Il est fait d’un mélange d’esprit charnel et de chair triste et de toutes les splendeurs violentes du bas-empire ; il respire le fard des courtisanes, les jeux du cirque, le souffle des belluaires, le bondissement des fauves, l’écroulement dans les flammes des races épuisées par la force de sentir, au bruit envahisseur des trompettes ennemies. […] Rien ne ressemblait moins à sa manière, sauf peut-être les deux quatrains du dernier sonnet, mais les falsificateurs avaient beau jeu, puisque, un petit lot de lettrés mis à part, Rimbaud n’était encore connu que de nom. […] Déchaînés aussi, mais liturgiques, sur les dômes et par les vals, que le tympanon et la saquebute ; que les cymbales clair-sonnantes et les harpes funéraires ; que le psaltérion décacorde ; que la viole d’amour et les orgues de douleur ; que les flûtes onaniaques des ithyphalliques adônies ; que les trompettes écarlates, les buccins de pourpre et de sinople, les tubas ; que les clairons vermeils ; que les hautbois agrigentins ; que le tambour des Mimallonnes où s’effare l’Evohé ; que le cri des Thyades et le rugissement des panthères ; que la fureur des Béhémoth et le souffle du Léviathan ; que l’onagre et l’étalon gorgé de chair humaine ; que la licorne et l’unicorne ; que l’hircocerf et le caprimulge ; que le guivre et l’alérion ; que l’âne priapique aux dons joyeux, vocifèrent la louange de ce poète bien venu… » Ce faire-part de naissance continuait longtemps sur ce ton et le Timbalier ne manquait pas d’ajouter : « Par un jeu coutumier à la professionnelle modestie, l’Auteur, exposa naguère, sous des noms aimés, ses poèmes, aveuglants joyaux, curieux de savoir, peut-être, ce que la vitre du pseudonyme interposée entre son œuvre et lui absorbait de rayons.
En un mot, on ne connaît jamais mieux un esprit, un talent, un caractère ou un amour-propre, que quand on l’a vu quelque temps à ce jeu-là. […] Il éclaire, il instruit, il élève plus qu’il n’émeut : là même où ses sentiments sont en jeu et où il s’agit de questions qui lui tiennent à cœur, il s’adresse surtout à la raison. […] Il se plaisait à indiquer que le ministère dont il était chef, que lui-même en particulier, prenait volontiers sur lui tout l’odieux des lois proposées, et que d’autres recueilleraient un jour le fruit plus facile de ces rudes journées de lutte et de labeur. — « On nous fera responsables, on s’attaquera à nous, nous deviendrons le bouc émissaire de la société ; soit. » Il en prenait hautement son parti, et d’un ton demi-railleur, accentué de dédain, il faisait beau jeu à l’avance aux amis douteux ou aux adversaires : Pendant ce temps, disait-il, les périls s’éloigneront ; avec le péril, le souvenir du péril passera, car nous vivons dans un temps où les esprits sont bien mobiles et les impressions bien passagères.
Il y a en Mme de Girardin un homme de beaucoup d’esprit (celui qui sera le vicomte de Launay), et qui a tué le poète ; tué, non, car le poète apparaît encore parfois avec son masque, sa cuirasse, son casque de Clorinde, son escrime habile, aisée et large de jeu, ses poussées de beaux vers dans la tirade, et comme ses éclairs dans la mêlée ; mais tout cet appareil et cette mise en scène ne sauraient imposer à ceux qui ont une fois connu ce que c’est que la poésie véritable. […] On a remarqué qu’il y a de curieux développements et des jeux d’esprit à la Sénèque : par exemple, l’endroit du quatrième acte où Antoine désespéré s’attache à se démontrer à lui-même qu’il a donné raison après coup à toutes les philippiques de Cicéron, et qu’il s’est conduit de telle sorte que les invectives de ce grand ennemi sembleront désormais les propos d’un flatteur : Flatteur ! […] Elle joue franc jeu, et son esprit y va de bon cœur.
