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593. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Elle leur dit : « Soyez vertueux, soyez croyants, soyez libres. […] Racine s’est montré libre malgré les règles : c’est un exemple dangereux. […] Le grand mal c’est que nos critiques regardent leur œuvre comme un libre jeu de la fantaisie, et non comme un devoir. […] Elle transporta dans l’art le fameux principe de l’Identité et ouvrit à la fantaisie indéterminée une trop libre carrière.

594. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Il a le parler haut et libre ; « il lui échappe d’abondance de cœur des raisonnements et des blâmes. » Très pointilleux et récalcitrant, « c’est chose étrange, dit le roi, que M. de Saint-Simon ne songe qu’à étudier les rangs et à faire des procès à tout le monde. » Il a pris de son père la vénération de son titre, la foi parfaite au droit divin des nobles, la persuasion enracinée que les charges et le gouvernement leur appartiennent de naissance comme au roi et sous le roi, la ferme croyance que les ducs et pairs sont médiateurs entre le prince et la nation, et par-dessus tout l’âpre volonté de se maintenir debout et entier dans « ce long règne de vile bourgeoisie. » Il hait les ministres, petites gens que le roi préfère, chez qui les seigneurs font antichambre, dont les femmes ont l’insolence de monter dans les carrosses du roi. […] Il y prit aussi des scrupules ; lui si prompt a juger, si violent, si libre quand il faut railler « un cuistre violet », transpercer les jésuites ou démasquer la cour de Rome, il s’arrête au seuil de l’histoire, inquiet, n’osant avancer, craignant de blesser la charité chrétienne, ayant presque envie d’imiter les deux ducs « qu’elle tient enfermés dans une bouteille », s’autorisant du Saint-Esprit qui a daigné écrire l’histoire, à peu près comme Pascal qui justifiait ses ironies par l’exemple de Dieu. […] Il n’était chez lui et dans son domaine que le soir, les verrous tirés, seul, sous sa lampe, libre avec le papier, assez refroidi par le demi-oubli et par l’absence pour noter ses sensations. […] Quand il peint les liaisons de Fénelon et de madame Guyon, en disant que « leur sublime s’amalgama », cette courte image, empruntée à la singularité et à la violence des affinités chimiques est un éclair ; quand il montre les courtisans joyeux de la mort de Monseigneur, « un je ne sais quoi de plus libre en toute la personne, à travers le soin de se tenir et de se composer, un vif, une sorte d’étincelant autour d’eux qui les distinguait malgré qu’ils en eussent », cette expression folle est le cri d’une sensation ; s’il eût mis « un air vif, des regards étincelants », il eût effacé toute la vérité de son image ; dans sa fougue, le personnage entier lui semble pétillant, entouré par la joie d’une sorte d’auréole.

595. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Les libres jugements que j’v porte et sur mes contemporains et sur moi-même rendraient cette publication impraticable, quand même il serait dans mon goût de produire ma personne sur un théâtre littéraire quelconque, ce qui assurément n’est, pas. » Ainsi il y a de lui un livre commencé sur la Révolution de 1848 ; les Œuvres dites complètes aujourd’hui ne le sont que provisoirement : il restera encore beaucoup à y ajouter, et pour la Correspondance et pour les fragments d’histoire. […] Dans cette lettre caractéristique, nous faisons avec Tocqueville tout un voyage autour de ma chambre, une reconnaissance complète de son esprit : « Ce qui aurait le plus d’originalité et ce qui conviendrait le mieux à la nature et aux habitudes de mon intelligence, serait un ensemble de réflexions et d’aperçus sur le temps actuel, un libre jugement sur nos sociétés modernes et la prévision de leur avenir probable. […] Vieillard, l’ancien précepteur du fils aîné de la reine Hortense, l’ami particulier et le correspondant, en tout temps, du prince Louis-Napoléon, l’homme dévoué à l’Empereur bien avant l’Empire, le libre et original penseur dont la fin, tout sénateur qu’il était, ne démentit point les convictions.

596. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Nous devons avouer pourtant que, dès cette époque, le génie libre et malin de l’enfant se trahissait par des saillies involontaires. […] Mais les chansons cette fois réunies, Vierges essaims, paisibles colonies, Loin des lambeaux dans la lutte expirant, Cherchent l’air libre et l’espace plus grand, L’orme sacré de la Cité future, Des horizons que le dieu d’Épicure Eût ignorés et que t’ouvrit le tien. […] Il pousse même la rancune contre ce pauvre latin qu’il n’entend pas, et que parlait son ancêtre Horace, jusqu’à reprocher avec assez d’irrévérence à notre langue, à notre poésie, d’avoir été élevée et d’avoir grandi dans le latin : témoin Malherbe et Boileau qui l’ont coup sur coup disciplinée en ce sens, il ajoute méchamment que cet honnête latin a tout perdu ; que, sans les lisières de ce mentor, il nous resterait bien d’autres allures, plus libres et cadencées : Courier, en son style d’Amyot, ne marquerait pas mieux ses préférences.

597. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

… Dans une pièce de vers qui obtint, il y a peu d’années, le prix à l’académie de Lausanne, je trouve ces beaux traits de nature ; il s’agit d’un voyageur : Il voit de là les monts neigeux Et les hauts vallons nuageux : Puis il entend les cornemuses Des chevriers libres et fiers, Perdus dans la pâleur des airs Par-dessus les plaines confuses ; et cette autre gracieuse peinture des ébats auxquels se plaisent les nains et les sylphes de la montagne : Sur les bords de l’eau claire, à l’ombre des mélèzes. […] La concaténation ininterrompue, comme il dirait peut-être, remplace souvent sans nécessité le libre jeu de l’esprit ; l’attention se reposerait utilement dans des endroits de diffusion heureuse. […] L’ancienne et précédente culture française, ou plutôt la production et végétation française sans culture régulière, était, au déclin du moyen âge et au xvie  siècle, comme un grand champ libre, soit en France, soit aux pays environnants (Savoie, Vaud, Liége, etc.), et donnait pêlemêle toutes sortes d’herbes, de fleurs, même de longs foins et de folles avoines.

598. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Quoi qu’il en soit, le génie critique, dans tout ce qu’il a de mobile, de libre et de divers, y a grandi et s’est révélé. […] La perte de sa chaire, en 1693, lui fut moins fâcheuse à supporter qu’il n’aurait semblé, et, dans la modération de ses goûts, il y vit surtout l’occasion de loisir et d’étude libre qui lui en revenait ; il se félicite presque d’échapper aux conflits, cabales et entremangeries professorales qui règnent dans toutes les académies. […] Bayle partit donc en style de la façon du xvie  siècle, ou du moins de celle du xviie libre et non académique ; il ne s’en défit jamais.

599. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Une heureuse trouvaille avec quoi paraît à peu près close la recherche d’hier, aura été le vers libre, modulations (dis-je, souvent) individuelle, parce que toute âme est un nœud rythmique. […] Tel un avis ; et, incriminer de tout dommage ceci uniquement qu’il y ait des écrivains à l’écart tenant, ou pas, pour le vers libre, me captive, surtout par de l’ingéniosité. […] Avec le vers libre (envers lui je ne me répéterai) ou prose à coupe méditée, je ne sais pas d’autre emploi du langage que ceux-ci redevenus parallèles — souvent elle me fit songer comme devant un parler nouveau et l’originalité de la Presse.

600. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il avait aussi à se rendre libre des ménagements que lui imposait envers l’Europe, toujours animée contre le nom du grand roi, l’accueil qu’on y faisait à ses écrits. […] Le premier est une histoire familière de la cour de Louis XIV ; vrai tableau, ou plutôt vraie galerie de tableaux imposants et charmants, au-dessus desquels domine, tracé d’une main libre, pour l’histoire et non pour la tragédie, le portrait du grand roi. […] C’est une société libre, non par les vertus de la nation, mais par la facilité de son gouvernement ; non par l’obéissance à des lois sévères, mais par des lois qui exigent peu des hommes.

601. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Il n’avait que vingt-sept ans, et, pendant deux années encore, jusqu’en 1792, nous le voyons prendre part au mouvement dans une certaine mesure, donner en quelques occasions des conseils par la presse, ne pas être persuadé à l’avance de leur inefficacité : en un mot, il est plus citoyen que philosophe, et il se définit lui-même à ce moment « un homme pour qui il ne sera point de bonheur, s’il ne voit point la France libre et sage ; qui soupire après l’instant où tous les hommes connaîtront toute l’étendue de leurs droits et de leurs devoirs ; qui gémit de voir la vérité soutenue comme une faction, les droits les plus légitimes défendus par des moyens injustes et violents, et qui voudrait enfin qu’on eût raison d’une manière raisonnable ». […] Et il s’attache à définir ce que c’est que l’esprit public dans un pays libre et véritablement digne de ce nom : N’est-ce pas une certaine raison générale, une certaine sagesse pratique et comme de routine, à peu près également départie entre tous les citoyens, et toujours d’accord et de niveau avec toutes les institutions publiques ; par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui lui appartient, et par conséquent ce qui appartient aux autres ; par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui est dû à la société entière et s’y prête de tout son pouvoir ; par laquelle chaque citoyen respecte sa propre personne dans autrui, et ses droits dans ceux d’autrui ? […] La journée du 10 août vint mettre fin à la discussion libre.

602. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Pour le moment, j’attends dans une jolie petite ville de Bourgogne l’ordre de partir faire bravement mon devoir de Français et de bon citoyen, ordre qui ne tardera guère… Si je n’en reviens pas, conservez le souvenir de votre instituteur qui vous a bien aimés et qui vous embrasse tous en vous invitant à crier ; « Vivent les Républiques et les Peuples libres !  […] Pierre Génin, libre penseur, antimilitariste, ne veut pas voir dans la guerre, qu’il exècre, une défaite de ses idées, mais une occasion solennelle de les défendre et d’en assurer le triomphe.‌ […] Un socialiste soigné pour blessure de guerre dans un hôpital de l’Ouest, écrit :‌ Pendant trois mois, il m’a fallu tuer… On se dit pour se donner de l’ardeur, que l’œuvre que l’on accomplit est une œuvre libératrice ; qu’elle a pour but d’abattre un impérialisme odieux ; que, cela fait, le champ sera libre pour nous, pour l’accomplissement de nos projets de rénovation sociale ; que, sur les charniers où nous nous sommes roulés, pourra fleurir enfin l’égalité.

603. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

car il en est du sujet d’Homère dans son ensemble comme de ces comparaisons même, si libres et si vastes, qu’il affectionne ; il suffit qu’elles marchent et qu’elles se dessinent par une partie essentielle ; le reste suit avec un certain désordre qui est le cortége de la grandeur ou de la grâce. […] Ceux qui entretiennent une familiarité libre avec les éloquents écrivains qui la représentent ont chance d’en ressaisir quelque chose dans leur vie, dans leur pensée.

604. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

L’envie, qui cherche à s’honorer du nom de défiance, détruit l’émulation, éloigne les lumières, ne peut supporter la réunion du pouvoir et de la vertu, cherche à les diviser pour les opposer l’un à l’autre, et crée la puissance du crime, comme la seule qui dégrade celui qui la possède ; mais quand de longs malheurs ont abattu les passions, quand on a tellement besoin de lois, qu’on ne considère plus les hommes que sous le rapport du pouvoir légal qui leur est confié, il est possible que la vanité, alors qu’elle est l’esprit général d’une nation, serve au maintien des institutions libres. […] Cette espérance est peut-être une chimère, mais je crois vrai que la vanité se soumet aux lois, comme un moyen d’éviter l’éclat personnel des noms propres, et préserve une nation nombreuse et libre, lorsque sa constitution est établie, du danger d’avoir un homme pour usurpateur.

605. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

« Le portrait qu’il trace du Français, de corps chétif, sans vigueur musculaire, incapable d’avoir des enfants, ignorant l’orthographe (t la géographie, hors d’état d’apprendre une langue étrangère, libre penseur sans avoir jamais pensé, ne songeant qu’à être décoré d’un ordre quelconque et à émarger au budget, dépaysé quand il a dépassé le boulevard des Italiens, hostile au gouvernement et acceptant servilement tous les régimes, incapable de comprendre ni les mathématiques, ni le jeu d’échecs, ni la comptabilité ; ce portrait, dis-je, est une vraie caricature. […] Car le principe : tous les hommes sont égaux, veut dire que les hommes possèdent également la dignité que la raison et la conscience confèrent à la personne humaine ; qu’ils ont droit au même respect, en tant que personnes humaines, et qu’ils ont droit au libre exercice de leur activité, limité seulement par le droit égal des autres activités.

606. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Mais pourquoi as-tu voulu être libre ? […] Quelle meilleure manière de le réhabiliter et de l’affranchir, que de le montrer capable des mêmes vertus et des mêmes sacrifices que l’homme libre !

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