre fils. ) Voilà qui n’est point mal pour un enfant de onze ans ; mais mon insupportable méfiance me suit partout. […] Richelieu, qui avait un œil dans l’alcôve du duc d’Anguien, prenait fort mal sa discrétion calculée à l’égard de la duchesse. […] Jadis, quand j’étais beaucoup plus jeune, je concevais mal ce génie-là ; je n’en saisissais point la beauté propre. […] Mais « deviner presque », voilà une nuance que j’ai du mal à saisir.

537. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Mais, sans doute, à une idée aussi hardie, et qui a essayé de s’affirmer avec tant d’éclat, il conviendrait mal, aujourd’hui, de se voir simplement ramener à la mesure du résultat acquis. […] Il faudrait pouvoir suivre l’auteur des Essais de psychologie contemporaine dans les logiques et successifs développements de son esprit affiné et élégant, curieux et circonspect, vite éclairé et déçu, mais, par un fonds d’orgueil, dont la première marque, et la plus expressive, est une aveugle puissance de révolte, parallèle à l’amour-propre le plus ombrageux, — assombri d’insatisfaction précoce ; le suivre surtout dans cette jeunesse troublée, qui fut par instants inquiète, et terriblement, mais non pas mal confiante, soucieuse de tout pour en jouir et aussi pour en souffrir, quelque inclination qu’elle ait failli affirmer pour un dilettantisme qui n’a jamais été que littéraire, faite pour le boulevard beaucoup moins que pour la cellule de couvent, pour l’absorption réfléchie de toutes les jouissances, comme, et peut-être mieux, pour l’ascétisme monacal. […] France, en même temps qu’un imaginatif mitigé, mais dont l’intelligence du rapport domine le système, par cela même est un intellectuel d’envergure et de rare souplesse, — comment l’imaginerait-on mal armé pour l’attaque de l’idée, pour son observation intime, pour son enveloppement, mais, par contre, suffisamment doté du pouvoir de faire corps avec elle, en en endossant les sympathies multiples, et du pouvoir aussi de ne pas s’attarder au soin de pétrir, au tamisage de ses formules, soit qu’il en veuille émailler l’éclat, soit qu’il en adoucisse les saillies, ne se sentant ni assez visionnaire pour bien parfaire son ouvrage, ni tellement professionnel pour se contenter de butiner ? […] France aime redire qu’elle est toute personnelle et référente à chacun, et laquelle est des cabotins et des reîtres, de cette morale qui est l’intelligence facultative du mal et la science du présentable ; il ne s’agit pas d’elle, qui pourrait être également la somme des préjugés communs aux neuf dixièmes des hommes, et dont, d’ailleurs, un bon nombre se prélassent, comme déifiés dans les augustes écrins juridiques. […] L’âme peut y mal respirer, l’esprit n’y voir qu’une menace, le cœur y pressentir une déchéance, et le cœur, et l’esprit, et l’âme s’unir dans la plus tragique opposition, c’est bien au besoin de considération, d’agrément utile et savoureux, à la nécessité toujours plus affirmative d’un modus vivendi, propre à calmer notre soif jamais étanchée de bonheur, c’est bien à ces aspirations de l’être social que la victoire reste.

538. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

On avait fait à cet écrivain une réputation toute particulière d’absolutisme ; on le jugeait sur une page mal lue d’un de ses écrits, et on ne l’appelait que le panégyriste du bourreau, parce qu’il avait soutenu que les sociétés qui veulent se maintenir fortes ne peuvent le faire qu’au moyen de lois fortes. […] M. de Maistre ne reconnaît pas seulement le doigt de la Providence lorsqu’il la voit venger les bons et châtier les méchants, mais il salue et reconnaît encore ce doigt visible jusque dans le triomphe du mal et des méchants. […] Vous y voyez l’établissement définitif, la consolidation du mal ; moi, je persiste à le regarder comme un événement heureux dans toutes les suppositions possibles. […] Il a vu, dans la tentative que j’ai faite, un élan de zèle ; et, comme la fidélité lui plaît depuis qu’il règne, en refusant de m’écouter il ne m’a cependant fait aucun mal. […] et que reste-t-il de moi en bien ou en mal ?

539. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

C’est le rire d’un homme atteint du mal déplorable des analystes, ressentant minutieusement et détail à détail sa souffrance, portant dans l’introspection de son âme endolorie une perspicacité nerveuse, l’âpre acharnement à connaître toutes les retraites et toute la misère de son mal. […] Un mal incurable et lent, qui s’éternisa dix ans, l’atonie locomotrice, avait couché le poète dans son lit, ce « cercueil de matelas », comme il disait, une maladie de lente torture, dont les conquêtes graduelles, — la mort venant membre à membre, — sont faites pour miner la plus solide impassibilité : La femme en noir m’a pressé amoureusement La tête centre son sein ; Mes cheveux ont grisonné À l’endroit où coulèrent ses larmes Ses baisers m’ont rendu malade ; Ses baisers m’ont rendu aveugle et boiteux ; Sa bouche a ardemment sucé La moelle de mes os. […] Cette lutte constante et dissimulée, ses maux physiques et ses angoisses morales, durent le remuer et l’amollir jusqu’au fond de l’âme. […] » « Oui, je suis revenu à Dieu. » et ailleurs, dans cette préface du Romancero qui est sa confession finale, comme l’enfant prodigue, après avoir gardé les pourceaux chez les Hegeltiens : « Le mal de la patrie céleste m’a saisi et m’a entraîné par monts et par vaux, à travers les sentiers les plus ardus de la dialectique.

540. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Le théologien aurait rapporté tout à Dieu ; le médecin, tout à la santé ; le jurisconsulte, tout à la législation ; le militaire tout à la guerre ; le géomètre, tout aux mathématiques ; le bel esprit, tout aux lettres ; et chacun eût été le pendant de Marcel11, qui croyait qu’un empire ne pouvait être que mal gouverné lorsqu’on n’y dansait pas supérieurement le menuet. […] Cette pierre mal assise, l’édifice s’écroule ; bien posée, l’édifice demeure inébranlable à jamais. […] Il serait honteux qu’il se connût mal en véritable éloquence. […] C’est les disposer tous à devenir avec le temps des hommes profonds : à moins qu’on ne soit mal né et doué de cette prétention impertinente qui brise le propos de l’homme, instruit ; qui se jette à tort et à travers sur toute sorte de matière ; qui dit : Vous parlez géométrie ? […] Que, comme je l’ai insinué plus haut, la chose qui va bien dans la spéculation, va mal dans la pratique, et que l’ordre de l’enseignement prescrit par l’âge, par l’utilité plus ou moins générale des élèves, le seul qui soit praticable dans une éducation publique, est aussi le seul qui s’accorde avec l’intérêt général et particulier.

541. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Je les regardai de tous mes yeux : ils causèrent ensemble pendant près d’un quart d’heure, avec une singulière volubilité ; puis la vieille disparut à l’angle d’une rue mal famée, — et mon compagnon me revint, guilleret, ricanant, sautillant presque. […] » Ce ricanement intermittent me faisait mal, il me tiraillait horriblement les nerfs. […] Il existe entre ville et cité la même différence qu’entre un homme et un monsieur. — Racine n’eût jamais lâché — à travers un alexandrin — ce substantif mal né de « ville » ; et je me garderai bien de l’infliger à Toulouse. […] La cité de Clémence Isaure est tout entière bâtie en briques, mais bien mal à propos. […] L’homme de lettres, — j’excepte Dumas fils et Philibert Audebrand, — gagne, en général, assez pour mal vivre quatre mois sur six à Paris ; comment voulez-vous, à moins de chercher une ressource sérieuse dans l’extermination des œils-de-perdrix, qu’il prélève, sur les deux mois qui lui restent à ne pas vivre du tout à Paris, de quoi vivre seulement un peu à Luchon, — Luchon, où les hôtelleries n’ont qu’un but : réduire le voyageur à la mendicité ?

542. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

En lui cohabitent le mal et la guérison, il est tout à la fois le malade et le médecin. Très rares sont ceux qui parviennent à prendre conscience de leur état véritable, du mal qui les ronge sans qu’ils s’en doutent, et très rares donc sont ceux qui en guérissent. Les bienheureux vainqueurs de ce terrible mal n’en sont que plus dignes de notre intérêt et de nos éloges, tout au moins de notre attention. […] Car le spontané, c’est le mal, parce que c’est le différent et le rebelle. […] Tu ne seras plus un homme, nous te le répétons, mais un esclave attaché aux œuvres mauvaises, un valet de bourreaux spirituels, un instrument inerte dans la main des ouvriers du mal.

543. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Si, avec les images qu’il nous a suggérées, nous ne pouvons sculpter un bas-relief dont se pare sa tombe éblouissante, « Que du moins ce granit, calme bloc pareil à l’aérolithe qu’a jeté sur terre quelque désastre mystérieux, marque la borne où les blasphèmes futurs des ennemis du poète viendront briser leur vol noir. » C’est fort mal traduit, et pourtant j’ai fait de mon mieux. […] Tes yeux seulement demeurèrent, ils ne voulurent pas partir   ils ne sont jamais partis encore. » Ainsi le poète de la Vie intérieure : Ô morte mal ensevelie, Ils ne t’ont pas fermé les yeux.

544. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

Ce dernier devoir est d’autant plus indispensable, qu’on ne sauroit acquérir le droit de blâmer ce qui est mal, que par une égale disposition à louer ce qui est bien. […] On conviendra, sans peine, qu’on y rencontre des endroits foibles & mal traduits.

545. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 23-32

Pour prouver qu’il se plaît à rendre hommage aux hommes de génie, il dit beaucoup de mal de presque tous les hommes de génie, & prétend que le plus grand honneur qu’ait pu recevoir Corneille, c’est que M. de Voltaire ait daigné le commenter. […] Arrêtons-nous ici, Monsieur, & réfléchissons pour ces penseurs qui pensent si peu ; raisonnons pour ces Philosophes qui raisonnent si mal ; c’est le but que je me suis proposé, en mettant sous vos yeux les principaux traits de leurs Brochures.

546. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Carle Vanloo » pp. 183-186

Si un homme qui fait bien aujourd’hui et mal demain, est un homme sans caractère ou sans principes, que faut-il dire du goût de celui qui associe dans un même cabinet des choses si disparates ? […] Ajoutez à cela, si vous voulez, que cet Amour placé sur le devant et qui se chausse, est isolé et mal dessiné.

547. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Louis-Michel Vanloo » pp. 191-195

Je suis toujours fâché que parmi les superstitions dont on a entêté les hommes, on n’ait jamais pensé à leur persuader qu’ils entendraient sous la tombe le mal ou le bien que nous en dirions. […] Entre deux portraits, l’un de Henri quatre mal peint, mais ressemblant ; et l’autre d’un faquin de concussionnaire ou d’un sot auteur, peint à miracle, quel est celui que vous choisirez ?

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