Payé à vingt-quatre ans de ce service par un bon évêché, de la familiarité du cardinal et du jeu de la reine, Cosnac, par tempérament, par goût et par esprit d’intrigue (je mets toujours le mot comme lui-même, indifféremment), se mêlait alors de beaucoup de choses, et on l’y jugeait propre. […] J’ai voulu citer tout ce passage qui nous touche par la destinée du grand homme qui y est en jeu et qui s’y agite si indifféremment : on se sent pénétrer d’une amère pitié. […] Monsieur, frère de Louis XIV et duc d’Orléans, était le plus joli enfant et le plus efféminé jeune homme qu’il se pût voir ; également incapable de secret et de conseil, il ne songeait qu’aux jeux de l’enfance, surtout à ceux de l’enfance des femmes, et il n’élevait pas sa pensée au-dessus de la bagatelle.
Il lui donne d’excellents conseils littéraires sur la méthode à suivre dans une semblable entreprise, mais il ne tarde pas à y mêler des conseils plus généraux et d’un autre ordre ; par exemple : « Pendant la guerre des parlements et des évêques, les gens raisonnables ont beau jeu, et vous aurez le loisir de farcir l’Encyclopédie de vérités qu’on n’eût pas osé dire il y a vingt ans ; quand les pédants se battent, les philosophes triomphent. » Les tracasseries commencent. […] il ne s’agit plus de le rendre ridicule, il s’agit de le déshonorer. » C’est ainsi qu’il s’apprêtait à mettre en jeu contre son ennemi toutes les ressources d’un grand esprit furibond et sans droiture. […] Mais quant au fond et à l’exactitude du procédé, on ne saurait rien lui contester ; et, dans son insistance finale, il fut poussé lui-même à bout par les importunités incessantes et le jeu hypocrite de son adversaire. — J’ajouterai qu’après la mort de tous deux, Mme Denis, alors Mme Duvivier, héritière de Voltaire, dut payer au fils de M. de Brosses une somme de quarante mille francs environ, après estimation faite par les experts des diverses dégradations et détériorations qu’avait subies la propriété ; ce qui prouve que Voltaire n’avait pas ménagé l’usufruit.
Mais que de génie pour les disposer, ces lumières que tous les jeux reconnaissent, guider les esprits vers une seule maison, étoiles ! […] L’art d’écrire est nécessairement l’art d’écrire mal ; c’est l’art de combiner, selon un dessin préconçu, les clichés, cubes d’un jeu de patience. […] Le nombre des combinaisons possibles (il y a peut-être cent mille clichés dans Goyer-Linguet) touche à l’infini dans l’absolu ; elles sont toutes mauvaises, et le jeu est dangereux qui habitue l’esprit à recevoir, sans travail et sans lutte, la becquée.
En naissant, on est fatalement voué aux Jeux Floraux, comme en Bretagne on est voué au bleu. — Quels alexandrins il en résulte ! […] Il se trouverait mille Toulousains pour affirmer que l’Académie française n’est qu’une section de l’Académie des Jeux Floraux — en mission. […] Pour le moment la littérature française se trouve représentée à Luchon par un artiste pédicure qui rédige ses affiches en vers épiques : quelque lauréat des Jeux Floraux dans le besoin !
Ce sont-là les vrais Philosophes dignes de l’estime des Citoyens ; & non ces esprits audacieux & inquiets, qui se font un jeu de détruire ce qu’il y a de plus respectable, & dont l’objet principal est de se faire remarquer par la singularité de leurs idées.
