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435. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

On avait eu, il est vrai, les mesures variées, parfois coupées par le récitatif, des dernières œuvres de Beethoven ; mais les cantilènes populaires n’avaient pas encore attiré l’attention, et les chants grégoriens, défigurés d’ailleurs par une incompréhension totale de leur vrai sens, n’apparaissaient que comme des restes glacés : car on assimilait au langage écrit de la liturgie son langage musical et la Préface, le Magnificat, parlaient une langue morte. […] La phrase, chargée des images qui l’éclairent, sera longtemps assouplie jusqu’à ce qu’elle se coordonne heureusement avec le rythme et l’harmonie ; et le rythme pourra s’étendre ici, là s’accourcir pour donner à chacun des fragments de la période sa totale valeur et en se juxtaposant au langage qu’il vivifie, faire naître en celui-ci, comme par merveille, — la Musique. […] La raison d’être du mètre fixe est d’objectiver le vers ; il le distingue dès l’abord du langage quotidien et donne à la parole l’aspect de la chose définitive et invariable.

436. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Aux sentiments comme au langage, je reconnais la race cornélienne. […] Et, chose remarquable du plus rocailleux de nos poètes, l’impression dernière qui nous reste des vers de Rhadamiste et Zénobie, est une impression d’harmonie : tant il est vrai que cette qualité, au lieu d’être un don personnel, est l’effet nécessaire de toutes les autres qualités du langage réunies. […] Enfin, quand on me fait voir, « dans cette île où les triumvirs firent les proscriptions et le partage du monde, la scène s’obscurcir, les éclairs sillonner la nue, et Julie paraître dans l’enfoncement, couchée entre des rochers46 », je m’y prête très volontiers, pourvu que le tonnerre ne soit pas une machine qui remplace la terreur ; que la scène ne s’obscurcisse pas pour porter dans mes sens un trouble que la pièce ne porte pas dans mon esprit ; pourvu que cet enfoncement, ces rochers, où est couchée Julie, ne la dispensent pas de me dire en un beau langage ce qu’elle a dans le cœur. […] Nous allons au théâtre pour être touchés ou amusés, non pour nous mettre à l’affût des incorrections du langage ni pour éplucher des rimes.

437. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

Il entendit aussi la voix de ceux qui, par des preuves indubitables, avaient acquis la connaissance de l’être suprême, de ceux qui possédaient la grammaire, la poésie et la logique, et étaient versés dans la chronologie ; qui avaient pénétré l’essence de la matière, du mouvement et de la qualité ; qui connaissaient les causes et les effets ; qui avaient étudié le langage des oiseaux et celui des abeilles (les bons et les mauvais présages) ; qui faisaient reposer leur croyance sur les ouvrages de Vyasa, qui offraient des modèles de l’étude des livres d’origine sacrée et des principaux personnages qui recherchent les peines et les troubles du monde 204 ». » L’Inde me représente, du reste, la forme la plus vraie et la plus objective de la vie humaine, celle ou l’homme, épris de la beauté des choses, les poursuit sans retour personnel, et par la seule fascination qu’elles exercent sur sa nature. […] C’est se suicider que d’écrire des phrases comme celle-ci : « L’homme est destiné à vivre sans religion : une foule de symptômes démontrent que la société, par un travail intérieur, tend incessamment à se dépouiller de cette enveloppe désormais inutile. » Que si vous pratiquez le culte du beau et du vrai, si la sainteté de la morale parle à votre cœur, si toute beauté, toute vérité, toute bonté vous reporte au foyer de la vie sainte, à l’esprit, que si, arrivé là, vous renoncez à la parole, vous enveloppez votre tête, vous confondez à dessein votre pensée et votre langage pour ne rien dire de limité en face de l’infini, comment osez-vous parler d’athéisme ? […] Supposé même que, nous autres philosophes, nous préférassions un autre mot, raison par exemple, outre que ces mots sont trop abstraits et n’expriment pas assez la réelle existence, il y aurait un immense inconvénient à nous couper ainsi toutes les sources poétiques du passé et à nous séparer par notre langage des simples qui adorent si bien à leur manière. […] Il n’est pas de mot dans le langage philosophique qui ne puisse donner lieu à de fortes erreurs, si on l’entend ainsi dans un sens substantiel et grossier, au lieu de lui faire désigner des classes de phénomènes.

438. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

L’auteur se pose tout d’abord ces questions dans la préface de son Histoire : Ce qui est étrange, dit-il, c’est que ce langage (le langage de ceux qui répondent à ces questions-là dans un sens défavorable à la Restauration) est tenu également par ses amis les plus ardents et par ses plus violents adversaires.

439. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

Il amène des commères, des paysans qui troquent, des tonneliers avec leur langage risqué et leurs instincts de bas étage. […] Les paysans s’y trouvent, et à côté d’eux les rois, les villageoises auprès des grandes dames, chacun dans sa condition, avec ses sentiments et son langage, sans qu’aucun des détails de la vie humaine, trivial ou sublime, en soit écarté pour réduire le récit à quelque ton uniforme ou soutenu.

440. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Lisez la lettre du prince de Ligne que je résumais tout à l’heure ; et vous verrez comment l’habitude des relations mondaines, de la pensée abstraite, du langage élégant et analytique a dégradé l’admirable thème lyrique que la disposition momentanée de son âme lui avait ouvert. Mme du Deffand n’a jamais pu se défaire de sa lucidité cruelle, de son spirituel sang-froid d’intelligence, de son sec, conscient et critique langage.

441. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

J’aime votre âpreté, avec ses délicatesses de langage qui la font valoir, comme des damasquinures sur une lame fine. […] Mais qu’il ait desséché sa verve poétique (ce que nous ne pensons pas) parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une éponge pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, sur-vidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, car il a dit les mots suprêmes sur le mal de la vie, ou de parler un autre langage.

442. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Si j’osais lui emprunter son propre langage ou du moins essayer de lui appliquer sa propre méthode pour le caractériser, voici comment je m’y prendrais. […] Royer-Collard, par exemple : « Il n’a rien de ce temps-ci, disait-on ; tour de pensée et langage, il est tout d’une autre époque. » Pardon !

443. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Mais le Théâtre-Français surtout est et demeure, à travers toutes les vicissitudes, une grande école de goût, de bon langage, un monument vivant où la tradition se concilie avec la nouveauté. […] La vie publique nous envahit ; des centaines d’hommes politiques arrivent chaque année des départements avec des qualités plus ou moins spéciales et des intentions que je crois excellentes, mais avec un langage et un accent plus ou moins mélangés.

444. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Depuis lors, son beau talent, avec la fermeté, la souplesse et la vigueur qui le distinguent, avec cet art de présenter la pensée sous des aspects toujours larges et nets, avec l’éclat et la magnificence du langage qui ne se séparent point chez lui de la chaleur du cœur, s’est mis tout entier au service non seulement des belles causes, des causes généreuses, mais aussi des choses praticables et possibles. […] Le 22 juin 1848, il débuta devant l’Assemblée nationale en venant parler sur la propriété (à propos d’un projet de décret sur la reprise de possession des chemins de fer par l’État) ; il exprima des considérations justes, élevées, opportunes, dans un loyal et courageux langage.

445. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Il y a des critiques dont l’esprit et la science gagneraient beaucoup à s’exprimer dans un langage sinon français, du moins humain. […] Et quand, à force d’impartialité, de science et de goût, elle a exprimé son opinion dans un bon langage, elle n’a encore fait qu’une œuvre secondaire, inférieure à la moindre des œuvres originales.

446. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale Parmi les phénomènes que présente l’état actuel des choses, il en est qui frappent plus que d’autres, selon la disposition différente des esprits différents, Celui sur lequel je désire arrêter en ce moment l’attention, parce que je le crois de la plus grande importance, c’est le discrédit de la parole et la confusion du langage. […] La morale elle-même a besoin d’emprunter un autre langage pour être entendue.

447. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

… Mais l’histoire, trop mâle pour s’attendrir jamais, trop juste pour être généreuse, l’histoire, quand elle raconte les bonnes et les mauvaises actions des hommes, doit avoir un autre langage que celui d’une apologie idolâtre ou d’une défense pleine de colère. […] Ce n’est point à nous de donner des leçons à un prêtre ; nous ne parlerons donc pas ici de l’outrageant langage dont le P. 

448. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Cette intuition d’un milieu homogène, intuition propre à l’homme, nous permet d’extérioriser nos concepts les uns par rapport aux autres, nous révèle l’objectivité des choses, et ainsi, par sa double opération, d’un côté en favorisant le langage, et d’autre part en nous présentant un monde extérieur bien distinct de nous dans la perception duquel toutes les intelligences communient, annonce et prépare la vie sociale. […] Au lieu d’une vie intérieure dont les phases successives, chacune unique en son genre, sont incommensurables avec le langage, nous obtiendrons un moi recomposable artificiellement, et des états psychiques simples qui s’agrègent et se désagrègent comme font, pour former des mots, les lettres de l’alphabet.

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