Dans sa flamme amoureuse croissante, il s’écrie : « Ni la boucle de cheveux de Timo, ni la sandale d’Héliodora, ni le vestibule de la petite Démo, toujours arrosé de parfums, ni le tendre sourire d’Anticlée aux grands yeux, ni les couronnes fraîchement écloses de Dorothée, non, non, ton carquois, Amour, ne cache plus rien de ce qui te servait hier encore de flèches ailées ; car en moi sont tous les traits127. » Il diversifie cette pensée, et, y entremêlant d’autres noms, il se plaît à la redire, non point en pure fantaisie, mais d’un accent pénétré : « J’en jure par la frisure de Timo aux belles boucles amoureuses, par le corps odorant de Démo, dont le parfum enchante les songes, j’en jure encore par les jeux aimables d’Ilias, j’en jure par cette lampe vigilante qui s’enivre, chaque nuit, de mes chansons, je n’ai plus sur les lèvres qu’un tout petit souffle que tu m’as laissé, Amour ; mais si tu le veux, dis, et ce reste encore, je l’exhalerai. » C’est là sa plainte constante, c’est son vœu, même lorsqu’il a l’air de crier merci : « Le son de l’amour plonge sans cesse en mes oreilles, mon œil offre en silence sa douce larme aux désirs ; ni la nuit ni le jour n’ont endormi le mal, mais l’empreinte des filtres est déjà reconnaissable à plus d’un endroit dans mon cœur. […] Au-dessus de sa porte, alors, je suspendrai ces couronnes suppliantes, non sans les avoir fanées auparavant de mes larmes, et j’y inscrirai ces mots : A toi, Cypris, Méléagre, l’initié de tes jeux, a suspendu ici ces dépouilles de sa tendresse130 ! […] Ce n’est pas seulement parce qu’il joue sur les noms de ses maîtresses, parce qu’étant un jour amoureux d’une certaine Tryphéra, il dit qu’elle est une Scylla, à peu près comme si mademoiselle de Scudery disait que la princesse de Tendre a un cœur de roche 133 ; il ne s’en tient pas à ces gentillesses : il est telle épigramme sur Héliodora où il nous montre Amour et elle jouant à la paume avec son cœur, et il la supplie de ne pas le laisser tomber, mais de se prêter au jeu et de renvoyer la balle. […] Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir lu Méléagre, on comprend mieux Ovide, et tant de jeux d’esprit, dès longtemps en circulation chez les Grecs, où le charmant élégiaque latin n’a pas toujours mêlé la même flamme.
Le fait est qu’à un certain jour toutes ces belles dames de cœur, ces nobles et chevaleresques valets de carreau, avec lesquels on jouait si franc jeu, se retournent ; on s’était endormi en croyant à Hector, à Berthe ou à Lancelot ; on se réveille dans ce cabinet même dont parle Mme de Sévigné, et on n’aperçoit de tous côtés que l’envers. […] le sort de Chalais, de Montmorency, de ces illustres décapités, semblait seulement le piquer au jeu. […] Du jour où on ne répond au jeu du sort que par une moquerie de cette devise héroïque de la jeunesse : J’ai fait la guerre aux Rois, je l’aurais faite aux Dieux ; de ce jour-là, plus de tragédie ni d’acte sérieux ; on est entré dans l’ironie profonde. […] Si les Maximes peuvent sembler, à leur naissance, n’avoir été qu’un délassement, un jeu de société, une sorte de gageure de gens d’esprit qui jouaient aux proverbes, combien elles s’en détachent par le résultat, et prennent un caractère au-dessus de la circonstance !
Les sujets étaient si bas et la bassesse en était étalée avec un si sombre parti pris, l’auteur s’excitait dans une vision si méprisante, si inventrice de platitudes et d’ordures, que je me suis demandé jadis si cette vision n’était point un jeu d’art maladif et que j’ai suspecté la vérité des ces minutieuses nausées. […] Or, le fond, c’est le monde considéré comme le champ de bataille de Dieu et du démon ; c’est la foi au surnaturel continu, au miracle chronique, à l’action directe et personnelle de Dieu sur les âmes et au jeu de la réversibilité des mérites. […] La Haute et le Nouveau Jeu, Leur Cœur et Nocturnes, le Prince d’Aurec et Viveurs, c’est la surface brillante et pourrie de la société contemporaine, décrite par un esprit aigu, — mais en même temps jugée, le plus souvent sans le dire, par une âme qui, dans sa rencontre avec l’éphémère, continue de porter en soi quelque chose de stable et de traditionnel : la vieille France, simplement. […] Voyez, dans le Nouveau Jeu, l’entretien nocturne du père Labosse avec son valet de chambre : chef-d’œuvre absolu ; du Balzac en petites phrases.
« Le plus beau quartier de la ville de Coquetterie est la grande place, qu’on peut dire vraiment royale 44… Elle est environnée d’une infinité de réduits, où se tiennent les plus notables assemblées de coquetterie, et qui sont autant de temples magnifiques consacrés aux nouvelles divinités du pays ; car, au milieu d’un grand nombre de portiques, vestibules, galeries, cellules et cabinets richement ornés, on trouve toujours un lieu respecté comme un sanctuaire, où sur un autel fait à la façon de ces lits sacrés des dieux du paganisme, on trouve une dame exposée aux yeux du public, quelquefois belle et toujours parée ; quelquefois noble et toujours vaine ; quelquefois sage et toujours suffisante ; et là, viennent à ses pieds les plus illustres de cette cour pour y brûler leur encens, offrir leurs vœux et solliciter la faveur envers l’amour coquet pour en obtenir l’entrée du palais de bonnes fortunes. » On lit dans un autre passage, que dans le royaume, « il n’est pas défendu aux belles de garder le lit, pourvu que ce soit pour tenir ruelle plus à son aise, diversifier son jeu, ou d’autres intérêts que l’expérience seule peut apprendre45 ». […] » Ce que l’abbé d’Aubignac appelle tenir ruelle, est, comme nous l’avons vu, un moyen employé quelquefois par une précieuse coquette, pour diversifier son jeu ou d’autres intérêts que l’expérience seule peut apprendre. […] Molière, poète de la cour de Conti, avait donc beau jeu pour mettre sur le théâtre de Béziers sa comédie des Précieuses ridicules. […] On voit, dans les Mémoires de Bassompierre, que Henri IV, aidé par la goutte, jouait avec lui et d’autres courtisans, dans la ruelle à droite, et qu’il laissa son jeu pour donner audience à madame d’Angoulême et à Charlotte de Montmorency, dans la ruelle de la gauche.
Parmi les jeunes et ceux qui briguent la palme dans un prochain avenir, je suis forcé de négliger un groupe de jeunes amis : Catulle Mendès que son prénom oblige et qui ne paraît pas d’humeur à y déroger, qui se fait un jeu de mêler dans ses composés subtils Gautier, Musset et Benserade, nectar et poison ; — Emmanuel des Essarts que son nom oblige aussi, fils de poëte, un de mes élèves à moi (car j’en ai eu à l’École normale), et qui sait allier la religion de l’antiquité aux plus modernes ardeurs : qu’il ne les sépare jamais ! […] Il y aurait plaisir à examiner et à suivre son nouveau système dans les applications ingénieuses qu’a imaginées son talent, à lui demander s’il n’y apporte pas encore un peu trop de construction savante, s’il ne garde pas un peu trop d’art, de son premier art sculptural, s’il donne assez de jeu au molle atque facetum, à cette charmante familiarité de la vie ; il y aurait à introduire des comparaisons avec les poëmes de la vie intime que possèdent nos voisins les Anglais, maîtres en ce genre.
Les jeux de mots, les équivoques licencieuses, les contes populaires, les proverbes qui s’entassent successivement dans les vieilles nations, et sont, pour ainsi dire, les idées patrimoniales des hommes du peuple ; tous ces moyens, qui sont applaudis de la multitude, sont critiqués par la raison. […] D’abord il est démontré que de certaines situations, seulement effrayantes, que les mauvais imitateurs de Shakespeare ont voulu représenter, ne produisent qu’une sensation physique désagréable, et aucun des plaisirs que la tragédie doit donner ; mais, de plus, il y a beaucoup de situations touchantes en elles-mêmes, et qui néanmoins exigent un jeu de théâtre, fait pour distraire l’attention, et par conséquent l’intérêt.